Objectif Soins n° 217 du 01/06/2013

 

Droit

Gilles Devers  

L’encadrement pédagogique de l’étudiant suppose que l’IDE lui laisse une part d’autonomie. La Cour d’appel de Colmar (arrêt n° 13/00412), ce 10 avril 2013, a rendu un arrêt qui porte de nombreux enseignements sur les responsabilités respectives de l’infirmière et de l’étudiante.

Un patient, M.Émile, âgé de 78 ans, avait été admis dans le service de chirurgie ORL d’un centre hospitalier dans l’attente d’une intervention chirurgicale du larynx. Il avait été placé dans une chambre à deux lits en compagnie de M. Maurice.

LES FAITS

L’activité était très soutenue cet après-midi avec plusieurs retours de blocs, une entrée en urgence et des soins lourds. L’effectif normal aurait dû être de deux infirmières et de deux aides-soignantes, mais, ce jour-là, l’infirmière s’est retrouvée seule avec deux aides-soignantes. Était en outre présente dans le service une étudiante infirmière stagiaire en deuxième année, dont le stage avait démarré depuis une dizaine de jours.

L’infirmière avait déjà eu l’occasion de travailler avec cette stagiaire qui était appréciée comme compétente, à l’écoute et dynamique.

Le soir, vers 19 h 30, l’infirmière, accompagnée de l’étudiante, s’est présentée dans la chambre pour prodiguer des soins à M. Émile et M. Maurice. L’étudiante a pris en charge M. Maurice, auquel elle a notamment donné des médicaments par voie d’une gastrostomie. L’infirmière s’occupait pour sa part de M.Émile, qui était également muni d’une gastrostomie.

L’infirmière a constaté à l’examen de la fiche du patient que M. Maurice n’avait pas encore bénéficié d’un traitement prescrit, à savoir du Skenan, à 150 mg, antalgique contenant de la morphine.

Elle s’est ainsi rendue dans la salle de soins où, en présence de l’étudiante, elle a préparé le Skenan sous forme de quatre gélules, l’une de 100 mg, l’autre de 30 mg, enfin deux de 10 mg. Elle a déposé le tout dans un gobelet qui était muni d’une fiche au nom de M. Maurice. L’infirmière a alors demandé à l’étudiante infirmière d’aller administrer le Skenan à M. Maurice, malade qu’elle connaissait pour l’avoir soigné quelques instants auparavant.

Arrivée seule dans la chambre, la stagiaire a été interpelée par M. Émile qui s’est plaint de ne pas avoir reçu un médicament, qui lui était effectivement prescrit, mais qui devait être administré un peu plus tard. Or, par inadvertance, l’étudiante infirmière a remis les gélules de Skenan à M. Émile, qui les a avalées alors qu’elles étaient destinées à M. Maurice.

L’étudiante a rejoint l’infirmière et celle-ci, devant son attitude inquiète, l’a interrogée pour savoir s’il y avait eu une difficulté. L’étudiante lui a alors expliqué qu’elle venait de faire absorber par voie orale le Skenan à M. Émile en lieu et place de M. Maurice.

L’infirmière s’est rendue auprès de M. Émile et a tenté d’aspirer le médicament par la gastrostomie, manœuvre qui est restée inefficace car le médicament avait été absorbé par voie orale.

Elle a alors prévenu le médecin de garde qui a ordonné de transporter M. Émile au service d’urgence, service adapté pour ce type de prise en charge, à savoir assurer la surveillance cardiorespiratoire et administrer l’antidote lorsque surviendrait la dépression respiratoire.

Or cet aspect n’a pas été géré et le patient est hélas décédé. La mort était la conséquence directe de l’absorption du Skenan à forte dose chez un patient qui n’en avait jamais bénéficié auparavant.

LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL

Le médecin qui devait assurer cette prise en charge a fait l’objet d’une condamnation pénale pour homicide involontaire.

Le centre hospitalier a été condamné au pénal, en tant que personne morale, du fait de nombreux dysfonctionnements mis en avant par l’instruction judiciaire. Les poursuites ont également été engagées contre l’infirmière et contre l’étudiante.

Pour sa faute d’inattention, qu’elle expliquait très mal, l’étudiante a été condamnée pour homicide involontaire. Le Code pénal sanctionne les fautes de négligence et d’inattention, quand elles ont causé un dommage au patient, et, à ce titre, la condamnation n’était pas discutable.

L’infirmière a également été condamnée par le tribunal pour une faute dans l’encadrement. Le tribunal a retenu qu’elle avait laissé l’étudiante seule pour administrer des produits morphiniques à un patient et pour une dose élevée, que l’administration de ce produit, qui a un effet retard, n’était pas une urgence et aurait pu être mieux gérée, et qu’elle avait manqué à la règle selon laquelle « celui qui prépare administre ».

Le jugement condamne ainsi l’infirmière : « Il en résulte que, d’une part, sans l’administration initiale du Skenan par l’étudiante, M. Émile ne serait pas décédé, d’autre part, que cette administration ne se serait pas faite si l’infirmière avait accompagné l’élève infirmière. »

« Il est patent en effet que le décès de la victime est le résultat de la faute de maladresse, d’inattention ou de négligence commise par l’étudiante, faute qui est reconnue par cette dernière. »

« Mais ce décès est également le résultat du comportement de l’infirmière qui, en laissant une élève infirmière administrer seule un médicament contenant de la morphine, classé comme stupéfiant, a commis une faute caractérisée exposant M. Émile à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer. »

Contestant cette condamnation, l’infirmière avait relevé appel.

LA COUR D’APPEL

La Cour d’appel pose ainsi la question du procès :

« Il convient de déterminer si le fait, pour l’infirmière, d’avoir laissé l’étudiante administrer un médicament classé au tableau des stupéfiants à un patient, constitue une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer. »

Ce faisant, la Cour fait exactement référence aux textes de l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal (cf. encadré p. 17).

Les experts ont tous admis une mauvaise organisation du service ORL au moment des faits, et notamment l’insuffisance notoire du personnel soignant. Vu la masse de travail à accomplir, la présence d’une seconde infirmière dans le service était nécessaire.

La préparation

L’étudiante infirmière a toujours reconnu qu’elle avait été associée aux soins pratiqués par l’infirmière et qu’elle connaissait l’effet toxique du Skenan et sa classification au tableau des stupéfiants. De même, elle connaissait la pratique des soins par la gastrostomie, pour l’avoir apprise en cours et l’avoir pratiqué, en présence de l’infirmière d’ailleurs. L’étudiante s’était personnellement occupé de M. Maurice et jamais de M. Émile, et la discussion entre l’infirmière et l’élève faisait ressortir sans doute que le Skenan était dû à M. Maurice.

La Cour relève : « L’étudiante infirmière a assisté à la préparation du Skenan effectuée à sa vue dans la salle de soins par l’infirmière. Les gélules de ce médicament ont été en sa présence placées dans un récipient portant une étiquette mentionnant l’identité de M. Maurice. »

Elle en conclut : « Il est démontré que l’infirmière, tout au long du processus de préparation de la prescription, n’a commis aucune faute, associant complètement l’étudiante infirmière à celui-ci, encadrant cette dernière et en s’assurant qu’elle avait compris ce qui lui était demandé, à savoir l’administration d’un médicament à une personne déterminée. » De telle sorte, la phase de préparation étant reconnue régulière, se pose alors la question de l’administration.

L’administration

La Cour rappelle l’expertise selon laquelle les tâches à exercer ne pouvaient toutes être effectuées par l’infirmière, pour être disponible auprès des 26 patients.

Dans ce contexte l’infirmière a confié « à une étudiante infirmière de deuxième année une tâche matérielle simple que cette dernière avait déjà accomplie auparavant auprès d’autres malades sans qu’il en résulte d’incident ». La Cour souligne ainsi que l’étudiante infirmière exerçait en autonomie, mais pour une tâche limitée, et qu’elle connaissait.

La Cour poursuit en soulignant que l’infirmière ne pouvait raisonnablement se douter que l’étudiante allait commettre une négligence en se trompant de patient « dès lors qu’elle s’était quelques instants auparavant occupée exclusivement de M. Maurice lors de la séance de soins permettant ainsi l’identification formelle de cette personne à qui était destiné le Skenan ». De fait, on aurait pu rencontrer une autre configuration, où l’identification du patient aurait été plus difficile, cet élément a beaucoup compté dans l’appréciation de la Cour.

Le dossier laissait apparaître plusieurs fois comme une accusation une règle selon laquelle « celui qui prépare administre ». La défense de l’infirmière contestait la réalité de cette règle, qui n’a aucun contenu juridique, et c’est ce que retient la Cour : « Aucune disposition réglementaire ne retient la consigne selon laquelle, dans les hôpitaux, il appartient à celui qui prépare un médicament d’être celui qui en assure l’administration. »

L’encadrement de l’étudiante

La Cour poursuit : « Si le décret du 16 février 1993 (Code de santé publique, article R. 4312-31) stipule que l’infirmier chargé d’un rôle de coordination ou d’encadrement veille à la bonne exécution des actes accomplis par les étudiants infirmiers placés sous sa responsabilité, il n’impose pas que l’infirmier titulaire soit présent lors de l’administration du médicament par l’élève, et ce, même s’il s’agit d’un produit classé stupéfiant. »

Cet attendu de la Cour est extrêmement important, car, tout en étant mesuré, et lié à l’examen de toutes les circonstances de fait, il se place dans une position pédagogique et responsable. On ne peut pas soutenir que l’étudiante infirmière doit toujours agir en présence permanente de l’infirmière, sauf à admettre qu’elle ne pratiquerait ses premiers actes seule qu’après son diplôme lors de la prise de fonction, ce qui est impossible de soutenir.

Toutefois, l’infirmière doit assurer un contrôle effectif, le texte évoquant une élève placé « sous sa responsabilité », ce que la Cour traduit dans les termes suivants : « Il suffit que l’infirmier titulaire s’assure au préalable que l’étudiant infirmier a les connaissances théoriques et pratiques suffisantes pour comprendre ce qui lui est demandé. »

Dans ces conditions, la Cour relève que l’infirmière n’a pas commis la faute caractérisée qui lui était reprochée par le procureur, et prononce donc sa relaxe.

QUELQUES ENSEIGNEMENTS

Cet arrêt, qui est parfaitement motivé, est d’un particulier intérêt, car on ne disposait que de peu de références jurisprudentielles sur ce plan.

Selon l’article L. 4311-12 du Code de la santé publique, l’étudiant pratiquant des actes infirmiers dans le cadre de sa formation n’est pas en situation d’exercice illégal de la profession. Mais, dans ce cadre légal, y a-t-il une autonomie et jusqu’où va-t-elle ? L’article R. 4311-15 fait référence à la notion d’ « encadrement » et l’article R. 4312-31 indique en tout et pour tout que l’infirmier chargé d’un rôle d’encadrement « veille à la bonne exécution des actes accomplis par les étudiants infirmiers placés sous sa responsabilité ». Ainsi, il n’existe pas de texte spécifique, et tout s’analyse au regard du texte général, l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal.

Il existait un précédent arrêt rendu par la Cour de cassation (26 juin 2001, n° 00-87816) dans lequel l’infirmière avait été condamnée pour un défaut d’encadrement de l’étudiante. Mais le dossier laissait apparaître que l’étudiante avait accepté de pratiquer l’acte alors qu’en réalité elle ne connaissait pas cette technique.

Un patient, atteint d’affections cardiaques, avait été admis dans le service de cardiologie d’une clinique pour y subir une coronographie sous anesthésie générale. À l’issue de l’examen, le médecin lui a prescrit l’administration, en perfusion sur 24 heures, d’une solution glucosée d’un litre additionnée de quatre grammes de chlorure de potassium. Une étudiante infirmière en stage lui a injecté le chlorure de potassium par voie intraveineuse directe, à l’aide du cathéter déjà en place, au lieu de procéder par perfusion, ce qui a provoqué le décès du patient.

Pour déclarer l’infirmière, coupable d’homicide involontaire, la cour retient qu’il lui incombait de surveiller les actes accomplis par l’étudiante infirmière et que l’administration du produit, ne présentant aucun caractère d’urgence, pouvait être différée jusqu’à ce que l’infirmière, occupée auprès d’un autre patient, soit disponible pour agir elle-même ou surveiller le travail de l’étudiante. Pour les juges, « en laissant celle-ci administrer une substance dangereuse à un patient, hors de sa présence et sans s’être assurée qu’elle connaissait le mode opératoire, l’infirmière a commis une faute caractérisée ayant exposé le patient à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer ». Aussi, les deux arrêts viennent en balance, pour montrer la limite de ce qui est admissible. Il est tout à fait heureux que la Cour d’appel de Colmar ait prononcé la relaxe de l’infirmière, car elle montre que l’encadrement d’une élève n’est pas une mise sous tutelle et que cet encadrement doit inclure une part d’autonomie.

L’infirmière avait géré bien cette part de pédagogique de la liberté, à travers ces trois points :

•  elle avait préparé le médicament en présence de l’étudiante en donnant les explications ;

•  elle avait confié à l’élève un acte d’administration en sachant que l’étudiante connaissait cet acte car elle venait de le pratiquer devant elle ;

•  elle avait fait la preuve d’une prudence dans cette autonomie laissée à l’étudiante, en lui confiant de pratiquer cet acte auprès d’un patient que l’étudiante venait de soigner.

La forte charge de travail ce jour-là a-t-elle joué dans la décision de la Cour ? Sans doute, mais, sur ce point crucial, la Cour ne le dit pas expressément. En toute hypothèse, la Cour ne légitime pas cette autonomie laissée à l’étudiante par la charge de travail, mais par une conception saine de l’encadrement et de la pédagogie.

Ainsi, l’autonomie qui doit être reconnue aux étudiants dans une logique pédagogique ne permet pas de tout faire, c’est bien évident, et l’arrêt de la Cour d’appel n’est pas en ce sens. De même, l’étudiante infirmière ne devient pas un substitut professionnel, et en aucun cas elle ne peut être considérée comme complétant l’effectif. En revanche, à partir du moment où l’étudiante dispose d’une connaissance théorique et pratique, l’infirmière qui l’encadre doit lui laisser une marge d’autonomie, qui inclut la difficulté de gérer les situations.

Cette affaire n’aurait pas dû connaître son issue dramatique car l’antidote aurait dû être géré correctement. Il n’en reste pas moins que la décision de l’infirmière a concouru à la réalisation de la faute de l’élève, mais il n’y a pas de condamnation, car cette décision n’était pas fautive. L’arrêt rendu par la Cour d’appel, loin d’entrer dans un logique sécuritaire ou inhibitrice, prend au contraire le temps de l’analyse pour juger que l’infirmière avait été professionnelle et responsable, de telle sorte que sa culpabilité doit être écartée.

Les pratiques sanitaires cherchent à s’approcher de la sécurité, mais leur vrai registre est la gestion du risque. En laissant à l’étudiant une marge d’autonomie, l’IDE crée une zone d’incertitude, qui peut devenir une zone dangereuse. Cela impose beaucoup de clairvoyance et d’esprit de responsabilité. Mais, la recherche, nécessairement illusoire, d’un idéal sécuritaire par un encadrement strict, entendu comme une surveillance constante, créerait un danger bien plus grand encore, en laissant des infirmières découvrir la solitude devant le patient lors leurs premiers soins pratiqués après le diplôme, avec le stress inhérent à ces situations professionnelles. Loin des approches peureuses, la gestion des risques est une démarche responsable, fondée sur la maitrise des savoirs et l’apprentissage.

CODE PÉNAL ARTICLE 121-3

• Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

• Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

• Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

• Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

TEXTES SUR L’ADMINISTRATION DES MÉDICAMENTS

• Circulaire DGS/PS 3/DAS n° 99-320 du 4 juin 1999 relative à la distribution des médicaments.

• Arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé

• Haute Autorité de santé, “Outils de sécurisation et d’autoévaluation de l’administration des médicaments”, juillet 2011.

• DGOS, Guide d’accompagnement de l’arrêté du 6 avril 2011, DGOS/PF2/2012/72 du 14 février 2012 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse dans les établissements de santé.

• Instruction N° DGOS/PF2/2012/352 du 28 septembre 2012 relative à l’organisation de retours d’expérience dans le cadre de la gestion des risques associés aux soins et de la sécurisation de la prise en charge médicamenteuse en établissement de santé.