« Mieux organiser les soins pour les patients, garantir l’égalité d’accès, en privilégiant une logique territoriale », tel est le deuxième axe de la stratégie nationale de santé que la ministre des Affaires sociales et de la Santé a lancé le 23 septembre dernier. Pour y parvenir, l’accent est mis sur le développement des nouveaux modes d’exercice coordonné de la santé, entre l’ensemble des acteurs de premier recours.
De nombreuses initiatives ont déjà été prises depuis plusieurs années, dans différentes régions, sous la forme de maisons de santé pluriprofessionnelles, de pôles de santé, de groupements de professionnels, de réseaux de santé. Mais si ce nouveau mode d’exercice de la santé apparaît être comme une des solutions pour enrayer la désertification des professionnels de santé dans les zones fragiles, il n’en reste pas moins qu’il demeure encore un objet complexe à mettre en œuvre, comme toute forme de coordination qui, d’emblée, ne va pas de soi. Car, si la coordination des acteurs a pour but de mieux prendre en charge la population et notamment les cas dits “complexes”, il n’en reste pas moins que l’organisation de cette coordination est tout aussi complexe à cerner et à définir.
C’est l’ensemble des activités et des moyens conscients qui visent à assembler et synchroniser les tâches de nature différentes, réalisées par des professionnels disposant de compétences variées, de façon à réaliser au mieux les objectifs fixés par l’organisation. En santé, il s’agit donc de l’action propre ou conjointe des professionnels de santé en vue d’organiser la meilleure réponse aux besoins de la population en termes de prévention, d’orientation, de prise en charge et de suivi. Elle permet de suivre au mieux le parcours de santé de l’usager au bon moment et de manière organisée dans ses dimensions médicale, psychique et sociale. Facteur majeur d’amélioration de la prise en charge des patients et de l’efficience des soins, la coordination des professionnels de santé vise non seulement à prendre en charge des pathologies chroniques, mais également des populations complexes dont les besoins nécessitent une intervention pluriprofessionnelle coordonnée. Cette fonction mobilise des compétences différentes et multiples qui vont au-delà des compétences individuelles.
La coordination permet d’apporter au patient :
• un accès aux soins pour tous par le maintien et/ou le renforcement des professionnels de santé qui aspirent à ce nouveau mode d’exercice, notamment les jeunes ;
• une fluidité du parcours de soins, en préparant l’amont et l’aval de l’hospitalisation, en assurant une prise en charge globale du parcours ;
• une qualité de la prise en charge du fait de la continuité des soins et de la pluridisciplinarité ;
• un meilleur développement de la prévention.
La coordination permet de répondre aux attentes des professionnels :
• travail en équipe pluriprofessionnelle avec échanges de pratiques ;
• ouverture à d’autres modes de rémunérations que la facturation à l’acte ;
• l’expérimentation et l’innovation dans les modes d’interventions autour du patient (protocoles de coopération entre professionnels de santé pour organiser et formaliser les délégations de tâches, télémédecine).
On distingue deux types de coordination liée aux soins selon le niveau d’activité :
• la coordination opérationnelle de proximité : activités liées à l’organisation des services rendus, services rendus directement aux patients ;
• la coordination à l’échelle d’un territoire : animation du projet de territoire, appui en subsidiarité des professionnels de santé sur les situations complexes.
Il en découle dès lors deux catégories d’exercice coordonné des soins.
On peut distinguer trois types de “structures” qui assurent une coordination opérationnelle de proximité.
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 ouvre la possibilité de rémunérer des équipes de soins de proximité par des forfaits de coordination autour du patient. Toutefois, les négociations conventionnelles sont toujours en cours au niveau national pour déterminer les engagements et les objectifs, les configurations possibles, les principes et les modalités de rémunération. En pratique, des professionnels de santé s’organisent sur le suivi coordonné de patients, sans toutefois constituer une structure. Il s’agit d’un mode d’exercice sous forme d’équipe coordonnée pour assurer et évaluer le suivi coordonné et renforcé des malades chroniques.
Définies par le Code de la santé publique, réglementairement, les MSP assurent des activités de soins sans hébergement et peuvent participer à des actions de santé publique ainsi qu’à des actions de prévention et d’éducation pour la santé et à des actions sociales. Les professionnels de santé exerçant dans une MSP élaborent un projet de santé, témoignant d’un exercice coordonné et conforme aux orientations du projet régional de santé. La MSP regroupe donc sur un même site des professionnels de santé autour d’un projet de santé pour leur patientèle partagée. On peut parler de MSP éclatée quand certains des professionnels ne peuvent pas rejoindre le site de la MSP, de MSP regroupée hors murs (regroupement des cabinets des professionnels de santé mais pas sur un site physique), de MSP multisites (un site principal et une ou plusieurs antennes sur le territoire), de pôle de santé de proximité (les professionnels adhérent à un projet de santé mais sans murs).
Ce sont des structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours. Les centres de santé assurent des activités de soins sans hébergement, mènent des actions de santé publique, de prévention, d’éducation pour la santé, d’éducation thérapeutique des patients et des actions sociales. Ils peuvent être chargés d’assurer des missions de service public. Regroupés sur un même site, les professionnels de santé sont salariés du centre de santé et formalisent un projet de santé. Ils sont gérés par un organisme à but non lucratif, une collectivité territoriale, des établissements de santé ou médico-sociaux. La différence majeure entre un centre de santé et une MSP réside dans le mode de rémunération des professionnels de santé.
Les groupements de professionnels de santé, les réseaux de santé préfigurent en fait les pôles de santé de territoire (PST). Le pôle de santé est défini par la loi HPST comme étant constitué entre des professionnels de santé, le cas échéant de maisons de santé, de centres de santé, d’établissements. Il assure des activités de soins de premier recours, le cas échéant de second recours, et peut participer aux actions de prévention, de promotion de la santé et de sécurité sanitaire. Le PST constitue une équipe ressource dans le cadre d’une organisation fonctionnelle à l’échelle du territoire ; les acteurs du pôle élaborent et adhèrent à un projet de santé. Il a pour objet d’assurer une coordination d’appui aux professionnels de santé dans la prise en charge des situations complexes à domicile et d’assurer une animation territoriale des acteurs du pôle. Une coordination administrative assure le fonctionnement de la structure, une coordination pluriprofessionnelle d’appui organise la prise en charge du patient complexe à domicile. Les professionnels de santé et acteurs de santé qui souhaitent un appui et un soutien dans la prise en charge d’un patient complexe peuvent faire appel au PST.
Si l’une des missions de l’exercice coordonné est de prendre en charge les patients dits “complexes” qui nécessitent une prise en charge pluriprofessionnelle, il n’en reste pas moins que la mise en œuvre de l’exercice coordonné demeure un exercice complexe à mettre en œuvre, qui suppose en premier lieu un accord de volonté des professionnels eux-mêmes, qui n’est pas toujours acquis, loin s’en faut, mais aussi un accompagnement sans faille par les agences régionales de santé (ARS) pour faciliter les professionnels dans leur démarche et les orienter vers les bons dispositifs. C’est la raison pour laquelle de nombreuses ARS élaborent des guides de l’exercice coordonné pour aider et inciter les professionnels, car l’exercice coordonné est bien une solution pour remédier aux problèmes de démographie des professionnels de santé, notamment dans les zones fragiles.
Un grand merci à l’unité ambulatoire de la direction de l’offre de soins et de l’autonomie de l’ARS Bourgogne (Chantal Mehay, Nadia Ghali, Justine Nivost, Marie-Paule Daubigney) qui a largement contribué à cet article.
En tant que mode de coordination des soins fondé sur l’apprentissage et la divulgation des connaissances médicales et soignantes, l’exercice coordonné sans sa dimension création de ressources est source d’efficacité médicale, tant sur le plan de l’opportunité et de l’impact des soins sur l’état de santé des malades que sur le plan de la qualité de la prise en charge. En tant que mode alternatif à la concentration et à la dispersion des moyens, l’exercice coordonné dans sa dimension allocation de ressources est source d’efficacité économique.
→ L’APPRENTISSAGE ET LA COORDINATION AU SERVICE DE L’EFFICACITÉ MÉDICALE
Les soins sont efficaces médicalement s’ils sont opportuns et s’ils ont un impact positif sur l’état de santé du malade. Cela suppose donc de favoriser le traitement approprié au malade, en fonction de son état de santé, compte tenu du niveau de connaissances médicales et de l’évolution des techniques. Dans ce contexte, une pratique en exercice coordonné, fondé sur la notion de coordination des soins, d’apprentissage et de partage des connaissances, est susceptible d’éclairer la décision des praticiens isolés face à leur patient. La mise en place d’équipes pluriprofessionnelles de proximité, de MSP, de groupements de professionnels, relève de cette logique de mutualisation des connaissances pour améliorer la prise en charge des patients. Les nouveaux moyens, tels que la télémédecine, permettent à la fois d’approfondir le diagnostic de la maladie et de trouver le traitement le plus approprié.
La somme produite par la réunion de plusieurs professionnels de santé est supérieure à l’addition des productions individuelles de chaque professionnel. L’exercice coordonné participe également à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, qui constituent une autre dimension de l’efficacité médicale. La mutualisation des moyens au sein d’une structure d’exercice coordonné participe au renforcement de ces moyens, tant au niveau du diagnostic que de la prise en charge. La complémentarité inhérente à la coopération entre les professionnels de santé accroît également la qualité du produit soins en permettant aux professionnels d’accéder à des techniques et des équipements auxquels ils ne pourraient pas avoir accès chacun individuellement. La mutualisation des moyens matériels et humains, le regroupement et le partage des connaissances médicales, éléments fondamentaux qui caractérisent les structures d’exercice coordonné, accroissent donc l’efficacité médicale de la production de santé, tant au plan des résultats stricto sensu qu’au plan de la qualité.
→ L’EXERCICE COORDONNÉ, SOURCE D’EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE
L’exercice coordonné constitue un mode de fonctionnement qui se situe entre la concentration et la dispersion, entre l’intégration ou la hiérarchie, et le marché. Il permet la réalisation d’économies d’échelle par le regroupement de certains moyens ou activités, sans toutefois impliquer des coûts de gestion et de structure aussi importants que des structures d’exercice salarié.
Dans une économie d’allocation de ressources, la coordination est envisagée comme un problème d’organisation de l’échange. Le système productif est présent dans le modèle, mais les décisions de production sont mises au même rang que celles d’échange, et sont ainsi assimilables à des décisions d’allocation de ressources. La production consiste simplement à combiner des ressources existantes afin d’en obtenir de nouvelles, sans tenir compte de l’importance de facteurs immatériels, liés à l’émergence et à la transmission du savoir. L’exercice coordonné est alors conçu comme une organisation technico-économique, intermédiaire entre une forme de coordination totalement désintégrée, le marché, et une forme de coordination parfaitement intégrée, la hiérarchie, qui caractérise une organisation monopolistique.
Dans une économie de création de ressources, la combinaison des facteurs de production ne suffit plus à expliquer la production. La coordination est envisagée comme un problème d’organisation de la production. L’explication de l’activité productive est endogénéisée. La production mobilise des inputs particuliers, tels que des connaissances, du savoir-faire ou des qualifications spécifiques qui émergent au cours de la production. L’accent est mis sur l’importance du savoir pour organiser la production. La notion d’apprentissage est alors au cœur de la problématique de l’organisation productive. L’exercice coordonné est alors conçu comme une forme de coordination spécifique qui privilégie les relations entre acteurs. Cette conception emprunte à l’approche évolutionniste qui fait de l’apprentissage un facteur d’innovation et de création de ressources. Elle emprunte également à l’approche conventionnaliste qui met l’accent sur la nécessité de règles conventions pour favoriser la coordination dans un contexte d’incertitude. Cette conception met l’accent sur la dynamique inhérente à l’exercice coordonné, à l’origine d’une création de ressources, au-delà des ressources préexistantes.