La contention ne répond pas un régime légiféré, mais ce n’est pas un problème car on dispose, dans la jurisprudence, de toutes les règles pour définir les contours de cette pratique. L’essentiel est de savoir poser la problématique, pour construire avec méthode des réponses au cas par cas.
La contention est bien sûr une décision médicale, et elle doit résulter d’une prescription, écrite et circonstanciée, et d’une surveillance médicale et infirmière, pour un suivi et une adaptation permanente. Ceci est bien connu, mais hélas, pas toujours respecté.
En droit, la contention est une atteinte à la liberté, et les soignants doivent la considérer comme telle. Pour que cette atteinte à la liberté ne dérive pas en violation de la liberté, la mesure doit être décidée en fonction d’impératifs thérapeutiques, et être strictement proportionnée à ce qui est nécessaire. Toute facilité, toute négligence fait basculer dans l’abus de droit et dans la faute.
La question est aussi très sensible sur le terrain de la responsabilité. Dès lors que l’on entrave une personne, on lui fait perdre une large part de sa liberté, et donc autant de sa responsabilité. La contention opère ainsi comme une sorte de transfert de la responsabilité, et la vigilance doit être d’autant plus grande que toute personne entravée cherche à se libérer. C’est dire l’importance du travail qui doit être fait en amont, par l’élaboration des meilleures pratiques, le recours à un matériel adapté, et la sensibilisation de tout le personnel. Voici quelques décisions récentes de jurisprudence.
(Cour administrative d’appel, CAA, Douai, 5 novembre 2013, n° 12DA01369)
• Les faits. À la suite d’une intervention chirurgicale subie le 4 janvier 2007 au centre hospitalier d’Amiens (Somme) pour un anévrisme sylvien gauche, des liens de contention aux poignets ont dû être posés à une patiente en raison de son état d’agitation. Le 8 janvier suivant, avant sa sortie du centre hospitalier, l’intéressée a présenté un déficit fonctionnel de la main droite : un électromyogramme réalisé le 30 janvier 2007 a révélé une atteinte du nerf médian au niveau de son avant-bras droit, dont elle a gardé des séquelles, consistant en un déficit sensitif et moteur s’exprimant essentiellement au niveau de la main droite.
• L’analyse. La complication à type de déficit partiel du nerf médian au poignet droit, dont la patiente a souffert à la suite de l’intervention chirurgicale, a pour cause une compression accidentelle de ce nerf par les liens de contention, la maintenant dans son lit afin de prévenir le risque de chute. Cet accident révèle, alors même qu’il est impossible de définir les circonstances exactes dans lesquelles s’est produite cette compression, une faute dans le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier d’Amiens.
(CAA Paris, 20 juin 2013, n° 12PA00728)
• Les faits. La paralysie du plexus brachial du côté droit que le patient a présentée à la suite de la transplantation hépatique qu’il a subie le 21 mai 2006 à l’hôpital Paul-Brousse trouve son origine dans la mise en place d’une contention de ce bras, soit pendant l’intervention, soit lors d’une phase d’agitation post-opératoire du patient.
• L’analyse. L’expert ayant écarté toute autre hypothèse et l’AP-HP elle-même n’ayant pas avancé d’autre cause possible du dommage, ce dernier doit être regardé comme ayant résulté de cet acte de soins et révèle une faute commise dans l’organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier.
(CAA Douai, 31 décembre 2012, n° 11DA01382)
• Les faits. Un patient, âgé de 77 ans et atteint de la maladie d’Alzheimer, a été hospitalisé le 19 août 2003 dans l’unité de psycho gériatrie de l’hôpital maritime Vancauwenberghe à Zuydcoote (Nord). Sa disparition du service hospitalier a été constatée à 16 heures le 21 août 2003. Son corps mutilé a été retrouvé le 20 septembre suivant, sans que la cause du décès puisse être déterminée.
Le 20 août 2003 à partir de 22 heures, le personnel hospitalier est intervenu à de nombreuses reprises pour ramener le patient dans sa chambre qu’il avait quittée, puis lui a administré un médicament calmant et l’a enfin maintenu en position allongée sur un fauteuil à l’aide d’un gilet de contention aux petites heures du matin. Confrontés à la persistance d’une forte agitation du patient dans la matinée du 21 août, les personnels hospitaliers ont tout d’abord enfermé le patient dans la salle dite “bleue” puis l’ont reconduit en début d’après-midi dans sa chambre, où sa moindre agitation a été constatée à 15 h 30 et notée sur les documents de transmission des consignes infirmières.
• L’analyse. Ainsi, le comportement des personnels hospitaliers ne révèle aucun défaut de surveillance du patient.
Par ailleurs, l’hospitalisation du patient dans une chambre non verrouillée ne peut être regardée comme révélant un défaut d’organisation du service hospitalier, alors que les infirmières et médecin de garde sont intervenus dans les conditions précitées jusqu’au 21 août 2003 à 15 h 30.
Il en est de même s’agissant de la découverte de la disparition et des recherches entreprises, dès lors que le constat de chambre vide avec évocation de fuite est noté à 16 heures et que les recherches de proximité, immédiatement entreprises et restées infructueuses, ont été suivies d’un signalement à la gendarmerie avant 19 heures. Ainsi, le décès ne révèle aucun défaut de surveillance, ni d’organisation du service public hospitalier.
(CAA Nantes, 24 mai 2012, n° 10NT01952)
• Les faits. Un homme, âgé de 57 ans et en cours de sevrage alcoolique, a été hospitalisé le 30 novembre 2004 au centre hospitalier de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) à la suite d’une crise d’épilepsie. Étant très agité, il a été sanglé au cours de la nuit, puis isolé dans une chambre individuelle le lendemain de son admission où il a de nouveau été sanglé dans l’après-midi par une ceinture abdominale et au niveau du poignet droit. À 18 heures, le médecin de garde a constaté des signes de pré-delirium et a prescrit, par voie intraveineuse, une hydratation, une augmentation des vitamines déjà administrées par voie orale, et, en cas d’agitation importante, un sédatif.
L’infirmière de jour, ayant constaté l’absence d’agitation de l’intéressé à 20 heures, ne lui a pas posé la perfusion ordonnée. L’infirmière de nuit, qui s’apprêtait à le faire à 22 h 45, a alors découvert le patient décédé.
• L’analyse. L’autopsie, pratiquée dans le cadre de la procédure pénale engagée, a révélé que le patient avait probablement cherché à descendre de son lit et réussi à glisser son corps entre les deux demi-barrières de protection. Il s’était alors retrouvé bloqué par la sangle abdominale lui comprimant le thorax, et il est décédé d’une asphyxie par suffocation mécanique.
La circonstance que ce patient ait été victime, dans sa chambre du centre hospitalier, d’une suffocation mortelle alors qu’il avait été attaché à son lit en raison de son état de santé et qu’il n’avait pas été jugé utile de lui administrer un sédatif, révèle une prise en service hospitalier, de nature à engager la responsabilité pleine et entière de l’établissement envers l’intéressé.
Le centre hospitalier de Saint-Nazaire ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu’aucun élément, notamment dans le comportement de l’intéressé au cours de la journée du 1er décembre 2004, ne permettait de justifier d’une surveillance particulière, alors que celui-ci avait précisément dû faire l’objet d’une mesure de contention en raison d’un état de grande agitation.
(CAA Bordeaux, 1er mars 2012, n° 10BX01273)
• Les faits. Le préfet de la Gironde a pris à l’encontre d’un ressortissant étranger un arrêté de reconduite à la frontière le 25 mai 2007, puis a décidé le 31 juillet 2007 de le placer en rétention administrative pour quarante-huit heures en vue de procéder à son éloignement.
Cet homme, dont la mesure de rétention avait été prolongée pour quinze jours, a entamé une grève de la faim et de la soif et a été hospitalisé au service des urgences de l’hôpital Saint-André de Bordeaux (Gironde) le 8 août 2007 en raison de son affaiblissement et de son état d’hypoglycémie.
Il ressort du témoignage du chef du service des urgences qu’à la demande des médecins qui l’ont accueilli à son arrivée à l’hôpital, les fonctionnaires de police ont retiré les menottes qui liaient l’intéressé. Une contention par liens souples a alors été mise en place par les médecins afin d’empêcher le patient de retirer la perfusion qui avait été posée.
Le 9 août 2007, les médecins ont constaté que les policiers avaient de nouveau entravé le patient au niveau des chevilles alors qu’il était alité. Jusqu’à cette nouvelle intervention du personnel médical, l’intéressé est demeuré entravé pendant plusieurs heures.
• L’analyse. Compte tenu des précautions prises par le centre hospitalier qui avait placé cet homme dans une chambre gardée par deux fonctionnaires de police, dont la porte demeurait ouverte et dont les fenêtres étaient sécurisées, une telle mesure excédait manifestement les exigences de sécurité. Au surplus, eu égard à l’état d’affaiblissement de cette personne qui, depuis son arrivée à l’hôpital, n’avait pas manifesté de signe de dangerosité pour lui-même ou pour autrui, l’entrave des chevilles qui lui a été imposée sur son lit d’hôpital a constitué un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La faute ainsi commise engage la responsabilité de l’État, et non celle du centre hospitalier.
(CAA Nantes, 8 décembre 2011, n° 10NT00099)
• Les faits. Un homme, alors âgé de 34 ans, a été hospitalisé le 31 juillet 1995 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen (Calvados) pour sevrage alcoolique. Le lendemain de son admission, il a fait l’objet, aux environs de 18 heures, d’une mesure de contention en raison d’une crise de delirium tremens, et a été sanglé sur un fauteuil dans sa chambre.
À 18 h 30, une infirmière a constaté que ce patient, toujours attaché à son fauteuil, était victime d’un incendie dont l’origine n’a pu être déterminée. Atteint de brûlures au 3e degré sur 30 % de la surface corporelle, notamment au flanc et au bras gauches, il a été transféré au service des grands brûlés de l’hôpital Percy de Clamart (Hauts-de-Seine), et en a conservé de graves séquelles.
• L’analyse. Le fait que le patient ait été victime, dans sa chambre du CHU, d’un incendie alors qu’il avait été attaché à son fauteuil en raison de son état de santé suffit, quelles que soient les causes de cet incendie, à révéler un défaut de surveillance constitutif d’un dysfonctionnement dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier, de nature à engager la responsabilité pleine et entière de l’établissement envers le patient. Le CHU ne peut se prévaloir de la circonstance qu’aucun élément ne permettait de prévoir l’événement, notamment dans le comportement du patient au cours de la journée du 1er août 2005, alors que celui-ci avait précisément dû faire l’objet d’une mesure de contention en raison d’un état de confusion et de grande agitation.
(CAA Bordeaux, 9 avril 2013, n° 12BX00406)
• Les faits. Un patient a été hospitalisé le 5 avril 2007 à la demande d’un tiers à l’hôpital Henri-Laborit de Poitiers (Vienne) pour éthylisme avec alcoolisation majeure. Il a bénéficié le 5 mai suivant d’une sortie d’essai de dix jours mais, s’étant réalcoolisé, a dû être hospitalisé de nouveau le 8 mai. Il a alors fugué, a été réadmis le lendemain, 9 mai, adressé aux urgences, d’où il a fugué à nouveau avant d’être admis une nouvelle fois le 10 mai avec un taux d’alcoolémie de 5 grammes par litre. Placé en chambre d’isolement, et il s’est suicidé le 11 mai.
Le 10 mai 2007, alors en chambre d’isolement, le patient s’était montré calme et coopérant tant durant la matinée que l’après-midi. Il a pris ses traitements, à 16 heures un Valium 10 milligrammes et à 17 heures un Tercian de 50 milligrammes. Il n’avait exprimé ni idées noires, ni idées suicidaires. Il a été vu toutes les heures de 15 à 18 heures par un infirmier. Aussi, cette surveillance et ces soins étaient adaptés à son état.
• L’analyse. Ni son comportement, ni sa pathologie n’impliquaient l’intervention de mesures particulières destinées à prévenir une tentative de suicide.
(Cour de cassation, 1re chambre civile, 5 novembre 2009, n° 08-15220 et 08-19681)
• Les faits. Un patient est décédé d’un hématome sous dural après avoir chuté à trois reprises dans les locaux de la clinique chirurgicale du Val d’Or à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), au décours d’une crise d’épilepsie, alors qu’il venait de subir l’exérèse d’un nodule pulmonaire pratiquée par un chirurgien.
• L’analyse. Pour condamner les médecins et la clinique à une indemnisation à hauteur de 50 %, la cour d’appel a relevé que l’état de santé du patient était altéré par ses antécédents, et que, d’après son épouse, il faisait des chutes fréquentes à son domicile. Aussi, la cour d’appel avait retenu la responsabilité, au titre de la perte de chances.
Or les praticiens s’étaient abstenus de prendre les mesures qui s’imposaient à l’égard d’un patient dont les antécédents étaient connus, et la transmission par le personnel de la clinique à l’équipe médicale des informations relatives à l’épilepsie du patient et aux risques de chute aurait permis la mise en place d’un dispositif de protection, tel qu’une contention au fauteuil ou au lit, ce qui excluait tout aléa dans la réalisation du dommage. Aussi, la responsabilité est totale.
• La contention est réalisée sur prescription médicale. Elle est motivée dans le dossier du patient.
• La prescription est faite après l’appréciation du rapport bénéfice/ risque pour le sujet âgé par l’équipe pluridisciplinaire.
• Une surveillance est programmée et retranscrite dans le dossier du patient. Elle prévient les risques liés à l’immobilisation et prévoit notamment les soins d’hygiène, la nutrition, l’hydratation et l’accompagnement psychologique.
• La personne âgée et ses proches sont informés des raisons et buts de la contention. Leur consentement et leur participation sont recherchés.
• Le matériel de contention sélectionné est approprié aux besoins du patient. Il présente des garanties de sécurité et de confort pour la personne âgée. Dans le cas de contention au lit, le matériel est accroché aux parties fixes, au sommier ou au cadre du lit, jamais au matelas ni aux barrières. Dans le cas d’un lit réglable, les contentions sont fixées aux parties du lit qui bougent avec le patient. En cas de contention en position allongée, les risques liés aux régurgitations et aux escarres sont prévenus.
• L’installation de la personne âgée préserve son intimité et sa dignité.
• Selon son état de santé, la personne âgée est sollicitée pour effectuer des activités de la vie quotidienne et maintenir son état fonctionnel. La contention est levée aussi souvent que possible.
• Des activités, selon son état, lui sont proposées pour assurer son confort psychologique.
• Une évaluation de l’état de santé du sujet âgé et des conséquences de la contention est réalisée au moins toutes les 24 heures et retranscrite dans le dossier du patient.
• La contention est reconduite, si nécessaire et après réévaluation, par une prescription médicale motivée toutes les 24 heures.