Promotion de la santé
Avec des traditions bien ancrées, les cadres de santé travaillant au centre hospitalier de Mayotte et formés en métropole doivent sans cesse repenser leurs méthodes de management. Expérience.
Mayotte est une île française au milieu de l’océan Indien. La création de son centre hospitalier date de 1997. Formés en métropole, les personnels cadres de santé doivent repenser en permanence leur mode de management au sein d’une autre culture, d’un autre mode de pensée et de vie, afin d’accompagner au mieux les professionnels vers des évolutions personnelles et professionnelles indispensables.
Le service de stérilisation du centre hospitalier de Mayotte est un exemple de cette adaptation permanente du cadre et la prise en compte des spécificités d’une équipe de professionnels mahorais.
Un projet, initié en novembre 2013, mené par le cadre de santé du service, le pharmacien responsable de la stérilisation en partenariat avec le cadre supérieur du pôle et le cadre supérieur responsable de la formation continue, a permis une prise de conscience de l’intelligibilité des actions, pour mieux saisir le comment et le pourquoi, comme une opportunité d’apprendre ensemble. « Pour que les individus d’une culture soient capables d’anticiper avec précision le comportement des personnes d’une autre culture, ils doivent connaître la culture de l’autre »
Le cadre de santé doit constamment allier contexte mahorais et exigences réglementaires.
L’équipe du service de stérilisation centrale est constituée de onze agents de service hospitalier.
Le personnel est mahorais à 100 %, plutôt stable, composé à 80 % de femmes, d’une moyenne d’âge de 40 ans. Les agents de stérilisation sont polyvalents sur l’ensemble des postes du service.
Une étude de la situation a été réalisée. Elle pointe certains dysfonctionnements :
• des procédures et des protocoles pas ou peu suivis ;
• un écart important entre la réglementation et les pratiques professionnelles ;
• des prises d’initiatives non adaptées ;
• des prises de responsabilité inexistantes en situation imprévue ou inattendue sans réajustement ;
• une activité basée sur des tâches routinières, sans liens avec le savoir théorique et scientifique ;
• un manque de rigueur qui relève d’une éducation basée sur la tradition orale et non écrite.
L’analyse plus approfondie a mis en lumière trois éléments : un niveau scolaire bas, un travail routinier, des incompréhensions liées aux traditions orales.
Le niveau scolaire généralement bas (niveau classe de 5e) explique une maîtrise partielle de la compréhension et du maniement de la langue française, écrite ou orale.
Les modes de travail relèvent plus d’une répétition de gestes et d’actes routiniers que d’une réflexion basée sur des compétences techniques et scientifiques et ne permettent donc pas une analyse du process global ni une gestion adaptée des événements imprévus.
La tradition a un impact essentiel dans les relations professionnelles. Pour exemple, il est habituel de répondre “oui” à une question, même si elle n’est pas comprise. Ceci est bien évidemment un risque pour l’encadrement, qui peut considérer l’acte comme acquis par l’agent. La notion de fierté est primordiale face à un encadrement en grande majorité métropolitain (appelés les “M’Zoungou”).
Le service de stérilisation centrale du centre hospitalier de Mayotte, seul établissement de santé de l’île, répondant aux besoins d’une population de 200 000 habitants, est soumis aux mêmes obligations réglementaires que tout autre établissement de santé. De plus, faisant suite aux diverses affaires largement relayées par les médias, les pouvoirs publics et les patients réclament davantage de transparence. Les structures de soins doivent alors fournir des preuves de la qualité du service rendu.
Comment, dès lors, au centre hospitalier de Mayotte, tenir compte à la fois des éléments culturels, professionnels, personnels cités plus haut, tout en répondant aux exigences réglementaires et législatives du monde de la santé ? Un monde en pleine évolution, exigeant dans les domaines de la sécurité sanitaire, de la maîtrise de la qualité ou des coûts…
Une démarche d’amélioration a été initiée avec, pour objectif principal, d’accompagner les agents dans l’acquisition de compétences afin d’optimiser et de sécuriser les processus de stérilisation. Le but est d’accompagner les agents dans l’acquisition de compétences dans le domaine de techniques scientifiques et bureautiques pour “donner du sens à l’action”.
Il a été défini avec les agents par le cadre de santé et le pharmacien du service et porte sur deux axes :
• mettre à jour les protocoles et procédures pour une fluidification du process ;
• informatiser le circuit des Dispositifs médicaux réutilisables stériles (DMRS) afin de garantir la traçabilité de toutes les étapes, conformément aux exigences réglementaires.
Instaurer une dynamique d’assurance qualité afin de répondre aux dysfonctionnements, aux non-conformités et aux attentes des services clients, à la réglementation et aux obligations de résultats.
Une réunion d’équipe a permis de présenter aux agents le projet et la démarche. Ainsi, nous avons pu recueillir leurs craintes et leurs attentes.
La réunion s’est déroulée en deux temps bien définis : une présentation de l’état des lieux et un temps de parole afin de laisser libre cours aux appréhensions, représentations et ressentis. Le rôle du cadre requiert d’être dans une réelle attitude d’écoute, de faciliter l’expression et de favoriser la verbalisation pour comprendre la logique de raisonnement et les représentations des agents afin de les accompagner vers le changement de façon adaptée.
Le recensement et l’analyse des freins a permis d’identifier que :
• l’expression et la verbalisation en groupe ou en réunion n’est ni facile, ni habituelle pour les Mahorais ;
• la reverbalisation est vécue comme une “infantilisation” ;
• tout changement dans les pratiques est source de déstabilisation, de méfiance et de résistance. L’immobilisme est rassurant ;
• la formation initiale (behaviorisme) est sommaire ;
• la prise de conscience d’une nécessaire implication dans le processus d’apprentissage n’existe pas ou peu ;
• il y a peu de réalisme entre leur niveau actuel de connaissances et les compétences attendues, les apprentissages à faire et leur projet professionnel (déconnection entre la réalité et le niveau d’exigence professionnelle) ;
• les liens donnant du sens à l’action sont incomplets : représentations erronées des actes par manque de connaissances et de savoir procéduraux ;
• la reformulation se faisant systématiquement par les agents en shimaoré, langue maternelle mahoraise, le réajustement est impossible, car cette langue échappe à la compréhension de l’encadrement (c’est donc une étape de l’apprentissage non maîtrisée par l’encadrement) ;
• et les changements ne sont acquis que lorsqu’ils sont intégrés dans la routine du quotidien, ce qui demande de la part de l’encadrement un accompagnement rapproché de longue durée.
Les agents sont demandeurs d’une reconnaissance de qualification, ils sont volontaires et motivés.
Une évaluation des acquis des agents a été programmée à partir des éléments suivants :
• évaluation d’une grille de compétences individuelles et collectives basée sur le référentiel d’activités de la formation certifiante des agents de stérilisation ;
• une grille d’évaluation du niveau de bureautique, complétée avant et après l’accompagnement (évaluation de départ : niveau informatique faible pour 55 % et aucune pratique pour 45 %) ;
• évaluation des connaissances par un questionnaire à choix multiples basée sur le référentiel des “bonnes pratiques en stérilisation” ;
• d’une grille d’évaluation sur la participation active aux réunions avec prise de parole plus aisée.
La réalisation d’une enquête de satisfaction auprès des services clients, avec comme objectifs :
• améliorer le service rendu en répondant aux besoins et aux spécificités de chacun ;
• servir de levier et outil de management au cadre du service ;
• établir des échanges avec les services clients reposant sur les idées et propositions d’amélioration ;
• faire prendre conscience aux agents qu’ils sont un maillon incontournable de la chaîne de soins.
Une analyse réflexive permanente des pratiques professionnelles a été mise en place. Elle est élaborée à partir des événements indésirables. Elle permet de pointer les forces et les améliorations à envisager et de donner du sens à l’action pour tendre vers les règles de bonnes pratiques.
Le choix d’un logiciel spécifique a été fait afin de bannir le système de traçabilité manuelle, les supports papier complétés ou non, les nombreux cahiers qui génèrent des difficultés pour retrouver un dispositif rapidement, une gestion approximative des dotations, et une non-sécurisation du circuit des DMS.
L’enjeu du cadre de santé repose dès lors sur sa capacité à orienter son management vers l’évolution des compétences et la conduite de projet. Il s’aide des principes suivants : valorisation, communication, accompagnement, mobilisation autour du sens.
• Valorisation : c’est la redéfinition de l’organisation du travail et des responsabilités de chacun.
• Communication : il s’agit du développement de la communication entre les différents acteurs (services clients) en favorisant la circulation de l’information.
• Accompagnement : mobilise toute l’attention de l’encadrement sur le processus d’adaptation.
• Mobilisation autour du sens : il est important et impératif de mettre une priorité sur les axes d’amélioration en lien avec le projet de service (projet de soins institutionnel et projet médical).
Les phases de ce projet se sont organisées autour de plusieurs axes distincts mais simultanés, et selon un échéancier validé en groupe de travail.
Former le personnel aux concepts de base présents dans les situations de travail (hygiène, sécurité, ergonomie, esprit d’équipe…) en proposant :
• une formation aux bonnes pratiques en stérilisation ;
• une formation à l’informatique, avec mise à disposition d’un ordinateur, avec un accès à Internet pour faciliter la création et la consultation de documents. Cette approche a permis une entraide mutuelle et une appropriation de l’outil informatique par l’ensemble des agents ;
• une mise à disposition des supports pédagogiques (ex : diaporamas) relatifs aux formations ;
• une analyse des pratiques professionnelles avec propositions d’actions d’amélioration puis évaluations.
Communiquer autour du projet et valoriser les agents est primordial. Ainsi, nous avons :
• présenté le projet et l’enquête de satisfaction aux cadres et cadres supérieurs de l’établissement ;
• réalisé d’un livret de présentation du service de stérilisation centrale ;
• présenté des résultats de l’enquête ;
• organisé des visites des services “clients” par les agents du service (dispensaires, centres de référence) pour une meilleure connaissance de l’organisation, du fonctionnement et des contraintes des unités de soins.
Nous avons mis en place une gestion permanente et centralisée des non-conformités. Cette traçabilité a favorisé les commentaires et les argumentaires en réunion d’équipe avec, pour objectifs, recherche des causes, proposition d’axes d’amélioration, exploitation des résultats.
Nous avons rédigé un système documentaire assurant une pérennité et nous avons formalisé l’organisation. Pour cela, l’ensemble des tâches à accomplir à un poste de travail ont été détaillées sous forme de documents (mode opératoire – fiches techniques).
L’objectif étant de :
• redéfinir avec précision les tâches à effectuer pour chaque poste et corriger les anomalies (ou bien les mauvaises habitudes prises) ;
• harmoniser les méthodes de travail afin que chaque tâche soit effectuée de manière uniforme quel que soit l’agent responsable.
Les grandes lignes de ces documents ont été travaillées par un ou plusieurs agents : après référencement à la réglementation et aux bonnes pratiques, présentation en langage simple et “pratico-pratique”, en s’appuyant notamment sur l’insertion de photographies représentatives des différentes tâches à effectuer. Une fois le document rédigé, l’avis des agents a été recueilli et certaines modifications ont été apportées avant sa validation finale.
Il a ensuite été mis à disposition au poste de référence.
Ce travail préliminaire sera par la suite facilement intégré au logiciel de stérilisation qui propose ce paramétrage.
Des bilans d’étapes sur l’avancée du projet ont été présentés régulièrement au cadre de pôle.
Ils ont porté sur deux types d’appréciation : qualitative et compétences acquises.
Elle est réalisée sur les indicateurs suivants :
• la participation des agents au choix du logiciel ;
• les demandes d’explications et d’informations spontanées ;
• les propositions d’axes d’améliorations par les agents en réunion d’équipe ;
• la solidarité accrue de l’équipe dans les difficultés d’apprentissage des agents ;
• l’émergence d’une culture basée sur les principes de la qualité ;
• le développement de valeurs communes : professionnalisme intérêt collectif, confiance mutuelle ;
• la reconnaissance par les autres services du travail fait en stérilisation : qualités des relations et échanges.
Le niveau bureautique est satisfaisant pour appréhender le logiciel informatique, les connaissances techniques et scientifiques sont en cours d’acquisition. La gestion des non-conformités est plus réactive et le système documentaire est en cours d’élaboration.
Les nouveaux enjeux influençant le monde de la santé et le contexte spécifique du centre hospitalier de Mayotte nécessitent que les cadres de santé fassent preuve de compétences managériales spécifiques en matière d’accompagnement des agents dans l’évolution de leurs compétences individuelles et collectives.
Des qualités pédagogiques et relationnelles sont indispensables, car la qualité et la sécurité des soins reposent sur la mobilisation et l’engagement des différents professionnels dans une démarche participative. Dans le service de stérilisation, comme dans tous les services, le rôle du personnel est prépondérant car, comme le dit le Dr Goulet, pharmacien-praticien hospitalier aux Hospices civils de Lyon, « la stérilisation est une activité principalement manuelle dans laquelle l’utilisation de la machine n’intervient que dans quelques étapes du processus ». Dès lors, une véritable gestion des ressources humaines a été mise en place avec la nécessité d’accompagner les agents vers le changement.
Mais il fallait avancer en tenant compte des spécificités de l’équipe, repenser l’organisation à partir de l’existant et accompagner l’acquisition et l’approfondissement des connaissances et des compétences par des moyens d’actions d’évaluation des pratiques et de formation adaptées.
Un grand changement mérite, à la suite de ce travail, d’être souligné : aujourd’hui, les agents demandent « et pourquoi ? ».
Cette question doit devenir un préalable à toute action. En effet donner du sens à l’action permet de relier vision, missions, fina-lités, ambitions, positionnement, stratégie, valeurs… aux procédures, méthodes, consignes, objectifs et toutes les contraintes réglementaires.
Donner du sens à l’action consiste à tisser des liens en permanence entre ces différents domaines, car entre eux s’installe l’action individuelle et collective. “Savoir donner du sens” est une compétence. Elle est à la base du professionnalisme, d’agents engagés, force de proposition, coopératifs et responsables. Ce n’est pas une vertu innée, cela s’apprend et cela s’exprime tous les jours dans le respect d’une consigne, d’un objectif, dans l’engagement, l’esprit d’équipe et la démarche qualité. C’est vers cet objectif que l’équipe chemine.
* Carlos Rabasso, Javier Rabasso. Introduction au management. Ellipses. 2007.
Toute l’histoire de Mayotte (île de l’archipel des Comores) remonte à 1840 lorsque le Sultan Andrian Souli signe un traité par lequel il cède Mayotte à la France moyennant 5 000 francs (1 000 piastres) de rente viagère, et devient ensuite une colonie française.
Depuis, de nombreux mouvements politiques ont fait évoluer les protectorats, faisant passer les trois autres îles, la Grande Comore, Mohéli et Anjouan, de territoire d’outre mer à l’indépendance. Mayotte se singularise en choisissant à une grande majorité de rester au sein de la République Française.
Suite au référendum sur la départementalisation du 29 mars 2009, Mayotte est devenue en 2011, le 101e département français et le 5e Dom.
Africaine, musulmane et française, l’île de Mayotte traverse une période de mutations aussi rapides que profondes.
Terre française depuis 1841, elle subit aujourd’hui le choc de la rencontre entre ses traditions culturelles et la généralisation progressive de la société de consommation.
L’hôpital de Mayotte, érigé en établissement public de santé depuis avril 1997, doit tenir compte de ce passé et de cette histoire si spécifiques et encore si profondément ancrés dans sa culture et ses modes de vie.
→ L’HÔPITAL EN QUELQUES CHIFFRES
• 2 100 agents (médicaux et non médicaux).
• 340 lits.
• 8 pôles (médecine, chirurgie, gynécologie, obstétrique, santé mentale, spécialités) et une activité non hospitalière dans les centres de consultations.