Devant l’essor de la recherche infirmière et paramédicale, les cadres de santé sont en passe de devenir les “personnes clés” pour apporter un soutien et un accompagnement dans le développement et la conduite d’un projet de recherche. Poussés par de multiples mutations hospitalières, certains cadres deviennent aussi chercheurs, notamment au travers de la validation d’un cursus universitaire de type master-doctorat. Le but Explorer des thématiques ayant trait à la clinique, à la fonction d’encadrement et de formation.
La recherche pour le cadre est naturellement liée à la question des pratiques soignantes et à la clinique. Or elle devrait aussi pouvoir s’orienter vers des thématiques de gestion des ressources humaines, tant sur le plan du management que de la formation
Tout cadre, qu’il soit de filière infirmière, médico-technique ou de rééducation, peut développer des projets de recherche en lien avec sa pratique actuelle de manager, formateur. Le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) témoigne de cette large ouverture.
Toutefois, si réaliser des travaux de recherche au service de l’amélioration des pratiques professionnelles est une “noble cause”, il demeure cependant difficile d’investir une posture de chercheur sans un environnement institutionnel propice à cette démarche. Que ce soit en milieu de soins, d’encadrement ou de formation, le cadre doit par conséquent réunir pas à pas les conditions qui vont lui permettre de développer une stratégie d’élaboration et d’entretien du savoir, au cœur même du champ de sa pratique professionnelle.
La recherche a été inscrite dans la fonction cadre avec l’annexe à la circulaire de la Direction des hôpitaux du 20 février 1990 décrivant les missions et fonctions principales de ceux que l’on appelait à l’époque surveillants : « Il a un rôle de formation, de coordination et de recherche. […] Le surveillant repère les axes de recherche nécessaires à l’amélioration de la prise en charge des personnes soignées et coordonne leur réalisation. Par ailleurs, il peut participer aux actions de recherche impulsées par l’équipe médicale. »
Le cadre a un rôle moteur, initiateur de projet. Ainsi, il aura tiré les conclusions d’une certaine observation de faits et/ou de phénomènes dont les conséquences invitent à la réflexion ou au questionnement. Puis le cadre devient celui qui “coordonne” le projet, devant alors organiser la mise en route de la recherche et mobiliser les moyens et les acteurs, là aussi après un travail préalable et nécessaire d’évaluation de ces moyens. Plus récemment, en novembre 2008, la Direction générale de l’organisation des soins a réactualisé le répertoire des métiers de la fonction publique hospitalière créé en 2004. La fiche métier du cadre en unité de soins ne mentionne pas le terme de recherche, mais donne tout de même des axes de travail centrés sur la conduite de projet et la formalisation des actions et des résultats. Cela pourrait éventuellement concerner un projet de recherche
Les textes sont plutôt restreints sur l’existence et la place de la recherche dans les missions du cadre. La recherche ne serait-elle pas reconnue en tant qu’activité réelle et utile dans la fonction du cadre au quotidien ? Et, pourtant, il existe des travaux de recherche menés par des cadres axés sur les aspects cliniques, éducatifs, sociologiques et organisationnels de la profession infirmière et cadre
La loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière mentionnait déjà dans l’article 714-26 la création du service de soins infirmiers, dont la commission pouvait être consultée sur “La recherche dans le domaine des soins infirmiers et l’évaluation de ces soins”
La recherche en soins infirmiers connaît actuellement un renouveau, notamment grâce à une politique de santé en faveur de la recherche paramédicale promue en 2009 par les Programmes hospitalier de recherche infirmière (PHRI) et paramédicale (PHRIP en 2010). Des recherches dont un certain nombre de projets sont coordonnés par des cadres de santé. Le succès de ce programme ne s’est pas démenti et se montre porteur et révélateur des potentialités des équipes pour travailler autour d’un projet, le cadre ayant également la légitimité et la possibilité de s’en saisir
Si la reconnaissance politique de la recherche chez le cadre de santé en est à ses tout débuts, elle deviendra peut-être un véritable sujet de débat dans les prochaines années. Cela semble particulièrement vrai pour la recherche en management hospitalier, qui devient le nouveau point d’ancrage de la recherche pour les cadres. D’ailleurs, lors du PHRIP 2011, un projet émanant du CHU de Grenoble a été selectionné, touchant à l’« impact d’une formation action à la conduite du projet d’amélioration de la qualité des soins sur les pratiques managériales du cadre de santé »
Cette assise de la recherche par le cadre de santé se complète par les propositions émises par Chantal de Singly dans son rapport daté de septembre 2009
Peut-être sera-t-il question dans un proche avenir de créer un véritable Programme hospitalier de recherche en management (PHRM), à l’image des Programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) et Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP)
Le rapport de Singly est le premier document officiel qui défend cette vision du cadre. La préoccupation majeure reste sans aucun doute ce décalage constant entre :
• une recherche existante chez les cadres, confirmée pour certains par l’acquisition d’un haut niveau universitaire (doctorat), lui-même résultat d’un certain parcours professionnel souvent qualifié “d’atypique”, doté d’une exigence et d’une expérience appuyées par la qualité des productions écrites ;
• une valorisation insuffisante par les institutions du système de santé et de formation de ces travaux qui pourraient apporter aux professionnels de santé, aux systèmes de soins, une amélioration des pratiques au service du patient.
Être cadre, chercheur et qui plus est diplômé universitaire ne serait pas compatible avec une pratique institutionnelle ? L’idée est donc qu’une pratique réfléchie du métier de cadre serait à la base d’une production de savoir qui aurait aussi bien une connotation fondamentale (dans le sens d’académique) qu’une application sur le terrain, d’où la nécessité d’explorer plus loin cette réflexivité par la recherche.
Certains cadres n’ont pas attendu cette reconnaissance pour mener des travaux de recherches, sous-tendus par un parcours universitaire, et en ont produit des écrits
Pour Monique Formarier
Pourtant, la question de la formation initiale à la recherche délivrée en IFCS et en amont dans les Ifsi pour les cadres issus de la filière infirmière reste entière. Quelle est sa finalité réelle ?
Les cadres formateurs jouent un rôle crucial, notamment dans l’initiation des étudiants à une véritable culture de recherche dans leur futur métier. Mais comment y arriveront-ils si, déjà, en tant que professionnels en exercice, très peu d’entre eux ne s’engagent durablement sur cette voie Ce serait donc logiquement aux cadres d’être des exemples pour les jeunes générations, et non l’inverse
La recherche deviendrait alors le ciment qui créerait davantage de liens entre encadrants de proximité et formateurs, notamment autour des mémoires de fin d’études.
Le programme actuel de formation dans le module 3, “Analyse des pratiques et initiation à la recherche”, prévoit 90 heures consacrées à la recherche
Dans leur ouvrage Soigner l’hôpital, Josette Hart et Alex Mucchielli
Il est sûr que l’engagement dans la recherche ne concernera pas la majorité des cadres, mais contribuera néanmoins à exercer un certain degré de pratique réflexive en concertation avec les équipes. Doit-on pour autant s’interdire de se projeter sur le développement de véritables compétences en matière de recherche ?
La formation idéale à la recherche pour les futurs professionnels de santé tournerait autour de ces cinq piliers
Peut-on espérer que la réforme à venir de la formation de cadre de santé développera un axe “recherche”, en adéquation avec les mutations actuelles du système de santé ? Le cadre, acteur majeur dans la gestion de la mise en œuvre des politiques de santé sur le terrain et la formation des professionnels, pourra-t-il devenir un interlocuteur privilégié en matière de recherche ? À partir de là, comment est-il possible d’envisager que la recherche puisse habilement s’intégrer dans la pratique quotidienne du cadre ?
L’idéal de cette recherche portée par les cadres serait de réussir à concilier recherche et pratique, se construire en tant que chercheur et cette construction pourra “rayonner” sur sa manière de diriger et de réaliser son travail.
Cette ouverture vers la recherche est possible, ponctuellement ou durablement, au vu de l’évolution de notre profession déjà complexe vers toujours plus de responsabilités et d’exigences.
Quel serait alors le procédé par lequel cette démarche de recherche pourrait se concrétiser au cœur même de l’exercice du cadre et des équipes ?
S’il existe un type de recherche qui, de par sa nature, amène à concilier l’action à la réflexion tout en permettant la préparation ou la réalisation d’un projet, dans une optique d’une conduite optimale de l’amélioration des pratiques : c’est bien la recherche-action, qui marie « la volonté de changement et l’intention de recherche »
C’est un modèle de recherche principalement développé par Kurt Lewin, psychologue américain d’origine allemande, spécialisé dans la psychologie sociale
L’enjeu de la recherche-action est de mieux comprendre les phénomènes posant problèmes au sein même de la pratique, pour ensuite préparer le champ d’actions qui va pouvoir mobiliser une équipe, une institution, dans la mise en œuvre d’un projet de changement
Innovante et surtout très “pratique”, la recherche-action s’avère être une véritable démarche scientifique. Elle s’appuie sur une méthodologie et se réfère le plus souvent aux courants des sciences humaines et sociales, à la fois dans un registre compréhensif et systémique
L’originalité de cette démarche se trouve dans l’intégration même des acteurs de la structure concernée dans le processus de recherche, c’est une démarche participative et collaborative où des intervenants internes ou externes (chercheurs professionnels, experts) peuvent s’associer étroitement avec les praticiens du terrain.
Des groupes de travail peuvent se créer, suscitant motivation, stimulation, réflexion, émulation, production de nouvelles connaissances, en mettant en évidence le ou les points qui nécessitent d’être remaniés, moyennant une justification par des apports issus de la recherche documentaire, permettant d’accéder à des champs théoriques pertinents par rapport au sujet, voire de précédents résultats d’études. Ces apports théoriques peuvent s’articuler avec des apports empiriques par le recueil et l’analyse de données, des études de cas…
La recherche-action est une recherche où le processus même est fécond, où les acteurs deviennent co-producteurs de la connaissance, ce qui par principe facilite l’appropriation et l’application des résultats
Soulignons qu’il est ainsi parfaitement cohérent d’imaginer que le groupe d’acteurs-chercheurs soit constitué uniquement de cadres issus d’une même structure ou pas, avec éventuellement des profils différents et qui travailleraient sur un objet de recherche commun à leur pratique, dans le but de se transmettre leurs expériences et de produire scientifiquement des actions adaptées et consensuelles devant cette problématique à résoudre. La recherche-action est donc un mode de recherche pluriforme qui peut se “fondre” dans le paysage managérial, les principes de cette recherche pouvant s’articuler aux différents projets d’envergure institutionnels dont le cadre d’unité peut se saisir ou être saisi, afin de le piloter auprès des équipes.
La recherche-action pourrait alors devenir donc l’un des points clés du management par projet, optimisant le processus d’aboutissement du projet lors de l’épreuve que constitue le changement.
Pour le cadre de santé, cette recherche recèle des intérêts multiples, dont l’un des plus importants est de pouvoir satisfaire à l’exigence actuelle d’efficience et d’efficacité dans les organisations :
• par la pertinence du diagnostic posé, qui tient compte d’une vision systémique de la problématique afin de mieux la comprendre
• par le type d’actions qui seront développées : l’argumentation de la pertinence des actions envisagées en s’appuyant sur des références scientifiques est un atout dans l’obtention de la validation de ceux-ci, surtout si leur caractère efficient à court ou moyen terme aura été démontré ;
• par la manière de piloter le projet de recherche, l’intérêt majeur de la recherche-action étant d’ouvrir un terrain d’investigation collectif, avec l’optique de mutualiser les moyens de recherche, de par les compétences des acteurs mais aussi les dispositifs matériels et documentaires à disposition dans la structure.
Il est donc possible d’imaginer que cette recherche puisse par la suite dépasser les murs de l’institution, pour s’ouvrir sur un travail de collaboration avec des terrains fonctionnellement voisins ou complètement différents, permettant de croiser les regards, d’échanger autour des pratiques, que ce soit en secteur public, privé ou associatif
L’ouverture aux autres et la création d’un réseau de recherche ainsi constitué par les acteurs et les intervenants correspond bien à l’esprit de la loi Hôpital, patients, santé et territoires
Ces transformations du paysage sanitaire et social enrichissent professionnellement les cadres par le biais des échanges et de la recherche
La recherche-action est une démarche dynamisante, qui interroge les pratiques, mue par le collectif. Elle doit surtout être réfléchie, organisée, coordonnée afin de ne pas perdre de vue le fil directeur de la méthode et de la problématique de terrain à résoudre.
Ainsi, ce type de recherche correspondrait exactement au profil du cadre de santé “chercheur”, qui serait à même de conduire de façon très ciblée et méthodique un certain nombre de projets, d’envergure variable mais dont l’objectif sera toujours de créer une mutualisation des expertises et de tous les moyens permettant de mener la recherche à bien.
Le cadre de santé devient donc ainsi, en tant que coordonateur du projet, le garant que cette recherche sera suivie correctement, même si les conditions de réalisation ne sont pas toujours facilitées, notamment faute de temps et de moyens spécifiques alloués.
Par conséquent, il est très important qu’il puisse être soutenu par sa hiérarchie, du cadre supérieur à la direction des soins, si ce n’est pas même la direction générale.
Comme l’a très justement indiqué Monique Formarier
Le rôle du cadre en charge de promouvoir la recherche infirmière et paramédicale est d’assurer un véritable accompagnement des équipes et des cadres de proximité, notamment par la formation et l’accompagnement à la méthodologie de recherche pour le personnel. Mais il s’agit également d’impulser et de coordonner la politique de recherche en soins et de faciliter la mise en lien et la collaboration des différents acteurs concernés, tant au niveau des équipes soignantes que la direction des soins et celle de la recherche clinique et de l’innovation
C’est donc une véritable “stratégie de politique de soins” pour ces établissements de santé, qui devrait en inspirer d’autres sur cette voie, en faisant confiance à la motivation et au travail des paramédicaux qui vont jusqu’au bout de la logique réflexive, de la formalisation de leur questionnement, au service de l’amélioration de la qualité des soins et des conditions de travail. Encore une fois, le rôle du cadre de santé apparaît donc crucial pour arriver à construire et conduire un projet de recherche, ce qui permet de mobiliser et entretenir un certain nombre de compétences
Le travail du cadre constitue un espace considérable à exploiter, à construire, à scruter dans tous les sens, à développer, valoriser, diffuser… Les cadres doivent prendre conscience que cet espace leur appartient, et qu’ils ne devraient pas avoir de scrupules à le découvrir, le démystifier, car c’est justement là que se trouve le sens de cette fonction et de son avenir
L’enjeu majeur sera de replacer à sa juste valeur le cadre qui élabore un ou plusieurs projets de recherche, les anime, les coordonne… de reconnaître ceux qui se lancent dans une problématique de recherche en matière de gestion des ressources humaines, d’organisation des soins, de formation initiale ou continue, à la lumière des sciences humaines et sociales. Il va falloir reconnaître le travail du cadre qui reprend un cursus universitaire pouvant s’avérer long et fastidieux, mais en même temps tellement indispensable pour approfondir et enrichir son savoir et sa compréhension des phénomènes vécus sur le terrain, prendre du recul, se remettre en question et, surtout, parfaire sa formation à la recherche. Car ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que le cadre qui se lance dans la recherche le fait surtout dans l’optique d’améliorer la qualité des soins pour le patient. C’est sa finalité, il cherche à améliorer les pratiques professionnelles de ceux qu’il encadre ainsi que les siennes.
Pour reprendre l’expression de Pascale Beloni
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La recherche, qu’elle soit dans le domaine de la clinique, du management ou de la formation, peut être vue comme un outil de management, d’aide à la décision, argumentée par des apports scientifiques et réfléchis, sur des problèmes de fond retentissant sur le quotidien, dont les résultats apporteraient autant au cadre investigateur qu’à l’ensemble de ses collaborateurs et à la profession. La recherche menée en équipe permet de développer des connaissances, remettre en question les pratiques et innover, développer des compétences individuelles et collectives, impose la rigueur dans la méthodologie et les suivis de protocoles. Elle contribue ainsi à la qualité des soins avant même que le processus de recherche ait donné ses résultats. Cette recherche doit donc offrir un bénéfice pour les équipes, pour les étudiants, qui peuvent être impliqués à différents degrés dans le cheminement. Ainsi, la recherche devient utile, pertinente, apportant également pour le cadre crédibilité et congruence. Les cadres ayant conduit des recherches au sein de leurs équipes ont pu constater un réel intérêt, une rigueur renforcée dans les soins apportés au patient, des réflexes de recherches documentaires. L’idée est que ce soit les praticiens eux-mêmes qui puissent s’inscrire dans des projets de recherches mais surtout se référer aux résultats de ces recherches, qui en amèneront d’autres… La recherche peut bénéficier également à la hiérarchie et à l’ensemble de la structure, si la problématique se porte, par exemple, sur des aspects organisationnels, à l’échelle d’un pôle par exemple, ou ne serait-ce même qu’une unité de soins, mais qui pourrait faire “boule de neige” et devenir un projet transversal. Car le cadre doit être capable de remettre en question sa pratique, d’élargir son regard, de réinjecter des apports théoriques, d’aller plus loin en repérant un fil directeur de questionnements qui progressivement le mènera vers un véritable objet de recherche. Il doit pouvoir alors formaliser sa réflexion : écrire, prendre de la distance, mener des études exploratoires, ce travail pouvant éventuellement et idéalement s’insérer dans une poursuite d’études universitaires qui permettra, sur le plan méthodologique, de bénéficier d’une formation approfondie à la recherche. La recherche produite par les cadres de santé doit pouvoir refléter cette diversité professionnelle, dans l’optique de confirmer ou réactualiser des connaissances, qu’elles soient fondamentales et/ou applicables, transférables sur le terrain, ayant des retombées directes sur la vie professionnelle des cadres, des équipes et de l’institution.