Don du sang et hémovigilance - Objectif Soins & Management n° 224 du 01/03/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 224 du 01/03/2014

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Ce n’est pour l’instant qu’un projet de décret, mais l’idée pourrait faire son chemin : confier aux infirmières la réalisation des entretiens préalables au don du sang. Si l’idée a déjà fait l’objet d’une petite expérimentation, elle pourrait bientôt revenir avec un nouvel épisode, étendu cette fois-ci à l’ensemble des établissements.

C’est un décret qui n’est encore, pour le moment, qu’à l’état de projet, même s’il a déjà obtenu l’approbation du Haut Conseil des professions paramédicales. Il pourrait alors voir confier aux infirmières diplômées d’État, sous réserve de trois ans d’expérience en collecte, la réalisation de l’entretien préalable au don du sang (cf. encadré page ci-contre).

UN PROJET AMBITIEUX

Ce projet de décret viendrait modifier la partie réglementaire relative au sang humain du Code de santé publique (ou décret sang). Plus précisément, « ce texte a pour objet l’adaptation de la réglementation à la loi HPST du 21 juillet 2009 et à celle de la biologie médicale du 30 mai 2013 ; il vise aussi à réviser le dispositif d’hémovigilance », explique la sous-direction de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins de la Direction générale de la santé (DGS).

Des infirmières en entretien ?

Dans ce décret, de nouvelles missions pourraient donc incomber aux infirmières avec la réalisation des entretiens pré-don jusqu’alors réalisés juste par les médecins. Une action qui poursuit « l’objectif de valoriser les personnels infirmiers de l’Établissement français du sang (EFS) par l’exercice de nouvelles responsabilités tout en s’inscrivant dans un mouvement généralisé de développement de la coopération entre professionnels prescripteurs et professionnels prescrits », justifie la DGS. En ligne de mire, une meilleure qualité des soins et un décloisonnement des pratiques. Mais aussi un moyen de pallier certains problèmes de démographie médicale…

Le rôle des CME renforcé

Du côté de l’hémovigilance, ce projet de décret instaure une réorganisation des instances de surveillance. Ainsi, les instances collégiales spécifiques d’hémovigilance des établissements de santé et les compétences de ces instances sont transférées aux instances collégiales uniques créées par la loi HPST, à savoir les Commissions médicales d’établissement (CME) pour les établissements de santé publics et les conférences médicales d’établissement pour les établissements privés. Si ce décret voit le jour, les CME verraient donc leur rôle intensifié et contribueraient « par leurs études et leurs propositions à l’amélioration de la sécurité des patients transfusés ». Elles seraient également informées de toutes les informations post-don, des incidents graves et autres effets indésirables pour concevoir des actions correctives. Chacune de ces CME devrait établir un programme de formation en sécurité transfusionnelle et élaborer un bilan annuel de l’hémovigilance. Elles auraient également la possibilité de saisir le coordonnateur régional d’hémovigilance et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour toute question sur l’hémovigilance. Enfin, pour les établissements ne pratiquant pas de transfusion, des conventions pourraient être passées avec des établissements proches qui en pratiquent pour désigner un correspondant d’hémovigilance commun.

UNE EXPÉRIMENTATION INFIRMIÈRE SOUS CONTRÔLE

Les nouvelles attributions revenant aux infirmières concernant l’entretien pré-don verraient le jour sous la forme d’une expérimentation de deux ans, avec remise d’un rapport d’évaluation au ministère de la Santé et à l’ANSM dans un délai de dix-huit mois après la mise en œuvre de l’opération : l’occasion de proroger ou d’interrompre le dispositif ainsi entamé, selon les résultats primairement obtenus. Rappelons qu’en 2011, l’Inspection générale des affaires sociales avait publié des recommandations(1) suite au décès d’une patiente, donneuse de plasma, à Lyon (2009), et que ce décret intègre certaines d’entre elles. Sur le terrain, ce nouveau dispositif serait mis en place autour de conditions strictes : même si les infirmières étaient les opératrices de ces entretiens pré-don, un médecin serait toujours présent sur place, afin de jauger les cas suscitant une appréciation particulière après questionnaire médical ou lorsque le candidat au don se verrait opposer une contre-indication qu’il ne comprendrait pas ; les entretiens des primo-donneurs resteraient à la charge de ce médecin. Côté infirmier, il faudra justifier d’au moins trois ans d’expérience dans le don du sang et suivre une formation complémentaire intégrant à la fois la théorie (deux semaines) et la pratique. Pour valider le tout, l’infirmier devra assister à cinquante entretiens avec un médecin, avant de mener de son côté cinquante autres entretiens en présence d’un médecin. Cette disposition réglementaire rejoindrait, comme l’explique la DGS, la directive européenne 2004/33/CE qui permet de confier à des personnels de santé non médicaux la réalisation de certains entretiens pré-don. Le fait de confier à des infirmières la gestion de l’entretien pré-don n’est pas tout à fait une première puisque, courant 2007, trois établissements de transfusion sanguine (Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Atlantique et Pays de la Loire) avaient mené une expérience de ce type sur un ensemble de binômes infirmière/médecin identifié, mais les effectifs (six binômes) trop faibles n’avaient pas permis de tirer de conclusions exploitables (effectifs faibles, car difficulté à réunir les mêmes binômes). La Haute Autorité de santé avait toutefois estimé dans un rapport que l’entretien pré-don infirmier était tout à fait pertinent(2) ; il n’y avait aucune différence significative entre les décisions des médecins et celles des infirmières, ni de réactions particulières des patients face à l’entretien pré-don. Tout au plus, les infirmières procédaient à des contre-indications moins précises. Côté calendrier, ce projet de décret est actuellement en cours d’examen en Conseil d’État et pourrait voir le jour au printemps, indique la sous-direction de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins de la DGS. Un délai de six mois serait ensuite laissé à l’EFS pour mettre en œuvre ce dispositif expérimental. Plus d’attributions pour les infirmières et les CME ? À suivre.

Le don du sang en chiffres

Plus de 10 000 dons sont nécessaires chaque jour pour couvrir la demande : soit quasiment vingt dons par minute, d’où l’importance du prélèvement. Grâce à ces dons, près d’un million de patients sont soignés. Une étude récente, publiée par l’EFS, fait un état des lieux de la population des receveurs de produits sanguins. Si les produits sanguins (dits “labiles”) issus du don de sang permettent de soigner des malades atteints de pathologies lourdes, ce sont les pathologies hématologiques et cancérologiques qui demeurent les plus fréquentes avec 46,5 % des patients transfusés ; certaines maladies du sang nécessitent également des soins et des traitements à long terme. Des chiffres communiqués en début d’année par l’EFS font état de 1,7 million de donneurs en France en 2012 pour un total de 3 millions de dons. Les établissements de transfusion sanguine restent plus que jamais mobilisés, rappelant notamment que la durée de vie des produits sanguins est courte : 42 jours pour les globules rouges, 5 jours pour les plaquettes.

L’entretien préalable au don

Chaque donneur potentiel est vu par un médecin pour s’assurer qu’il peut donner son sang sans conséquence pour lui-même ou pour les malades qui recevront les produits issus de son don. Le médecin dresse un bilan de l’état de santé du donneur et de ses antécédents médicaux, certains de ces derniers pouvant être source de contre-indications au don. Pour garantir une qualité optimale aux produits sanguins, des mesures de sécurité sanitaire sont respectées afin de réduire au maximum les risques de transmission d’agents infectieux aux malades qui ont besoin de ces produits sanguins. Chaque patient doit remplir un questionnaire renseignant notamment son état de santé au moment du don et tout autre renseignement relatif à sa santé. Le médecin évalue la fenêtre sérologique, période entre le moment où un donneur a pu être en contact avec un virus ou une bactérie et celui où la maladie est décelable par les tests. De cette fenêtre peut dépendre le don.

Source : d’après l’Établissement français du sang.