Objectif Soins n° 228 du 01/09/2014

 

Frédéric Robinet

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Une nécessité et un bien : depuis 2009, le CHU de Dijon met les bouchées doubles pour recruter et maintenir dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Il a ainsi signé une convention qui doit lui faire atteindre un objectif de 6 % des personnels de la structure en handicap.

Accepter le handicap au sein des équipes de l’hôpital n’est pas toujours aisé. Si la question du pragmatisme est évoquée, c’est que tous les établissements sont soumis par la loi(1) à une obligation d’employer au moins 6 % de personnel handicapé, sous peine de payer de fortes compensations. Un levier qui fait effet au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon (Côte-d’Or) comme ailleurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’accueil du handicap parmi le personnel y est devenu une cause majeure. Progressant d’année en année vers les fameux 6 %, les personnels y trouvent des satisfactions bien éloignées des questions de contraintes budgétaires. Parmi les personnes les plus enthousiastes, Frédéric Robinet, cadre supérieur au sein du pôle Personnes âgées du CHU de Dijon(2), parle de véritable « modification de la notion du soin ». En apprenant à s’adapter à des personnes différentes et en trouvant des astuces pour travailler ensemble, il semblerait bien à notre cadre supérieur qu’une ouverture d’esprit supplémentaire ait vu le jour au sein de ses équipes. « La réalité du handicap est perçue avec méfiance dans notre monde alors qu’on prend soin des handicapés. C’est un paradoxe », déplore-t-il avant d’ajouter : « Dans un contexte de difficultés financières, les personnels soignants et les cadres ressentent une certaine méfiance face à la perspective de voir arriver dans leurs équipes des personnes handicapées. On est dans la recherche constante de la rapidité et de l’efficacité dans l’accomplissement des missions. » C’est la raison pour laquelle Frédéric Robinet, en lien étroit avec les équipes de direction qui portent également le projet, a lancé ses premières démarches à destination de l’encadrement. « Il faut absolument commencer par “conscientiser” les managers. Sinon, c’est chou blanc, on court à l’échec assuré », insiste-t-il. C’est ainsi que la question des agents handicapés a été abordée lors de chacune des réunions hebdomadaires avec les cadres depuis trois ans déjà. Il souligne : « Si on impose les choses sans préparation, sans prise de conscience, le message ne passera jamais aux équipes. »

Abolir les craintes

Il est donc véritablement question d’accompagnement. « Ça ne se fait pas du jour au lendemain, précise Frédéric Robinet. C’est un travail de fond et de proximité. Lors de ces rencontres sur la thématique handicape, j’encourage mes cadres à exprimer toutes leurs craintes et préventions. C’est la seule manière de désamorcer les peurs et d’exprimer le champ du possible. Lorsque la perspective d’embaucher un soignant handicapé se profile, nous mettons en perspective les éventuelles difficultés ainsi que la possibilité de trouver des solutions adaptées. Un travail en amont est également effectué en collaboration avec Nadine Guerrin, la chargée de mission Handicap de l’établissement. L’astuce, c’est de démarrer par une phase de test. On ne risque jamais rien à faire un test, après tout ! » C’est ce qui est arrivé, par exemple, pour un homme souffrant de difficultés de compréhension. « Au début, nous l’avons uniquement assigné au nettoyage des fauteuils roulants et à un peu de brancardage. Pendant trois mois, nous avons suivi son travail, en communication étroite avec les équipes. Et, récemment, lorsque j’ai évoqué la possibilité de lui trouver une autre mission simple en remplacement, son cadre s’y est opposé, arguant de sa grande efficacité. En trois ans, non seulement il était devenu parfaitement autonome dans les tâches qui lui avaient été confiées, mais, en plus, il avait développé la capacité de remplir intégralement toutes les missions des brancardiers qui se sont pourtant complexifiées ces dernières années. Il était devenu indispensable au fonctionnement du service. » Lors des rendez-vous réguliers de bilan d’avancement du projet d’adaptation du salarié handicapé, rien n’est laissé au hasard. Chacune des étapes de son travail est scrutée, ainsi que les efforts d’adaptation déployés par les équipes. Des renvois de sonnettes lumineux pour une infirmière malentendante ou un travail en binôme les premiers mois n’en sont que des exemples. « Au cours de ces discussions, les soignants sont souvent étonnés par leurs préventions de départ et satisfaits d’avoir réussi à faire fonctionner l’équipe sans difficultés majeures », témoigne Frédéric Robinet avec une satisfaction non dissimulée, avant d’ajouter tout de même que le processus demande du temps et de l’énergie de la part de l’encadrement qui doit être « absolument partie-prenante du projet ». Tout cela concourt à changer profondément la perception de la personne handicapée, trop souvent considérée comme un “boulet” dans le milieu du travail. « Des idées sympas sont imaginées et l’organisation du travail s’en trouve durablement et favorablement changée. Parfois, on constate même une amélioration du travail en équipe et un sentiment de fierté partagé », s’enthousiasme-t-il encore.

FLASH MOB AU MENU

Des constatations qui ne peuvent que réjouir Nadine Guerrin, la chargée de mission Handicap au sein de l’établissement. Exclusivement dédiée à cette mission, son champ d’action est plus large que celui de Frédéric Robinet puisqu’elle est, entre autres, également chargée de l’adaptation des postes pour les soignants atteints de maladies professionnelles ou de séquelles d’accidents du travail. Elle pilote également la communication à destination de l’ensemble des salariés. Démarrant sa seconde convention avec le FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) qui lui permet de bénéficier de 1,6 million d’euros sur trois ans pour mettre en place des mesures efficaces, elle fourmille d’idées. Et, pour elle aussi, tout passe par une bonne information et des échanges ouverts.

À cet égard, les idées n’ont pas manqué : fiches d’informations adjointes aux feuilles de paie, page dédiée dans le journal du CHU, utilisation des napperons de la cafétéria comme supports de communication, quiz avec des lots à gagner, et même un « flash mob » à l’heure du déjeuner. Des associations de handicapés ont également été invitées à tenir des conférences-rencontres dans le hall de l’hôpital pour permettre à tous de mieux comprendre les enjeux de l’ouverture à la différence et des informations sur la reconnaissance de travailleur handicapé ont été largement distillées. Des petits films sont également utilisés. Diffusés dans l’entrée, ils présentent des situations susceptibles de créer des malentendus entre valides et personnes handicapées. On y voit, par exemple, un électricien sourd travailler dans une chambre de patient. Celui-ci lui adresse la parole sans obtenir de réponse – évidemment puisque l’homme lui tourne le dos. Quelques minutes plus tard, le dialogue s’engage et le patient comprend la situation. Le message est double : à destination des handicapés qui sont mieux acceptés, et à destination des malades qui comprennent que, même si leur état physique est détérioré, ils peuvent espérer retravailler un jour. Autre événement : l’intervention d’une troupe de théâtre au cœur d’une réunion cadres. Dans un style à la fois léger et sérieux, les comédiens ont interpellé l’audience sur un certain nombre de mises en situations complexes pour les personnes handicapées.

RÉORIENTATION PROFESSIONNELLE

Parmi les autres relais sur lesquels s’appuie Nadine Guerrin, le médecin du travail occupe une place essentielle. « Tous les salariés y passent au moins une fois par an, explique-t-elle, c’est donc un lieu où peuvent être diffusés des éléments essentiels comme ceux liés aux aménagements de postes, les études ergonomiques du poste de travail, l’éventualité d’achat de matériel pour améliorer les conditions de vie au travail, par exemple. » Car, lorsqu’on parle d’acceptation du handicap dans l’établissement, ce n’est pas uniquement d’embauches qu’il s’agit. En effet, le cas se présente aussi pour des membres du personnel rendus incapables d’exercer leurs missions en services de soins. « Ce sont les aides-soignants qui sont le plus souvent touchés à cause des fortes contraintes physiques liées à leur métier, témoigne la chargée de mission. Il nous faut donc trouver des solutions pour leur permettre de continuer leur carrière dans l’établissement. » Un processus de réorientation professionnelle qui n’est pas toujours simple et qui démarre le plus souvent par un bilan de compétences. « Il y a un deuil à faire, analyse-t-elle. Nous les accompagnons à chaque étape, de manière à ce que tout se passe pour le mieux, du passage des soins aux postes administratifs de bureau. Lorsque l’idée émerge, nous nous chargeons de trouver l’organisme de formation, mais uniquement dans l’optique d’obtenir un poste disponible », insiste Nadine Guerrin. En ce moment, par exemple, une infirmière ayant des difficultés de marche est en formation de secrétariat médical pour un poste qui l’attend. Elle ne subira pas de rétrogradation salariale, même si elle change de catégorie. Son reclassement dans le grade ne sera considéré comme définitif que lorsqu’elle aura demandé son intégration. En attendant, elle pourra demander le renouvellement de son reclassement après passage devant une commission. Ce choix lui laisse la porte ouverte à un retour en service de soins.

« TOUS DES HANDICAPÉS »

Bilan, formation, accompagnement, adaptation du poste de travail, il semble bien que rien ne soit oublié mais, chez certains, l’attrait du soin est tel qu’ils demandent leur réintégration auprès des malades dès que leur situation de santé s’améliore, ce qui serait le cas des aides-soignants. Et justement, c’est une nouvelle aide-soignante malentendante qui est sur le point d’être embauchée par Frédéric Robinet. La cause de la surdité est particulièrement prise en compte au sein du CHU, qui vient de publier sur Internet une vidéo en langue des signes à leur intention. Réalisée en collaboration avec l’association “Tes signes, mes compétences”, elle a nécessité plusieurs mois de travail et dissèque les formalités administratives, les informations pratiques, la description du CHU en 19 minutes. À terme, l’objectif est de la présenter par le biais d’écrans interactifs disséminés dans l’hôpital. On peut dire que l’insertion des handicapés est véritablement devenue une cause majeure au sein du CHU de Dijon. « Je suis profondément persuadé que nous sommes tous des handicapés, d’une manière ou d’une autre, affirme Frédéric Robinet. Vous êtes parfait, vous ? Pas moi, en tout cas ! » À l’en croire, les 6 % de personnels handicapés réclamés pour 2016 par la loi seraient déjà largement dépassés.

NOTES

(1) Circulaire DGEFP n° 2006/06 du 22 février 2006 relative à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés du secteur privé et du secteur public à caractère industriel et commercial, Décret n° 2012-1354 du 4 décembre 2012 (JO du 6).

(2) www.chu-dijon.fr