Objectif Soins n° 221 du 01/12/2013

 

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Dans le domaine de la santé, on parle de l’e-learning plus qu’on ne le pratique. Son développement pourrait toutefois s’accélérer avec l’instauration du développement professionnel continu. Le cadre de santé peut s’y investir à divers niveaux, de la conception d’un support à l’évaluation des apprenants, en passant par l’articulation avec les autres méthodes pédagogiques, dont le présentiel.

Méthode de pédagogie à distance reposant la plupart du temps sur l’usage d’Internet, l’e-learning se donne un air “fun”, par les images, les animations… “FUN”, c’est d’ailleurs l’acronyme retenu par le gouvernement pour sa plateforme de cours en ligne, France université numérique(1). Son lancement symbolise l’effervescence de ce domaine dans lequel les universités ou les grandes entreprises, surtout, ont investi. Dans le secteur de la santé, à l’exception des médecins ou des laboratoires privés, le marché frémit à peine. Son stade de croissance varie selon les Ifsi, les IFCS, les établissements. L’e-learning, censé être plus individualisant et autonomisant, permet pourtant à l’apprenant de s’entraîner à son rythme, sans crainte de se tromper devant le groupe ni au détriment du malade, tout en disposant éventuellement (même après la formation) d’une base de données en ligne. Pour les formateurs et cadres, passer des séances de “présentiel” (la formation classique en groupe) au “distanciel” « permet un gain de temps qu’ils peuvent mettre à profit pour lancer une dynamique d’audit, ou de retour d’expérience, dans les services », avance le docteur Jean-Jacques Cabaud, chargé de mission développement professionnel continu (DPC) à l’Institut national de la transfusion sanguine (INTS)(2).

Aujourd’hui, l’obligation de DPC, l’intérêt pour la gestion prévisionnelle des métiers et des compétences et les restrictions budgétaires boostent les outils d’e-learning, cinq fois moins chers – au minimum – par professionnel qu’une formation présentielle. Ce gain s’explique, entre autres, par la formation d’un large effectif sans aucun déplacement, ou par les progrès technologiques. Mais il serait malhabile de réduire l’e-learning à un enjeu uniquement financier ou informatique. Ce qui devrait convaincre d’emprunter cette voie, c’est l’existence d’un projet, celui d’une équipe pédagogique. L’e-learning constitue un support complémentaire d’un cours magistral, de travaux dirigés, etc., dans une vision transversale de la formation. Ce projet, « le cadre en est parfois le moteur », constate Lisette Cazellet, cadre supérieure de santé, présidente de l’association FormaticSanté(3). Il peut intervenir de la conception de l’outil à l’évaluation des apprenants.

D’ABORD POUR LE COGNITIF

Le premier aspect à prendre en compte avant de recourir – ou non – à cette technologie est le contenu même de la formation. Dans son mémoire, complet, sur le sujet(4), Nicole Dauvergne fait état de la non-adhésion des apprenants à l’e-learning pour le domaine relationnel ou la maîtrise de certains gestes. « Les contenus théoriques, réglementaires, sécuritaires, ainsi que des protocoles ou des procédures de soins semblent beaucoup plus appropriés. » Le contenu, et donc l’outil d’e-learning, peut aussi varier selon le caractère initial ou continu de la formation. Exemples : les étudiants en soins infirmiers ont besoin d’un programme plus cadré ; les infirmières en poste, d’un logiciel découpé en séquences, adapté à leurs créneaux de disponibilité. La réflexion porte également sur ce qui est testé dans la formation : des connaissances, ou leur utilisation à bon escient dans un contexte donné, c’est-à-dire la compétence. Le DPC se compose justement de deux parties, cognitive et pratique. L’e-learning permet de travailler sur la première, par exemple à travers un quiz renouvelable à intervalles réguliers, permettant de jauger la mémorisation d’une procédure. En revanche, il est difficile, ou plus onéreux, d’expliquer en e-learning certaines techniques concrètes. Des dispositifs permettent toutefois de tester à la fois des connaissances et des façons d’agir. Dans un serious game, c’est même la compétence mise en œuvre pour remplir une mission, plus que la connaissance et la compréhension. Si un geste n’est pas reproductible dans le jeu, il est au moins possible de vérifier que l’apprenant a pensé à le réaliser.

FORMATIONS MIXTES

Le recours exclusif à l’e-learning ne se justifie guère que pour se préparer individuellement à un concours. Le plus souvent, les sessions, mixtes ou blended, cumulent distanciel et présentiel. Ces deux phases se succèdent de manière banale (avec une présentation des outils lors d’un staff) ou plus élaborée. Exemple au centre hospitalier universitaire vaudois. Une introduction de deux heures en groupe, sur les troubles du rythme cardique et la lecture des électrocardiogrammes, se termine par un quiz : au-delà de 70 % de bonnes réponses, la formation devient optionnelle. Puis les apprenants “s’autoforment” pendant deux heures trente, par informatique. Avant l’évaluation finale par questionnaire à choix multiples, intervient une séance de régulation d’une heure et demie, pendant laquelle le groupe retrouve un formateur pour dissiper d’éventuels points d’incompréhension et relancer la motivation qui peut s’émousser dans la solitude face à l’écran(5). L’hybridation distanciel-présentiel peut aussi, parfois, être simultanée, notamment quand un formateur pondère son intervention par des questions auxquelles les apprenants répondent en ligne. Frédéric Haeuw, docteur en sciences de l’éducation et expert en e-formation(6), distingue deux approches. Dans la première, il s’agit de travailler les connaissances à distance et la pratique en présentiel, à l’image des “classes inversées”. La seconde école – étrangère à l’e-learning – consiste à aborder la théorie en cours et la pratique sur le lieu de travail. L’intérêt du numérique réside dans un modèle constructiviste : d’abord la pratique, ensuite la théorie. « La seule manière d’apprendre, c’est d’agir. »

Dans tous les cas, le formateur et/ou tuteur reste essentiel pour l’accompagnement pédagogique et/ou technique. Il est disponible par courriel, forum ou encore téléphone. Si une formation totalement à distance est peu envisageable, c’est parce que l’apprenant apprécie les formations pour les échanges entre professionnels et qu’il a besoin d’un médiateur pour se confronter au réel. Le présentiel peut, par ailleurs, être programmé à l’issue de la formation mixte, en cas d’évaluation insuffisante. Un entretien vise à analyser ce qui a conduit “l’élève” à l’échec, ce qu’il doit corriger, et comment : se lancer dans une autre formation, réaliser des exercices pratiques, être tutoré par une infirmière plus aguerrie dans le domaine de la formation, etc. ?

TRAÇABILITÉ POINTUE

Ce suivi individualisé passe par une traçabilité pointue. Par l’intermédiaire d’une plateforme numérique, le formateur visualise la progression de l’apprenant ou du groupe. Attention, toutefois : le temps de présence sur un site n’est pas un indice fiable (un apprenant peut laisser ouverte son application tout en effectuant une autre activité), pas plus que son nombre de connexions (un programme peut aussi bien être terminé d’un seul coup qu’en plusieurs fois). Les critères d’évaluation – par un taux de bonnes réponses ? à quel moment ? en présentiel ou en distanciel – doivent être limpides, dès le début, pour les apprenants, les employeurs et les éventuels prestataires, comme doit l’être l’organisation des temps de formation. C’est la garantie, aussi, de valider le DPC ou d’apporter des indicateurs pour tel ou tel point de la certification de la Haute Autorité de santé. À noter que, si l’obligation de DPC est individuelle, sa validation peut être en partie collective et pluridisciplinaire, à travers des objectifs à atteindre dans un service.

Cette mission de suivi donne au formateur l’assurance de ne pas voir son poste supprimé par la mise en place de l’e-learning. Nombre de cadres le craignent en effet, et jugent ce type de formation déshumanisant, au rabais. Pourtant, de même que l’outil numérique est un complément aux autres moyens d’apprentissage, « le recours à l’e-learning déplace la place du formateur, mais ne le remplace pas », indique Claire Fournier-Prud’homme, cadre de santé pédagogique à l’Ifsi de Tours. Présentiel n’est pas systématiquement synonyme de proximité, ni distanciel d’isolement. « La distance rapproche », renchérit Lisette Cazellet. C’est le cas quand le formateur conçoit spécifiquement un document pour un étudiant qui sera seul au moment de le découvrir. Le rôle principal de l’enseignant n’est plus d’apporter des contenus, mais de les expliciter et, à partir de cette base, de mieux communiquer, d’animer des travaux dirigés. « D’habitude, le tuteur délègue totalement à un prestataire la formation et son évaluation. Là, on lui donne cette capacité d’analyse sur le travail », poursuit Jérôme Poulain, directeur associé d’Audace, concepteur de jeux sérieux pour les IDE(7).

GÉNÉRATIONS COLORÉES

Dans son management, le cadre – formateur ou d’unité – prend en compte la dimension générationnelle. Reprenant dans son mémoire une distinction du psychosociologue Jacques Lambert, Nicole Dauvergne différencie les générations “verte” (actifs nés avant 1964), “bleue” (naissance avant 1974), et “fuchsia” (naissance avant 1994). “La génération verte est “tout juste équipée” [en technologies numériques], la génération bleue les a intégrées, mais c’est la génération fuchsia qui les a assimilées. »

Pour autant, le numérique « reste associé, [dans l’esprit des plus jeunes], à des temps de loisirs ». Dans le plan Hôpital numérique 2012-2017, est proposée une formation obligatoire aux systèmes informatiques dans la formation initiale des professionnels de santé(8).

Le plan de formation requiert donc une élaboration et une adhésion collectives, avec les directions des ressources humaines et des soins, les responsables de formation, les informaticiens, les cadres de santé. Ces derniers peuvent intervenir, dans le domaine de la formation, comme les managers du privé, qui « suivent précisément les parcours des membres de leurs équipes, observent comment ils travaillent, comment ils évoluent et peuvent alors entendre comment ils ont besoin d’évoluer »(9).

À l’INTS(10), on évoque en e-learning un “super-manager”, “pilote local du projet”, qui peut, ajoute Jean-Jacques Cabaud, être un responsable de la formation dans l’établissement, un cadre, une infirmière, un médecin (de préférence un opérationnel). Ce super-manager œuvre avec les “managers”, les cadres de services. Pour dompter la bête numérique, un seul cadre peut être formé, accompagnant ensuite ses collègues.

Même si Lisette Cazellet note leur moindre hostilité au e-learning désormais, « des cadres ont encore du mal à imaginer comment peut marcher une formation à distance ». Pour ses promoteurs, l’e-learning ne doit donc pas être imposé.

NOTES

(1) www.france-universite-numerique.fr

(2) Pour les IDE, l’INTS propose ainsi la formation en e-learning EF02, sur l’acte transfusionnel et ses contrôles (www.ints-formation.com).

(3) Ce réseau d’échanges et de formation en ligne des professionnels de santé (www.formaticsante.com) met en place une plateforme destinée aux étudiants et aux professionnels (bit.ly/GH4BBM).

(4) E-learner pour se former, un levier d’accessibilité aux sessions de formation continue, mémoire de l’École des hautes études en santé publique, filière directeur des soins, décembre 2011 (bit.ly/1dXMVQv). Nicole Dauvergne est aujourd’hui directrice de soins en charge de l’Ifsi et de l’Ifas d’Aubenas, également coordonnatrice des soins par intérim sur le centre hospitalier d’Ardèche méridionale.

(5) Présentiel et autoformation à distance passeront respectivement à quatre et à trois heures l’an prochain, l’évaluation finale devenant à distance. À lire via bit.ly/18rmgFD

(6) www.haeuw.com

(7) Plus d’informations sur www.sante-training.com

(8) bit.ly/1hzjowu

(9) Selon Danielle Kaisergruber, présidente du Conseil national de la formation tout au long de la vie, dans le hors-série spécial formation de la revue Personnel, juin 2013.

(10) “Intérêt de l’e-formation pour les infirmières qui transfusent : bilan après deux ans”, Catherine Trophilme, Jean-Jacques Cabaud et Sophie Vessière, Transfusion clinique et biologique, vol. 19, numéros 4-5, pp. 241-243, 2012. Accessible gratuitement via le site de l’INTS (bit.ly/GH5N8g).

Un nouveau rapport au savoir ?

Dans la formation académique, l’enseignant a la parole, le savoir se transmet de haut en bas, sans réelle interaction. Le recours au numérique conduit-il forcément à “apprendre autrement”, pour reprendre le titre d’un rapport parlementaire (bit.ly/HE7Kzo) ? Non : l’e-learning n’est pas en soi un mode d’apprentissage, mais un ensemble d’outils. Assister, par des technologies même très avancées, à la visioconférence ronflante d’un professeur reproduit la traditionnelle méthode transmissive. À l’inverse, des travaux en présentiel peuvent être riches d’interactivité. Le modèle pédagogique dépend du contenu (ce qui est enseigné) autant que du contenant (comment il est enseigné). Et il n’est pas interdit de l’actualiser, de l’adapter, d’en vérifier la compréhension. Par exemple en interrogeant en présentiel les apprenants sur ce qu’ils ont saisi quand ils travaillent seuls en distanciel.

Les multiples facettes de l’e-learning

C’est ainsi que la Commission européenne définit ainsi l’e-learning : « Utilisation des nouvelles technologies multimédias et de l’Internet pour améliorer la qualité de l’apprentissage en facilitant l’accès à des ressources et des services ainsi que les échanges et la collaboration à distance. » (cf. bit.ly/15vBahf)

Le “e”, pour électronique, dépasse donc le seul Internet. L’e-learning, classé dans la catégorie des formations ouvertes et/ou à distance (bit.ly/14JPnVc), passe par un ordinateur, voire une tablette tactile (on parle désormais de “m-learning”, pour “mobile learning”).

Ses supports sont variés (lire notamment, sur le site de la HAS, bit.ly/180Z148).

Sur les plans pédagogique et informatique, le degré zéro consiste à mettre en ligne un document, un cours, consultable par les apprenants.

Cela peut se faire sur une plateforme qui propose aussi des exercices pour s’entraîner et des moyens de communication entre enseignants et apprenants. La classe virtuelle, elle, mélange e-learning et présentiel : formateur et apprenants se retrouvent au même moment, mais à distance.

Les technologies numériques permettent aussi d’immerger les professionnels dans leur contexte professionnel, en particulier par le serious game, ou “jeu sérieux” : l’avatar numérique de l’appprenant se trouve dans une situation, son action a un impact sur les événements.

Dans ses versions les plus sophistiquées, le numérique – à distance ou non – permet de simuler des actes, par exemple sur des mannequins, ou d’enrichir la perception du monde réel par des images et des sons virtuels – c’est la “réalité augmentée”.