Le DPI, un outil de sécurisation et de management des soins | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 218 du 01/09/2013

 

Qualité Gestion des risques

Le dossier du patient informatisé (DPI) est devenu un outil incontournable dans la prise en charge actuelle des patients. En effet, il permet, grâce aux évolutions techniques, de prendre en charge, d’une manière globale et continue, les patients par plusieurs équipes soignantes, tout en améliorant la qualité des informations contenues dans le dossier et la qualité des soins dispensés. Néanmoins, le passage du papier à l’informatique n’est pas sans conséquence.

L’informatisation du dossier du patient réduit-elle la qualité des soins dispensés ? Si perte existe, est-elle due à l’utilisation de l’outil informatique ? Au temps nécessaire de son apprentissage ? Aux modalités du changement de pratiques et de son accompagnement ? Quel est le rôle du cadre de santé dans l’implantation d’un tel outil ?

INFORMATIQUE ET SYSTÈME HOSPITALIER : UN RETARD ANCRÉ

La société actuelle, avec ses innovations et ses avancées technologiques, a fait émerger de nouvelles perspectives, notamment dans le domaine des technologies de l’information. L’informatique est devenue aujourd’hui un outil indispensable dans notre vie de tous les jours. Le système hospitalier a longtemps été en retard dans ce domaine, mais il est actuellement en train de connaître un véritable bouleversement. L’hôpital s’adapte progressivement à l’émergence de ces nouvelles technologies. De nombreux textes émanant des gouvernements successifs (Plan hôpital 2007, Plan hôpital 2012, Loi HPST, Programme hôpital numérique) ont défini, depuis 2005, une stratégie et une politique de modernisation des systèmes d’information. Des outils informatiques dédiés au monde hospitalier se développent. Ils permettent, grâce aux évolutions techniques et l’adaptabilité des logiciels au plus près des pratiques des soignants, de prendre en charge, d’une manière globale et continue, les patients par plusieurs équipes médicales et paramédicales.

Le dossier du patient informatisé (DPI) est devenu aujourd’hui un outil incontournable. Son but, à l’instar de son ancienne version papier, est de collecter et d’archiver la traçabilité des actes ou soins réalisés et des traitements administrés à la personne soignée. Le circuit du médicament est un élément critique, presque névralgique, dans la mise en place d’un DPI, du fait de son utilisation pluriprofessionnelle et de son importance évidente dans la sécurisation de la prise en charge des patients. L’évaluation et l’analyse du circuit du médicament via le dossier informatisé permettent de faire un bilan de l’appropriation de ce nouvel outil par les utilisateurs.

ENQUÊTE

Partant de ce postulat et suite à un constat d’une nette baisse de la traçabilité de l’administration des traitements médicamenteux depuis l’informatisation du dossier du patient au sein d’un hôpital, nous avons réalisé une étude, dans le cadre d’un mémoire de recherche pour un master 2 professionnel. L’objectif est de démontrer que le dossier patient informatisé améliore la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients.

Problématique

La problématique posée était la suivante : pourquoi l’administration des médicaments est-elle insuffisamment tracée à la suite du passage au dossier patient informatisé, et donc génère une diminution de la qualité des soins ? Ainsi, le but principal de notre recherche était d’appréhender l’impact et la place de l’informatisation du dossier du patient dans la sécurisation du circuit du médicament d’un établissement public de santé mentale.

Cibles

Notre étude a ciblé les infirmiers puisqu’ils constituent le dernier maillon du circuit du médicament avant la personne soignée. Ce sont les seuls professionnels à tracer ou enregistrer la distribution des médicaments aux patients. L’administration des médicaments constitue un acte de soins très important dans leur journée de travail. Le questionnaire utilisé(1), composé de 24 questions, passe en revue les différents points critiques relevés dans un arbre des causes préalablement réalisé avec deux cadres de santé d’unité d’hospitalisation : utilisation du DPI, préparation et vérification des médicaments, méthode et lieu de l’enregistrement de l’administration médicamenteuse aux patients hospitalisés, impact de l’informatisation du dossier du patient. Le questionnaire, relativement long, nécessitait environ 20 minutes pour être renseigné.

Analyse

Au bout d’un mois (avril 2012), sur 180 questionnaires distribués au sein de 18 unités d’hospitalisation complète de psychiatrie générale, nous avons reçu 74 questionnaires remplis anonymement et exploitables, soit un taux de 41,1 % de retour. La population interrogée représente ainsi un échantillon de 15 % de la population totale infirmière de l’hôpital.

Résultats

Avantages

Des points positifs de l’utilisation du DPI ont ainsi émergé :

• le gain de temps, dès lors que l’information est centralisée sur un support accessible et disponible par tous les professionnels prenant en charge la personne soignée, ce qui libère du temps pour les patients ;

• une professionnalisation plus importante, puisque l’utilisation du DPI utilisé oblige à structurer et standardiser la traçabilité des soins réalisés, notamment celui de l’enregistrement de l’administration des traitements médicamenteux ;

• une plus grande sécurité dans les prescriptions médicales, car plus claires et plus lisibles.

Les réponses aux questionnaires mettent en évidence que ni l’âge, ni le sexe, ni la date d’obtention du diplôme n’ont facilité ou freiné l’informatisation du DPI et son appropriation.

Freins

L’étude a également soulevé des obstacles au déploiement du DPI, notamment un temps d’appréhension, d’acquisition et d’assimilation de ce nouvel outil dans la pratique quotidienne des soignants, l’apparition de points critiques dans la sécurisation du circuit du médicament, la méconnaissance du logiciel utilisé, de ses fonctions, de ses possibilités, et de son intérêt dans l’organisation du travail soignant et la qualité des soins dispensés à la personne soignée en psychiatrie, et, enfin, un manque de confiance dans le DPI s’agissant notamment de la fiabilité, de sa rapidité de fonctionnement et de la confidentialité des données saisies.

Ces difficultés se caractérisent par autant de résistances aux changements, tels que l’appropriation de l’outil informatique, la motivation et l’adhésion au projet des cadres de santé, la stratégie et la méthode de déploiement du DPI, l’accompagnement du passage entre le dossier sur support-papier et le DPI, et la politique de formation des soignants-utilisateurs à ce nouvel outil.

DPI, L’OUTIL INCONTOURNABLE POUR SÉCURISER LES SOINS

Au regard de l’exploitation de ces questionnaires, l’introduction de l’informatisation du dossier du patient a réduit, de facto, le taux de traçabilité de l’administration des traitements, altérant ainsi le processus qualité de ce soin. Cette perte de qualité est également due à l’indispensable temps de l’apprentissage de ce nouveau support de traçabilité et aux difficultés d’adaptation des équipes soignantes aux modifications de l’organisation de travail.

Cependant, nous avons confirmé que le DPI est un outil de traçabilité et de sécurisation des soins. La baisse de la qualité des soins n’est pas du fait du logiciel du dossier patient, mais de l’utilisation qu’en font quotidiennement les infirmiers. Cette étude a permis de mettre en avant deux aspects distincts. Le premier concerne l’importance de l’informatisation du circuit du médicament. Le second est la nécessité d’appropriation et d’assimilation d’un nouvel outil professionnel, tel que le DPI, pour les infirmiers.

Réduction du risque d’erreur

Tout d’abord, l’informatisation du circuit du médicament, via un dossier informatisé, réduit considérablement le risque d’erreur médicamenteuse, si le DPI est bien utilisé et bien maîtrisé par ces utilisateurs.

La mise en œuvre du dossier informatisé du patient au sein des structures hospitalières permet de sécuriser le circuit du médicament. L’organisation des soins et de leur traçabilité de réalisation, notamment celle de l’administration des médicaments, est un préalable indispensable au déploiement d’un DPI. La sécurisation de ce circuit à l’hôpital est une priorité de santé publique qui doit comporter une démarche de l’ensemble des professionnels de santé, du médecin prescrivant des ordonnances, à l’infirmier administrant les traitements aux patients.

Juridique

Le cadre juridique, notamment celui de la qualité de la prise en charge médicamenteuse, a récemment évolué. Les exigences professionnelles de l’administration des médicaments imposent, aux soignants, de plus en plus l’utilisation d’outils informatiques performants et adaptés pour tracer l’exécution de cette catégorie d’acte de soin dans un souci de sécurité et d’efficacité pour le patient.

Administration

L’administration est la dernière et indispensable étape. Sa traçabilité est, selon l’arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé, l’« aptitude à retrouver l’historique, l’utilisation ou la localisation d’un produit ou d’un processus au moyen d’informations et d’identifications enregistrées »(2).

Rôle du soignant

La dématérialisation du support et de la traçabilité des soins n’enlève en rien la responsabilité du soignant qui exécute et trace en son nom la réalisation de ce soin. Quel que soit le support, l’infirmier reste l’obstacle ultime à une erreur thérapeutique pour le patient.

Le risque zéro n’existe pas, mais l’informatisation du circuit du médicament via le dossier informatisé du patient le réduit de manière significative, s’il est utilisé avec maîtrise et efficience par les soignants. L’informatisation du dossier ne résout pas toutes les difficultés. Une méconnaissance de ce circuit et de ces effets peut avoir des conséquences inverses à celles qui étaient souhaitées, et ainsi dégrader, insécuriser la qualité des soins dispensés.

Les soignants ont besoin, ensuite, d’un temps d’appropriation et d’assimilation du logiciel du DPI. La complexité et l’évolutivité incessante de ces nouveaux outils professionnels demandent, de la part des soignants-utilisateurs, une capacité permanente d’acquérir de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire pour utiliser et maîtriser ces nouveaux dispositifs.

S’INFORMER ET SE FORMER

Le manque de formation au DPI est une explication du manque de maîtrise d’une majorité des soignants enquêtés et de l’absence de valeur ajoutée dans certains domaines de la prise en charge. Ce constat amène ainsi une large majorité des professionnels à affirmer que le dossier patient informatisé de l’EPSM concerné n’est pas adapté aux services de psychiatrie.

Le déploiement d’un DPI doit être systématiquement accompagné d’une formation à son utilisation pour l’ensemble des soignants, formation répondant à leurs besoins et leurs attentes, et s’inscrivant dans une véritable politique de démarche-projet institutionnelle (stratégie, communication, étude de l’existant, étapes de mise en place, modules, calendrier…)(3)et d’une analyse locale des résistances au changement en lien avec le contexte situationnel de l’hôpital.

De plus, la mise en œuvre d’un DPI doit être basée sur un système d’information hospitalier à la hauteur de l’enjeu de ce type d’outil de soins pluridisciplinaire et doit être pilotée de manière réactive, active et organisée par un comité de pilotage représentatif de l’ensemble des professionnels utilisateurs.

LE RÔLE PRIMORDIAL DES CADRES

Les cadres de santé doivent être partie prenante dans l’élaboration d’une réelle politique de management d’équipe, de management de projet avec une dimension qualité sur le déploiement d’un DPI. Il est recommandé qu’ils soient associés pour déterminer et mettre en œuvre l’organisation la plus fiable et la plus réaliste dans les unités de soins. « La mise en œuvre d’un dossier (…) informatisé est possible, mais doit comprendre ou se compléter d’une démarche d’organisation et de conduite de changement (…). L’organisation de la production et la structuration des dossiers de soins ne se font pas qu’au travers de l’informatique. L’informatique n’est qu’un moyen. »(4) Ce type de mise en place d’un outil de soins nécessite leur implication, avant même l’installation du premier module, pour constituer le premier relais fonctionnel de proximité. L’avancée du déploiement du DPI et son bilan d’utilisation dans chaque unité de soins suscitent des réunions d’encadrement institutionnelles régulières sur ce thème. Les cadres de santé doivent être informés de la politique relative au DPI, des choix de déploiement et du calendrier de mise en œuvre des différents modules, des actions d’amélioration entreprises. Connaissant le dossier patient informatisé et son essor, le cadre de santé peut ainsi réfléchir et mettre en place une organisation des soins dans son unité en cohérence avec les exigences professionnelles, notamment celles liées à l’administration des médicaments. Il en prévoit également l’évaluation dès sa mise en place. L’organisation du travail infirmier dans les unités d’hospitalisation, impulsée et orchestrée par le cadre, doit prendre en compte notamment la conception et l’exigence des différentes phases de la distribution des médicaments afin de permettre une exécution efficace et sécurisée. Il prévoit également le temps de saisie des informations et la traçabilité des actes de soins réalisés dans l’organisation du travail des infirmiers. L’adoption d’une telle organisation des soins, harmonisée, portée par le cadre de santé et les infirmiers, doit être également soutenue et respectée par les autres professionnels, en particulier les médecins.

Le cadre de proximité, en raison de sa posture de manager, a une fonction pédagogique quotidienne auprès des soignants de son équipe. Ce bouleversement des pratiques, lié à l’implantation d’un DPI, est source de nombreuses résistances au changement de la part des équipes. Le manager doit utiliser, de ce fait, leurs manques et leurs besoins pour réintroduire du sens dans leur pratique par l’intermédiaire du DPI. Le dossier peut, alors, devenir un outil de management et pas uniquement un outil de transmissions.

POUR UN DPI ENCADRÉ

Le dossier du patient est le lieu de recueil, de centralisation de toutes les informations collectées et de traçabilité des actes ou soins réalisés par les différents professionnels concernant le patient. Il est une mémoire permanente, une référence consultable à distance par les soignants vis-à-vis d’une prise en charge. Son informatisation est un véritable challenge. Le DPI est un outil de traçabilité et de sécurisation des soins, à condition que son utilisation soit maîtrisée par les équipes des unités de soins.

L’introduction et l’utilisation de ces nouveaux outils informatiques professionnels demandent, de la part des soignants, une capacité permanente d’acquérir de nouveaux savoirs pour maîtriser ces dispositifs. Le cadre de santé est le levier de la mise en œuvre d’un DPI de par son positionnement, son accompagnement et son pilotage lors du déploiement de ce type d’outil. Il a un rôle prépondérant et primordial dans l’appropriation du DPI et son assimilation par les infirmiers, notamment dans leur organisation du travail.

La mise en place d’un DPI est un projet structurant, impactant et stratégique. La réussite de son application repose sur une réelle multidisciplinarité et doit être accompagnée d’un appui clair et précis de la direction de l’hôpital, montrant ainsi sa volonté de restructuration et de lever les résistances au changement émanant d’un pareil bouleversement des pratiques de tous les soignants médicaux et paramédicaux.

Si cette démarche s’inscrit assurément dans le temps, elle n’est pas insurmontable. Elle doit se réaliser par étapes, étapes devant être passées successivement. L’environnement actuel hospitalier nous pousse à “brûler” les étapes, à faire plus vite que le raisonnable, prenant ainsi le risque de compromettre la réussite du projet d’informatisation du dossier patient.

[Cet article émane du mémoire de recherche réalisé pour l’obtention d’un master 2 professionnel de santé publique et systèmes de soins, spécialité “Analyse et management des établissements de santé” à l’Université de Paris 7-Diderot en 2011-2012.

Notes

(1) Quivy R., Van Campenhoudt L., Manuel de recherche en sciences sociales, 2e édition, Paris : Dunod, 1995, pp.194-195.

(2) Arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé, ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé, Journal officiel du 16 avril 2011.

(3) Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, Informatisation du circuit du médicament : Guide de pilotage, Paris, 2010, p.13.

(4) Maraschin J., “Les enjeux de l’informatisation du dossier de soins infirmiers”, Objectif Soins, Cahier du management, n°168, août/septembre 2008, p.27 à 31.