Le CHRU de Montpellier ne pouvait pas rêver mieux : Laurent Four possède la double casquette de réalisateur professionnel et de futur infirmier. C’est donc logiquement lui qui a réalisé le film d’accueil des patients en chirurgie pédiatrique du CHRU de Montpellier.
Pour les parents, comme pour les petits patients, la séparation au moment de partir au bloc opératoire est toujours difficile et anxiogène. C’est pour enrayer la mécanique du stress qu’une équipe de chirurgie pédiatrique du CHRU de Montpellier, dans l’Hérault, a fait réaliser un film d’accueil détaillant toutes les étapes du processus, de l’arrivée en consultation jusqu’à la sortie de l’hôpital. Pour la réussite d’un tel projet, il a fallu de bonnes idées, une équipe soudée et à l’écoute des idées des uns et des autres, de la bonne volonté et une dose de chance.
C’est, en effet, une conjonction de hasards qui a amené Laurent Four, réalisateur professionnel pour les plus grandes chaînes de télévision depuis des années, à réaliser ce film l’été dernier, la responsable habituelle des vidéos de l’établissement étant en congé maternité. De réalisateur, il est maintenant devenu étudiant en 1re année à l’Ifsi du CHRU de Montpellier, à 40 ans. C’est après la naissance de son premier enfant que notre homme a décidé « d’échapper à Paris pour bénéficier de plus d’espace ». Déterminé, à l’époque, à continuer d’exercer son métier, il s’est alors lancé dans une vaste étude de marchés autour de Nîmes, dans le Gard, où il avait posé ses bagages. « Devant les résultats décevants de ces recherches, j’ai fait un bilan de compétences au Pôle emploi. Ayant des années de bénévolat en tant que secouriste à la Croix-Rouge, l’évidence d’un métier de soin est apparue », se souvient-il dans un sourire.
C’est donc en pleine préparation de son entrée en Ifsi, à la recherche d’un boulot d’été, qu’il a proposé sa candidature d’agent des services hospitaliers au CHRU de Montpellier. Un service de DRH qui ne semble pas avoir les deux pieds dans le même sabot, puisqu’à peine reçu, le CV de Laurent Four a été transmis à la direction de la communication, temporairement démunie de responsable vidéo. Très vite, l’affaire est faite, et le réalisateur est mis en contact avec les membres de l’équipe du service anesthésie-réanimation Lapeyronie de l’établissement, demandeur d’un film d’accueil pour ses patients depuis un bon moment. « Tout a dû se faire très vite dans la mesure où je n’étais embauché que pour un mois. La disponibilité de tous, leur envie de créer cet outil et la réflexion qui avait été menée en amont ont permis un travail d’une grande efficacité. Les deux enfants n’ont pourtant tourné que trois jours, raconte Laurent Four. Je voulais surtout que les petits patients puissent vivre les événements au travers des yeux d’autres enfants. »
Au vu du résultat final, il est évident que les deux petits acteurs – Tim étant le fils du chef de service et Méline, la fille d’un des infirmiers anesthésistes – ont été à la hauteur des ambitions de toute l’équipe. Présentée sur Internet, la vidéo frôle les 2 000 vues et commence à donner des idées à d’autres établissements. Un résultat dont se félicite le professeur Christophe Dadure, chef du service anesthésie-réanimation. « Le film permet de pénétrer jusque dans le bloc opératoire et de découvrir ce que les personnes extérieures considèrent comme un lieu inconnu et effrayant », insiste-t-il. Un projet porté par l’ensemble de l’équipe depuis un certain temps déjà mais qui était repoussé pour des raisons de budget. L’arrivée de Laurent Four, payé selon l’échelle de la fonction hospitalière, a bien évidemment mis de l’huile dans les rouages. L’ensemble des autres personnes visibles ayant accepté avec enthousiasme de prendre sur leur temps libre, la question financière a vite été évacuée. Jusqu’ici, le film est consultable sur Internet. Il est prévu d’installer des bornes interactives dans les salles d’attente mais là revient l’éternelle question des crédits. Un découpage par séquences est également en projet, de manière à ce que chacun puisse revoir juste la partie des événements sur laquelle il se pose encore des questions. En attendant, des tablettes numériques gagnées lors de la présentation du film à un congrès d’anesthésie pédiatrique de la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) feront parfaitement l’affaire.
Véritable usine à idées, l’équipe du service se prépare déjà à mettre en place d’autres outils pour lutter contre le stress des enfants opérés. « Cet outil n’est que le premier d’un ensemble de projets dont l’objectif est d’améliorer la qualité de vie de l’enfant à l’hôpital. Certains sont déjà sur le point de voir le jour. Il y a par exemple le “sac magique” : ce sac contiendra de nombreux jouets. L’enfant en tirera un au hasard, qui l’accompagnera à chaque étape et qu’il retrouvera en salle de réveil. À partir de cet objet, l’infirmier anesthésiste pourra inventer une petite histoire au moment où il appliquera les techniques d’hypno-analgésie. À la sortie, le jouet sera échangé contre un diplôme de courage, de manière à ce qu’il reste disponible pour les nouveaux arrivants, ajoute le chef de service, très fier aussi de son petit acteur, ravi de découvrir comment son père travaille au quotidien et d’entrer au bloc opératoire. » « Le bloc est actuellement en travaux. Y sera adjoint un sas d’accueil sur le mur duquel une grande fresque enfantine sera peinte. Chacun des personnages de cette fresque pourra également servir de vecteur de communication avec les enfants grâce à la création d’un “passeport pour la chirurgie”, document à la fois ludique et informatif que l’enfant fera tamponner par chacun des intervenants qu’il rencontrera », ajoute Bernard Redoules, infirmier anesthésiste qui réfléchissait à un tel projet depuis une dizaine d’années. Après une formation en hypno-analgésie il y a quatre ans, l’idée se renforce. « En améliorant l’accueil, en diminuant la violence de la séparation et, grâce à cette technique, nous parvenons maintenant à faire de petites interventions sous anesthésie locale », constate-t-il. À propos du tournage en lui-même, Bernard Redoules parle « d’une aventure ayant abouti à un très bel outil ». Pas toujours très à l’aise pour parler face à la caméra, il est heureux maintenant de constater l’excellent « retour de la part des parents ». « On sent une énorme différence. Notre objectif est atteint », s’enthousiasme-t-il. « Voir les lieux évite d’être dans un imaginaire effrayant. Du coup, le film est montré aux enfants et à leurs parents avant même la première consultation d’anesthésie. Seuls les grands adolescents se montrent parfois un peu résistants. Et il arrive encore à certains médecins d’oublier de le présenter. Mais l’utilisation des tablettes et le projet des bornes interactives devraient régler ce problème », observe Bernard Redoules, père de la petite Mélines. Des bornes pour lesquels les crédits pourraient être obtenus grâce à la présentation du film à d’autres concours professionnels.
Cathy Philippe est également infirmière anesthésiste. Elle campe le rôle de la mère de Mélines qui se prépare à être opérée. « Une maman souriante », se rappelle-t-elle. L’expérience lui a permis de comprendre « ce que c’est qu’être de l’autre côté de la barrière ». Et puis, « embrasser avec amour une petite fille que je connais à peine, ça faisait bizarre, au début », rit-elle. Ce qui l’a le plus frappée : « Le nombre de prises nécessaires pour obtenir une minute de film ». Elle aussi est porteuse du projet, ayant suivi une formation à l’accueil de l’enfant et une autre en hypno-analgésie. C’est elle, en outre, qui a démarché les magasins de jouets de la région et réussi à obtenir plus d’un mètre cube de jouets, sponsorisés par les magasins “La grande récré”. Quelques mois après le début de la diffusion de la vidéo, elle constate à quel point les personnes qui ont pu la visionner sont « moins stressées et soulagées de tomber sur les mêmes professionnels qu’ils ont vu à l’écran ». Car, si cet outil est constitué pour rassurer les enfants, il joue également un rôle auprès des parents. « Le stress des parents se communique aux enfants. Qu’ils puissent visualiser de bout en bout le parcours de leur petit, ça les aide aussi à le quitter plus sereinement », observe-t-elle enfin. Un avis largement partagé par Damien Rigollet, cadre du service qui se souvient de la genèse du film, basée sur la volonté conjuguée des infirmiers anesthésistes et du chef de service : « Avec leurs idées, les infirmiers sont d’abord partis à la recherche d’autres outils du même genre et ont constaté qu’il n’en existait pas en France, a priori. Puis, lorsque l’opportunité de travailler avec Laurent Four s’est présentée, tout a dû aller très vite. » Un tournage qu’il qualifie lui aussi d’aventure, insistant sur « les bonnes volontés à tous les niveaux ». Un défi pas toujours simple à relever, l’équipe tenant à bien expliquer leur projet au sein des services et à trouver les meilleurs moments pour ne pas déranger les équipes soignantes en plein travail, malgré des délais de prises de vues restreints. « Dans l’ensemble, mon rôle a consisté à accéder aux souhaits des infirmiers impliqués dans le projet en s’appuyant sur les formations qu’ils avaient pu suivre. Ainsi, celles-ci ont pu donner vie à un vrai travail d’équipe. Mon rôle de coordinateur a également été essentiel pour permettre aux personnes non impliquées directement de ne pas se sentir exclues », souligne le cadre.
Du côté des médecins, l’implication n’est pas moindre. Chrystelle Sola, anesthésiste et chef de clinique du service au moment du tournage, n’est pas en reste. « Pour l’écriture du draft (NDRL : sorte de grand brouillon détaillé), nous lui avons transmis les grands messages ainsi que les idées reçues à casser comme celle qui consiste à croire que les enfants doivent rester strictement à jeun depuis la veille à minuit », se souvient-elle. Pour elle aussi, permettre aux parents et aux enfants de pouvoir découvrir le bloc opératoire en amont leur permet de s’approprier ces lieux mystérieux et effrayants. « Ça devient LEUR bloc. On ne leur cache rien », insiste-t-elle. Et de confirmer les constatations des autres membres de l’équipe au sujet de la contagion de l’anxiété : « Les enfants sont très perméables au stress de leur entourage. Certains parents sont aidants, d’autres pas. Ceux-là parviennent même à transmettre leur anxiété aux soignants », déplore-t-elle. Une situation qui est désormais extrêmement améliorée par l’utilisation du film, selon les échos de chacun. Néanmoins, afin d’évaluer ses bienfaits de manière plus scientifiques, un questionnaire est maintenant proposé aux parents au moment de la sortie. Des résultats chiffrés devraient donc bientôt voir le jour. En attendant, Chrystelle Sola se félicite de constater sur le terrain à quel point ses interlocuteurs on pu démystifier le bloc opératoire. « Car, lorsqu’on parle de stress, ce n’est pas seulement de confort qu’il s’agit ; ses conséquences sur les douleurs post-opératoires, sur l’agitation en salle de réveil et sur la consommation d’antalgiques ont été démontrées depuis longtemps », relève-t-elle. Sans compter qu’une mauvaise expérience dans l’univers médical peut engendrer des phobies dans la vie future des petits opérés. Du tournage, l’anesthésiste ne garde, elle aussi, que des bons souvenirs. « Laurent a laissé beaucoup de place à la spontanéité. J’ai beaucoup aimé la manière dont il a appréhendé les enfants. Et puis, je trouve ça bien que les soignants du bloc soient valorisés par le film », conclut-elle. De son côté, Laurent Four est en train de terminer sa première année en tant qu’étudiant à l’Ifsi de Montpellier. Une formation qui semble lui convenir parfaitement. L’idée d’abandonner tout à fait son métier de réalisateur ne l’effleure cependant pas. À tel point qu’il envisage déjà de passer une partie de ses vacances, l’été prochain à travailler sur un projet du même type. Il ne lui manque plus qu’à trouver une équipe aussi motivée que celle de Montpellier. À bon entendeur…