Qualité Gestion des risques
Mars 2013, Clostridium difficile refait son apparition en France dans plusieurs établissements de santé des Bouches-du-Rhône. Près de cinquante personnes ont été atteintes par l’épidémie. Retour sur les précautions d’usage en la matière.
L’histoire de Clostridium difficile n’est pas toute récente, mais la bactérie demeure néanmoins aujourd’hui encore à l’origine d’épidémies compliquées à combattre : en 1893, une jeune femme développe une colite pseudo-membraneuse à la suite d’une chirurgie digestive. Ce n’est qu’à la fin des années 1930 que le germe responsable de la maladie est identifié comme faisant partie du genre Clostridium, puis dans les années 1970 qu’il est définitivement classée comme Clostridium difficile : difficile, car sa culture en laboratoire s’avérait particulièrement ardue, compliquée à isoler puis très lente à faire croître. Aujourd’hui, les épidémiologistes et infectiologues en savent plus sur la bactérie, qui se caractérise par deux toxines : l’entérotoxine (toxine A) et la cytotoxine (toxine B). Redoutée, c’est surtout le clone 027 de la bactérie qui est responsable d’épidémies nosocomiales particulièrement agressives. On se souvient de l’épisode ayant touché en 2006 plusieurs hôpitaux du nord de la France. Cette année, c’est le sud de la France qui a été impacté : au moins six établissements sanitaires et médico-sociaux accueillant des personnes âgées ont subi l’épidémie par le clone 027, occasionnant la contamination de plus de quarante personnes, dont certaines sont décédées, sans lien toutefois directement établi. Cette bactérie, ubiquitaire, a pour terrain de prédilection les établissements de santé (on ne la retrouve quasiment jamais en pratique libérale). Sa contamination se fait par voie oro-fécale et sa transmission par manuportage ou par contact avec l’environnement contaminé. À l’hôpital, la bactérie a trouvé un terrain d’action privilégié : on découvre en effet des spores dans la moitié des prélèvements environnementaux des patients contaminés. Ces dernières sont très résistantes et peuvent persister plusieurs mois sur support inerte. Qui plus est, à l’hôpital, la promiscuité des patients favorise le développement de l’épidémie : en moins de quatre jours, la bactérie peut être transmise d’un patient porteur à un patient sain cohabitant dans la même chambre. Le manuportage par les soignants s’ajoute à ces risques de promiscuité, tout comme l’usage des antibiotiques, largement documenté comme étant un facteur de risque supplémentaire pour le développement de l’infection.
Et même si, aujourd’hui, aucun vaccin n’a encore vu le jour (cf. encadré), des mesures existent pour limiter la diffusion des germes responsables de l’épidémie et protéger les populations à risque, qui sont présentes dans les établissements touchés. Ce sont d’ailleurs celles-ci qui ont été déployées par l’Agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et ses partenaires pour juguler la propagation de l’épidémie qui a sévi dans la région Paca au début de l’automne. Elles se fondent sur un avis du Haut Conseil de santé publique (HCSP) qui recommande la plus grande prudence devant toute diarrhée post-antibiotique ou en cas d’iléus accompagné de fièvre, de douleurs abdominales et d’hyperleucocytose. Une recherche de C. difficile doit être dans ce cas entreprise chez tout patient adulte dont la diarrhée débute au moins 48 heures après son admission à l’hôpital. De là, doivent être mises en place des mesures de précautions standard et complémentaires d’hygiène de type contact. Est ainsi recommandé le port de la surblouse à manches longues lors de contacts directs avec le patient ou ses excreta, complété par un tablier en plastique imperméable en cas de soins “humides”.
L’hygiène des mains est bien entendu indispensable pour juguler toute propagation de la bactérie, dont la transmission est essentiellement manuportée : usage de solutions hydro-alcooliques à l’entrée en chambre, port de gants pendant les soins, puis, une fois les soins effectués, lavage des mains avec un savon doux pour éliminer les spores suivi d’une désinfection à la solution hydro-alcoolique pour éliminer les formes végétatives. Il est donc important de souligner dans ce cas très précis l’importance de l’utilisation du savon versus la solution hydro-alcoolique, qui, dans ce cas, ne suffit pas à éliminer les spores. Pour toute désinfection, et notamment après élimination des selles dans les déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) pour les patients incontinents ou dans le réseau d’assainissement, il est indispensable d’utiliser de l’eau de Javel : l’hypochlorite de sodium peut aussi être utilisé dilué pour la désinfection des surfaces en respectant un temps de contact de 10 minutes minimum.
Concernant l’usage unique, il est à privilégier pour les patients atteints par le C. difficile : néanmoins, quand cela n’est pas possible, il est préférable d’avoir du matériel dédié, en maintenant par exemple le stéthoscope, le brassard à tension, le thermomètre dans la chambre du patient, jusqu’à ce que les mesures d’hygiène complémentaires soient levées. Un gros effort doit être mené sur les mesures d’isolement des patients atteints par le C. difficile.
Des épidémies survenues au Canada, où les mesures d’hygiène des mains étaient bien menées mais sans mesures spécifiques d’isolement, ont montré que, sans elles, l’épidémie continuait de suivre son cours. L’épisode infectieux qui a sévi dans le nord de la France en 2006 montre que ces mesures d’isolement sont essentielles : à l’époque, les patients avaient été placés dans des unités spéciales avec du personnel dédié et différentes zones avaient été créées : des zones “chaudes” avec des patients atteints, des zones “tièdes” avec des patients convalescents, une compartimentation qui avait permis à l’épidémie de s’étendre. Bien sûr, ces mesures sont désorganisatrices, car elles impliquent du personnel dédié et la fermeture de certains services, mais elles sont le prix à payer pour contenir l’épidémie.
Les antibiotiques ont un rôle spécifique dans les infections à Clostridium difficile. S’il est désormais admis qu’ils jouent un rôle certain dans la survenue de l’épidémie, ils peuvent néanmoins être prescrits chez certains patients pour entraver le développement de l’épidémie. Une prescription antibiotique raisonnée doit donc être envisagée par le service où sévit l’épidémie. Dans un premier temps, le praticien arrête la prescription antibiotique en cours chez le patient atteint : dans un quart des cas, cela permet la guérison du patient. Mais, dans le cas où l’antibiotique ne peut pas être retiré ou lorsque les symptômes persistent malgré tout, il est conseillé d’administrer un traitement par métronidazole (1 g/jour) ou vancomycine orale (0,5 à 2 g/jour). Certains cas plus compliqués peuvent aboutir à une hospitalisation en réanimation pour le maintien des fonctions vitales ou en chirurgie pour colectomie (cas du mégacôlon toxique ou de la perforation digestive).
Une fois l’épidémie jugulée, le préventif n’est pas une voie privilégiée pour éviter l’épidémie : le HCSP rappelle dans son avis publié en 2009 (dont les recommandations sont toujours d’actualité) que le traitement antibiotique et les précautions contact ne sont pas utiles pour les porteurs asymptomatiques (porteurs sains). Néanmoins, si C. difficile a surtout été retrouvé dans les services où les patients sont fragilisés, certains nouveaux cas communautaires chez des femmes en péri-partum
* Selon une enquête du CDC en 2005, www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/mm5447a1.htm
Très redoutée dans le secteur hospitalier, l’épidémie de Clostridium difficile tue chaque année 4 000 personnes dans le monde, dans les hôpitaux principalement. Les facteurs de risque d’infection les plus répandus sont l’âge (supérieur à 65 ans), l’administration d’antibiotiques, qui dérègle l’équilibre de la flore intestinale et la baisse des défenses immunitaires.
Un vaccin est à l’étude dans une université britannique.
Ce projet, porté par l’Université de Londres, Royal Holloway, s’étale sur trois ans et porte sur le développement d’un vaccin oral, à prendre sous la langue, sans aucune injection. Il utilise des spores bactériennes rendues inoffensives mais portant les antigènes permettant d’induire une réponse immunitaire. Les chercheurs débuteront les premiers essais cliniques d’ici 18 mois.