Objectif Soins n° 222 du 01/01/2014

 

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Sophie Bourcelot  

Au centre Léon-Bérard de Lyon, une psychologue intervient dans des formations sur le soin et la douleur. Forte de son expérience, elle plaide pour la légitimité d’impliquer le psychologue interne à l’institution dans cette démarche. Expérience.

Le Centre anti-cancéreux Léon-Bérard à Lyon accueille des malades de toute la région Rhône-Alpes. Il dispense les soins nécessaires soit à leur guérison, soit au maintien d’une qualité de vie essentielle pour les patients qui présentent une maladie évolutive incurable. Le personnel hospitalier est extrêmement varié, allant de ceux qui prescrivent les soins (corps médical), ceux qui exécutent (équipe paramédicale), à ceux qui apportent un support non spécifique mais néanmoins essentiel (transversalité et les soins de support), enfin à ceux qui permettent que tous les soins, examens, propreté, accueil puissent se dérouler au mieux quotidiennement. Le Centre développe une culture qui tend à impliquer tous les personnels soignants de l’hôpital.

CONSTAT

Le Comité de lutte contre la douleur et les symptômes obéit à la circulaire ministérielle(1) qui indique de tout mettre en œuvre dans les établissements de soins pour permettre une sensibilisation, une démarche d’évaluation des symptômes pénibles et la prise en charge adaptée. Les équipes soignantes ont été les premières à bénéficier de formations spécifiques à la douleur. Néanmoins, de nombreux salariés non soignants étaient au quotidien en relation avec les malades, leurs proches, face à des situations parfois éprouvantes telles des fins de vie, des décès, des relations hostiles, des patients altérés physiquement et parfois cognitivement, la dépendance, les troubles du comportement et le contact avec les familles. Nous nous sommes intéressés également aux remarques de ces salariés concernant leur vision de l’hôpital : beaucoup d’entre eux ne se connaissent pas et n’identifient pas leur fonction, allant jusqu’à méconnaître de simples généralités sur la pathologie cancéreuse, les différents services d’hospitalisation et les soins proposés.

SOUFFRANCES DES PERSONNELS ?

L’institution intègre une politique de formation pour les salariés et dispose bien sûr de budgets alloués.

Prévenir le risque psychosocial

La prévention des risques professionnels est au premier plan (manutention, incendie, hygiène…), mais les impacts psychologiques de ces soins spécifiques sur ces salariés sont peu envisagés. Le personnel cotoie la mort quotidiennement, ce qui génère souffrance, impuissance, échec, frustration, insatisfaction. Certains ont une vision de leur rôle peu enrichissant, souvent restreint à la satisfaction d’une succession de tâches à accomplir à la chaîne. À cela s’ajoute des facteurs aggravants comme le travail de nuit, les horaires décalés ou le week-end et jours fériés. Les relations avec le patient peuvent être faciles et attachantes ou difficiles, exigeantes. Sans compter le besoin de concilier les exigences déontologiques (apporter la meilleur prise en charge possible) et les exigences administratives (toujours plus vite avec moins de moyens). L’excès de stress peut engendrer des formes de négligence, voire de maltraitance où leurs réactions peuvent être à fortes connotation agressive (impatience, énervement). Aussi, le risque d’épuisement professionnel chez ce personnel est sans doute le risque pour lequel la prévention est indispensable, à la fois la plus importante et la plus difficile à mettre en œuvre.

Une formation adéquate

Ce projet de mise en place de formation pour le personnel non soignant devient alors précieux et important. D’autant qu’il n’existe pas ou peu de publications sur les formations concernant la douleur et sur l’organisation de l’hôpital destiné au personnel non soignant, qu’il n’y a pas de formation en interne pour ce personnel impliquant la pluridisciplinarité de l’établissement, et que porter de l’intérêt sur leurs répercussions psychologiques à travailler auprès de malades atteints de cancer est toujours bénéfique pour renforcer la solidité d’une équipe.

L’auteur, de par sa fonction de psychologue, a trouvé légitimement et assez aisément sa place dans ce processus de formation. Son appartenance au département des soins de support est un plus, car ce système prestatif est un droit de l’usager, une exigence fondamentale au service de tous. Être reliée au service de psychologie la distingue de la direction et lui confère une entière autonomie, garantit son indépendance à l’égard de toutes les influences autres que celles de ses pairs et assure son impartialité. Sa fonction donne ainsi accès à l’animation pédagogique par l’apport de techniques psychologiques. Le psychologue participe donc aux grandes orientations du service hospitalier. C’est donc un agent de changement pertinent de par son positionnement puisqu’il s’efforce de regrouper les conditions évoquées (non hiérarchie, altérité positive, suivi). P. Jardillier(2) précise que l’amélioration des conditions du travail, la connaissance de ces conditions est, plus qu’autrefois, perçue comme relevant d’une équipe pluridisciplinaire dans laquelle le psychologue a naturellement sa place. Renato Saiu(3) parle de la loi d’alternance fonctionnelle et mise en forme de l’émotion qui permet de poser les bases du changement de la pratique du salarié.

Créer un vécu de groupe

L’idée que nous pouvons reprendre pour la mise en place de ces formations est de créer du vécu en groupe et d’échanger autour de celui-ci. Que chacun donne un sens individuel (symbolique) à un vécu commun (émotion) et que le groupe donne un sens collectif (idéologie) à un vécu individuel (affect). Le principe est de déstabiliser les représentations de chacun afin d’en construire de nouvelles. Le rôle du psychologue est double : accompagner les possibles questionnements individuels et renforcer les feedbacks positifs qui résultent de la nouvelle activité. Si le salarié prend conscience d’une altérité trop brusque, il va culpabiliser face à la mauvaise pratique mise en évidence. Le formateur doit parler le même discours que l’équipe en reconnaissant leur bonne foi, en donnant des cas concrets de ce qui ne convient pas, et se baser sur le discours d’autres salariés afin que l’intervention du formateur ne soit pas vécue comme intrusive ou agressive. Le formateur doit impulser le passage du vécu émotionnel aux représentations qui y sont associées. Communiquer est un moyen de faire évoluer une situation à risque traumatique.

Notion de groupe

Certaines situations difficiles (corps mutilés, décès, malades qui se succèdent, appels téléphoniques des proches paniqués) peuvent susciter chez les sujets un besoin plus ou moins intense de communiquer et parfois le refus d’entrer en communication laissant ce que Bion nomme des « éléments bêta », c’est-à-dire des expériences sensorielles hyperconcrètes, dotées d’une grande affectivité mais peu susceptibles d’être associées à d’autres expériences en vue de processus de synthèse, d’élaboration et d’interprétation. Selon Bion(4), le groupe est propice à la production d’éléments bêta ou de pensées sauvages(4), mais le groupe permet la mise en œuvre du rapprochement de l’expérience à d’autres expériences grâce à une atmosphère de tolérance, d’acceptation et d’attention. Le groupe institutionnel n’est pas doté d’un appareil d’autoanalyse qui contient et intègre les expériences psychiques. Les situations affectives et fantasmatiques ne font pas l’objet d’une contention et d’une élaboration ; cela engendre souffrance individuelle et projection des émotions difficiles chez les autres ou étouffent leur vécu. Selon Gaburri(5), ces restes non élaborés peuvent rester dans la mémoire comme quelque chose de figé. Les groupes permettraient donc de contenir, d’élaborer, de poser en eux ces restes. Les souvenirs sont riches affectivement, mais pauvres intellectuellement. Selon Anzieu(5), les salariés sont soumis à l’alternance de surexcitation, de sousexcitation et peuvent être désorganisés, alterant leurs capacités de rêveries. Plus il y a d’excitation, moins il y aura de mentalisation, de symbolisation, de représentation, d’où les besoins de régulation par l’apport d’informations données par des formateurs qui s’inscrivent dans une fonction de contention ; le narcissisme de chacun en sera plus élevé.

Notion d’isolation

L’intérêt de ces formations est aussi de réduire la parcellarisation, le cloisonnement et l’isolation (Anzieu(5)). Selon R. Kaës(4), l’institution est difficilement accessible, car toujours partiellement impensable. La complexité et l’hétérogénéité constituent une source d’obscurité. L’institution renvoie à un emboîtement de cadres et à différents niveaux d’analyse qui impliquent des découpes multiples. Il est impossible de la saisir complètement. Elle renvoie à une forme d’irreprésentable de par sa complexité. Elle se révèle un espace de dépossession radicale (Kaës(4)) et ne ressemble en rien à la représentation d’une unité psychique. Notre institution de cancérologie a à accueillir, gérer, traiter ce que la société exclut (représentations de perte, d’altération). À la fois désavouée, magnifiée, elle peut figurer l’espace d’accueil du négatif. Elle est assignée à une position idéale, en même temps le lieu de l’exclu, du désavoué, de l’impensable. Elle a à articuler deux positions antagonistes pour exercer une fonction de « tissu conjonctif » (Guillaumin(4)) et constituer des espaces de liaisons créatifs et vivants.

LES DEUX FORMATIONS

L’expérience de l’auteur a permis d’identifier assez rapidement les intervenants à solliciter pour ces deux formations. Des réunions ont été nécessaires afin de présenter les objectifs, de préciser que le public visé n’était pas des soignants afin d’adapter les interventions, leur contenu, de permettre des temps d’échanges, de réflexions, de mise en mots d’expériences individuelles et groupales.

Formation sur la douleur

En ce qui concerne la formation sur la douleur, nous avons souhaité la nommer “sensibilisation à la prise en charge de la douleur” afin de mettre en avant l’acquisition de connaissances de base et de ne pas avoir pour objectif de créer des experts car les participants pourraient sentir une trop forte pression par la projection d’attentes fantasmées de la part des formateurs et de la direction.

Les compétences de l’équipe douleur du Centre étaient évidentes, tant en termes d’apports en informations qu’en termes pédagogique (médecin et infirmière des adultes et le médecin de l’équipe douleur en pédiatrie). Des informations sur les traitements médicamenteux les plus utilisés étaient transmises et un atelier pratique sur la pompe à morphine était proposé afin de dédramatiser l’outil et le médicament. Les psychologues et psychiatres avaient pour mission de permettre aux participants d’évoquer leurs représentations, leurs émotions, leurs frustrations, tout en leur proposant certaines techniques issues de la relation d’aide (empathie, reformulation), en évoquant également les enjeux psychiques personnels et relationnels des attitudes des malades et des proches face à la douleur. Enfin, des techniques moins conventionnelles étaient présentées comme pouvant soulager, transitoirement ou à plus long terme, les douleurs : ce sont l’ostéopathie, l’hypnose et la sophrologie.

En moyenne, le nombre de participants était de 8,2 par session. Ce petit groupe est comparable aux groupes restreints décrits par Anzieu(5). L’intérêt est de favoriser mutuellement la perception de chacun, d’être perçu réciproquement par l’autre, favoriser les échanges interindividuels, faire émerger un sentiment de solidarité et que chacun différencie les rôles des autres membres. Ces groupes sont apparentés aux groupes dits “secondaires”, car les personnes ne se connaissent pas ou peu, les relations entre eux peuvent être froides, impersonnelles, rationnelles, formelles, mais ces relations peuvent changer au fur et à mesure de la journée et devenir plus chaleureuses, chargées d’émotions afin que la solidarité et l’obtention des avantages mutuels y soient plus spontanés. Selon Sartre, les membres d’un groupe en fusion vivent trois expériences : celle de solidarité, celle de l’appartenance à une réalité collective nouvelle et celle d’autrui comme tiers régulateur de son action dans l’action commune. Le personnel regroupait des brancardiers, des ASH, des membres du pool équipier, des secrétaires, des hôtesses d’accueil, une technicienne de la pharmacie, une manipulatrice radiologie.

Cette formation a débuté en 2005 jusqu’à maintenant, avec une interruption de trois années non consécutives (une en lien avec un congé maternité de l’intervenante et deux pour manque d’inscrits).

Formation sur les soins

En ce qui concerne la formation sur les soins et leur organisation à l’hôpital, nous l’avons nommée “la trajectoire du patient à l’hôpital”. Les intervenants étaient de diverses fonctions : un médecin spécialiste du cancer et spécifiquement impliqué dans les essais cliniques qui donne des généralités sur la maladie, les traitements les plus utilisés et l’intérêt de la recherche ; le médecin chef des soins de support dont l’intérêt du contenu est d’améliorer chez les participants la connaissance des soins non spécifiques au cancer comme la psychologie, l’équipe mobile de la douleur et celles des soins palliatifs, la nutrition, les bénévoles, les assistantes sociales, les kinésithérapeutes, leur organisation autour d’un secrétariat et d’une réunion de concertation pluridisciplinaire hebdomadaire ; la cadre de la coordination des soins à domicile permet d’expliquer le lien ville-hôpital au travers de l’hospitalisation à domicile, des soins à domicile et du réseau territorial de soins, et décrit les différents types d’hospitalisations (de jour, de semaine, chirurgie, médecine, curiethérapie, lits d’interventionnel…) ; la spécialiste juridique de la santé donne des informations sur le droit des patients (et leurs devoirs !), le consentement ; une des infirmières du dispositif d’annonce explique son rôle préventif et de soutien dans le cancer du sein grâce au suivi proposé au malade après l’annonce du diagnostic. S’ensuit un débat afin de permettre aux participants d’exprimer là où ils en sont, de laisser émerger leurs réflexions, questionnements.

Le nombre de participants était en moyenne de 11,2 par session. Ces groupes étaient un peu plus larges que pour la formation précédente, mais les phénomènes de groupe recherchés dans ceux que l’on nomme restreints sont observables également jusqu’à quinze personnes environ. La diversité du personnel était la même que pour la formation sur la douleur, mais des personnes du bureau d’études cliniques, de la direction des ressources humaines, la personne qui collecte des fonds et une assistante sociale ont été intégrées. Cette formation a débuté en 2008 jusqu’à maintenant et a eu une année d’interruption pour manque d’inscrits. La personne qui s’occupe plus particulièrement du pôle formation m’a demandée de nous entretenir prochainement afin de mieux redéfinir les objectifs de la formation qui est disponible dans la plaquette des formations en interne.

RÉSULTATS

Spontanément, les intervenants sollicités ont tous répondu favorable à leur implication dans ces deux formations. Il relevait d’un vrai challenge pour eux de s’adapter à cette demande, car s’ils n’étaient pas novices dans ce domaine de la formation, c’était la première fois qu’ils allaient intervenir auprès du personnel non soignant, censé être naïf de connaissances spécifiques sur le cancer, mais potentiellement doté d’expériences, d’éprouvés, de représentations nombreuses, tant sur la maladie que sur les traitements, sur la douleur, sur l’institution, sur les techniques habituelles de soins et celles moins connues.

Formation sur la douleur

Dans la formation sur la sensibilisation à la prise en charge de la douleur, nous avons noté que les participants avaient les attentes suivantes : savoir répondre aux attentes des familles pour mieux les orienter, les rassurer, gérer l’agressivité des patients ou des proches, comprendre les mécanismes de la douleur, être mieux outillé dans la relation d’aide, identifier les professionnels de ce domaine et comprendre leur fonctionnement, connaître les méthodes non médicamenteuses.

Points positifs

Les critiques positives sont présentées par ordre d’importance décroissante, les quatre premières étant citées à de nombreuses reprises : meilleure compréhension du rôle du psychologue et des techniques non médicales, sentiment de pouvoir s’approprier des outils d’aide à la relation et à l’écoute, fonctionnement de la pompe à morphine, les échanges et l’impression que la pensée évolue, petits groupes, les débats, la clarté des formateurs, la douleur de l’enfant.

Points négatifs

Les critiques négatives que nous souhaitions voir écrites afin d’améliorer la formation sont classées par ordre d’importance :

• les trois premières sont citées à plusieurs reprises par les sujets : formation trop courte, donner plus de documents, proposer plus de cas concrets ;

• les suivantes sont moins citées régulièrement : bénéficier d’une séance de sophrologie et d’hypnose, pas de film à visualiser, trop médical, réactivation de douleurs personnelles et familiales, agacement vis-à-vis de certaines personnes qui accaparent l’attention.

Évaluations

Les évaluations de fin de session sur leur satisfaction ont permis d’obtenir des chiffres que nous allons classer par ordre décroissant sur une échelle en quatre points, dont 4 signifie la satisfaction maximale : animation (3,7), attentes (3,7), ambiance (3,6), contenu (3,4), durée (3,3) et documents (3,1).

Formation sur les soins

Dans la formation sur la trajectoire du patient, les attentes des participants étaient les suivantes : mieux comprendre l’articulation des services, mieux comprendre la coordination des soins à domicile, mieux comprendre le département des soins de support et son articulation dans l’hôpital, mieux connaître le cancer et les essais thérapeutiques.

Points positifs

Les critiques positives sont classées selon le même ordre. Les sept premières étant particulièrement citées : supports variés et intéressants (papier, diapositives, échanges), dynamisme des intervenants, le juridique, le Disspo, la coordination des soins à domicile, meilleur représentation des services et des intervenants, les généralités sur le cancer, les échanges, petit groupe, entendre les participants parler de leur travail mais aussi de la perception qu’ont les participants des autres services sur son propre rôle, les cas concrets, l’organisation des soins. Les participants ont exprimé des souhaits, des propositions qu’ils ont écrites ou verbalisées lors de l’évaluation ou lors du débat : souhait d’intégrer un groupe de parole au sein de l’institution, visiter l’établissement et avoir un plan des services, proposer la formation lorsque le salarié arrive dans l’institution, faire une mise à jour des connaissances dans le cadre d’un suivi de formation, bénéficier de la formation sur l’agressivité, bénéficier d’un temps de formation sur le deuil et la gestion des familles.

Points négatifs

Les critiques négatives sont classées toujours par ordre décroissant d’importance, les deux premières sont citées à plusieurs reprises : formation survenant trop tard par rapport aux besoins ressentis plusieurs années auparavant, formation trop courte, compréhension difficile des mécanismes du cancer, densité, manque de support écrit sur l’organigramme des spécialistes, redondance sur le juridique, manque de documents, pas assez d’exemples, difficultés à situer les intervenants par rapport au parcours du patient, rééquilibrer les temps d’intervention de chacun, trop de support papier, difficultés à se représenter un parcours type.

Évaluation

Les évaluations de fin de session sur leur satisfaction sont rapportées par ordre décroissant avec la même échelle sur quatre points : animation (3.7), ambiance (3.6), contenu (3.6), attentes (3.5), documents (3.4) et durée (3.3).

ANALYSE

La mise en place de ces formations a été une tâche finalement assez facile bien qu’innovante. L’auteur a été épaulée au niveau personnel et logistique par Madame J. Leblanc du pôle formation de la direction des ressources humaines.

Satisfaction générale

Sur le plan de la satisfaction du personnel non soignant, il semblerait que les participants apprécient de façon unanime l’animation et l’ambiance. Lewin(5) mais aussi Anzieu(5) insistaient sur l’intérêt des groupes restreints, de type “marathon” en une journée, qui permettent au formateur de faciliter aux membres du groupe l’expression aussi bien de leurs sentiments que de leurs idées. Les intervenants ont été capables de créer un climat psychologique de sécurité dans lequel on voit peu à peu croître la liberté d’expression et diminuer les défenses. L’atmosphère de confiance s’établit et permet aux participants d’exprimer leurs sentiments réels. Selon Anzieu(5), la notion de groupe est inexistante pour la plupart des sujets, car le groupe est éphémère, dominé par le hasard ; seules existent les relations interindividuelles, spontanées entre personnes, qui s’instaurent dans le cadre de la vie professionnelle et sociale. En groupe, la crainte de repenser sa propre situation et d’être remis en question est un des aspects de la résistance au groupe ; par ailleurs, les personnes ont du mal à se décentrer et craignent l’aliénation pour la personne individuelle, d’où l’intérêt de nos groupes d’effectuer une formation sur une journée, elle n’amplifie pas ou moins les résistances. Les participants estiment de façon unanime que la formation est trop courte ; il se peut que certains aient ressenti l’émergence d’un sentiment de dépendance au groupe. Le groupe, même “marathon”, pourrait faire émerger l’illusion groupale décrite par Anzieu(5), où le groupe recherche un état fusionnel collectif encadré par un “bon leader”, et la séparation de fin de journée engendre de la frustration et/ou l’envie de se revoir. Ces groupes ont favorisé le développement de relations affectives modérées à chaleureuses ; la sympathie se développe et se renforce, le sentiment d’appartenir à ce groupe est valorisant. En référence à Bion(4), on peut supposer que les sujets ont eu des occasions d’entendre et d’identifier chez les autres des expériences similaires aux leurs, ce qui a pu favoriser l’établissement de représentations mentales et communicables (le produit de la fonction alpha).

Évaluation des documents de support

La satisfaction concernant la remise de documents est évaluée comme très bonne sur l’échelle en quatre points, bien qu’elle fasse l’objet de critiques réitérées dans chacune des formations. Par expérience, nous savons que trop de documents nuisent à l’écoute de l’intervenant. Par ailleurs, ces nombreuses photocopies restent la plupart du temps dans des fonds de tiroirs et ne sont plus regardées. Le nombre de documents transmis était inégal, puisque peu de documents étaient donnés lors de la formation sur la douleur alors qu’il y en avait significativement plus dans la formation sur la trajectoire.

Aussi se peut-il que le document puisse constituer un objet contra-phobique. Effectivement, certains thèmes tels que le cancer, les essais thérapeutiques assimilés souvent à des expériences effectuées sur des cobayes comme nous avons pu l’entendre dans les représentations de certains, les plaintes douloureuses, etc., engendrent des sentiments d’impuissance, des angoisses de castration et d’abandon, et réactive parfois des expériences douloureuses comme un des participants l’a précisé dans les critiques négatives.

Compréhension

Les intervenants ont su globalement apporter un contenu compréhensible pour le personnel en choisissant des mots simples mais adaptés, en privilégiant les interactions, en illustrant au besoin de schémas, de phrases, d’exemples, et en variant les supports informationnels. Comme le disait P. Jardillier(2), l’équipe pluridisciplinaire, et plus spécifiquement la capacité de travailler en lien avec des intervenants relevant de nombreuses autres fonctions du soin permet de mettre en place des méthodes pédagogiques adaptées aux aspects psycho-sociologiques des thèmes abordés.

Les participants ont pu mieux identifier les intervenants, leurs rôles, leur appartenance. Certains d’entre eux ne leur étaient pas inconnus, mais la formation leur a permis d’associer à l’intervenant un visage, un nom à une fonction, un savoir-être et un savoir-faire. Le rôle du psychologue a été mieux appréhendé, démystifié.

Identité groupale

Arracher les membres à l’inertie du groupe

Le maintien du bon déroulement de chacune des formations en favorisant l’identité de groupe au démarrage par le tour de table, en se préoccupant de l’humeur des participants entre chaque changement d’intervenant, du stade d’évolution de leur pensée au fur et à mesure de la journée et du débriefing de fin de formation ont sans doute contribué à ce climat agréable précisé par les participants. Selon Raymond(6), se gardant prudemment des dangers de la “psychanalysation générale” si le psychologue a un pouvoir, c’est peut-être de se rendre capable d’arbitrer le débat. Étymologiquement, la notion d’intervention renvoie au concept de tiers. Cette fonction constitue un garant méthodologique, éthique et praxéologique qui va permettre la contention et l’élaboration d’éléments méconnus. Il est important que les salariés aient accès à la dépressivité, à l’ambivalence, au doute et à la pensée critique. Les critiques ont d’ailleurs été écrites pour chacune des formations, mais il semble que c’est dans la seconde, sur la “trajectoire”, que les participants ont fait preuve en fin de session de plus d’initiatives (vouloir visiter l’établissement, obtenir un plan), de souhaits de poursuivre d’autres formations (sur l’agressivité, la prévention du burn-out, le deuil). Selon Caspar(6), confier le rôle de formateur à du personnel interne est plus pertinent puisque celui-ci est beaucoup plus apte à comprendre les problèmes que leurs collègues se posent, le langage qu’ils emploient, les difficultés qu’ils rencontrent, et ceci plus que n’importe quelle personne extérieure à l’entreprise.

Sujets ambivalents

Quelques personnes ont évoqué leur regret de n’avoir pas bénéficié plus tôt de la formation sur la trajectoire du malade : l’une a précisé « qu’elle aurait eu besoin de cette formation lorsqu’elle est arrivée, vingt ans plus tôt ». Rousson(7) a écrit qu’« une formation est efficace quand le besoin a été évalué correctement ».

Ainsi, le rapport à l’institution se révèle fondamentalement ambivalent et confronte le sujet à deux logiques contradictoires : le désir de satisfaire ses fins propres et le renoncement nécessaire au fonctionnement de l’ensemble. Le rapport à l’institution sous-tend l’assujettissement de chacun et mobilise des affects négatifs tels que la haine et surtout l’envie. Enriquez(7) écrit : l’institution va potentiellement constituer pour le personnel à la fois un idéal garant de l’identité individuel et un objet négatif, contre-investi car toujours insuffisamment bon.

Les attentes sont globalement satisfaites d’après les évaluations, et les critiques formulées nous amènent à préciser, sous l’angle de Jardillier(2), que tous les salariés d’une entreprise n’ont pas les mêmes attentes : selon les niveaux socio-professionnels, selon aussi le stade auquel chacun est parvenu dans le déroulement de sa vie professionnelle, les attentes peuvent être pour partie communes et pour partie spécifiques. Par ailleurs, selon Debetaz et Rousson(7), la formation provoque diverses frustrations : il est connu que, souvent, l’insatisfaction augmente chez les personnes qui rentrent d’un stage.

Résistances

Bien que les satisfactions soient grandes et exprimées après chaque formation, nous notons que le nombre parfois insuffisant d’inscrits nous obligeait à annuler une formation. On peut sans doute interpréter cela comme le résultat de l’ambivalence du personnel comme nous l’avons décrit plus haut. Mais comme l’a écrit Rousson(7), la formation confère un pouvoir. La personne formée dispose de nouvelles possibilités qu’elle pourrait désirer appliquer. Diverses résistances s’y opposent. Les collègues ou chef d’équipe peuvent craindre l’influence montante de celui qui, parmi eux, a bénéficié d’une formation. La structure de l’entreprise, par sa force d’inertie parfois, peut résister aux efforts de celui ou de ceux qui tentent des applications nouvelles. Les hiérarchiques peuvent être dérangés et se sentir menacés dans leur mode de fonctionnement habituel. Anzieu(5) détaille les résistances face au groupe individuel ou institutionnel dont les représentations sont variées. Par ailleurs, la formation donne une capacité d’analyse supplémentaire à des groupes de personnes et peut provoquer des demandes diverses. Charlot(7) écrit, le phénomène est bien connu, la formation appelle la formation… C’est à la fin du stage que les participants s’aperçoivent de leurs véritables besoins. C’est ainsi que les participants de la formation sur la « trajectoire » ont exprimé plusieurs souhaits.

LIMITES, PERSPECTIVES

Participation des chefs d’équipe

Une évaluation des besoins en formation dans les deux domaines traités aurait pu être menée de façon plus anticipée en intégrant systématiquement les chefs d’équipe à nos réflexions. Il est bien connu et Elton Mayo(5) l’a détaillé, intégrer les salariés aux discussions et prises de décisions permet que la solidarité se développe, engendre plus de coopération au lieu d’induire des résistances. Nous pourrions donc proposer prochainement une réunion aux chefs de service concernés afin de leur faire part du déroulement des formations, de leur contenu et d’impulser chez eux d’éventuelles idées, remarques. Cela permettrait surtout que lors des entretiens d’évaluation annuelle, le hiérarchique puisse mieux expliquer et proposer ces formations en fonction des besoins identifiés du salarié. Il faut cependant tenir compte du large panel de formations proposées au Centre dont certaines pourraient sembler prioritaires par rapport à d’autres (notamment celles sur les besoins spécifiques liés à une fonction en particulier) et des décisions des chefs d’équipe et de l’administration, d’autant que le personnel ne dispose pas du droit à la formation chaque année.

Évaluation planifiée

Peut-être pourrions nous envisager une planification de l’évaluation et du suivi de la formation. Mais il semble que le souci des institutions soit plus centré sur une évaluation systématique où l’on étudie l’efficacité de la formation sur le coup. Debétaz et Rousson(7) se sont rendus compte que l’évaluation devait être planifiée et intégrée à une stratégie globale de la formation, qui peut être caractérisée par le fait que les différents moments de la formation – à savoir l’analyse des besoins, la planification du programme, le choix des moyens pédagogiques et l’évaluation ne sont plus conçus indépendamment les uns des autres, mais se rejoignent dans une même démarche. Dans cette perspective, l’évaluation peut intervenir dans un temps autre que la fin d’un cours. Nous allons tâcher d’être attentifs à certains souhaits exprimés dans les évaluations, notamment sur la possibilité de fournir le plan de l’hôpital, prévoir une visite pour les intéressés. Mais il est malgré tout impossible de fournir un parcours type du malade tellement les soins sont spécifiques à chaque pathologie et en fonction du stade d’évolution de la maladie. On peut seulement mettre en évidence l’organisation des soins en fonction des pathologies, les réunions de concertation pluridisciplinaires, l’intérêt des essais cliniques et les droits des patients qui entourent les soins et leur consentement, la transversalité, les hospitalisations de plus en plus courtes des patients et l’organisation des soins en fonction de cette donnée. Ceci confirme ce que Kaës(4) écrivait que l’institution est un objet difficilement accessible car toujours partiellement impensable, la complexité et l’hétérogénéité constituent une source d’obscurité.

Suivi du groupe

Bien que nous avons pu constituer des groupes restreints, aptes à favoriser les échanges, les changements d’habitude (K. Lewin(5)) et la solidarité, Anzieu précise que ces groupes ont des aspects négatifs qu’il est nécessaire de connaître à défaut d’y remédier. Il constate que les changements de comportement ne durent pas dans le temps, l’expérience de groupe n’est pas un mode de vie mais un point de référence, et un membre peut être profondément blessé par un autre membre ou par le groupe. Il souligne aussi que l’animateur peut être perçu comme un expert désigné par l’institution pour changer ce qui ne va pas. Sartre ajoute que les groupes ne sont pas donnés : ils proviennent d’un rassemblement et risquent d’y retomber(5). Malgré tout, il semble établi que des conduites d’entretien de suivi de groupes facilitent le maintien des changements, les conduites de progression et amènent à la transformation. Il semble un peu illusoire que l’on puisse mener de tels suivis après les formations, pour des raisons de disponibilités, de coûts. Ces formations pourraient être reconduites dans d’autres institutions hospitalières spécialisées ou pas, d’autant que les manifestations douloureuses du patient et la complexité de l’organisation des soins ne sont pas l’apanage de la cancérologie.

CONCLUSION

Il nous est donc impossible d’évaluer correctement les répercussions à plus ou moins long terme de ces formations sur les changements des représentations et des pratiques, ce n’était pas dans nos objectifs. Mais nous pouvons néanmoins formuler que nous avons pu atteindre certains objectifs.

• Réunir des spécialistes internes à l’établissement, de différents domaines du soin, spécifique et non spécifique, qui ont su donner des informations claires, adaptées à du personnel non soignant.

• Donner l’occasion à ce personnel qui ne se connaissait pas toujours de parler de leurs pratiques, de leurs difficultés, de leurs satisfactions. Le moral, puis les performances d’un groupe, d’une équipe, dépendent de la prédominance des relations de sympathie entre les membres et à l’égard du formateur. C’était donner l’occasion de créer un espace de penser.

• Les salariés se sont sentis reconnus par l’institution dans leurs rôles, ce qui est assez valorisant, et l’acquisition d’outils d’aide à la relation et à la gestion des émotions engendrent un sentiment de sécurité plus fort. Pouvoir évoquer des situations professionnelles difficiles, en étant écouté sans être jugé par ses pairs, est une énorme source de bien-être.

• Sur un plan plus subjectif, ces formations ont modifié le regard porté par les formateurs sur le personnel et ses fonctions, sa réalité du terrain ; mais il semble évident que les participants eux-mêmes regardent les formateurs d’une autre façon. Certaines relations inexistantes auparavant se sont modifiées et sont devenues moins impersonnelles entre les formateurs et les salariés. Au-delà du simple « bonjour » lorsque l’on se croise, peut déboucher une discussion informelle sur une situation, sur leurs besoins, ils n’hésitent pas à identifier des difficultés chez un patient et à le rapporter à l’équipe, ou font part de situations où ils se sont sentis dépassés, mais aussi confiants dans leurs possibilités de rassurer ou simplement d’orienter le malade ou un proche vers une personne ressource.

NOTES

(1) DHOS/P2 n° 2005-257 du 30 mai 2005.

(2) Jardillier P. Le psychologue et la gestion du personnel. In : Le psychologue et l’entreprise. Textes réunis par C. Levy-Leboyer. Paris Masson, 1980, pp 40-63, 1972.

(3) Saiu R. La formation continue des soignants en Ehpad. [en ligne sur detour.unice.fr] 2009.

(4) Kaës R. Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels. Dunod. Inconscient et culture. 2005.

(5) Anzieu D, Martin J-y. La dynamique des groupes restreints. PUF. Paris 1968.

(6) Raymond S-G. Psychologue des hôpitaux. Psychologues de santé libéraux. Actualités psychiatriques n° 8. Décembre 1980, pp 305-18.

(7) Rousson M. Organisation et suivi de la formation dans l’organisation. In ; Le psychologue et l’entreprise. Textes réunis par C. Levy Leboyer. Paris Masson. 1980, pp 64-77.

ENJEUX DE LA FORMATION

La mise en place de ces deux formations distinctes, l’une sur la douleur, l’autre sur l’hôpital et le parcours du malade, a donc pour enjeu premier d’informer les salariés, de changer leurs représentations si certaines sont erronées, de leur apporter les connaissances de base sur la pathologie cancéreuse, les mécanismes de la douleur, l’organisation des soins.

Le second enjeu est de renforcer la reconnaissance par l’institution de ce personnel non soignant, de lui apporter un sentiment de sécurité plus fort. D’observer les enjeux de la place du psychologue interne à l’institution qui s’implique dans la création de ces formations et pour certains plus comme intervenant.

Déroulement des formations

Les deux formations se déroulent chacune sur une journée. Les participants sont installés en cercle. J’ouvre chacune des journées par ma présentation, les objectifs de la formation et je poursuis par un tour de table où chacun des participants se présente individuellement en précisant sa fonction, ses motivations et ses attentes.

Le contenu associe des aspects théoriques, pratiques, cas concrets, temps d’échanges intéractifs entre les participants et le formateur, et enfin un débat pour permettre aux participants d’exprimer comment ils ont vécu la journée en termes d’apport de connaissances, d’éprouvés physiques et émotionnels, de possibilité de changements dans leur pratique et savoir-être.

Une évaluation systématique et plus administrative est proposée à la fin de la session. Celle-ci évalue leurs attentes, leurs motivations, leurs satisfactions sur les documents transmis, la durée de la formation, le contenu, l’ambiance et l’animation. Ils peuvent également soumettre des souhaits.