Lieu de rencontres, incitation à la promenade, vertus apaisantes… La présence d’un aquarium dans un service hospitalier joue un rôle thérapeutique, mais aussi crée du lien entre toutes les personnes qui y travaillent ou qui y sont soignées.
« Un centre de brûlés est comme un volumineux aquarium, l’atmosphère y est chaude et humide, les conditions y sont extrêmes, rudes, difficiles. Mieux vaut avoir quelques prédispositions, aimer l’eau et la chaleur. Les brûlés sont pour la plupart immergés dans de grandes baignoires, l’eau contre le feu », écrivait le professeur Maurice Mimoun dans son livre L’Impossible Limite, publié en 1996. Parmi les premiers à faire installer un aquarium dans son service à l’hôpital Rothschild, de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), ce passionné de plongée sous-marine parle encore de cette expérience avec passion. Il envisage d’ailleurs très sérieusement de la renouveler au sein de l’hôpital Saint-Louis (AP-HP) où ses services de grands brûlés de chirurgie réparatrice ont été récemment réunis. Ce qui fait de Maurice Mimoun un précurseur et un promoteur de l’installation d’aquariums au sein des services hospitaliers, c’est sa vision de la chose : « Ce n’est certainement pas à considérer comme un objet purement décoratif », lance-t-il avant de poursuivre avec enthousiasme : « La salle d’attente a complètement changé d’ambiance après l’installation de l’aquarium : c’est devenu un vrai lieu de rencontre. »
Avec ses 800 litres, le microcosme marin de l’hôpital Rothschild était pour Maurice Mimoun un organisme vivant en tant que tel, une métaphore matérielle du corps humain, où l’eau pourrait se comparer au sang, les tuyaux aux vaisseaux, les produits d’entretien aux médicaments, etc. « Si on n’aime pas un aquarium, il dépérit, exactement comme une personne. C’est l’amour qui le fait vivre », insiste avec conviction le chirurgien.
Maurice Mimoun est passionné, mais pourquoi avoir choisi de faire installer un tel dispositif dans son service alors qu’il aurait parfaitement pu se contenter d’en posséder un chez lui ? « Je le voulais dans le service comme une signature », explique Maurice Mimoun, qui s’occupait lui-même de l’entretien jusqu’à ce que d’autres prennent le relais peu à peu, presque imperceptiblement, sans que rien de particulier ne soit décidé.
Sur le plan des relations humaines, l’objet a, semble-t-il, permis l’instauration de dialogues entre des personnes qui se parlaient peu. « La mort ou la maladie d’un poisson, c’était un événement pour le personnel comme pour les patients, se souvient-il. Et la discussion s’instaurait tout naturellement entre toutes les personnes présentes lorsqu’un des poissons était malade. Nous avons vu des gens âgés qui ne quittaient plus leurs lits recommencer à faire des promenades dans le service. » Un succès tel que des patients revenus en consultation finissent par faire cadeau de spécimens, pas toujours adaptés : « Il fallait parfois retourner chez le marchand pour les changer », rit encore le chef de service.
L’idée de renouveler l’expérience dans son nouveau service semble avoir fait son chemin. D’ailleurs, il ne proteste pas lorsque la question lui est posée. « On me le réclame régulièrement, avoue-t-il avec un plaisir non dissimilé. Mais l’architecture du service est plus compliquée et je n’ai pas vraiment déterminé le meilleur endroit où le faire construire. Il faut que je vive ici un peu pour prendre la bonne décision. »
Doté de vertus évidentes – « l’aquarium est un organisme dont les patients se préoccupent. Il y a aussi l’eau… On se calme face à un aquarium » –, il permet également une meilleure communication entre les personnes, comme l’expliquera le professeur Raphaël Vialle un peu plus tard. Et, notamment, pour permettre de casser les codes et les barrières qui existent couramment entre patients, soignants et médecins. « Ça fait l’unanimité, se félicite encore Maurice Mimoun. Il était courant de surprendre des médecins et des patients discuter tranquillement entre eux de l’état de l’aquarium ou de la santé des poissons, brisant les frontières existant entre des gens venant d’univers très différents. » Le ton était le même dans L’Impossible Limite où l’on pouvait lire : « Dans le hall de mon service, j’ai mis un grand aquarium. Son effet thérapeutique est évident. Ses alentours sont un lieu de rencontre. Le personnel comme les malades sont apaisés. Ils le regardent, observent ses changements d’un jour à l’autre, s’inquiètent pour les poissons qui paraissent fatigués. Les patients qui restent longtemps aiment s’en occuper. […] Pour moi, cet aquarium affirme la vie à l’hôpital sans qu’il soit besoin de le dire. Les patients gravement atteints héritent d’une sensibilité très aiguë à la souffrance de toutes sortes d’êtres, animal ou plante, comme si leur vie en péril leur permettait de percevoir des ondes auxquelles nous sommes la plupart du temps parfaitement insensibles. » Une image lui revient encore, celle de la salle d’attente plongée dans le noir, et des patients paisibles, uniquement éclairés par les lumières de l’aquarium.
C’est d’ailleurs à Maurice Mimoun qu’a demandé conseil le professeur Raphaël Vialle, chef du service de chirurgie orthopédique et réparatrice de l’enfant à l’hôpital Trousseau (AP-HP) lorsqu’il a envisagé de se lancer à son tour dans l’aventure. Passionné d’aquariophilie depuis toujours, il est parvenu à ses fins il y a environ dix-huit mois. « Je n’avais plus le temps de m’adonner à ma passion chez moi, alors j’ai décidé de la transférer à l’hôpital », confesse-t-il dans un sourire. Un projet pourtant pas si simple à mettre en place. « Il faut une vraie connaissance et une compétence en aquariophilie. On ne peut pas partir de rien », souligne-t-il à destination de ceux qui seraient tentés. Car, il faut bien le comprendre, cette expérience doit avant tout être collective et solidaire. Les prix demandés par les professionnels de l’aquarium pour l’entretien d’une installation de grande taille étant prohibitifs, il faut pouvoir compter sur ses propres forces et sur les bonnes volontés de proximité. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs : contrairement à Maurice Mimoun, Raphaël Vialle a réussi à faire financer son aquarium en grande partie par l’association Main dans la main, le reste étant apporté par des mécènes privés. Les 15 000 euros ont donc pu être réunis sans grande difficulté. Un signe de l’évolution des temps, la situation ayant été totalement différente pour Maurice Mimoun, qui avait dû financer son installation sur ses propres deniers dans les années 1990.
« Un aquarium, c’est bien mieux qu’une plante verte dans une salle d’attente. En pédiatrie, ça a un effet divertissant ; comme un DVD, mais en mieux », assure Raphaël Vialle, conscient de l’effet bénéfique qu’a eu le film d’animation Le Monde de Nemo sur l’intérêt des enfants pour le royaume aquatique. Situé dans le hall d’accueil du service, au centre d’une structure comportant trente lits d’hospitalisation, le monde aquatique du professeur Vialle attire les regards et l’intérêt de toutes les personnes qui y passent. « Les parents dont les enfants sont en cours d’intervention chirurgicale peuvent passer des heures à le regarder », témoigne-t-il. Dans un domaine plus facilement quantifiable, les bénéfices de la présence des poissons au sein de l’unité s’évaluent peu à peu, au moyen d’une étude scientifique menée dans le domaine de l’évaluation de la douleur des jeunes patients placés en face de l’aquarium. Soixante-dix adultes ont accepté d’y participer. « Nous les avons installés devant l’aquarium et nous leur avons infligé une stimulation douloureuse, raconte le chef de service. Au bout de cinq minutes, nous avons pu constater une diminution de la perception douloureuse qui persistait encore dix minutes après avoir quitté les lieux », se réjouit le médecin, persuadé que la contemplation de l’univers aquatique qu’il a installé participe à “désangoisser” les gens. Les effets bénéfiques d’une telle installation ne se limitent cependant pas aux soins.
Dans le domaine de la cohésion de la communication des équipes soignantes, les effets semblent également positifs. Selon Raphaël Vialle, « ce genre de projet engendre une cohésion interprofessionnelle, les personnels techniques étant pleinement parties prenantes dans sa mise en œuvre ». Il se souvient d’ailleurs avec une certaine émotion d’avoir constaté que certains membres du personnel prenaient sur leur temps libre pour aider à monter les installations de plomberie ou d’électricité, par exemple. Dans le domaine du lien, il a également pu observer une évolution des rapports entre les soignants, les parents et les jeunes patients, « mais aussi entre les parents et les enfants quand le temps des visites passe et qu’on n’a pas forcément toujours des tonnes de sujets de conversation ». Et puis, « devant une télévision, on est passif, alors que devant un aquarium, le dialogue se crée tout naturellement ».
Une sorte de miracle qui se répète également le soir, au moment où, dans tous les autres services, les familles des patients ont tendance à se regarder en chiens de faïence, assis dans une triste salle, le cœur serré par l’inquiétude et sans jamais engager le dialogue. Comme Maurice Mimoun, Raphaël Vialle est totalement partie prenante dans la vie de l’aquarium. « C’est moi qui m’occupe de l’entretien, précise le chef de service. Mais lorsque je dois m’absenter, je sais que je peux compter sur deux ou trois personnes de l’hôpital qui se sont prises au jeu. » Un temps d’entretien qui reste cependant relativement limité, ne dépassant pas trente minutes par semaine, soit environ trois fois dix minutes.
Entre ces deux chirurgiens qui ne se connaissaient pas jusqu’à ce que la question de l’aquarium se pose, un lien s’est également créé, une amitié est née entre les deux hommes qui dialoguent régulièrement. « Nous commençons par parler de poissons, des arrivages intéressants, puis nous finissons parfois par parler de nos patients », se réjouit Maurice Mimoun. Chez ces deux-là aussi, la machine liquide à créer du lien semble avoir fait son office.
Septembre 2011 : collecte des fonds auprès de mécènes pour recueillir le montant nécessaire à l’élaboration de la partie technique de l’installation.
Octobre 2011 : mobilisation des équipes techniques et de la direction de l’hôpital Armand-Trousseau et création d’un partenariat avec l’Aquarium Tropical (Aquarium public, Établissement public du Musée de la Porte dorée -www.aquarium-portedoree.fr) dans le but de finaliser le projet technique et pédagogique de cet aquarium.
Juin 2012 : réalisation des travaux (construction du local technique, installation de la cuve, de l’éclairage et du système de filtration).
Septembre 2012 : mise en eau et stabilisation du milieu marin, des premiers poissons et invertébrés.
Octobre-Décembre 2012 : acclimatation des premiers poissons et invertébrés.
→ Pour soutenir cette réalisation et aider à la maintenance de l’aquarium ou pour plus d’informations, vous pouvez visiter la page Facebook de l’aquarium : www.facebook.com/20000LieuxSousLesMers ; ou par mail : raphael.vialle@trs.aphp.fr