Ressources humaines
Les articles L.4121-1 à 3 du Code du travail, applicables à la fonction publique hospitalière, fixent à l’employeur une obligation de sécurité et de résultat en matière de protection du personnel. Selon leur statut
Les politiques publiques tendent à assimiler la psychiatrie à une discipline médicale comme une autre. Elles occultent au passage une mission spécifique dotée d’une législation spéciale. Selon l’article L.3213-1 du Code de la santé publique (CSP), des unités de soins psychiatriques spécialement habilitées accueillent des patients sur décision de police administrative. Pour ces personnes, selon les termes du législateur, « les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». Dans certains cas, l’article L.3213-2 du CSP dispose qu’il s’agit de personnes « dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes […] présentant un danger imminent pour la sûreté des personnes ».
La privation de liberté qui est exercée par l’institution est le corollaire des situations de soins sans consentement. Il s’agit d’une violence institutionnelle intrinsèque qui induit une violence de la part du patient en retour. Indépendamment du statut juridique spécifique de certains patients, le profil de certaines personnes traitées en soins libres peut aussi générer des situations de violence envers les personnes. Enfin, la présence des visiteurs et proches de patients constitue également un facteur de violence potentiel. C’est notamment le cas lors de l’accueil de détenus
Il s’agit de distinguer la manifestation violente des troubles, qui relève de la pathologie, et donc de la prise en charge médico-soignante, d’une violence institutionnelle qui se situe à la périphérie des soins. Dans les deux cas, dans des contextes à distinguer, il s’agit de protéger la sécurité des personnes et des biens. Enfin, la question essentielle concerne les moyens humains à mettre en œuvre.
La psychologue Pascale Molinier
À propos de la psychiatrie, face à la violence, la division sexuée du travail est historique. Une forte féminisation des équipes de psychiatrie est intervenue, voyant la présence féminine passer de 60 % à 90 % depuis 1992. Cependant, la persistance culturelle d’une approche sexuée impacte toujours lourdement l’identité infirmière en psychiatrie.
Parallèlement, les hospitalisations sans consentement ont augmenté de 57 % entre 1988 et 1998, selon le rapport Piel-Roelandt de 2001, et le nombre de lits a baissé. Ceci a contribué à concentrer les cas les plus difficiles à l’hôpital. Les rares personnels soignants masculins se trouvent d’autant plus souvent confrontés aux situations qui impliquent l’usage de la force physique. Il s’agit bien d’une véritable problématique identitaire soignante. En effet, les soignants hommes supportent, de manière plus ou moins implicite, une responsabilité spécifique comme garants de la sécurité des personnes au sens large, c’est-à-dire des patients et des collègues.
Une mesure d’ordre interne prise par le chef d’établissement permet l’affectation des agents selon la volonté de l’autorité hiérarchique. Ceci a été reconnu par le Conseil d’État
Selon la jurisprudence du Conseil d’État
En France, l’organisation du travail repose sur une norme constitutionnelle consacrant l’égalité
Le droit de l’Union européenne s’impose en droit interne et définit la “discrimination” comme la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable, en raison de son sexe. Elle est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait en situation comparable. Elle se définit également comme la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre, désavantagerait des personnes d’un sexe, par rapport à des personnes de l’autre sexe
L’hypothèse selon laquelle la sécurité générale reposerait sur la présence de personnel soignant masculin nécessite un examen concret. L’exigence d’une présence minimale de ces personnels masculins, dans certains services de psychiatrie publique, induirait de fait une gestion particulière de leur tableau de service. Ces personnels, peu nombreux, seraient assujettis à des contraintes particulières liées à un impératif de sécurité, auxquelles ne sont pas soumises les femmes. Leur rythme de travail s’en trouverait donc particulièrement perturbé et contraignant. De plus, la mobilité de ce personnel serait affectée, puisqu’ils se verraient opposer le fait d’être un personnel masculin, ceci ne leur permettant pas de postuler pour une autre affectation éventuelle. Selon les termes de la législation, l’organisation spécifique induirait à leur égard une situation moins favorable que pour le personnel féminin dans une situation comparable. Si, par hypothèse, le rythme de travail était respecté, comme le respect des compétences à diplôme égal, on entérinerait dans les faits une activité “sexuée” pour les hommes, plus orientée de fait vers la sécurité. Il faut enfin souligner que le personnel masculin ne bénéficie d’aucune contrepartie statutaire, sous aucune forme, prenant en compte ces contraintes spécifiques.
Le bilan des violences en milieu hospitalier montre que les services de psychiatrie sont surreprésentés dans les violences déclarées. Ils représentent le quart des faits signalés. Précisément, 73 % des atteintes aux personnes signalées sont des coups portés, et 13 % représentent des menaces
La mixité des équipes de soin de psychiatrie est recommandée pour une meilleure prise en charge thérapeutique. Pour autant, il n’est pas certain que cette mixité puisse, dans tous les cas, répondre à des exigences de protection de la sécurité des personnes. Cela est d’autant plus vrai que la psychiatrie n’est plus celle d’hier. Elle est organisée avec une prédominance de personnel soignant féminin. L’état actuel des effectifs soignants fait désormais apparaître une disproportion majeure, le personnel masculin étant très largement minoritaire.
Évidemment, il appartient toujours aux soignants d’assurer la sécurité des soins, dans certaines limites. En revanche, la singularité de certains troubles psychiatriques, générateurs de violence directe ou par le biais de tiers, impose de définir des limites claires aux prérogatives des soignants. Se pose alors la question de savoir s’il appartient aux personnels soignants de gérer, dans tous les cas, des situations de risque pour la sûreté des personnes. Celles-ci peuvent intéresser les patients, mais également leur entourage et les autres usagers. La gestion de ces situations semblerait plutôt dépendre du maintien de l’ordre public interne à l’établissement. En termes de solutions, indépendamment des mesures de sécurité passive, le bilan national met en évidence « l’importance d’une présence d’une équipe de sécurité effective et bien formée ». C’est l’option qu’ont choisi plusieurs établissements d’Île-de-France
L’institution est donc confrontée à un choix entre deux options. Dans un premier cas, elle attribue aux soignants hommes le rôle de garant de la sécurité des personnes, contestable à la fois sur le plan éthique et légal. Dans ce cas, ceux-ci devraient être au minimum dédommagés. Une autre hypothèse consisterait à rechercher une solution institutionnelle qui prenne en compte la réalité démographique incontournable en faveur d’une féminisation massive.
Ceci implique alors la nécessité de dissocier les fonctions de sécurité des soins des fonctions de sécurité des biens et des personnes, qui relèvent de l’ordre public interne à l’établissement. En supposant qu’elle soit retenue, une organisation “sexuée” devrait s’affranchir des principes juridiques de non-discrimination et des décrets de compétence. En effet, les personnels soignants masculins se verraient conférer une mission de protection des biens et des personnes, tant vis-à-vis des patients que de leurs collègues féminins. Si cette hypothèse était retenue, cela passerait par une ré-affectation globale des moyens humains masculins.
En définitive, quelles que soient les solutions retenues, une organisation répondant aux exigences de sécurité nécessite une décision explicite du chef d’établissement. La question relative à une pratique discriminatoire au détriment de personnels soignants masculins est cependant omniprésente. Elle peut prendre deux formes.
La première mettrait en jeu les rythmes de travail de certains personnels et la seconde les projets professionnels. De plus, les personnels soignants masculins ne souscrivent pas du tout à cette vision sexuée de leur métier. Le risque consiste, à terme, en la fuite de ces personnels, hors d’une institution qui leur assigne une fonction subjective dans laquelle ils ne se reconnaîtraient pas.
Une deuxième question essentielle, conséquence de la première, est relative aux compétences professionnelles spécifiques à mettre en jeu, en matière de sécurité des personnes. L’hypothèse visant à privilégier la sécurité des personnes, par l’intermédiaire d’une organisation spécifique des personnels soignants masculins plus ou moins explicite, s’avère très risquée.
Ce risque existe à la fois du point de vue juridique et de la gestion des compétences. Le risque d’illégalité lié à la discrimination est manifeste. Quant au risque lié aux compétences, il était prévisible et devient objectif.
(1) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 11, JORF du 14 juillet 1983, p.2174.
(2) L’hospitalisation sans consentement des détenus atteints de troubles mentaux : un dispositif incertain et controversé, J.-M. Panfili, Droit, déontologie et soins, n° 1, mars 2013. p.9-15.
(3) Molinier. P, L’énigme de la femme active. Égoïsme, sexe et compassion, Petite bibliothèque Payot, Paris, 2003.
(4) CE, 7 juillet 2008, n° 295944.
(5) CE, 17 novembre 1997, n° 168606, CHS de Rennes requête. Publié au Recueil Lebon.
(6) CAA de Bordeaux, 21 avril 2005, n° 01BX01405.
(7) Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, article premier et article 6 ; Constitution de 1958, article premier.
(8) CC. Décision n° 76-67 DC du 15 juillet 1976 ; loi modifiant l’ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires.
(9) Loi du 13 juillet 1983 relative au statut général des fonctionnaires. Article 6 bis et article 38 ; CE, 26 juin 1989, n° 89945, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale et de la recherche SGEN-CFDT. Publié au recueil Lebon.
(10) Cass. Ch. soc, 29 octobre 1996, n° 92-43680, Mme Ponsolle c/Sté Delzongle. Publié au bulletin.
(11) CE, 26 juin 1989, n° 89945. Publié au recueil Lebon.
(12) Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes. Journal officiel de l’Union européenne L373/37. Journal Officiel n° L 303 du 02/12/2000, p.0016-0022.
(13) CE, 30 octobre 2009, n° 298348, Mme Perreux. Publié au Recueil Lebon.
(14) “Bilan national des remontées de signalements d’actes de violence en milieu hospitalier”, Observatoire national des violences en milieu hospitalier, DGOS-DSR-FG, janvier 2012.
(15) www.c2rsante.fr/docs/145_Fiche_de_poste_agent_de_securite.doc
(16) Protocole interministériel du 10 juin 2010 qui modifie et complète le protocole du 12 août 2005, formalisant I’engagement de l’autorité judiciaire dans le dispositif partenarial.