Échographies : des procédures de désinfection insuffisantes ? - Objectif Soins & Management n° 223 du 01/02/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 223 du 01/02/2014

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Si l’échographie endocavitaire est devenue un acte de routine en médecine, elle n’en demeure pas moins un acte invasif avec tous les risques qu’elle comporte. Plusieurs études pointent l’insuffisance de la désinfection du matériel et les alertes se répètent. Le point sur la situation.

Il aura suffi d’une alerte en juin de l’année dernière pour remettre sur le devant de la scène une question qui taraude certains professionnels de santé depuis quelques années : pourquoi les procédures concernant la désinfection des sondes d’échographie sont-elles si peu poussées en regard du risque potentiel lié à une désinfection insuffisante ? Selon Michèle Rivasi, euro-députée à l’origine de l’alerte, plus de 30 000 hommes et femmes seraient exposés, en France, à un risque d’infections suite à un examen par voie échographique. La raison en est assez simple, selon les experts qui ont accompagné la députée : les sondes utilisées pour l’examen endocavitaire (endovaginale, endorectale ou encore transœsophagienne) seraient insuffisamment désinfectées.

Petit retour en arrière : jusqu’en 2008, la recommandation concernant la désinfection de ces sondes était de procéder à une désinfection de niveau intermédiaire entre deux patients. Consistant en l’immersion de la sonde dans une solution désinfectante, cette désinfection était, à l’époque, jugée satisfaisante d’un point de vue infectieux pour permettre la réalisation d’un acte sans risque. Petit bémol toutefois sur le terrain, puisque le Comité technique national des infections nosocomiales (CTIN) avait constaté un écart entre la mise en œuvre de la recommandation et les faits dans les cabinets de ville ou à l’hôpital, pointant du doigt une désinfection de niveau bas, qui consiste, quant à elle, à utiliser une gaine sur la sonde et de contrôler, après usage, à l’œil nu, le degré de salissure de la sonde, et le cas échéant de passer une lingette détergente.

Un an plus tard, le Haut Conseil de la santé publique(1) entérinait ces pratiques de désinfection de niveau bas en annonçant que le risque individuel de contracter une infection suite à une échographie était extrêmement faible. Tollé des associations de patients — CISS (Collectif interassociatif sur la santé) et LIEN (association d’information et d’aide aux victimes d’infection) — en tête, et des infectiologues qui ont vu d’un mauvais œil ce retour en arrière.

LES SONDES, VÉRITABLES NIDS À MICROBES ?

Des études à l’appui

D’autant que des études confirment les craintes que certains germes peuvent subsister sur les sondes. « Estimer le degré de salissure en regardant à l’œil nu une sonde est une totale hérésie, explique un infectiologue inquiet. Des mains visuellement propres peuvent tout à fait être souillées par des bactéries, et c’est souvent le cas. » Et des preuves, il en existe : des études publiées dans l’Emergency medicine Hospital(2) ou dans Plos One(3) montrent que la procédure couplant gaine et spray détergent laissait subsister le papillomavirus (dans 21 % des cas pour l’étude publiée dans EMH et 3 % pour celle de Plos One, dans une étude française, menée à Lyon). Pire, des cas de gaines perforées (8 %) ont été signalés dans une étude menée à Laval (en Mayenne) avec un taux de présence microbienne résiduelle de l’ordre de 70 % ! Selon les infectiologues à l’origine de ces études, le risque infectieux lié à l’examen échographique s’expliquerait à la fois par les gestes de pression réalisés sur la sonde et par la température corporelle (37 °C) : ces paramètres couplés pourraient être à l’origine d’une porosité des gaines, voire de leur rupture et de la transmission des pathogènes.

Et d’autres indices

Mais ces études ne sont pas les seuls indices qui alertent les professionnels de santé et les associations de patients. Car une projection mathématique réalisée par des chercheurs de l’Institut Pasteur(4) irait même jusqu’à imputer aux sondes d’échographie endocavitaires 60 infections par le VIH par an, 1 620 cas d’hépatite B, 230 d’hépatite C, près de 15 000 herpès génitaux et contamination par le papillomavirus ainsi que 36 000 contaminations par le cytomégalovirus et 4 000 infections à Chlamydia. Des cas concrets de contamination de patientes par l’hépatite C ont même été rapportés lors de programmes de fécondation in vitro, selon le Dr Sandrine Leroy, bio-statisticienne et épidémiologiste clinique au CHU de Nîmes et Montpellier, à l’origine de la projection mathématique.

UN RISQUE AVÉRÉ OU EXAGÉRÉ ?

Les sondes d’échographie seraient donc porteuses de nombreux pathogènes viraux ou bactériens, et leur utilisation lors d’examen de routine pourrait s’avérer dangereuse. Les associations de patients s’interrogent : peut-on tolérer un tel risque, alors même que certains de ces examens, comme les échographies chez la femme enceinte, n’ont d’autres visées que d’être préventives ? Peut-on laisser des patients s’exposer à ce risque, d’autant qu’il est évitable et que les procédures de désinfection existent pour éviter ce risque ? Dernier point : Le Lien s’indignait, dans un courrier de juin 2013, de « l’exposition à un risque de contamination lors de consultations de routine et pour des personnes bien portantes, d’autant plus qu’il s’agit essentiellement de virus de type MST pour lesquels les traitements sont peu efficaces, et sans marqueur spécifique, ce qui permet de ne pas différencier une contamination par voie sexuelle d’une contamination par examen échographique vaginal ». De nombreuses interrogations qui ont conduit Michèle Rivasi, euro-députée, à déposer un amendement dans la directive européenne relative à la mise en place d’un système de décontamination par les industriels fabriquant des dispositifs médicaux (cf. encadré page suivante).

Néanmoins, ces alertes n’ont pas trouvé d’écho auprès de certains professionnels de santé qui se sont, eux, inquiétés du regain de polémique sur ces sondes endocavitaires. Portés par le CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens de France), plusieurs spécialistes ont argué qu’il existait des conflits d’intérêts dans les études présentées par Michèle Rivasi (financement par des sociétés fabriquant des dispositifs de désinfection) et qu’il fallait dans ce cas s’alarmer tout autant de la désinfection des mains lors de leur utilisation pour les touchers rectaux et vaginaux.

Reste que la SFHH (Société française d’hygiène hospitalière) a alerté les pouvoirs publics sur cette question par un courrier adressé à la DGOS (Direction générale de l’offre de soins) et a émis une note d’utilisation des lingettes en fin d’année dernière, preuve que la question agite le milieu. Et ces mêmes professionnels (CNGOF et signataires de la lettre ouverte “sondes d’échographie contaminées : de quel risque parle-t-on »”) ont estimé de leur côté que « la situation actuelle [imposait] que le processus global de sécurisation de l’examen, incluant les procédures de désinfection et de manipulation des dispositifs, soit réévalué » par des études indépendantes. Quelles seront les réponses apportées par les pouvoirs publics s’ils se saisissent de cette question ? Les sondes d’échographie seront-elles le prochain scandale sanitaire ?

NOTES

(1) tinyurl.com/qyfrjwk

(2) tinyurl.com/ncshwbh

(3) tinyurl.com/nogk87a

(4) Journal of Hospital Infection 83 (2013) 99-106

Le cas des lingettes désinfectantes

Puisque le sujet divise, la SFHH a émis en fin d’année une note technique sur l’utilisation de lingettes de désinfection.

Si la société savante salue la praticité de ce type de produits, elle en souligne aussi le risque lors de l’utilisation : celui de la banalisation de l’acte de désinfection, y compris lorsque le risque est élevé. Ces lingettes ne permettent pas, selon la SFHH, de garantir une maîtrise complète du traitement, absolument requise pour les dispositifs invasifs au vu du risque infectieux associé. Elle conclut tout de même que les indications des lingettes sont prévues pour la désinfection entre deux patients des sondes d’échographie endocavitaires, des sondes d’échographie transœsophagienne (ETO) et des nasofibroscopes munis d’une gaine de protection adaptée et à usage unique, sous réserve de l’intégrité de la gaine et de l’absence de souillures au retrait de la gaine.

Note à retrouver sur le site de la SFHH : tinyurl.com/po6zsw7

La France, l’UE et les autres…

→ Allemagne, Australie, Espagne, Suisse, Amérique du Nord, Turquie, tous préconisent et pratiquent la désinfection de niveau intermédiaire pour les sondes d’échographie endocavitaires. Celle-ci consiste soit à plonger la sonde dans une solution désinfectante, soit à l’exposer à des rayons ultra-violets après chaque utilisation. Tous les pays d’Europe ne s’accordent pas sur les procédures de désinfection à mener après utilisation d’une sonde endocavitaire.

→ Cela pourrait être l’objet de discussions puisque la Commission européenne mène une consultation publique sur la sécurité des patients et la qualité des soins. Les questions portent notamment sur les mesures de sécurité des patients incluses dans la recommandation du Conseil du 9 juin 2009* relative à la sécurité des patients, y compris la prévention et le contrôle des infections associées aux soins de santé et de voir si celles-ci sont suffisantes. Réponse au printemps puisque la consultation court jusqu’au 28 février 2014 à travers les États membres.

* À lire sur nosobase.chu-lyon.fr/recommandations/R_Europe2009.pdf