Objectif Soins n° 222 du 01/01/2014

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

À l’occasion de la journée européenne de sensibilisation au bon usage des antibiotiques, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et son homologue à l’Agriculture, Stéphane Le Foll, ont annoncé des mesures pour préserver l’efficacité des antibiotiques, et évoqué notamment le cas des bactéries résistantes aux carbapénèmes.

« Les antibiotiques, c’est pas automatique » : si la phrase est encore sur toutes les lèvres et a montré en son temps qu’une simple campagne de sensibilisation pouvait avoir un rôle clé dans la préservation de l’efficacité des antibiotiques, elle a été remplacée depuis par un slogan moins marquant. Avec un résultat que les professionnels redoutaient : une recrudescence de plus en plus marquée des résistances bactériennes aux antibiotiques. Le fait est assez récent : ce n’est qu’à partir de 1998 que la résistance antibiotique a réellement été prise en compte en santé humaine. C’est en effet à cette époque qu’un rapport de l’Agence du médicament pointe pour la première fois le danger des prescriptions antibiotiques inopinées pour le traitement des infections respiratoires en médecine ambulatoire(1). Ce même rapport souligne les conséquences de l’usage excessif des antibiotiques en termes de résistance bactérienne et de coût pour la société.

BACTÉRIES TOUTES-PUISSANTES ?

Car parler des antibiotiques, c’est aussi parler des dangers qu’ils sont censés éviter : les bactéries. Ces dernières, sous l’action d’une pression de sélection de plus en plus forte, sont devenues résistantes à la majeure partie des antibiotiques actuellement sur le marché. Et, en l’absence de recherche dans le domaine, certains professionnels de santé s’interrogent : s’oriente-t-on vers une impasse thérapeutique ? La question est posée et dans l’actuel plan antibiotiques (troisième du nom, le premier datant de la période de 2001-2005 et le second de la période 2007-2010), le problème est évoqué à la lumière de données précises : la résistance aux fluoroquinolones chez Campylobacter croît de façon constante depuis 2004 (65 % en 2008 versus 42 % en 2004 chez C. coli et 42 % versus 25 % chez C. jejuni), la résistance aux céphalosporines de 3e génération chez Escherichia coli progresse constamment depuis 2005, tout comme Klebsiella pneumoniae. Pire, de nouveaux cas de résistances sont apparus : on a vu se multiplier les apparitions d’entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC) et, à ce jour, 627 épisodes de ce type ont été signalés ; le nombre d’épisodes impliquant ces entérobactéries est en augmentation très nette depuis 2009 : 10 épisodes signalés en 2009, 28 en 2010, 113 en 2011, 236 en 2012 et 231 sur les huit premiers mois de 2013. Même chose pour Acinetobacter baumannii résistant à l’imipénème (22 ? signalements reçus par l’InVS en 2004, 50 en 2009 et 79 en 2010 ; 442 de 2002 à 2011 avec une nette augmentation depuis 2009, données InVS).

ENFIN UN RÉFÉRENT “ANTIBIOTIQUES”

Pour le gouvernement, et notamment les ministres de la santé, Marisol Touraine, et de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, le temps de la mobilisation conjointe est arrivé. Afin de favoriser le bon usage des antibiotiques, c’est-à-dire un usage juste de ces anti-infectieux, les deux ministères ont annoncé le développement de l’utilisation des tests rapides d’orientation diagnostique pour réduire les prescriptions inappropriées d’antibiotiques. Pour les cas où l’antibiotique doit être obligatoirement prescrit, le temps de prescription doit être réduit à sa portion indispensable. Et puis, surtout, dans les établissements de santé, un référent antibiotique est mis en place (et son pendant dans les établissements vétérinaires) : déjà existant dans certains établissements, ce référent est fortement attendu, il a désormais une existence légale dans les textes (décret 2013-841 du 20 septembre 2013) : « Ce référent assiste la commission médicale d’établissement ou la conférence médicale d’établissement dans la proposition des actions de bon usage des antibiotiques et l’élaboration des indicateurs de suivi de mise en œuvre de ces mesures ; il organise le conseil thérapeutique et diagnostique dans l’établissement. Une même personne peut assurer cette fonction au sein de plusieurs établissements de santé dans le cadre d’une action de coopération », indique le texte.

MESURES ET PLAN D’ATTAQUE

Pour approfondir ce bon usage des antibiotiques, une mesure en médecine de ville sera expérimentée : la délivrance des antibiotiques à l’unité. Les deux ministres souhaitent également proposer au Parlement européen un nouveau statut pour les antibiotiques, au même titre que les médicaments orphelins, pour maintenir sur le marché les antibiotiques les plus anciens et relancer la recherche dans ce domaine. Du point de vue vétérinaire, des guides de bonnes pratiques seront également élaborés. Bonne nouvelle pour l’hôpital : la voie qu’il s’est fixé depuis de nombreuses années avec les indicateurs de consommation et la lutte contre la résistance ont fini par payer ! L’hôpital n’est plus montré du doigt comme responsable de tous les maux liés aux antibiotiques. Néanmoins, un nouvel indicateur, plus lisible pour le grand public sera élaboré (ICATB2). Rappelons que l’indicateur ICATB, indicateur composite de bon usage des antibiotiques, reflète l’engagement d’un établissement de santé dans une stratégie d’optimisation de l’efficacité du traitement antibiotique. Celui-ci comprend notamment une surveillance de la consommation des antibiotiques reposant sur le calcul des doses définies journalières (DDJ) pour 1 000 journées d’hospitalisation, un chiffre directement corrélé avec la taille de l’établissement. Le plan antibiotiques(2) qui court actuellement préconise, quant à lui, trois axes pour une utilisation “juste” des antibiotiques : améliorer l’efficacité de la prise en charge des patients, en ciblant mieux les traitements, préserver l’efficacité intrinsèque des antibiotiques, par exemple en renforçant la surveillance des consommations et des résistances ou en encadrant la dispensation, et enfin promouvoir la recherche, qui est devenue depuis quelques années totalement absente du circuit du médicament anti-infectieux. L’objectif est de mobiliser le maximum d’acteurs impliqués dans le cycle de vie des antibiotiques, de la recherche pour l’élaboration de ces substances jusqu’à la prescription, avec d’un côté les professionnels de santé et de l’autre les patients, qui ont, eux aussi, un rôle à jouer dans le respect des prescriptions.

Un portail hyper complet

L’Institut national de veille sanitaire (InVS) met à disposition des professionnels un portail d’information* et de données sur la résistance antibiotique. Y sont consignées les données les plus récentes sur les différents pathogènes (Klebsiella, Campylobacter, Enterococcus, Escherichia, Haemophilus, Pseudomonas, etc.), les études menées (ou en cours) sur le sujet, ainsi que toutes les publications sur la thématique de la résistance antibiotique. Les connaissances les plus récentes sur la résistance bactérienne sont mises à jour régulièrement ainsi que tous les dispositifs de surveillance et de lutte contre l’antibiorésistance. La réglementation n’est pas oubliée, avec une section qui détaille les textes en vigueur et les recommandations qui ont cours. Une section du site de l’InVS indispensable !

* www.invs.sante.fr/Dossiers-thematiques/ Maladies-infectieuses/Resistance-aux-anti-infectieux/

Le cas inquiétant des bactéries produtrices de carbapénèmases (EPC)

Les EPC sont des bactéries hautement résistantes et émergentes (BHRé), et on en dénombre de plus en plus dans le monde. Chez ces bactéries, les carbapénèmases les plus fréquentes sont les Β-lactamases KPC, OXA-48 et IMP/VIM, qui conduisent à une inhibition partielle, voire totale, de l’efficacité des antibiotiques de type carbapénème, eux-mêmes traitements de dernier recours. D’où l’inquiétude que ressentent les professionnels de santé face à ces nouvelles venues totalement résistantes et, de fait, hautement indésirables.

Le développement de ces souches bactériennes conduit à l’apparition d’infections très difficiles (voire impossibles) à traiter. Ces dernières années, le nombre d’épisodes impliquant ces EPC a fortement augmenté (on en dénombre autant sur les huit premiers mois de 2103 que sur l’année 2012, qui avait déjà vu son chiffre doubler par rapport à 2011). Pour le moment, les cas observés sur notre territoire sont des cas importés (liés à un voyage à l’étranger dans 60 % des cas), mais la situation internationale et notamment en Europe du Sud (Italie, Grèce) invite à la plus grande prudence : c’est pourquoi le Haut Conseil de la santé publique a émis dès 2010 un ensemble de recommandations sur la maîtrise de la diffusion des bactéries multirésistantes importées de l’étranger*.

* petitlien.fr/6yvg