Loi Léonetti, le dilemme entre les valeurs éthiques et la raison de droit - Objectif Soins & Management n° 225 du 01/04/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 225 du 01/04/2014

 

Ressources humaines

Rachel Jacob*   Florent Pierret**   Karine Aiguier-Doll***   Sandrine Christophe****   Sophie Pfeiffer*****   Christine Ehrhardt******   Brigitte Thomas*******   Christiane Voignier********   Marie-Andrée Winkel-Garnier*********  

Si la question de la fin de vie, à l’hôpital, interroge évidemment les patients directement concernés, elle mobilise aussi fortement les soignants en position d’accompagnement. La loi Léonetti du 22 avril 2005 reconnaît aux personnes d’exprimer leurs volontés dans la limitation ou l’arrêt des traitements curatifs à travers deux innovations : le refus de soins, exprimé dans le cadre de directives anticipées ou non, et la personne de confiance.

La loi Leonetti, comme toute loi, ne donne qu’un cadrage universel, elle ne dit rien de la singularité vécue des situations de vie qu’elle encadre. Ce sont pourtant ces situations qui pèsent de tout leur poids sur le quotidien des soignants concernés. Seuls, alors, l’authenticité envers le patient et l’échange interprofessionnel permettent d’ouvrir des espaces de respiration dans ce quotidien.

LA FIN DE VIE, UNE QUESTION PHILOSOPHIQUE ?

Aborder la question de la mort reste difficile, parce que cette dernière est, par définition, ce qui nous concerne tous inévitablement et, en même temps, ce que nous cherchons tous à oublier. Deux incertitudes fondamentales nous aident dans ce travail d’évitement. La première, dépassant le caractère inexorable de la finitude de l’existence, concerne son terme, qui ne peut jamais être anticipé. La seconde relève de son caractère phénoménologique, c’est-à-dire de son éprouvé, de son vécu, car « on ne connaît que la mort de l’autre »(1) ; notre propre mort étant, par définition, impossible à connaître de notre vivant.

UNE QUESTION POURTANT INÉVITABLE À L’HÔPITAL

La trajectoire d’existence de l’être humain l’inscrit dans des espaces différents et complémentaires : social, psycho-affectif, physiologique, spirituel. Face aux enjeux de la mort, la dimension spirituelle prend le pas et ouvre au questionnement. L’Homme s’interroge alors sur le sens profond de sa vie, sur ce qu’il est ou a été réellement, et sur ce qu’il envisage pour ces derniers moments de vie. Ce questionnement, lorsqu’il est verbalisé, laisse apparaître des images évocatrices : passage, fin, naufrage, inconnu(2)

Ce qui est commun à ces interrogations, c’est qu’elle relèvent d’un impératif d’évaluation (le bilan de sa vie) et d’un redimensionnement du temps. Ce n’est pas tant la durée quantitative qui importe mais la manière dont le temps est utilisé, puisque la mort signe la fin de son déploiement.

Cette certitude de la finitude impose au soignant de respecter les représentations du malade ainsi que son temps de méditation pour lui permettre de prendre les décisions porteuses de sens pour lui.

Dans ces situations, l’hôpital endosse bien souvent l’apparence d’un compagnon de vie et propose, à celui dont le pronostic vital est engagé, un accompagnement. C’est dans ce cas le rôle du soignant que d’offrir sa présence, à chaque fois particulière, unique, dans ce cheminement final. Il accompagne, c’est-à-dire qu’il se joint à l’autre pour aller là ou il va, en même temps que lui(3). Mais cet accompagnement dans des moments difficiles n’enlève rien des possibilités d’autonomie du sujet concerné. Même si cette autonomie tend vers sa fin, la vie du malade reste la sienne, et sa volonté, concernant cette vie qui s’amenuise, reste à préserver. C’est cette évidence que pose le cadre législatif actuel qui donne la possibilité aux personnes concernées de transmettre leurs volontés et donc de rester autonomes dans leurs choix. Mais, en réalité, tout n’est pas si simple, car chaque acteur concerné par l’accompagnement a son propre regard face à la mort, ses propres limites, ses propres peurs. Comment le soignant va-t-il pouvoir accomplir sa mission d’accompagnement au quotidien ? Quelles sont ses difficultés ? La loi offre-t-elle toutes les réponses ?

DROIT D’EXPRIMER SES VOLONTÉS DANS LA LIMITATION OU L’ARRÊT DES TRAITEMENTS CURATIFS

La loi Léonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, a été promulguée en faveur du respect du principe d’autonomie et de la dignité du patient face à sa mort(4). Le patient peut émettre un avis et des réserves quant aux thérapeutiques proposées. La loi Léonetti innove par deux grands principes, le refus de soins et la personne de confiance.

Le refus de soins

C’est le droit conféré au patient de refuser un traitement au péril de sa vie. Ce n’est pas l’arrêt de toute thérapeutique. Seules les thérapeutiques incisives et curatives sont arrêtées à l’exception des traitements de confort dont les antalgiques, par exemple.

En toutes circonstances, le médecin est tenu de rechercher toute raison qui motive le refus de soins. Il a obligation d’informer le patient sur les risques encourus. Il existe cependant deux cas de figure :

• soit le patient est en état de conscience. La relation devient alors triangulaire, le dialogue s’instaurant entre le patient, l’équipe paramédicale, et le médecin autour de sa prise en charge ;

• soit le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté. L’équipe devra s’enquérir de ses directives anticipées et, à défaut, se tournera vers la personne de confiance qu’il aura désignée.

La personne de confiance

Elle est désignée par le patient après accord et n’est valable que pour la durée d’une hospitalisation, révocable à tout moment. Cette personne est choisie librement dans l’entourage (proche, médecin traitant, famille). Son rôle est d’assister le malade dans ses prises de décision ou lors de ses entretiens médicaux s’il le souhaite, mais en aucun cas de se substituer à celui-ci. La désignation se fait très souvent au moment de l’admission. Elle correspond à un droit et non une obligation. C’est au soignant d’informer le patient de la possibilité de cette démarche ainsi que de son intérêt et de son rôle.

DES QUESTIONS RESTENT CEPENDANT OUVERTES

Quels sont les moyens que mettra en oeuvre le soignant pour que l’équipe s’approprie cette loi et lui donne sens ?

L’application de cette loi ne peut se faire sans réflexion collégiale ; elle visera à s’intégrer dans le projet de service. Autour du cadre légal, il s’agit, pour les soignants, de conserver un espace d’expression et de liberté permettant de nommer et de partager les résonances personnelles liées à la décision d’un patient. L’idée est d’engager un processus d’éclaircissement centré sur les valeurs soignantes, que sont le respect de la personne soignée, l’écoute et l’empathie, valeurs dont l’objectif est de permettre à l’équipe d’accepter les décisions du patient sans émettre de jugement.

Ce qui compte, c’est que la relation d’accompagnement, qui s’installe entre le soignant et le soigné, soit authentique.

Dans cette démarche d’accompagnement, le soignant oublie le conformisme du cadre institutionnel au profit d’attitudes bienveillantes en abolissant, par exemple, les contraintes d’horaires, de visites, etc.

Qu’en est-il pour l’accompagnement en soins palliatifs ?

En soins palliatifs(5), les soignants sont centrés sur une approche bienfaisante où l’accompagnement vise une qualité de vie sereine jusqu’au bout pour le patient en évitant tout traitement déraisonnable. Si des directives anticipées ont été rédigées, elles seront prises en compte par l’équipe pluridisciplinaire lorsque le patient n’est plus en capacité de s’exprimer. En revanche, le dialogue entre le médecin, l’équipe et le patient est toujours privilégié tant que cela reste possible pour accorder à ce dernier une place centrale dans les décisions qui le concernent.

Respect du principe d’autonomie et de dignité de la personne soignée, réalité ou chimère ?

L’objectif de la loi de 2005 était ambitieux et répondait à un vide juridique : rendre le patient autodéterminé en fin de vie. Pourtant, huit ans après, force est de constater que peu de personnes connaissent la loi dans le grand public et qu’il est encore difficile pour les soignants d’obtenir les renseignements requis. En fait, peu de directives anticipées sont écrites et les malades sont ambivalents dans leurs modes de pensée, influencés par le stade d’évolution de leur maladie et soumis, bien souvent, à des fluctuations thymiques qui font alterner leurs désirs et leurs volontés.

La désignation de la personne de confiance pose elle aussi problème, car elle peut amener à des dérives lorsque certaines personnes vont se sentir investies d’une mission à tout prix ou que d’autres au contraire risquent d’en abuser et de se soustraire aux désirs du patient.

Dans le même ordre d’idée, la possibilité de désigner son médecin traitant comme personne de confiance pose question car il est difficilement envisageable que le médecin soit à la fois porte-parole et décisionnaire. Rappelons par ailleurs que les directives anticipées ont uniquement un caractère consultatif. Dans tous les cas, le médecin reste le décisionnaire ultime. Quoi qu’il en soit, directives ou non, l’élément fondamental est de garder le dialogue comme moteur central de décision.

CONCLUSION

La loi Léonetti a eu le mérite de poser le principe selon lequel chaque soignant se doit de respecter l’autonomie et la dignité de la personne soignée. L’essor des soins palliatifs a favorisé un regard nouveau de la part des médecins et de la jeune génération de professionnels qui s’ouvrent davantage au dispositif de transparence vis-à-vis de leurs pratiques. Les prises de décisions collégiales et l’écoute apportée aux patients permettent le respect de leurs choix et leur considération en qualité de sujet de soins.

Cette loi est bien connue des équipes mobiles de soins palliatifs et des milieux associatifs qui viennent en appui des soignants pour expliquer et recueillir les souhaits des patients. Toutefois, elle reste mal connue des services non spécialisés ou concernés par l’accueil et la prise en charge des personnes en soins palliatifs ou en fin de vie.

Les valeurs morales et éthiques sont tellement prégnantes dans les situations d’accompagnement de fin de vie qu’aucune loi ne peut apporter de réponses univoques et universelles.

La loi aurait dû être révisée au mois de juin 2013 concernant, entre autres, les modalités de sédation en phase terminale. Alors, une question se pose à nous : est-il concevable qu’une loi obtienne le pouvoir de trancher sur la notion de mort “programmée” ?

NOTES

(1) Elsa Godart, philosophe, psychanalyste, intervention colloque IFCS Laxou du 16 mai 2013, “Être acteur jusqu’au bout de sa vie ! Le dire c’est déjà choisir”.

(2) Denis Lodogar, aumônier et ancien infirmier anesthésiste, CHRU Hautepierre, intervention colloque IFCS Laxou du 16 mai 2013, “Être acteur jusqu’au bout de sa vie ! Le dire c’est déjà choisir”.

(3) Maela Paul, L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, L’Harmattan, 2004

(4) Céline Breton-Rahali, infirmière et juriste en droit de la santé, Association Lorraine de Formation Action, intervention colloque IFCS Laxou du 16 mai 2013, “Être acteur jusqu’au bout de sa vie ! Le dire c’est déjà choisir”.

(5) Michelle Zeisser, médecin équipe mobile de soins palliatifs, CHU de Strasbourg, intervention colloque IFCS Laxou du 16 mai 2013, “Être acteur jusqu’au bout de sa vie ! Le dire c’est déjà choisir”.

Directives anticipées, mode d’emploi

C’est un document manuscrit, inclus dans le dossier médical dans lequel le patient a retranscrit ses volontés et son positionnement par anticipation au regard d’une thérapeutique médicale postérieure. Sa durée de validité est de trois ans et révocable à tout moment par la personne concernée. Les directives anticipées sont couramment conservées par le médecin traitant, un proche ou la personne de confiance. Toutefois, le dépôt peut se faire chez un huissier ou un avocat, à la convenance de chacun.