Revue de décisions de jurisprudences récentes en matière de responsabilité liée à l’activité de soins.
• Les faits. Une patiente, qui présentait une baisse importante de l’acuité visuelle à l’œil droit, a consulté le 17 novembre 2010 son médecin traitant qui a diagnostiqué un décollement de rétine. La patiente a été hospitalisée en urgence le 18 novembre 2010 au CHU de Besançon, dans le Doubs, afin d’y subir une intervention chirurgicale le lendemain. Au matin du 19 novembre 2010, cette patiente a fait une chute en prenant la douche préopératoire et s’est fracturée une vertèbre lombaire. Une intervention chirurgicale d’ostéosynthèse a dû être pratiquée en urgence au sein du service de neurochirurgie du même établissement, retardant la prise en charge du décollement de rétine dont l’intervention n’a finalement eu lieu que le 30 novembre 2010.
• Attitude des soignants. La patiente soutient que la chute dont elle a été victime le 19 novembre 2010 révèle une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier, qui, retardant de onze jours l’intervention chirurgicale ophtalmique programmée, se trouve à l’origine des dommages constatés sur le plan vertébral, mais également de sa déficience visuelle. Toutefois, si la patiente présentait, au moment de prendre sa douche, une acuité visuelle très basse à l’œil droit, sa vision à l’œil gauche, bien que limitée, lui permettait d’apprécier son environnement dans des conditions satisfaisantes. Selon le dossier de soins infirmiers établi le 18 novembre 2010 lors de son hospitalisation, l’intéressée a été qualifiée de suffisamment autonome pour « se mouvoir et maintenir une bonne posture », « se vêtir et se dévêtir », et « être propre et soigner ses téguments ». La patiente a pris une première douche le 18 novembre 2010 sans avoir besoin d’assistance. Ainsi, la patiente n’établit pas que son état de santé ait nécessité l’assistance d’une tierce personne pour prendre une douche préopératoire, malgré son obésité, sa vision réduite et sa tension artérielle, ainsi que la précédente fracture dont elle fait état. Le centre hospitalier produit en défense deux attestations établies par les aides-soignants du service d’ophtalmologie, dont il ressort qu’une aide a été effectivement proposée à l’intéressée, qui l’a refusée.
• État des équipements. La patiente soutient encore que le sol de la cabine de douche du service d’ophtalmologie était glissant. Mais la photographie qu’elle produit à l’appui de cette allégation ne permet pas d’établir que l’utilisation de cette cabine présentait un risque pour sa sécurité, alors que le centre hospitalier justifie en défense y avoir installé un revêtement de sol antidérapant au cours de l’année 2010. La cabine de douche disposait d’un tabouret, permettant ainsi à la patiente de s’asseoir pour faire sa toilette, ainsi que cela lui avait été recommandé par un aide- soignant selon l’une des attestations produites en défense. Ainsi, aucun manquement dans l’aménagement de la cabine de douche ni aucun défaut dans la surveillance de la patiente ne peuvent être relevés.
• Les faits. Le 20 octobre 2006 à 22 h 45, un homme a été conduit par les pompiers à l’unité intersectorielle d’accueil, d’évaluation et d’orientation du CHS de Rouvray, en Côte-d’Or, compte tenu d’un état de prostration sur son lieu de travail. À 23 h 30, après s’être entretenu avec un infirmier puis avec un interne de garde, il a quitté le CH à sa demande et contre l’avis de l’interne. Le lendemain matin, il a mis fin à ses jours.
• En droit. Aux termes de l’article R 6153-3 du Code de la santé publique : « L’interne en médecine exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève. »
• L’analyse. Alors que cet homme, déjà hospitalisé pour une tentative de suicide en février 2006, avait demandé à ne pas être hospitalisé malgré l’avis contraire de l’interne de garde, ce dernier n’avait ni consulté son dossier médical, ni informé de cette situation le médecin senior de garde présent dans l’établissement. De telle sorte, la faute est établie.
• Les faits. Une enfant, née le 23 août 2001 et souffrant d’une cardiopathie congénitale conotroncale, a été hospitalisée à compter du 3 mai 2006 au CHU de Nantes, en Loire-Atlantique, en vue d’y subir l’implantation d’une valve cardiaque. L’enfant, victime d’une infection qui n’a pu être jugulée, est décédée le 10 mai suivant à 17 h 25. Son corps a été transporté le 11 mai 2006 au domicile de ses parents. Les parents, les employés des pompes funèbres et le médecin de famille ont constaté lors de l’arrivée du corps de l’enfant vers 19 heures que sa bouche était entrouverte, que ses yeux n’étaient pas clos et qu’elle présentait des écoulements au niveau des narines.
• Expertise. Les experts estiment que la responsabilité de l’hôpital est engagée en ce qui concerne « l’état du corps lors du transfert ». Cette conclusion repose sur les témoignages du médecin traitant de la famille et de l’agent des pompes funèbres. Celui-ci, qui devait réceptionner le corps mais n’en a pas assuré le transport, a indiqué qu’en entrouvrant la housse de transport du corps de l’enfant, il a constaté « qu’elle n’avait fait l’objet d’aucun soin préalable : la bouche était entrouverte, les yeux n’étaient pas clos, aucun orifice n’était obstrué, pas d’emmaillotage ».
• L’analyse. La cour s’écarte des conclusions des experts en retenant plusieurs points. Un rapport, établi le 6 octobre 2006 par le cadre supérieur de santé de la direction Pôle mère-enfant du CHRU, indique que l’infirmière en réanimation pédiatrique qui s’est occupée du corps de l’enfant a procédé à l’enlèvement des prothèses résultant de l’intervention chirurgicale et des soins post-opératoires, a réalisé les pansements nécessaires ainsi qu’une toilette de l’enfant, et que les yeux et la bouche de l’enfant étaient alors fermés. De tels soins post-mortem correspondent aux pratiques habituelles pour un enfant décédé en service pédiatrique.
Par ailleurs, les parents, qui n’étaient pas présents lors du décès de leur enfant, ne contestent pas que le 11 mai 2006 vers 15 heures la famille est allée à la morgue avec le salarié des pompes funèbres chargé d’assurer le transport du corps. L’employé de la morgue leur a présenté le corps sur un chariot et, vers 16 heures, au moment du départ du convoi funèbre, aucune remarque particulière n’a été formulée ni par eux-mêmes, qui ont nécessairement vu au moins une fois leur enfant décédée avant son départ du CHRU, ni par les employés des pompes funèbres chargés du transport du corps, qui l’ont placée dans la housse de transport. Le corps de l’enfant n’a pas été transporté dans une bière où il reste maintenu, mais sur un brancard sous la responsabilité d’un transporteur qui devait prendre toutes les précautions de conduite nécessaires durant ce trajet qui a duré trois heures. Enfin, le processus de rigidification du corps s’estompe et disparaît au bout de dix-huit heures, et peut entraîner une ouverture de la bouche et de la fente palpébrale. Des écoulements peuvent ensuite survenir par le nez lors du processus naturel de dégradation du corps, lequel s’accélère notamment lors d’un transport et de la rupture de l’équilibre thermique du corps. Dès lors, les soins post-mortem apportés à l’enfant ne peuvent être qualifiés de négligents.
• Les faits. Un homme âgé de 82 ans a été accueilli temporairement par un Ehpad où il a séjourné entre le 20 novembre 2006 et le 28 février 2007, avant d’être transféré, à la suite d’une pneumopathie, vers une structure hospitalière où il est décédé le 9 mai 2007. Selon l’épouse, son mari avait émis le désir de sortir de l’établissement et de revenir vivre dans son habitation et par deux fois, la direction et le personnel de l’Ehpad avaient refusé de se conformer à sa volonté.
• En droit. Les dispositions des articles L 1111-4 du CSP et 16-3 du Code civil sont inapplicables car n’était pas en cause la question du consentement d’un patient à un acte médical ou à une intervention thérapeutique. Le procès doit être analysé au regard du droit commun des contrats. Le règlement de fonctionnement de l’établissement imposait d’avertir l’administration 48 heures à l’avance pour toute absence pour convenance personnelle et, en cas de vacances, d’avertir l’établissement un mois auparavant pour les congés de plus de quinze jours. La charte des droits et libertés de la personne accueillie fait également état de la nécessité d’un écrit pour toute renonciation aux prestations.
• L’analyse. En l’absence d’écrit, il convient de rechercher quelle était l’intention véritable. Le patient avait manifesté auprès de ses filles le désir de revenir à son domicile et le personnel de l’Ehpad s’y était opposé. Le médecin avait établi le 19 janvier 2007 un certificat dans lequel il constatait que l’état de santé de l’intéressé contre-indiquait une sortie de l’établissement, sauf pour consultation médicale. Le fils du défunt atteste avoir appelé son père lors de son séjour à la maison de retraite et affirme que, lors d’une conversation téléphonique qui avait lieu dans le bureau de la directrice, son père a décidé de rester dans cette maison de retraite contre l’avis de son épouse. Il ressort de ces faits que le patient avait émis des avis contradictoires concernant la poursuite de son hébergement en établissement et n’avait formalisé auprès de la direction aucune demande expresse tendant à voir interrompre sa prise en charge contre avis médical. L’Ehpad, en s’opposant à ce que Mme C. fasse sortir son père de l’établissement, n’avait commis aucune faute engageant sa responsabilité.
• Les faits. Le compte-rendu opératoire établi le jour même de l’opération subie par une patiente indique qu’au cours de celle-ci un fragment d’aiguille avait été perdu dans le ligament large. Malgré une exploration per-opératoire, le praticien n’est pas parvenu à localiser ledit fragment. Il ressort du même rapport que :
→ la cause du bris de cette aiguille réside soit dans un geste malencontreux du praticien hospitalier, soit dans un défaut de qualité de l’aiguille ;
→ le dossier ne montre aucune faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service durant l’hospitalisation de la patiente ;
→ il n’est pas certain que le maintien en place de l’aiguille entraîne une symptomatologie et ainsi une attitude attentiste peut se défendre, mais c’est à la condition de s’être donné tous les moyens pour la récupérer.
• L’analyse. L’abandon d’un fragment d’aiguille médicale dans le corps de la patiente, lors de l’intervention chirurgicale, a constitué une faute médicale susceptible d’engager la responsabilité du CHU de Nice. L’ablation de ce fragment devait être faite en per-opératoire avant qu’il ne migre plus en profondeur dans les tissus, rendant son ablation ultérieure plus difficile. Afin de faciliter la localisation et le repérage de cette aiguille en per-opératoire, le chirurgien aurait pu s’aider de moyens radioscopiques, ce qu’il n’a pas fait. Il en est allé de même lors de la ré-intervention spécialement dédiée à cette fin le 20 août 2004, qui a également échoué faute pour le même praticien d’avoir utilisé un amplificateur de brillance qui aurait, selon l’expert, très nettement facilité la tâche. Cette double carence fautive, qu’aucune situation d’urgence n’explique ni ne justifie, engage la responsabilité totale.
Le 8 mars 2005, une patiente a été admise au CH de Romans, dans la Drôme, où, sous anesthésie générale, a été mise en place une voie veineuse centrale par ponction de la veine sous-clavière gauche afin de traiter, par antibiotiques, l’infection bactérienne récidivante des voies urinaires – pyélonéphrite – dont elle souffrait. Sortie de cet établissement le 16 mars suivant, elle y a de nouveau été admise le 19 mars pour une thrombose de la veine jugulaire interne gauche à l’endroit de la ponction. La douleur dont souffrait la patiente à l’épaule et au bras gauches s’est manifestée au plus tard dès le 9 mars 2005.
En l’absence, dans les jours précédant sa sortie de l’hôpital, de signes cliniques évidents de thrombose, la légère inflammation de l’orifice de la ponction relevée le 9 mars suivant, mais sans hématome, ne pouvant en tenir lieu, le service hospitalier n’a commis aucune faute en se bornant à administrer à l’intéressée des antalgiques, dès le lendemain de l’intervention. En revanche, bien que de moindre intensité, la persistance de cette douleur, malgré le retrait de la voie veineuse le 15 mars 2005, aurait dû inciter l’hôpital à procéder, avant la sortie de la patiente, à des examens complémentaires afin d’en déterminer l’origine. En s’abstenant de le faire et en retardant donc d’environ quatre jours le diagnostic de la thrombose, posé finalement le 21 mars suivant, l’équipe médicale a commis une faute engageant la responsabilité.