Économie de la santé
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, en débat actuellement au parlement, vise à compenser la réduction des dépenses de santé prises en charge par l’Assurance maladie (2,4 milliards d’euros d’économies) par la généralisation de la couverture complémentaire santé. Il s’agit d’un transfert de charges de la couverture du risque assurance maladie socialisée vers une couverture assurantielle privée individuelle.
Afin d’éviter que certains individus renoncent à s’assurer pour des raisons financières, et donc in fine à ce que le coût des soins soit supporté intégralement par eux s’ils ne relèvent pas de la Couverture maladie universelle (CMU), le PLFSS prévoit donc de rendre obligatoire cette assurance complémentaire santé par le biais des employeurs. On passe ainsi d’une assurance complémentaire santé individuelle à une assurance complémentaire santé collective et obligatoire. Ce développement passe par la mise en concurrence des organismes de complémentaires afin d’offrir de meilleures prestations et de proposer des contrats responsables. Mais quels sont les fondements théoriques qui sous-tendent cette orientation ?
LE FINANCEMENT DES DÉPENSES COURANTES DE SANTÉ EN FRANCE
Le montant des dépenses courantes de santé en France s’élève à 243 milliards d’euros annuels en 2012, soit 12 % du produit intérieur brut (PIB).
La structure du financement de ces dépenses se décompose de la manière suivante :
• 75,5 % sont prises en charge par l’Assurance maladie, c’est-à-dire la collectivité nationale dans un système d’assurance socialisée obligatoire ;
• 13,7 % sont couvertes par les organismes de complémentaire santé, dont 7,4 % par les mutuelles, 3,7 % par les sociétés d’assurance, 2,5 % les instituts de prévoyance ;
• 9,6 % sont à la charge des ménages ;
• et enfin 1,3 % sont à la charge de l’État (couverture maladie universelle).
Depuis une dizaine d’années, on observe une tendance à la baisse de la part prise en charge par l’Assurance maladie au profit des complémentaires santé (1,3 %). La France reste cependant le pays où la part de la prise en charge par la Sécurité sociale reste la plus importante et le reste à charge pour les ménages le plus faible, compte tenu justement du poids important des organismes complémentaires. En effet, 96 % des ménages disposent d’une complémentaire santé. Néanmoins, la France se place au rang moyen en matière de renoncement aux soins, notamment concernant les soins de spécialités, les soins dentaires, ou encore l’achat de lunettes.
L’assurance (principal) délègue aux assurés (agents) les actions de prévention destinées à réduire le risque de morbidité, financièrement couvert par l’Assurance maladie (lire l’encadré ci-contre). Deux facteurs de risque moral existent dans cette relation :
• le niveau d’autoprotection du patient n’est pas observable par l’assurance. L’assuré aura tendance à moins se prémunir sachant qu’il est assuré, ce qui entraîne une surconsommation de soins : effet de risque moral. Ce comportement peut s’analyser en termes de passager clandestin : l’individu, sachant que le coût de sa consommation sera partagé entre tous les assurés, va augmenter sa consommation de soins ;
• la demande de soins augmentant, son prix diminuerait et l’individu surconsommerait des soins. Mais ceci suppose que l’élasticité-prix de la demande de soins soit supérieur à 1, ce qui est loin d’être vérifié.
L’assurance observe imparfaitement le degré de risque présenté par l’assuré. Elle fixe une prime moyenne. Pour ce niveau de prime, seuls les individus présentant un degré de risque supérieur au degré moyen ont intérêt à s’assurer : les mauvais risques chassent les bons.
À terme, l’assurance est vouée à disparaître. L’effet de risque moral, surconsommation de soins, s’analyse comme étant la résultante d’une moindre prévention des assurés : la demande de soins augmente car les individus savent qu’ils sont assurés.
Mais cette surconsommation peut aussi s’expliquer par l’effet de sélection adverse : ce sont les individus présentant les plus forts degrés de risque qui s’assurent, ce qui entraîne une hausse de la demande de soins. La surconsommation de soins peut donc être due à un effet de sélection adverse et non de risque moral.
Comment départager les deux effets ? Est-ce qu’on surconsomme parce qu’on est assuré (effet de risque moral) ou est-ce qu’on s’assure parce qu’on pressent un degré de risque plus élevé (effet de sélection adverse) ?
Adhère-t-on à une mutuelle parce qu’on est gros consommateur de soins (sélection adverse) ou consomme-t-on davantage parce qu’on est mutualiste (risque moral) ? Les tests montrent que les mutualistes ont une propension à consommer des biens médicaux plus élevée que les non-mutualistes.
Pour contrecarrer l’effet de risque moral, la solution est la coassurance : une partie du coût du risque reste à la charge de l’assuré, afin de l’inciter à l’effort pour la prévention. L’assurance instaure une franchise ou un ticket modérateur.
Mais la politique du ticket modérateur a une limite, puisque le patient n’est pas à l’origine de la demande de soins : pouvoir d’induction des médecins.
Deux solutions sont proposées pour contrecarrer l’effet de sélection adverse : une solution privée et une solution publique.
L’assurance segmente le risque en faisant payer des primes différentes selon le degré de risque des assurés. Seulement, ce système révèle des limites : juridiques (il faut préserver la vie privée des personnes) et économiques (les personnes présentant les risques les plus élevés sont des personnes âgées ou celles qui ont les revenus les plus faibles). On risque donc d’aboutir à un système à deux vitesses : l’assurance privée pour les solvables, l’assistance pour les non-solvables.
L’assurance obligatoire et le financement socialisé, ce qui internalise l’effet de sélection adverse.
Contrecarrer le risque moral et la sélection adverse est contradictoire : le financement socialisé entraîne un effet de risque moral, la prime étant indépendante du risque.
L’instauration d’une assurance complémentaire santé accessible et obligatoire dans toutes les entreprises vise donc à contrecarrer l’effet de sélection adverse, c’est-à-dire faire en sorte que chacun soit assuré quelque soit son risque. En d’autres termes, il s’agit d’une assurance maladie mais privée, c’est-à-dire financé par l’individu et l’entreprise, et non la collectivité nationale. Il s’agit donc d’une évolution majeure du financement du système de santé en France. Jusqu’à présent un seul système d’assurance obligatoire existait, celui de l’Assurance maladie, avec la particularité d’être socialisé. Le PLFSS introduit donc un deuxième système d’assurance obligatoire, mais cette fois-ci privé. Vont donc coexister un système beveridgien et un système bismarckien en même temps. Mais ne serait-ce pas une certaine privatisation de l’Assurance maladie, pour partie, qui se cache derrière cette réforme de l’assurance complémentaire santé obligatoire ?
ASYMÉTRIES D’INFORMATION ET RELATIONS D’AGENCE
→ ORIGINE ET OBJECTIF D’UNE RELATION D’AGENCE
La théorie de l’agence trouve ses fondements dans la prise en compte du contexte incertain dans lequel s’effectuent les décisions, de la répartition inégale de l’information et de la divergence d’intérêt. La relation d’agence décrit les relations dans ce contexte où l’une des parties, le principal, en position d’infériorité dans la détention d’information, délègue son pouvoir de décision et d’action à l’autre partie, l’agent, détenteur de l’information.
→ RELATION D’AGENCE PARFAITE VERSUS RELATION D’AGENCE IMPARFAITE
La relation d’agence est parfaite quand le principal peut parfaitement observer le comportement de l’agent et qu’aucune autre information n’est cachée : la situation est paréto-optimale.
La relation d’agence est imparfaite lorsque le principal observe imparfaitement le comportement de l’agent (il n’observe que le résultat de l’action, mais pas l’effort fourni par l’agent, qui peut développer un comportement stratégique de risque moral), ou lorsque certaines caractéristiques du bien échangé détenu par l’agent sont imparfaitement observables par le principal (risque de sélection adverse).
→ RELATION D’AGENCE AVEC RISQUE MORAL
Le principal observe imparfaitement le comportement de l’agent. Ce dernier va adopter un comportement stratégique de minimisation de son effort dans sa relation avec le principal : effet de risque moral. La situation n’est plus paréto-optimale, mais sous optimale de second rang. C’est l’exemple du marché de l’assurance (principal) où l’assuré (l’agent) va minimiser ses efforts de protection et de prévention sachant qu’il est assuré.
→ RELATION D’AGENCE AVEC SELECTION ADVERSE
Le principal observe imparfaitement les caractéristiques (coût, qualité, probabilité d’occurrence) du bien échangé détenu par l’agent. Pour un même niveau de prix moyen, l’agent aura intérêt à échanger les biens présentant la moins bonne qualité : “les mauvais produits chassent les bons” ou encore “la mauvaise qualité chasse la bonne” : effet de sélection adverse. À terme, il y aura disparition du marché. Là encore, si l’on prend l’exemple du marché de l’assurance, l’assureur ne connaît pas les probabilités d’occurrence des risques des assurés.
Pour une cotisation moyenne versée par chaque assuré correspondant à un niveau de risque moyen, les individus présentant un niveau de risque inférieur au niveau moyen n’auront pas intérêt à s’assurer (prime d’assurance supérieure au coût de réalisation du risque) tandis que les individus présentant un niveau de risque supérieur au niveau moyen vont s’assurer (prime inférieure au coût de réalisation du risque). Les mauvais risques vont chasser les bons. À terme l’assurance se retrouvera dans une situation déficitaire et disparaîtra.
→ Comptes nationaux de la santé 2012, Drees, n° 185, études et statistiques, septembre 2013.