Objectif Soins n° 223 du 01/02/2014

 

Ressources humaines

Au-delà du salaire et des avantages monétaires, la reconnaissance au travail peut prendre des formes très diversifiées. À leur niveau, si les cadres de santé ont en charge de développer des marques de reconnaissance à leurs équipes, ils sont eux-mêmes peu reconnus pour leur contribution au bon fonctionnement des services. En cause, une position intermédiaire et un manque de visibilité de leurs fonctions.

D’un simple “merci” à l’attente d’une prime ou d’une augmentation de salaire, la reconnaissance au travail peut s’exprimer sous diverses formes (lire encadré p.29). Si le concept n’est pas facile à définir, deux points semblent pourtant bien établis.

D’une part, l’absence de reconnaissance engendre des souffrances pour les salariés qui ne peuvent être ignorées par les managers. Dans l’enquête sur “Le bien-être et la motivation des salariés français” du Baromètre Ipsos/Edenred 2011, le manque de reconnaissance apparaît comme le « premier facteur de démotivation ». Pour les spécialistes, il a un impact direct sur l’absentéisme et le désengagement au travail, voire les démissions. L’autre point avéré étant que l’acte de reconnaissance doit avoir « un visage humain ». C’est avant tout une question de rapports humains, de communication et d’interactions au sein des relations professionnelles.

SALAIRE ET RÉMUNÉRATION

Le salaire est le premier niveau de reconnaissance du travail, à condition qu’il réponde à des considérations de justice et d’équité. Pour cela, il doit être le même pour tous les salariés employés au même poste, et être perçu comme une juste rétribution de l’effort fourni.

Les augmentations de salaire ou les primes sont perçues comme une marque de reconnaissance par certains salariés, quand d’autres n’y voient qu’une rétribution normale de leur implication, considérée comme un dû. La rémunération englobe le salaire et les autres avantages sociaux proposés par l’employeur (possibilités d’aménager ponctuellement ses horaires, accès à la formation…).

Alors que le salaire répond à la logique du “donnant-donnant” et prévoit une rétribution donnée en contrepartie d’une contribution bien définie, la rémunération relève plutôt du “don/contre-don”, inhérente aux relations amicales ou sociales. Ici, la contrepartie réciproque du don est incertaine. Elle est espérée, mais reste tacite. C’est le cas lorsque l’employeur favorise l’accès à des formations sans être sûr que le salarié restera dans l’établissement.

Dans le don/contre-don, il y a une confiance faite à l’autre qui reste libre d’agir en contrepartie ou pas. Cette confiance marque la reconnaissance que l’autre est capable de tenir sa place dans l’échange. Le donnant-donnant ne laissant pas de place à cette confiance.

LES RECONNAISSANCES NON MONÉTAIRES

Le management

Plusieurs aspects de la relation professionnelle sont considérés comme des marques de reconnaissance au travail si les échanges, la coopération et la confiance y sont favorisés. Au CHU de Dijon, où une démarche sur la reconnaissance au travail a été développée en 2011 (lire encadré ci-contre), Frédéric Robinet, cadre supérieur du pôle de gériatrie, évoque « des moments destinés à réfléchir au travail tel qu’il est effectué avec les personnels du terrain, y compris en les organisant d’une façon agréable, mêlant convivialité et réflexion professionnelle ».

Le manager cite par exemple « un travail sur la proximité avec les personnels de nuit qui sont par définition plus isolés ». Des réunions régulières à des moments adaptés pour les agents en horaires décalés ont permis de faire le point, de réguler les éventuelles difficultés et d’entendre les propositions de ceux qui sont sur le terrain. « C’était un secteur en grosse difficulté. Aujourd’hui la situation n’a plus rien à voir, surtout en termes d’énergie consommée pour résoudre les problèmes », observe Frédéric Robinet. Autre exemple, des “formations modulaires” courtes qui permettent à tout professionnel ou à toute équipe développant un projet de pouvoir le présenter à leurs collègues. « Ces formations valorisent l’expérience de chacun et permettent de donner du sens à nos pratiques », explique le cadre sup’. Résultat, le taux d’absentéisme a baissé de façon significative (3 %) sur le pôle, notamment dans les catégories de personnels les plus affectés.

Le contenu du travail

« L’employeur doit poser des objectifs atteignables, voire dépassables, pour que le champ de compétence du salarié ait du sens et ne se limite pas simplement à un rôle d’exécutant », fait remarquer Christèle Pierre(1), chargée de mission auprès de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Le salarié doit ainsi bénéficier d’un pouvoir d’agir et des ressources nécessaires pour le faire (matériel, informations…). Son activité doit aussi être sécurisée, et il revient au supérieur hiérarchique de préciser les fonctions et les responsabilités de chacun. En cas de situation conflictuelle, le salarié doit savoir vers qui se tourner, et selon quelle procédure. En cela, les moments de transitions professionnelles sont des situations auxquelles le manager doit prêter attention. « La démarche du CHU de Dijon s’est déroulée en pleine période de restructuration du pôle. Il fallait intégrer quatre nouveaux cadres », rapporte Cécile Pérez, cadre supérieur du pôle des pathologies médicales. « Les outils mis en place dans le cadre de la reconnaissance au travail ont concrètement facilité l’intégration des nouveaux arrivants. Ils nous ont permis de poser nos valeurs et de créer un “groupe cadres” dynamique et homogène. » Lors des mutations, « la mise en place d’un système de tutorat par un “ancien” favorise le “travailler ensemble”, et marque la reconnaissance de la situation du nouvel arrivant », explique Christèle Pierre, pour qui « même la critique d’une action mal accomplie peut entrer dans le cadre de la reconnaissance selon la place qu’on donne à l’erreur dans le travail ». Dans le cas où l’erreur est perçue comme un motif de progression, elle participe alors à la sécurisation du travail si les informations nécessaires sont données pour que cette erreur ne se reproduise pas.

LES CADRES DE SANTÉ SONT MAL LOTIS

À l’interface d’intérêts divergents

En théorie, du fait de leur position intermédiaire, les cadres de santé peuvent attendre des marques de reconnaissance tant de la part des médecins, des supérieurs hiérarchiques que de l’équipe soignante. En fait, comme le montre Laure Bizot(2), le cadre de santé se situe « à l’interface entre trois pouvoirs (direction, soignants, médecins), partagés entre ceux-ci par la divergence de leurs intérêts respectifs »(3). Du coup, le cadre de santé ne recevrait que rarement, « pour ainsi dire jamais, de démonstrations de reconnaissance à la fois des médecins, des supérieurs hiérarchiques et de l’équipe soignante ». Pour ne recevoir de reconnaissance que des personnes dont il est le plus proche dans son travail au quotidien.

Un territoire d’action éclaté

Le cadre de santé partage son quotidien dans des lieux différents selon qu’il intervient auprès des médecins, des soignants, ou qu’il est retenu devant son ordinateur pour gérer une “paperasse” importante. Si bien que la plupart de ses collaborateurs ne savent pas toujours où il se trouve, ce qui entraîne une sorte d’“invisibilité physique” qui ajoute à la méconnaissance de son travail. La reconnaissance des patients dont il est souvent éloigné est rarement destinée au cadre, sauf peut-être dans le secteur médicosocial où celui-ci est plus souvent en contact avec les résidents et leur famille. Quant au supérieur hiérarchique, le mieux à même de connaître l’activité du cadre de santé, il n’attribuera de reconnaissance qu’à condition d’être dans une relation de confiance avec celui-ci. « Les marques de reconnaissance les plus fortes sont celles liées à la confiance que me fait ma hiérarchie et qui me procure une liberté d’action et d’initiative », confirme Frédéric Robinet.

Une fonction mal connue

« La définition du contenu concret du travail des cadres hospitaliers, du point de vue des cadres eux-mêmes, de celles et ceux qu’ils encadrent et de leurs supérieurs hiérarchiques, est compliquée, incertaine et peu affirmée », relève le Rapport de la mission cadres hospitaliers présenté par Chantal de Singly(4). Outre qu’une définition claire des tâches est en soi une marque de reconnaissance de la fonction de tout salarié, cette situation aux contours mal définis empêche les différents collaborateurs d’apprécier clairement les investissements du cadre de santé. De plus, leur activité d’encadrement n’est pas clairement distinguée des métiers d’origine dont les cadres sont issus, tant au niveau statutaire que sur le plan de la formation, ou encore du point de vue symbolique. Et il n’est pas rare d’entendre certains collaborateurs dire que l’activité du cadre repose majoritairement sur la tenue des plannings. « Être cadre de santé, c’est assurer du lien », note Paule Bourret dans son livre(5). L’auteur, elle-même cadre de santé, ajoute que « si le travail d’articulation est indispensable pour l’atteinte de la performance, il est peu visible, disqualifié, dénié par tous ». Résultat, les médecins, comme les soignants, ne peuvent reconnaître que leur vision parcellaire de l’activité du cadre, ignorant la partie “invisible” qui demande pourtant le plus de temps et d’efforts.

Une culture du dévouement à autrui

Encore présente en secteur médicosocial, cette culture du dévouement héritée de l’origine religieuse du métier d’infirmière contribue aussi au manque de visibilité du travail des cadres. « Là où, dans les entreprises […], les cadres mettent en avant leur statut socialement envié et enviable, les cadres hospitaliers (surtout les cadres de santé) hésitent encore aujourd’hui à se prévaloir d’un statut et des pouvoirs qu’il implique », note Chantal de Singly. Cette culture du dévouement, portée majoritairement par des femmes, s’accompagnerait d’une tendance à ne pas se mettre en avant, jusqu’à faire des choses plus ou moins bénévolement sans réclamer de récompense.

Un manque de traçabilité

Autant il est facile de noter qu’une infirmière a fait une toilette ou a administré des médicaments à un patient, autant le lien entre les interventions constantes du cadre et le fonctionnement du service est difficile à démontrer. « N’est traçable que ce qui peut se voir : des actes, des comportements, des gestes », remarque Chantal de Singly.

Recueillir des informations sur ce qui s’est passé pendant la nuit, appeler une infirmière pour la faire venir en urgence, maintenir le dialogue avec les équipes ou recueillir les informations nécessaires au sujet du cas particulièrement compliqué d’un patient ne sont pas des actes facilement quantifiables.

La face cachée des procédures

Qu’elles soient liées aux démarches qualité ou à la nécessité de se couvrir sur le plan juridique, les procédures se sont multipliées pour rendre les activités hospitalières mieux traçables et plus transparentes. Paradoxalement, ces procédures ont occasionné pour les cadres un surcroît de travail toujours aussi peu visible. Car les procédures ne peuvent pas tout prévoir. Elles sont parfois incompatibles entre elles, voire inapplicables directement dans certaines situations.

Ceci oblige les cadres de santé à passer leur temps « à rattraper les effets des procédures, leurs ratages ou insuffisances, en effectuant une sorte de travail de “retricotage” pour que le travail réel soit fait », souligne le rapport. Quand il ne s’agit pas de contredire les procédures ou de les contourner, obligeant alors le cadre à “prendre sur soi”.

UNE SOURCE DE RECONNAISSANCE POUR LES COLLABORATEURS

Dans son activité de cadre supérieur, Cécile Pérez place en premier lieu la reconnaissance des cadres de santé avec qui elle travaille en étroite collaboration, devant les reconnaissances de l’équipe médicale et de sa hiérarchie directe. « Le groupe dynamique des cadres m’apporte un soutien inconditionnel dans les situations difficiles ou les moments complexes qu’on peut traverser en tant que cadre supérieur », apprécie-t-elle. Et le fait que 50 % des cadres du pôle soient d’anciennes infirmières du même pôle est pris de facto comme une marque de reconnaissance. Quant à son rôle de manager de l’équipe soignante, le cadre de santé peut tirer le meilleur profit des diverses formes de reconnaissance au travail, tant en termes de motivation que de résultats.

NOTES

(1) Agir sur… la reconnaissance au travail, Christèle Pierre et Christian Jouvenot, Éditions de l’Anact, 2010.

(2) Laure Bizot, cadre de santé, a mené un travail de recherche sur la reconnaissance que reçoivent les cadres de santé hospitaliers dans l’exercice de leur fonction.

(3) Les cadres de santé et leur reconnaissance au travail, ouvrage collectif sous la direction de Dominique Bourgeon, Éditions Lamarre, 2012.

(4) “Rapport de la mission cadres hospitaliers” présenté par Chantal de Singly à la ministre de la Santé et des Sports, 11 septembre 2009. À consulter ou télécharger sur www.sante.gouv.fr

(5) Les cadres de santé à l’hôpital. Un travail de lien invisible, Paule Bourret, cadre de santé formatrice, Éditions Seli Arslan, 2006.

« L’entretien d’évaluation est un temps pivot de la reconnaissance »

Nous avons revalorisé ce moment d’échanges pour en faire un temps véritablement donné au salarié et non pas une entrevue entre deux portes ou deux rendez-vous. Nous l’avons étendu à tous les personnels, alors que certaines catégories étaient jusqu’alors moins concernées. Un rendez-vous est donné une semaine avant à la personne “évaluée” et un canevas de l’entretien lui est fourni pour qu’elle puisse s’y préparer et en tirer le meilleur profit. C’est l’occasion de regarder l’année écoulée, mais aussi de mettre en perspective l’année à venir. Tout agent a la possibilité de s’exprimer et de définir avec le cadre des objectifs clairs et quantifiables pour l’année à venir. La mise en place de tels entretiens qui durent au moins trois quarts d’heure demande du temps et de l’énergie, mais les bénéficiaires en retirent un grand intérêt.

3 questions à

Étienne Tournier Responsable des ressources humaines au CHU de Dijon

Qu’est-ce qui vous a amené à vous pencher sur le thème de la reconnaissance ?

En 2010, j’ai assisté à une conférence sur la reconnaissance au travail animée par Christophe Laval, PDG de VPHR (société française dédiée à la reconnaissance au travail), à l’occasion du Congrès mondial des ressources humaines. Nous avons ensuite beaucoup échangé avec Christophe Laval sur le fait que les soignants, par leur charge de travail et la pression assez forte qu’ils subissent, étaient forcément concernés par cette notion. Ainsi que sur l’intérêt pour les managers de prendre conscience que la reconnaissance est un levier privilégié qu’ils peuvent considérer à la fois comme source de performance mais aussi de qualité de vie au travail.

Comment le programme a-t-il été mis en œuvre ?

Nous avons commencé par un audit basé sur le questionnaire Karasec* qui permet de notamment d’analyser les risques psychosociaux au travail. Nous avons ainsi identifié les secteurs et les métiers qui étaient le plus en souffrance sur l’établissement. Après une première journée de sensibilisation sur le thème de la reconnaissance avec les managers de l’hôpital, nous avons constitué onze groupes en liens avec les résultats de l’audit (par métier et par secteur). Chaque groupe a formulé des propositions pour améliorer la reconnaissance au travail dans son cadre d’activité, parmi lesquelles les participants ont eux-mêmes priorisé trois idées principales. Toutes les propositions qui entraient en cohérence avec le projet social de l’établissement ont été mises en place.

En quoi cette démarche contribue-t-elle à une meilleure reconnaissance ?

La constitution de groupes d’échanges se situait au cœur de notre démarche. Les participants ont pris conscience qu’il existait déjà des éléments de reconnaissance dans leur environnement de travail et que certaines choses dépendaient d’eux-mêmes. Ils se sont exprimés et leur avis a été pris en compte. En priorisant eux-mêmes leurs propositions, leur perception de la reconnaissance au travail a évolué. Tout cela a favorisé le processus de mobilisation de chacun.

* Le questionnaire de Karasek (sociologue américain) évalue trois dimensions de l’environnement psychosocial au travail : la demande psychologique, la latitude décisionnelle et le soutien social.

Diverses formes de reconnaissance*

→ LA RECONNAISSANCE EXISTENTIELLE

Elle s’intéresse aux personnes en tant qu’êtres singuliers. Elle porte sur l’individu et non sur l’employé. Elle renforce l’impression d’exister en respectant l’intégrité et les identités de chacun, et donne au salarié le sentiment que ses besoins propres sont pris en considération.

→ LA RECONNAISSANCE DES RÉSULTATS DU TRAVAIL

Elle concerne le rendement et la contribution de chacun à l’atteinte des objectifs. Elle est souvent concrétisée de manière formelle (prime, augmentation, etc.). Elle reconnaît la contribution de chacun et favorise un sentiment d’utilité et d’efficacité.

→ LA RECONNAISSANCE DE LA PRATIQUE DE TRAVAIL

Elle porte sur la manière d’exécuter le travail qui englobe les comportements, les compétences et les qualités professionnelles du salarié. Elle procure un sentiment d’estime en rapport avec son expertise, ses compétences et ses qualités professionnelles.

→ LA RECONNAISSANCE DE L’INVESTISSEMENT DANS LE TRAVAIL

Elle souligne la participation et la contribution du salarié en termes d’efforts consentis et d’énergie déployée, indépendamment des résultats. Cette reconnaissance prend en compte les motivations et les difficultés des salariés, sachant que ces derniers peuvent redoubler d’efforts sans que les résultats ne suivent.

* D’après “La reconnaissance au travail : des pratiques à visage humain”, Jean-Pierre Brun, professeur en gestion de la santé et de la sécurité du travail à l’Université de Laval (Québec). À consulter ou télécharger sur www.jeanpierrebrun.com