Objectif Soins n° 217 du 01/06/2013

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

La 4e enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales (IN) vient tout juste de dévoiler ses résultats. Une première étape de l’évaluation du programme national de prévention des IN qui devrait permettre d’ériger les orientations à suivre.

Ils viennent tout juste d’être dévoilés : eux, ce sont les résultats de l’enquête nationale de prévalence (ENP) des infections nosocomiales* (www.invs.sante.fr/enp). Cette dernière, menée entre le 14 mai et le 29 juin 2012 dans 1 938 établissements de santé (soit 90,6 % des lits d’hospitalisation et quelque 300 330 patients), révèle qu’un patient sur vingt au moment de l’enquête était touché par au moins une infection nosocomiale. Des résultats stables par rapport à l’ENP précédente qui datait de 2006, même si certains services, comme les soins de suite et de réadaptation ou ceux de longues durées, se sont améliorés au niveau des résultats, avec respectivement 6,6 % des cas et 4 % des cas, tout comme la psychiatrie qui recense 1 % des patients porteurs d’une IN. Sans surprise, en réanimation, près d’un quart des patients sont porteurs d’une IN au moment de l’enquête. Ces résultats sont cependant difficiles à interpréter, dans la mesure où ils ne sont que le reflet d’une étude transversale réalisée un jour donné et ne permettent pas de savoir si les facteurs de risque (comme la présence de cathéters en réanimation) étaient présents ou non avant la survenue de l’IN : aucun lien de cause à effet ne peut donc être établi. Même si cette version de l’ENP a légèrement moins mobilisé d’établissements que l’édition 2006 (qui avait un échantillon de 2 337 établissements et 358 353 patients), elle donne une photographie fidèle de la situation des IN un jour donné dans les hôpitaux français, avec une forte proportion de participation dans les CHU, CH et établissements MCO : « Fait nouveau, cette année comporte un volet sur la HAD », a précisé le Dr Bruno Coignard, épidémiologiste à l’InVS, lors du récent congrès de la SF2H. Les résultats spécifiquement dédiés à l’hospitalisation à domicile ne figurent toutefois pas dans ce rapport et feront l’objet d’une communication ultérieure.

INFECTIONS ET PATHOGÈNES PRÉPONDÉRANTS

L’enquête nous apprend que le patient-type de cette étude est âgé de plus de 65 ans (dans 53,5 % des cas) et de sexe féminin (54,3 % des cas et que, dans un bon tiers des cas, il est porteur d’un dispositif invasif (cathéter veineux périphérique le plus souvent). La moitié du panel de patients étudié est atteinte d’une affection engageant le pronostic dans l’année ou les cinq ans, et un sur dix d’une affection maligne évolutive. Parmi les IN recensées, trois sur quatre sont acquises dans l’établissement réalisant l’enquête et un quart est importé. « Par ailleurs, ce sont les infections urinaires — en baisse par rapport à 2006 — et les pneumopathies, en hausse, qui sont le plus souvent rencontrées, commente le Dr Coignard, avec une prépondérance des infections par Escherichia coli, Staphylococcus aureus ou encore Pseudomonas aeruginosa, qui concentrent à eux trois la moitié des germes rencontrés dans ces IN. » Viennent ensuite les infections du site opératoire (en diminution par rapport à l’étude de 2006) et les bactériémies/septicémies (en hausse). Ces derniers résultats peuvent notamment trouver une explication en l’augmentation de l’usage des cathéters centraux et périphériques depuis 2006. Des résultats similaires ont été constatés dans les études précédentes, et même dans d’autres pays. À noter que la prévalence des patients infectés à Sarm a tout de même diminué de moitié, tandis que, dans le même temps, celle des patients infectés à entérobactéries résistantes aux céphalosporines de troisième génération (C3G) a fortement augmenté (38 % de hausse).

L’ANTIBIOTHÉRAPIE EN HAUSSE

Cette étude a également réalisé une photographie de l’antibiothérapie des patients au moment de l’étude : un patient sur six était antibiosé. En 2006, la prévalence des patients traités était de 16,2 % et est passée à 17 % en 2012 (pour une hausse relative de 5,4 %) : cette prévalence a surtout augmenté dans les hôpitaux locaux, les CH et les CHRU, tandis qu’elle a diminué dans les établissements psychiatriques et MCO. C’est en réanimation que la prévalence de cette antibiothérapie est la plus forte, et en psychiatrie qu’elle est la plus faible. Au rang des prescriptions, on retrouve un quatuor de tête composé des C3G (notamment injectables), des carbapénèmes, des glycopeptides et des imidazolés, ce qui pose la question de leur large utilisation : la ceftriaxone et l’imipénème sont en effet connues pour être des molécules génératrices de résistance bactérienne. Notons toutefois que cette étude ne mesure pas la réelle consommation d’antibiotiques puisque la quantité en doses définies journalières pour 1 000 jours d’hospitalisation reste plus pertinente.

LES LIMITES DE L’ENP COMPLÉTÉES PAR D’AUTRES ÉTUDES

Cette enquête, bien que complète au niveau des données collectées (et compte tenu du large échantillon testé), ne permet tout de même pas de connaître les raisons qui ont abouti à la survenue d’une IN : les facteurs associés à la présence d’une IN sont certes classiques, mais ils ne permettent pas de savoir s’ils étaient présents avant la survenue de l’IN, et donc d’établir un lien de causalité. N’est également pas consigné le devenir de ces patients infectés, notamment en termes de mortalité (cf. encadré page précédente).

Enfin, aucun résultat obtenu ne permet de comparer entre eux les établissements ayant participé à l’enquête ni de donner la liste des actions à entreprendre pour organiser la lutte : dans ce domaine, le tableau de bord des IN (avec notamment le score Icalin), les livrets d’accueil et le programme national de prévention sont tout à fait complémentaires des résultats de l’ENP.

Autre fait nouveau, « cette ENP version 2012 s’inscrit dans un contexte européen », précise le Dr Coignard. En effet, « la prévalence des infections nosocomiales en France en 2006 était dans les limites basses des taux produits par d’autres enquêtes européennes, mais les différences méthodologiques limitaient singulièrement les comparaisons », explique le rapport de l’ENP.

Le Centre européen de contrôle des maladies (ECDC de Stockholm) a donc proposé aux États membres de participer à une enquête de prévalence européenne : dans ce cadre, les données d’un échantillon d’ES participant à l’ENP 2012 ont été transmises à l’ECDC et représenteront la participation française à cette enquête. Le rapport devrait sortir d’ici la fin du mois de juin, mais les premières tendances montrent que la France figurerait en tant que bonne élève pour les IN. Et pour la prescription d’antibiotiques ?

NOTES

* Sous l’égide du Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des IN (Raisin), partenariat entre l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et les Cclin.

La mortalité liée aux infections nosocomiales

Le devenir des patients ayant contracté une infection nosocomiale n’étant pas consigné dans l’ENP, il faut se référer à la dernière étude concernant la mortalité des infections nocosomiales qui date de 2012 (d’après Decoster & al., Journal of Hospital Infection) : 13 500 décès avaient alors été recensés entre 2007 et 2008 dans 14 établissements de santé, ce qui, en extrapolant les résultats, donnait un ensemble de 3 500 décès attribuables (en tout ou en partie) à une IN chaque année en France.

Un chiffre à peu près stable, puisqu’en 2004, une autre étude (Kaoutar & al., Journal of Hospital infection) dénombrait 2 730 cas de décès dus aux infections nosocomiales entre 2000 et 2001 dans 16 établissements, soit 4 000 par an au niveau national.

Assurer la sécurité des patients

Lancé en février 2013 par la ministre de la Santé Marisol Touraine, le Programme national de sécurité des patients (PNSP) vise à garantir la sécurité des soins, du moins à mettre en place une stratégie de prévention visant à anticiper les risques pour les éviter, sinon les atténuer le cas échéant. « Ce ne sont pas moins de 90 actions qui seront déployées d’ici 2017, a indiqué Michèle Perrin, chargée de mission à la DGOS lors d’une allocution au congrès de la SF2H, pour favoriser une évolution des comportements qui soit génératrice d’une sécurité des soins accrue. » Quatre axes forts ont ainsi été tracés autour de la relation soignant/soigné, de la déclaration des événements indésirables graves, de la formation à la culture de sécurité et enfin autour de la recherche et l’innovation. Point d’orgue de ces mesures, la mise en place de la troisième édition de la “semaine de sécurité du patient”, qui aura lieu cette année du 25 au 29 novembre : « Trois thématiques ont d’ores et déjà été dégagées : le bon usage du médicament, la communication soignant/soigné et la sortie du patient », a expliqué Michelle Perrin. Rappelons que cette semaine est née en 2011, année des patients et de leurs droits et avait mobilisé plus de 2 000 professionnels de santé.