L’endométriose - Objectif Soins & Management n° 224 du 01/03/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 224 du 01/03/2014

 

Promotion de la santé

Nathalie Belin  

L’endométriose, maladie invalidante, est à l’origine d’une symptomatologie douleureuse et parfois d’une infertilité. Elle est encore diagnostiquée avec un retard moyen de cinq à sept ans. Or on sait aujourd’hui qu’une prise en charge précoce limite son évolution.

L’endométriose se définit par la présence de tissu endométrial (muqueuse tapissant la cavité utérine) en dehors de la cavité utérine. Comme l’endomètre, ces foyers de muqueuse utérine sont sous l’influence des fluctuations hormonales : ils saignent et provoquent une réaction inflammatoire locale à chaque menstruation. La maladie peut ainsi considérablement altérer la qualité de vie en provoquant des douleurs invalidantes et souvent une infertilité. Sa prévalence est probablement sous-estimée. On estime que la maladie atteint entre 5 et 15 % des femmes en âge de procréer. Son origine, multifactorielle, est imparfaitement connue. Outre une prédisposition familiale et génétique, des facteurs immunitaires et environnementaux pourraient entrer en jeu. Une puberté précoce (avant 12 ans), un flux menstruel abondant ou plus fréquent (cycles courts de moins de 28 jours, règles abondantes et se prolongeant plus de 7 jours) sont souvent associés à une endométriose. Il semble que la maladie soit plus fréquente chez les femmes de race blanche ayant un niveau socio-économique élevée, mais ceci pourrait être dû à un biais de recrutement, car ces dernières consultent plus facilement.

DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ATTEINTE

Différentes localisations des foyers endométriosiques sont possibles et peuvent coexister. On distingue :

• des localisations superficielles sous la forme d’implants qui peuvent atteindre les trompes, le cul de sac de Douglas ou encore les ligaments utéro-sacrés. À la longue, ces implants peuvent provoquer des adhérences entre les organes ;

• l’endométriose ovarienne ou kyste endométriosique ou encore endométriome ;

• l’endométriose profonde (ou sous-péritonéale) lorsque les lésions infiltrent en profondeur le péritoine et/ou la paroi des organes abdominaux ou pelviens : vessie, ligaments utéro-sacrés, rectum, vagin, intestin.

Des localisations cutanées, pulmonaires ou diaphragmatiques sont observées et de façon exceptionnelle cérébrales. L’adénomyose est une “forme particulière” d’endométriose. Elle correspond à la présence de tissu endométriosique à l’intérieur même du muscle utérin (ou myomètre). Elle apparaît plutôt après 30 ans et peut être associée à une endométriose. Son traitement est médical (visant à obtenir une aménorrhée comme pour l’endométriose) et/ou chirurgical.

LES SIGNES CLINIQUES

Il existe des formes asymptomatiques, découvertes de manière fortuite, mais, souvent, l’endométriose est à l’origine d’une symptomatologie douloureuse et/ou d’une infertilité.

Les douleurs

L’endométriose est à l’origine de douleurs pelviennes chroniques, d’une dyspareunie profonde (douleur au fond du vagin durant les rapports sexuels) et de dysménorrhées (règles douloureuses).

Les dysménorrhées surviennent dès les premières menstruations chez l’adolescente et vont en s’aggravant. Elles aboutissent à la prescription d’antalgiques ou d’une pilule qui améliore souvent les symptômes. Les douleurs sont corrélées à la localisation des lésions et à leur infiltration en profondeur : une dysurie, des douleurs lors de la défécation ou des troubles du transit peuvent ainsi être présents. Ces douleurs sont à l’origine d’une fatigue et peuvent altérer de façon importante la qualité de vie.

L’infertilité

Un tiers des femmes consultant pour infertilité ont des lésions d’endométriose. Le fonctionnement de l’ovaire peut être entravé par des kystes ovariens (endométriomes). Les îlots d’endomètres ectopiques ou les adhérences modifient les rapports entre le pavillon, la trompe et l’ovaire, provoquant des anomalies de la fécondation.

L’ÉVOLUTION

Très invalidante pour les femmes qui en sont affectées, l’endométriose reste néanmoins une maladie bénigne. Elle affecte la femme en période d’activité génitale. Les symptômes s’atténuent au cours de la ménopause et de la grossesse. Après la grossesse, l’endométriose récidive lors de la reprise des cycles menstruels. Au cours de la ménopause, la maladie peut être réactivée par un traitement hormonal de substitution.

La maladie apparaît à l’adolescence, dès les premières règles, et son évolution reste imprévisible. Chez certaines patientes, les lésions stagnent, voire parfois régressent, chez d’autres, elles s’aggravent avec le temps, et ce, plus ou moins rapidement en l’absence d’une prise en charge adaptée. Ainsi, à 22 ans, une patiente peut être diagnostiquée à un stade sévère (stade IV) alors qu’une autre aura une endométriose légère à 40 ans.

LES ÉLÉMENTS DE DIAGNOSTIC

Le diagnostic est souvent posé avec retard car la douleur décrite est banalisée par l’entourage tout comme par les professionnels de santé. Souvent, la maladie est diagnostiquée au décours d’un bilan d’infertilité. Lorsqu’on interroge les femmes, on s’aperçoit qu’elles ont toujours eu des douleurs pendant les règles.

Examen clinique

L’examen gynécologique recherche des nodules ou de petits kystes. À la palpation, un utérus douloureux fait évoquer une adénomyose. Le toucher vaginal peut mettre en évidence un kyste ovarien ou une douleur reproduisant la dyspareunie.

Examens complémentaires

Ils doivent être menés par des praticiens spécialisés dans l’endométriose à qui l’on a demandé d’effectuer une telle recherche (les lésions ne faisant parfois que quelques millimètres). L’échographie pelvienne par voie endovaginale constitue l’examen d’imagerie de première ligne. En deuxième intention vient l’IRM puis éventuellement la cœlioscopie (seul examen de certitude pouvant être réalisé dans un but à la fois diagnostic et thérapeutique), discutée en fonction des lésions observées ou de la plainte de la patiente. D’autres examens sont réalisés au cas par cas (exploration des voies urinaires, coloscanner, échoendoscopie endorectale…).

Classification des stades de la maladie

Le score AFSr (score de l’American Fertility Society) définit quatre stades de gravité croissante (du stade I, endométriose légère, au stade IV, endométriose sévère) en fonction de la taille des lésions, de leur localisation, de l’importance des adhérences et du degré d’atteinte du cul de sac de Douglas.

LA PRISE EN CHARGE

Le traitement, fonction de l’âge, de la gravité des symptômes et du désir d’enfant, est médical et/ou chirurgical. L’objectif est de soulager les douleurs, de limiter l’extension de la maladie et, selon le cas, de prendre en charge un désir de grossesse. Les patientes asymptomatiques ne nécessitent aucune prise en charge particulière.

Prise en charge de la douleur

Traitement hormonal

Il vise l’obtention d’une aménorrhée pour faire régresser les lésions et la symptomatologie douloureuse. Ce traitement est forcément contraceptif (même si ce n’est pas forcément le but) et son action n’est que suspensive.

En première intention

• Les œstroprogestatifs sont employés en continu (pour ne pas provoquer d’hémorragie de privation) : patch (Evra) ou anneau (Nuvaring) ou pilules de type monophasiques (dosage en œstrogène et en progestatif fixe) plutôt que séquentielles (les dosages en œstrogène et en progestérone varient au cours de la plaquette : Adepal, Trinordiol, Phaeva, Tricilest, Qlaira…) car ces dernières induisent plus souvent des saignements (même prises en continu).

• La pilule au désogestrel (Cerazette) ou le dispositif intra-utérin au lévonorgestrel (Mirena), qui induisent le plus souvent une aménorrhée, sont également un choix possible.

• Les macroprogestatifs en continu (Luteran, Colprone…), moins bien tolérés (acné, parfois prise de poids, risque thromboembolique…), sont proposés en cas d’échec des traitements précédents. Le diénogest (Visanne), progestatif récent à action antiandrogénique, est aussi indiqué (n’ayant pas d’autorisation de mise sur le marché en tant que contraceptif, il doit être associé à une contraception mécanique).

Agonistes de l’hormone de libération de la lutéinostimuline (LH-RH)

Si, après six mois d’aménorrhée, les douleurs persistent (il s’agit souvent de dyspareunies profondes), une intervention chirurgicale est envisagée.

Les analogues ou agonistes de l’hormone de libération de la lutéinostimuline (LH-RH) sont indiqués en pré- et post-opératoires pour avoir la certitude de maintenir un état d’aménorrhée (diminution de l’inflammation des lésions en pré-opératoire et pour favoriser la cicatrisation en post-opératoire). Ces traitements induisent un état de ménopause artificielle (castration hormonale) survenant environ quinze jours après le début de leur administration : leuproréline (Enantone), nafaréline (Synarel par voie nasale, triptoréline (Décapeptyl, Gonapeptyl). En raison du risque de perte osseuse, le traitement est limité à six mois (un an pour la leuproréline) et ne doit pas être renouvelé. Après trois mois de traitement, une hormonothérapie de substitution (add-back therapy) est instaurée : elle consiste en l’administration de faibles doses d’œstrogènes visant à limiter les effets indésirables liés à la castration sans stimuler les foyers endométriosiques. En relais de l’analogue, un traitement hormonal visant à conserver une aménorrhée est indiqué.

AINS et antalgiques

Ils sont utilisés pour limiter les douleurs durant les règles lorsque l’aménorrhée ne peut être obtenue (persistance des symptômes, désir de grossesse…). Ils sont souvent peu efficaces. Ils n’influent pas sur l’évolution de la maladie puisque les lésions sont toujours soumises à l’action des œstrogènes. Des antalgiques opioïdes faibles (codéine, tramadol), voire des antalgiques de palier 3, peuvent être nécessaires en cas de douleurs importantes.

Prise en charge de l’infertilité

Un geste chirurgical ou les techniques d’AMP, Aide médicale à la procréation (insémination artificielle, fécondation in vitro…) sont proposées au cas par cas. Entre les tentatives d’AMP ou après une grossesse, l’obtention d’un état d’aménorrhée est toujours de règle (œstroprogestatifs ou progestatifs en continu).

QUE DIRE AUX PATIENTES ?

Sur la maladie

Les lésions endométriosiques sont parfois très petites et la normalité des examens n’élimine pas le diagnostic. Il ne faut pas s’inquiéter de l’aménorrhée induite sous pilule. Les stérilets au cuivre sont déconseillés aux patientes ayant une endométriose car ils augmentent les saignements utérins et aggravent l’endométriose.

L’endométriose affecte la femme en période d’activité génitale. Les symptômes s’atténuent lors de la ménopause et de la grossesse. Après la grossesse, l’endométriose récidive lors de la reprise des cycles menstruels. Au cours de la ménopause, la maladie peut être réactivée par un traitement hormonal de substitution.

Une endométriose n’est pas nécessairement synonyme d’infertilité. Mais si celle-ci est présente, elle peut nécessiter de recourir aux techniques d’AMP aux protocoles parfois lourds. Il peut alors être bénéfique d’intégrer un groupe de soutien ou de se tourner vers les associations.

Sur les modalités de prise des traitements

AINS

Une prise aux repas ou avec une collation limite les effets indésirables digestifs.

Analogues de la LH-RH

La patiente doit bien respecter le planning des injections prescrites (toutes les quatre semaines ou tous les trois mois selon le dosage prescrit). La voie nasale (Synarel) nécessite un respect strict des doses et des horaires (administration biquotidienne). Le traitement ne doit pas être interrompu, sous peine d’inefficacité.

Sur les effets indésirables

Progestatifs et œstroprogestatifs

L’apparition d’un chloasma (masque de grossesse) est possible en cas d’exposition au soleil. Une protection (chapeau et/ou crème solaire haute protection) doit être conseillée aux femmes qui y sont sujettes. Comme pour toute contraception hormonale, une consultation en urgence s’impose devant l’apparition de signes évoquant une atteinte vasculaire : thrombose veineuse profonde (douleur, crampe, œdème inexpliqué au niveau du membre inférieur…), céphalées, troubles oculaires, etc.

Analogue de la LH-RH

Une exacerbation des symptômes peut survenir en début de traitement (phase initiale de stimulation avant la phase de castration). Des AINS peuvent être proposés durant cette période. Le traitement substitutif par œstrogène (add back therapy) atténue les effets indésirables mais ne les supprime pas complètement. Une fois commencé, ce traitement ne doit pas être stoppé, au risque de provoquer des saignements. Pour palier la sécheresse vaginale, des lubrifiants peuvent être proposés (certains à action prolongée ne s’utilisent que deux ou trois fois par semaine : Replens, Rephresh, Mucogyne…).

Après une cœlioscopie

Des ballonnements et des douleurs abdominales, irradiant parfois jusqu’à l’épaule, sont normales tant que le gaz n’est pas complètement éliminé. Inciter à recourir aux antalgiques prescrits. Une alimentation riche en fruits et légumes et une hydratation suffisante favorisent la reprise du transit. La survenue de douleurs, de saignements, de vomissements ou d’une fièvre dans les jours suivant l’intervention nécessite de contacter rapidement l’hôpital.

Deux questions à…

Isabella Chanavaz-Lacheray Gynécologue au Centre hospitalier du Belvédère, Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime)

→ POURQUOI LE DIAGNOSTIC PRÉCOCE DE LA MALADIE EST-IL SI IMPORTANT ?

Parce que l’endométriose est une maladie chronique qui nécessite une prise en charge à vie. L’aménorrhée ne va pas guérir mais suspendre l’évolution de la maladie. Et lorsqu’on intervient tôt, on peut éviter une aggravation vers des stades plus sévères. Pour cela, il faut prendre en charge les jeunes femmes dès l’adolescence. De nombreuses femmes sont incommodées le premier jour des règles, mais ce sont des douleurs supportables, qui ne nécessitent pas de recours systématique à un antalgique. En revanche, certaines situations, notamment chez les adolescentes, doivent alerter : la prise systématique d’un AINS pour des douleurs de règles (Ponstyl…) et le soulagement insuffisant de l’anti-inflammatoire, la survenue de malaises durant les règles, un absentéisme scolaire ou professionnel les deux premiers jours des règles. Autre exemple, celui d’une jeune fille récemment réglée : au-delà de douze à dix-huit mois de règles douloureuses, il faut se poser la question d’une endométriose. Toutes ces situations doivent conduire à une consultation spécialisée.

→ QUELS MESSAGES FAIRE PASSER ?

De nombreuses prescriptions se font hors AMM pour obtenir l’aménorrhée nécessaire à la stabilisation de la maladie. Ainsi, il ne faut pas s’étonner des œstroprogestatifs ou des macroprogestatifs prescrits en continu. Il faut expliquer aux femmes que l’aménorrhée induite sous pilule est nécessaire et absolument sans danger. Certaines formes rebelles peuvent justifier des cures répétées d’analogues de l’hormone de libération de la lutéinostimuline (LH-RH) pour stabiliser la maladie, mais ces situations doivent rester exceptionnelles. Quant à la chirurgie, si elle est justifiée, il ne faudrait y recourir idéalement qu’une seule fois car, à chaque geste chirurgical, on génère des adhérences qui favorisent les récidives de la maladie.

Témoignage

Yasmine, 42 ans Présidente de l’association Endofrance

« Deux messages me semblent importants : ne pas banaliser la douleur et être suivi par des médecins qui connaissent la maladie et ses conséquences. J’ai moi-même une endométriose de stade sévère, diagnostiquée tardivement alors que j’avais 22 ans. Je suis passée par tous les traitements possibles de cette maladie, divers progestatifs, quatre cures d’analogues de la l’hormone de libération de la lutéinostimuline (LH-RH), et j’ai subi huit opérations. Aujourd’hui, un tel parcours ne se voit plus, heureusement. Mais de nombreuses femmes soufrent encore parce que leur maladie est diagnostiquée à un stade trop tardif et/ou mal prise en charge. C’est pourquoi nous engageons en ce moment des démarches auprès des Autorités régionales de santé, avec l’aide de médecins spécialistes, pour la mise en place d’un projet “pilote” du centre de référence de l’endométriose qui sera basé en Haute-Normandie. Les examens complémentaires nécessaires au diagnostic comme une IRM doivent être réalisés par des médecins référents qui savent chercher et reconnaître les lésions endométriosiques. Les patientes ne sachant pas vers qui se tourner peuvent nous contacter via l’adresse mail du site de l’association (lire En savoir plus page ci-contre). »

EN SAVOIR PLUS

→ Collège national des gynécologues et obstétricien français

www.cngof.org, onglet “Documents du CNGOF”, puis “RPC : Recommandations cliniques, directives qualité et autres” et cliquer sur “Endométriose : (prise en charge (2006)”

→ Associations

– Endofrance (Association française de lutte contre l’endométriose), www.endofrance.org ; contact@endofrance.org

– Ensemble contre l’endométriose www.ensemblecontrelendometriose.fr