Objectif Soins n° 223 du 01/02/2014

 

Management des soins

Laure de Montalembert  

Comment mieux démontrer qu’une erreur médicale peut finalement aboutir à une amélioration des pratiques qu’en la décortiquant ? Un film subtil et respectueux de tous s’attaque à ce sujet tabou.

Au moment où la presse s’enflamme à la suite du décès de plusieurs bébés dans un hôpital de Chambéry (Savoie), la question de l’erreur médicale et de ses conséquences, parfois tragiques, est plus que jamais au cœur des préoccupations. Et, par rebond, celle de l’aveu puis de ce qu’on peut en faire pour que l’événement se transforme en une construction favorable à tous. « J’ai fait ce calcul [de chimio]. Je me suis trompée dans ce calcul. J’ai mal placé ma virgule. Ça a été contresigné par ma collègue. J’ai injecté, du coup, la mauvaise dose à un enfant », raconte Élise.

C’est à un sujet bouleversant que nous convie le film Que reste-t-il de nos erreurs, dont un extrait a été présenté au dernier Salon infirmier devant un public extrêmement nombreux. Face à la foule, Élise Nédellec, jeune infirmière, à l’origine d’une erreur qui aurait pu coûter la vie à un enfant à la suite de l’injection d’une dose excessive de chimiothérapie. C’est d’elle et de son geste dont on parle dans la deuxième partie du film. Si la jeune femme parle avec un sourire, on sent parfois l’émotion et les larmes poindre.

Dominique Davous, quant à elle, se trouve de l’autre côté de la barrière, ayant a perdu sa fille de 14 ans à la suite de l’erreur d’injection d’un immunosuppresseur – mille fois la dose prescrite – à la suite de sa greffe de moelle osseuse. De sa peine, elle en a fait un combat pour permettre aux soignants d’admettre leurs erreurs et aux parents de pouvoir rétablir un lien de confiance avec leurs interlocuteurs hospitaliers. De formation universitaire et ancienne professeur de chimie à Jussieu (Paris VI), Dominique Davous a exercé de nombreuses années comme enseignante et chercheur. Après le décès de Capucine, sa troisième fille, elle prend une année sabbatique dans l’idée d’une reconversion thématique. Partie travailler à Montréal sur la communication entre patients et soignants avec des médecins qu’elle connaissait bien, dont l’un est celui qui a suivi sa fille, elle complète ensuite sa formation à l’Espace éthique de l’AP-HP.

UN FILM POUR EN PARLER

« Je ne suis pas devenue philosophe, précise-t-elle. Mais j’ai appris à positionner ma réflexion de chercheur dans ce domaine. » En 1997, à l’époque de la création du groupe “Parents et soignants face à l’éthique en pédiatrie” avec le docteur Élie Haddad, Dominique Davous s’associe au projet. En parallèle, elle s’engage dans le milieu associatif. Ce n’est qu’en 2009 que notre chercheur se sent enfin capable d’aborder le sujet de l’erreur médicale avec le groupe de l’Espace éthique. Mais à un bémol près : là, on ne parle pas d’erreur médicale, mais « d’erreur au cours du soin ». « Je ne suis pas du tout dans une approche visant à catégoriser les erreurs », explique-t-elle avant d’ajouter : « Ce n’est pas la gravité de l’erreur qui détermine le traumatisme du soignant ou des parents, c’est la création d’une situation de défiance avec risque de rupture. »

Dès le démarrage du groupe de réflexion de l’Espace éthique, les participants travaillent exclusivement sur des témoignages, presque toujours lors d’entretiens. Un philosophe, présent lors des discussions, les a également aidés à trouver un positionnement adéquat. À la suite de ces réflexions, trois cas ont été sélectionnés, dont celui de la fille de Dominique Davous et l’erreur d’injection de chimiothérapie commise par Élise Nédellec.

En 2011, les présentations commencent, notamment à la Société française de pédiatrie. Ce sont des acteurs qui jouent le rôle des protagonistes, récitant leurs mots. « Depuis un moment, j’avais l’idée d’un film, témoigne Dominique. Et avec le groupe, nous avons décidé de le faire. » Elle contacte alors Nils Tavernier qui accepte le projet qu’il décrit ainsi : « J’ai voulu comprendre comment, malgré l’erreur, la relation entre parents et soignants peut et doit continuer. » Le film sera réalisé avec la collaboration de Gil Rabier. Tous deux sont familiers du documentaire.

Commence alors la course aux financements. La fondation Pfizer, la Fondation de France, l’Institut national du cancer et l’association Les 111 des arts, entre autres, répondent présent. Voici donc le film lancé, avec, comme objectif principal, la formation des professionnels du soin, médical ou non médical.

ASSUMER POUR SE SOIGNER

Après les épreuves qu’elles ont vécues, chacune d’un côté de sa barrière, rien ne présageait de la rencontre et de l’entente de l’infirmière Élise et de la mère en deuil, Dominique. Sauf, peut-être, leur grande honnêteté et leur humanité partagée.

Alors, où la jeune Élise Nédellec a-t-elle trouvé la force de se transformer en porte-parole de ce sujet si tabou ? « C’est Dominique Davous qui me l’a proposé, retrace-t-elle. Nous nous sommes d’abord rencontrées via un médecin du service qui m’a demandé de rédiger quelques notes concernant mon erreur. » Le document est lu au Comité d’éthique. Par la suite, les deux femmes se sont rencontrées de nouveau à Marseille, dans le cadre de la présentation du travail de ce même comité. « Je n’ai pas eu d’hésitation lorsque Dominique m’a proposé de participer au film. Je n’avais pas envie que les gens oublient, lance Élise avec force. J’assume. C’est une bonne thérapie. Si ça peut servir de mise en garde, tant mieux ! » Au Salon infirmier, c’est la troisième fois que la jeune infirmière, qui était dans sa première année de pratique au moment des faits, présente le film. Elle décrit ces épisodes comme de « belles expériences qui lui permettent de changer un peu de son “quotidien d’infirmière” ». Et, malgré ce qu’on pourrait imaginer, Élise Nédellec n’a jamais eu à subir de réactions négatives au sein de ses auditeurs. « Mais je m’y prépare, au cas où », précise-t-elle tout de même, en portant sur ses épaules la présentation de ces trois histoires pas comme les autres. Élise travaillait encore à l’hôpital Trousseau lorsqu’elle a été contactée pour participer au projet. C’est la lettre qu’elle a écrite sur le sujet qui a poussé le groupe du Comité éthique à l’inclure.

Au mois de mai, ce sera les vingt ans de la mort de Capucine. Sans trêve, sa mère sillonne la France pour présenter Que reste-t-il de nos erreurs dans l’espoir que les choses changent vraiment au royaume de la médecine toute-puissante. « J’ai comme l’impression que ça boucle mon histoire. Cela lui donne du sens », conclut Dominique Davous.

TABOU, CULPABILITÉ ET VULNÉRABILITÉ

Nicolas, Raphaël et Capucine sont trois enfants qui ont eu à subir les conséquences, plus ou moins terribles, d’erreurs médicales au cours de leurs traitements. Parfois même deux fois, comme Raphaël. Dès le préambule du film, l’infirmière Élise Nédellec témoigne : « Quand je pense erreur, je pense à l’erreur que j’ai faite, qui est une erreur infirmière. » Le ton est donné. Et les médecins interviewés de surenchérir tour à tour : « Il s’agit d’un sujet complexe, tabou et douloureux. » « L’erreur, c’est la confrontation à notre propre vulnérabilité. » « Les erreurs, c’est rarement un individu. Une procédure médicale, c’est une chaîne. » Ce à quoi les paroles d’Élise font écho : « Je me suis soudainement rendu compte qu’on peut ôter la vie sur une erreur, anéantir à jamais une famille. »

Pour Nicolas, 14 ans, il n’est rien arrivé de dramatique, mais cela aurait pu être le cas. C’est lui-même qui a commencé à avoir des doutes en constatant que ses poches de nutrition parentérale n’étaient pas toujours à son nom. Personne ne s’est vraiment posé de questions jusqu’au jour où sa mère constate que, sur la poche qu’on va lui poser, la date de péremption est dépassée. Bonne réaction de l’infirmière, qui arrête immédiatement le soin, et de la hiérarchie hospitalière, qui recherche les raisons de l’erreur sans jamais minimiser sa responsabilité. Parents et médecins témoignent les uns après les autres dans le même état d’esprit. Pas de conséquences cette fois-là.

Il n’en est pas de même pour Raphaël qui a dû subir deux erreurs médicales majeures et pour qui on ne sait toujours pas quelles en sont les conséquences réelles tant sa pathologie est complexe et les effets de l’erreur difficiles à déterminer. Une interrogation qui mine encore parents et soignants. Celle par qui le malheur est arrivé, c’est justement Élise Nédellec. Dans sa première année d’exercice, ce type d’événement a bien failli sonner le glas de sa carrière. « Je me suis dit : “Je vais finir en taule. Ma place, elle est en prison. Parce que, voilà, je ne suis même pas capable de faire bien mon métier” », confie-t-elle dans le film, assaillie par une émotion palpable.

ANNONCER CLAIREMENT L’ERREUR

Raphaël, en rémission depuis cinq mois d’une leucémie diagnostiquée alors qu’il n’avait qu’un an, a donc reçu dix fois la dose de chimiothérapie qui lui était destinée. Cette première erreur, bien que traumatisante pour ses parents, n’a pas eu de graves répercussions. Après une récidive, Raphaël change de service et d’hôpital afin de subir une greffe de moelle osseuse, puis retourne chez lui. Mais les parents, inquiets devant son manque d’appétit et de ses vomissements, s’en ouvrent à plusieurs reprises aux médecins lors des visites hebdomadaires à l’hôpital de jour, sans que rien ne soit fait pour autant. Et puis, soudain, c’est l’hospitalisation en urgence pour de graves carences vitaminiques. « Il est vrai que, assez vite après son retour à la maison, après cette deuxième sortie de l’hôpital, les parents informent les médecins du mauvais état nutritionnel de Raphaël. Cette information est répétée à chaque séance d’hôpital de jour et elle est d’ailleurs bien tracée dans l’observation médicale. Les parents répètent à chaque fois qu’il ne mange vraiment pas, de moins en moins. Parfois, il vomit même ses médicaments », admet le Dr Karima Yakouben, l’un des médecins en charge du petit garçon. Et la mère d’ajouter : « Il avait des vitamines à l’hôpital tout le temps et à la maison, il n’en avait plus, il ne mangeait plus. Cela, je l’avais signalé, mais je me suis dit que je n’étais pas médecin. On se pose des questions, j’ai alerté, mais il n’y a pas eu de réponse. » Ni d’explication claire. « Je n’enregistrais toujours pas cela objectivement comme une erreur médicale, mais davantage comme un aléa comme on en connaît aussi beaucoup. Pas comme quelque chose qu’on aurait dû faire et qui n’a pas été fait. Il y a eu cette carence qui l’a amené aux portes de la mort et il a été sauvé », se souvient le père. Un manque de communication qui n’échappe pas au médecin qui estime a posteriori qu’elle aurait dû, à ce moment-là, dire simplement « c’est une erreur médicale » et expliquer les raisons de la détérioration de l’enfant par ce fameux oubli des vitamines dans les perfusions. « Pour bien asseoir les choses et pour être plus claire encore, j’aurais dû prononcer cette phrase-là avec les parents », termine-t-elle.

LES MOYENS D’AVANCER

Au-delà des événements, parfois tragiques, tous les interlocuteurs ayant participé à ce film sont d’accord sur une chose : l’analyse soigneuse du déroulement des faits, des témoignages de chacune des personnes impliquées et de la chaîne des responsabilités qui peut apporter une amélioration notable dans la prise en charge des patients.

À l’hôpital où travaillait Élise Nédellec, les chimiothérapies sont désormais préparées par la pharmacie, de manière à ce que l’erreur qu’elle a commise ne risque plus jamais de se produire. Gageons également que l’équipe du service de greffes de moelle où a été soigné Raphaël est devenue bien plus attentive aux inquiétudes et avertissements des parents des enfants qu’elle soigne. C’est également dans cette optique que Dominique Davous a porté ce projet de film. De l’erreur médicale, sa fille, Capucine, est morte. Deux jours de suite, pendant un week-end, deux mêmes infirmières ont administré une dose en grammes d’un médicament prescrit en milligrammes, la pharmacie étant fermée. Très vite, l’état de Capucine s’aggrave considérablement. Là, s’est posée la question au sein de l’équipe soignante : « Doit-on dire la vérité aux parents sur les causes du décès de leur enfant ? » Lors de la réunion qui a précédé l’annonce, les avis étaient partagés. Le Dr Élie Haddad en témoigne dans le film puis sa diffusion : « Cette réunion m’a marqué parce que c’était à la fois une belle réunion et une difficile réunion. Une réunion très dure. Les gens n’étaient pas d’accord entre eux. Il y avait deux avis qui s’opposaient. L’avis : il faut dire à la famille ce qui s’est passé ; et l’autre avis : non, il ne faut pas dire ! Ce qu’il faut comprendre, pour que les gens ne soient pas choqués, c’est que, dans les deux cas, les tenants des différentes opinions, c’était dans l’intérêt du malade. C’est-à-dire que moi, qui étais partisan de dire, je disais : “c’est dans l’intérêt du malade, dans l’intérêt de la relation au soin et dans la vérité qu’on doit au malade, on doit lui dire. Je ne vois pas pourquoi on le lui cacherait. C’est dans l’intérêt du patient et de la famille de lui dire qu’il y a eu une erreur”. » Ce à quoi le professeur Alain Fischer ajoute : « Je pense que cacher les choses est d’abord une certaine forme de malhonnêteté intellectuelle, malhonnêteté éthique et dont les conséquences peuvent être, in fine, en tout état de cause, bien plus désastreuses. »

TOUS COUPABLES ?

S’il parle de responsabilité du service et non de responsabilité individuelle, le Dr Élie Haddad assure cependant ne pas le faire dans l’objectif de « diluer la culpabilité. Tous coupables donc pas de coupable ». C’est plutôt pour insister sur le fait que chaque membre de l’équipe, médecins comme infirmières, aurait pu commettre la faute. Et d’admettre qu’il s’est lui-même posé la question d’une éventuelle erreur sur sa prescription. Une attitude qui n’a pas fait l’unanimité chez les infirmiers de l’établissement. Ainsi, Élie Haddad raconte qu’il a été pris à partie par deux d’entre elles : « On considère que les deux collègues sont responsables du décès de Capucine, et le fait que vous ne les ayez pas punies individuellement, que vous n’ayez pas voulu les charger — entre guillemets —, ce n’est pas bien pour Capucine et pour nous, infirmières. Cela veut dire que vous ne nous respectez pas suffisamment professionnellement pour croire qu’on peut être capable de faire une erreur, et que cette erreur, on doit la payer. »

De la mort de Capucine, Dominique Davous, quant à elle, en a fait un combat et une œuvre permettant d’aider les soignants à devenir capables de porter leurs erreurs autant que leurs succès. Elle n’a jamais pu rencontrer les deux infirmières responsables, même si l’une d’elles a fini par répondre à une de ses lettres.

1 500 copies du film ont été créées. Aux dernières nouvelles, il n’en restait qu’une centaine, et le renouvellement était déjà en cours.

LES ÉVÉNEMENTS INDÉSIRABLES EN FRANCE

→ La HAS (Haute Autorité de la santé) estime que plus de 30 000 patients décèdent chaque année d’accidents médicaux en France.

→ Selon la deuxième étude Enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (Eneis), environ 900 événements indésirables graves (EIG) surviendraient chaque jour au sein des hôpitaux et cliniques de notre pays.

→ Les résultats Eneis de 2004 et de 2010 révèlent que ces événements sont « associés en partie à une pratique médicale sous-optimale, une perte de temps, une rupture dans la continuité des soins, des déviances diverses par rapport à des protocoles, des règles ou des recommandations ».

→ Une partie de ces événements seraient évitables car ils « n’auraient pas eu lieu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de leur survenue ».

→ Ce sont les actes invasifs et chirurgicaux qui sont à l’origine du plus grand nombre d’EIG, suivis par l’administration de médicaments, la pose de dispositifs médicaux implantables et enfin, les infections nosocomiales.

Les liens à consulter

• L’enquête Eneis

www.drees.sante.gouv.fr/l-enquete-nationale-sur-les-evenements-indesirables-lies,6507.html

• ARS Île-de-France, les EIG

www.ars.iledefrance.sante.fr/Evenements-Indesirables-Graves.100793.0.html

• La page de la HAS

www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1098577/fr/declaration-des-evenements-indesirables

• Apprivoiser l’absence

www.apprivoiserlabsence.com

• Cent pour sang

www.centpoursanglavie.com

• Pour obtenir une copie du film

Contacter Dominique Davous par mail : erreurlefilm@gmail.com, 18 euros, frais d’envoi compris.