Objectif Soins n° 227 du 01/06/2014

 

Droit

Gilles Devers  

Le droit et les jurisprudences sont indissociables. En responsabilité hospitalière, les jurisprudences sont variables. En voici quelques chroniques.

Faute de diagnostic et perte de chance

CAA Nancy, 9 janvier 2014, n° 13NC00207

• Les faits. Une patiente été hospitalisée au service des urgences du centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle) le 22 août 2002, à 20 heures, en raison de vives douleurs abdominales, accompagnées de troubles digestifs et de vomissements. Après un premier examen, il lui a été administré du Primpéran.

Vers 21 h 30, elle a présenté des yeux révulsés, des troubles de l’élocution, une mâchoire désaxée et une déviation du regard vers la droite. Ces symptômes ont été interprétés par le médecin de garde comme des effets secondaires du médicament Primpéran. Les résultats du dosage des D-Dimères, demandés à 21 heures et disponibles peu avant 22 heures, mettaient en évidence un taux de 3 540 ng/ml, qui n’a pas suscité de réaction médicale. Un scanner cérébral réalisé vers 22 heures n’a révélé aucune anomalie.

Se trouvant dans un état comateux, la patiente a été admise en réanimation entre 3 et 4 heures du matin, puis a été transférée, vers 11 heures, au service de réanimation de l’hôpital Pasteur de Strasbourg (Bas-Rhin), où une angiographie par IRM a permis de diagnostiquer un infarctus mésentérique distal, ainsi que des accidents vasculaires ischémiques récents au niveau cérébral.

• L’expertise. Selon l’expert, les résultats du dosage des D-Dimères, hors de tout contexte infectieux ou chirurgical récent, auraient dû attirer l’attention du médecin sur la constitution d’une thrombose au niveau cérébral, notamment par la consultation de praticiens spécialisés en chirurgie ou en neurologie ; le scanner cérébral réalisé vers 22 heures ne permettait pas de déceler une ischémie cérébrale en stade précoce.

• L’analyse. La mauvaise interprétation des signes cliniques, l’ignorance de résultats biologiques qualifiés de capitaux par l’expert et l’absence d’avis spécialisés sont constitutifs d’une faute de diagnostic de nature à engager la responsabilité.

Bilan insuffisant et perte de chance

CAA Bordeaux, 11 mars 2014, n° 12BX02224

• Les faits. Une patiente, née en 1965, était atteinte depuis l’enfance d’un rachitisme congénital vitamino-résistant qui provoquait une compression médullaire cervicale lente. Afin de juguler cette compression, elle a subi une intervention chirurgicale le 21 septembre 2007 au centre hospitalier universitaire de Poitiers (Vienne). À son réveil, elle souffrait d’une tétraplégie provoquant une paralysie quasi complète du corps.

• L’expertise. L’IRM, indispensable afin de mieux préciser la compression médullaire dont était victime la patiente ainsi que son étendue, n’a pas été réalisée. Or il ne pouvait être opté pour une voie d’intervention qu’à partir d’informations apportées par cette IRM. Cette absence d’IRM constitue une faute de nature à engager la responsabilité.

• Le préjudice. L’absence d’une IRM dans la phase préopératoire a augmenté le risque d’apparition de la complication et a compromis les chances de voir l’état de santé s’améliorer. Compte tenu de la gravité de l’état de santé avant son opération et de l’existence d’un risque important de tétraplégie inhérent à ce type d’intervention, le taux de perte de chance doit être fixé à 25 %.

Complications non fautives d’une cure de radiothérapie

Civ. 1° 20 mars 2014, n° 13-12407

• Les faits. À la suite du diagnostic d’un cancer du sein gauche en juin 1999, une patiente a subi, à l’Institut Gustave-Roussy (Val-de-Marne), des cures de chimiothérapie puis, le 30 septembre 1999, une mastectomie, suivie d’une cure de radiothérapie de seize séances.

Subissant des complications pulmonaires et une importante diminution de sa capacité respiratoire, elle a recherché la responsabilité de l’établissement.

• La faute technique. Les soins prodigués et les consultations médicales avaient été attentifs et conformes aux données acquises de la science. Il était justifié de recourir à une radiothérapie au regard de l’importance de la tumeur et de l’inefficacité des cures de chimiothérapie. L’irradiation était nécessaire, aux doses administrées, de façon à prévenir un risque de récidive, lequel est de 50 % à dix ans sans radiothérapie, ce traitement le réduisant à 15 %.

De plus, si un bilan fonctionnel respiratoire préopératoire avait pu, et non dû, être effectué, il ne l’était pas alors en pratique courante. La patiente, bien qu’ayant subi une lobectomie inférieure bilatérale des deux poumons en 1969, ne présentait pas de gêne fonctionnelle depuis trente ans, la radiothoracique préopératoire n’ayant au demeurant rien montré. Aussi, aucune faute n’a été commise.

• L’information. Le compte rendu de la consultation du 1er septembre 1999, préalable à l’intervention du 1er octobre suivant, indique que le risque de mastectomie avait été expliqué à la patiente et que celle-ci avait semblé le comprendre et l’accepter. Aussi, la patiente avait été informée, d’une part, de ce risque, lequel comportait la question de la reconstruction mammaire, d’autre part, avec toute la précision que permettaient la rareté des atteintes respiratoires subies et le fait que ses antécédents remontaient à plus de trente ans, sans signe clinique patent d’insuffisance respiratoire préopératoire, du rapport bénéfice-risque lié à l’absence de radiothérapie.

Aussi, a été délivrée une information claire, loyale et appropriée.

Séquelles inhérentes à l’évolution médicale

CAA Lyon, 6 mars 2014, n° 11LY24227

• Les faits. Une patiente, née en 1935, a subi, le 16 novembre 2006, au centre hospitalier d’Avignon (Vaucluse), une opération chirurgicale destinée à traiter l’éventration abdominale douloureuse dont elle souffrait. Lors de cette intervention, l’ouverture de la paroi abdominale a entraîné une effraction vésicale qui a nécessité une nouvelle intervention, laquelle est à l’origine de douleurs abdominales et de fuites urinaires.

• L’expertise. La patiente souffrait d’une éventration ancienne, re­montant à une vingtaine d’années, ayant entraîné des adhérences importantes entre les différents tissus, éventration qui est à l’origine de la petite brèche vésicale qui s’est produite lors de l’intervention du 16 novembre 2006. Cette adhérence entre les tissus rend ce type d’intervention difficile et peut être à l’origine d’une brèche vésicale qui « peut se produire selon les statistiques dans environ 1 % des cas ».

L’absence de cicatrisation après l’intervention est liée à l’état diabétique de la requérante, élément défavorable pour une bonne cicatrisation des plaies, ainsi qu’à une vessie pathologique, la patiente ayant subi en 1983 une plastie vésicale qui est à l’origine, depuis 1988, d’infections urinaires récidivantes.

Enfin, cette cure d’éventration était tout à fait légitime et indispensable, compte tenu de l’existence d’une éventration douloureuse et irréductible, qui pouvait dans un délai rapide entraîner des lésions viscérales importantes au niveau de l’intestin, par strangulation.

• L’analyse. La patiente a dû subir, dans l’espoir d’obtenir une amélioration de son état de santé, une intervention indispensable qui, eu égard à la spécificité de sa pathologie, l’exposait particulièrement à des risques connus. Dès lors, les séquelles, qui sont la conséquence de l’intervention non fautive qu’elle a subie, ne revêtent pas de caractère anormal.

De telle sorte, l’indemnisation ne peut acquise ni sur le fondement de la faute, ni sur celui de régime de l’accident médical (Oniam).

Notion d’infection nosocomiale après la loi du 4 mars 2002

CAA Lyon, 6 février 2014, n° 13LY0168

• Les faits. Un patient a été traité en juin 2004 par antibiothérapie pour une première crise de sigmoïdite diverticulaire. À la suite d’une récidive, en novembre 2005, il a été admis en urgence au centre hospitalier du Puy-en-Velay (Haute-Loire) où il est demeuré 48?heures et où il lui a été proposé de recourir à une intervention chirurgicale de résection par cœlioscopie d’environ 20 cm de côlon. Cette opération a été suivie de deux graves complications qui ont entraîné plusieurs infections.

• Ce que dit le droit. Il pèse sur un établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d’une cause étrangère ne soit rapportée. Une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge, et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge, doit être qualifiée de nosocomiale (Code de la santé publique, article L. 1142-1-I).

• L’expertise. L’expert indique qu’avant l’intervention chirurgicale, il n’y a pas de véritable phénomène infectieux. Ces infections sont la conséquence du geste chirurgical de résection intestinale qui libère obligatoirement, malgré toutes les précautions qui peuvent être prises, un certain nombre de germes intestinaux dans la cavité péritonéale.

• L’analyse. Les complications infectieuses qui sont survenues à la suite de l’opération ne sont pas la conséquence du développement de l’infection pour laquelle ce patient avait été pris en charge, mais ont été provoquées par le geste opératoire effectué au centre hospitalier du Puy-en-Velay. Ainsi l’infection n’était en réalité ni présente, ni en incubation au début de sa prise en charge au centre hospitalier du Puy-en-Velay, et elle revêt, dès lors, le caractère d’une infection nosocomiale.

Par ailleurs, si les infections en cause ont pour origine la flore microbienne endogène du patient, cette circonstance ne peut exonérer l’hôpital de sa responsabilité en l’absence d’une cause étrangère, l’infection dont il s’agit ne présentant pas de caractère d’extériorité, d’imprévisibilité ou d’irrésistibilité. Dès lors, la responsabilité du centre hospitalier du Puy-en-Velay se trouve engagée.

Défaut d’information alors que l’acte médical ne s’impose pas

CAA Lyon, 20 mars 2014, n° 13LY00145

• Les faits. Un patient, victime en 1985, à l’âge de 14 ans, d’un accident de la circulation lui ayant notamment occasionné des fractures au 3e et 4e métatarsiens, présentait une déformation de l’avant pied-droit de type hallux valgus depuis l’âge de 20 ans, ainsi qu’un durillon sous la plante du pied. Il a subi le 28 mai 2004 une intervention chirurgicale au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand (Puy-de- Dôme) consistant dans la correction de cet hallux valgus, avec une libération du gros orteil et une ostéotomie du premier métatarsien, et dans la résection des têtes des 3e et 4e métatarsiens.

À la suite de cette intervention, il s’est plaint de modifications douloureuses de l’appui plantaire droit, avec une gêne fonctionnelle importante.

• L’acte opératoire. L’expert n’a pas formé de critiques sur l’acte opératoire expert. Cette intervention a été réalisée conformément aux règles de l’art. Elle était médicalement justifiée et il n’existait pas d’autre solution thérapeutique.

En revanche, ce type d’intervention de l’hallux valgus n’était pas vitale et l’abstention thérapeutique pouvait être une alternative, avec un port de semelles orthopédiques.

• L’information. Un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée. C’est seulement dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que peut être niée l’existence d’une perte de chance. Enfin, cette obligation d’information ne porte que sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles (Code de la santé publique, article L. 1111-2).

Le patient n’avait pas été informé des complications susceptibles de survenir du fait de l’intervention chirurgicale du 28 mai 2004 et notamment de la résection de têtes des 3e et 4e métatarsiens.

Cette intervention entraîne des risques non fréquents d’infection liés à la prise d’antibiotique et qui n’ont pas de conséquence sur l’état de santé. Ainsi, ces risques prévisibles ne relevaient pas des risques fréquents ou graves impliquant que le patient en soit nécessairement informé.

De même, concernant les risques liés à l’intervention portant sur l’hallux valgus, ceux d’une hyper-correction de la déformation, d’une infection et de récidive de la déformation ne relevaient pas des risques liés à l’intervention chirurgicale dont la fréquence et la gravité justifiaient que le patient en soit informé.

En revanche, le risque de douleurs lié à ce type d’intervention a été qualifié de fréquents par l’expert. Par ailleurs, compte tenu du déficit fonctionnel permanent dont le patient s’est trouvé affecté consécutivement à cette intervention, évalué à 8 %, et des douleurs invalidantes dont il continue à souffrir, cette invalidité procède de la réalisation d’un risque grave qui justifiait une information.

Selon l’expert, une renonciation à l’intervention chirurgicale n’aurait pas entraîné d’aggravation, et l’intervention chirurgicale n’était pas impérieusement requise. Dès lors, le défaut d’information a privé le patient d’une possibilité raisonnable de refuser cette intervention, ce qui engage la responsabilité, dans une proportion évaluée à un tiers des différents chefs de préjudices subis.

Faute disciplinaire d’un psychologue

CAA Lyon, 18 février 2014, n° 13LY02090

• Les faits. Un psychologue, recruté par le centre hospitalier Alpes-Isère depuis 1982 a fait l’objet d’un licenciement disciplinaire le 4 février 2011. La décision est motivée par l’échange de courriers électroniques entre celui-ci et une patiente dans le cadre d’un suivi sous forme d’e-thérapie.

Or cette pratique était contestée par le médecin psychiatre chef de service, qui suivait la patiente, et certains mails remettaient en cause le traitement du psychiatre, qui se disait de fait placé dans l’incapacité d’établir un diagnostic pertinent.

• En droit. Aux termes de l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 : « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »

Aux termes de l’article 29 de la même loi : « Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire. »

• L’appréciation de la faute. L’échange de courriers électroniques entre le psychologue et la patiente se plaçait dans le cadre d’un suivi sous forme d’e-thérapie. Si quelques courriels peuvent être interprétés comme mettant en cause la pratique du psychiatre suivant la patiente et chef de service, ces éléments ne permettent pas de conclure que ce psychiatre a été de ce fait placé dans l’incapacité d’établir un diagnostic pertinent de la patiente.

Toutefois, certains courriels isolés doivent être interprétés comme une remise en cause des prescriptions du corps médical.

De plus, le médecin chef de service, sous l’autorité duquel le psychologue était placé, n’était pas informé des échanges de courriels entre celui-ci et la patiente, et ce, alors que l’e-thérapie n’est pas reconnue par ce psychiatre comme un protocole scientifiquement acceptable. Dès lors, la mise en place d’une e-thérapie et la nature de certains échanges constituent un manquement au devoir de loyauté qui incombait au psychologue vis-à-vis tant du centre hospitalier que du chef de service et de son équipe, de nature à justifier une sanction disciplinaire.

• L’appréciation de la sanction. Ce comportement isolé d’un professionnel jusque-là irréprochable s’est inscrit dans la continuité d’un traitement dont il avait la charge comme psychologue clinicien et dans un contexte où l’information du médecin chef de service était rendue moins facile par son rattachement à une unité de soins autre que celle au sein de laquelle la patiente en cause se trouvait globalement prise en charge. Dans ces conditions, le licenciement est une sanction disproportionnée.