Deux services publics pour une action commune

La simulation en santé se définit comme « l’utilisation d’un matériel (mannequin, simulateur procédural, etc.), de la réalité virtuelle ou d’un patient dit “standardisé” pour reproduire des situations ou des environnements de soins, pour enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et permettre de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels »(1). Dans le cadre d’une action pédagogique commune entre l’Ifsi d’Annecy et le SDIS 74(2), un exercice de simulation de masse de type séisme s’est déroulé en avril 2013, sur un site dédié en Suisse et sur une durée totale de 36 heures. Ce dernier fut l’aboutissement de trois ans de travail collaboratif entre deux services publics. La mutualisation des savoirs et la rationalisation des moyens alloués en termes de formation a permis une plus-value dans la qualité des enseignements à destination des étudiants en soins infirmiers et des stagiaires du groupe sauvetage déblaiement du SDIS 74. La contextualisation des contenus théoriques délivrés a enrichi une nouvelle vision des exercices de simulation par une organisation complexe et continue. Ce type d’exercice est innovant à plusieurs titres : par l’intégration dans le nouveau programme d’enseignement en soins infirmiers, d’une part ; par une nécessaire conduite de projet commune, d’autre part. Ces deux éléments ont imposé une collaboration novatrice engendrant des perspectives de collaboration dans des domaines différents dans un avenir proche.

LA PHILOSOPHIE DU PARTENARIAT

La volonté du comité de pilotage, validée par les directions respectives, était de mettre en exergue le travail collaboratif. Chaque agent des deux fonctions publiques pouvait intervenir dans le domaine de compétences de l’autre dans un esprit constructif et de libre-échange.

La nomination d’un groupe de pilotage par les directions respectives a été initiée en respectant une parité des membres. Cette parité s’est déclinée avec un binôme de formateurs (sapeurs-pompiers et cadres de santé) dans chacun des sous-groupes mis en place, rejoint en cours de projet par deux étudiants en soins infirmiers. Il est à noter que la parité s’est retrouvée tant dans le pilotage que dans la conception et la réalisation des actions pédagogiques. La base de cette philosophie s’est appuyée sur la connaissance de la culture professionnelle de chacun afin de comprendre les problématiques organisationnelles de chaque administration, son langage ou encore les relations hiérarchiques.

LA GENÈSE

La genèse organisationnelle a été initiée par la présentation d’un avant-projet aux hiérarchies respectives (SDIS 74 et l’Ifsi du Change, le Centre Hospitalier ANnecy-GEnevois). À l’issue de la validation, un groupe de pilotage en parité a été créé. Ses missions ont été pédagogiques, organisationnelles, avec une réelle responsabilité de cette simulation de masse. La préparation de l’exercice a nécessité une vingtaine d’heures de réunion de travail sur le site du centre hospitalier de la région d’Annecy et différents sites du SDIS 74. Sur le plan administratif, plusieurs procédures définissant l’organisation de l’exercice ont été rédigées et validées conjointement par les deux services publics. Il en a été de même par la signature d’une convention de participation des étudiants en soins infirmiers à l’exercice catastrophe de sauvetage-déblaiement.

DES OBJECTIFS RÉFLÉCHIS EN COMMUN

Les objectifs ont été réfléchis collectivement et proposés aux directeurs ou à leurs représentants des deux institutions : accompagner les étudiants en soins infirmiers vers une démarche concrète de conduite de projet et renforcer leurs apports théoriques et pratiques dans le domaine des situations d’exception. En ce qui concerne les personnels sapeurs-pompiers, il s’agissait de travailler en complémentarité et en transversalité avec les différents intervenants, de s’intégrer dans un dispositif de grande envergure et de prendre en charge des victimes dans un contexte d’accès difficiles avec des pathologies spécifiques. La force de cette action collaborative est sans aucun doute l’émergence d’un objectif commun aux différents apprenants : mettre en application les techniques enseignées dans un contexte de catastrophe.

L’INGÉNIERIE DE FORMATION

Partant du postulat que le rôle des étudiants en soins infirmiers ne devait pas se résumer à celui de “victimes”, le groupe de pilotage a conçu une maquette pédagogique les incluant sur le thème d’une conduite de projet avec une situation de catastrophe comme support. Ce projet a été intégré dans des unités d’enseignement (UE) des semestres 3 à 6 (UE 3.3 S3 et S5 : rôles infirmiers, organisation du travail et interprofessionalité – UE 4.3 S4 : soins d’urgence – UE 5.7 S5 et S6 : optionnelle), de septembre 2011 à avril 2013. Toutes les actions pédagogiques ont été réalisées en commun et toujours en parité. Dans la phase “pré-exercice”, nous pouvons noter la conception et la réalisation de :

• huit cours magistraux en audio vidéo cours (1 heure 30) : approche sociologique de la catastrophe, les plans d’urgence, les différents intervenants en situation d’exception ;

• sept travaux dirigés préparatoires et thématiques (30 heures) : logistique, gestion des ressources humaines, conception des cas cliniques, techniques de réalisation des grimages, communication ;

• six cours magistraux en face à face pédagogique (9 heures 15) : organisation d’un chantier de sauvetage déblaiement, technique de recherche cynophile… ;

• réalisation de deux dossiers thématiques sur les thèmes de la catastrophe et du service de santé et de secours médical (SSSM) des sapeurs-pompiers ;

• commande et la mise à disposition au centre de documentation d’ouvrages et de revues sur le sujet.

Au cours des 36 heures d’exercice, les actions ont été les suivantes :

• réalisation de 220 scénarii cliniques de victimes sur 10 chantiers de sauvetage déblaiement(2) ;

• gestion des ressources humaines Ifsi ;

• organisation logistique et matérielle (pour des étudiants et des formateurs des deux institutions) ;

• actions de communication à destination des médias régionaux et suisses (la presse télévisée (TV8 Mont Blanc), la presse écrite (Le Dauphiné libéré, l’Essor, l’Hebdo des Savoies et la Tribune de Genève) et la radio (ODS et La Radio Plus).

À l’issue de la clôture de l’exercice par le directeur général du Change et l’officier supérieur, chef du pôle opération, planification, prévention du SDIS 74, les étudiants ont bénéficié d’une séquence de débriefing. Il fut animé par le directeur de l’Ifsi d’Annecy, les membres du groupe de pilotage ainsi qu’une experte docteur en psychologie cognitive de l’Université de Bourgogne.

L’ORGANISATION

Outre l’organisation habituelle des actions pédagogiques en Ifsi, la démarche organisationnelle sur le site fut formalisée dans cinq procédures exceptionnelles. La création d’une entité éphémère, Direx Ifsi (pour “direction de l’exercice Ifsi”), fut nécessaire. La Direx Ifsi était responsable de la mise en œuvre de l’exercice pour les étudiants en soins infirmiers de l’Ifsi d’Annecy. Elle coordonnait l’activité des étudiants tout au long de l’exercice (transport inclus) et organisait les missions des groupes de travail fonctionnels. De plus, elle assurait le lien entre la Direx SDIS (pour la “direction de l’exercice du SDIS”) et les groupes fonctionnels des étudiants. Enfin, la Direx Ifsi veillait à la continuité de l’exercice et à la sécurité des étudiants. Concrètement, elle assurait la mise en œuvre des moyens humains et matériels demandés par la Direx générale de l’exercice, l’organisation hiérarchique et fonctionnelle pour les étudiants, la réponse aux événements indésirables par la mise en place ou la demande de moyens suffisants et adaptés, rencontrés pendant la phase de préparation et la réalisation de l’exercice et le lien avec la direction générale du Change si besoin. Il est à noter que deux étudiants ont collaboré aux missions de la Direx Ifsi, notamment pour assurer le lien entre les groupes. Enfin, une psychologue experte était présente sur le site de l’exercice, dans le cadre d’une observation universitaire. À la demande de la Direx Ifsi, elle pouvait entre autres conseiller la Direx Ifsi sur des problématiques de fonctionnement et mettre en place des mesures de soutien psychologique en cas de difficultés des étudiants.

BILAN

Objectifs pédagogiques

L’ensemble des objectifs est atteint pour les différentes catégories d’apprenants. Un suivi pédagogique a été réalisé du projet à la finalité de l’exercice. De plus, nous avons constaté que l’émulation des différents manœuvrants a permis des apprentissages informels sur des thématiques en lien avec la prise en charge spécifique des victimes en situation d’exception.

Événements indésirables

Aucun événement indésirable n’est à déplorer tant sur le plan humain que matériel. Pour ce faire et afin de prévenir d’éventuels incidents psychologiques inhérents aux contraintes de l’exercice, la présence d’une experte psychologue était anticipée. Cela s’est traduit par la mise en place de trois débriefings individuels ou collectifs préventifs. Ces derniers permettaient de prévenir principalement les risques d’incidents critiques d’ordre psychologique.

Collaboration interne à chaque service

Outre le personnel spécialisé (sauvetage déblaiement et cynotechnie) et le personnel du service de santé et de secours médical (SSSM) des sapeurs-pompiers de la Haute-Savoie, le projet a inclus l’équipe pédagogique, administrative et du centre de documentation pour l’Ifsi d’Annecy. Il a également inclus du personnel administratif et technique, la pharmacie à usage intérieur et le biomédical du SDIS 74.

Relations interservices

Le travail collaboratif entre l’Ifsi d’Annecy et le SDIS 74 a été réel et constructif tout au long du projet. En effet, de la proposition initiale, en passant par la construction du projet, en se terminant par l’exercice et le bilan, le travail en parité a fonctionné sans cloisonnement ni séparation catégorielle, chacun pouvant intervenir librement dans le domaine de compétence de l’autre. La création de binômes cadres de santé formateurs/ sapeurs-pompiers a été probablement l’un des catalyseurs de cette réussite. De plus, la visite sur le site d’autorités sanitaires (ARS, direction des soins du Change), d’autorités administratives de la région Rhône-Alpes et d’autorités sapeurs-pompiers (état major de la zone sud-est et direction départementale du SDIS 74) a montré que l’ouverture et la collaboration interservices étaient contextualisées dans une action commune.

PERSPECTIVES

L’analyse de cette initiative nous permet d’émettre l’idée d’un rapprochement collaboratif plus étroit. Il en découle un certain nombre d’actions en projet en lien avec l’exercice “cata 2013” :

• la reconstruction d’un exercice de simulation de catastrophe pour l’année 2016 avec des améliorations pédagogiques, comme l’initiation aux gestes et soins d’urgence en cas de catastrophes ou encore la prise en charge des traumatismes psychologiques par les infirmiers ;

• la réalisation d’une étude universitaire sur le sujet Ifsi Annecy – Université de Bourgogne pour l’année 2013-2014 complétée par une étude universitaire incluant le SDIS 74 pour l’année 2015-2016 ;

• la rédaction de nouveaux articles dans les champs pédagogiques et sanitaires.

De plus, nous projetons l’ouverture à d’autres domaines comme :

• la réalisation d’action de formations continues communes aux deux services publics à destination de professionnels de santé et des sapeurs-pompiers ;

• l’établissement de missions d’évaluations pédagogiques spécifiques à chaque administration dans le domaine d’expertise de chacun.

CONCLUSION

La collaboration entre le SDIS 74 et l’Ifsi d’Annecy existe depuis une dizaine d’années. Elle se limitait à l’accueil et au tutorat de stagiaires étudiants en soins infirmiers et la réalisation de cours magistraux sur des sujets en lien avec les soins d’urgence. La réalisation de ce projet, tel qu’il a été conçu et mené, a permis de mettre en exergue qu’une plus-value aux enseignements apportés est présente pour les apprenants de chaque institution. La mutualisation des savoirs et des moyens présente un incontestable intérêt en termes de qualité pédagogique et économique. Ce travail a renforcé la collaboration entre deux services publics en tirant bénéfice des spécificités de chacun. Riche de ces enseignements, la montée en puissance de l’entente professionnelle devrait s’amplifier par la signature d’une convention entre les deux services. Dans les mois à venir, la création d’une formation dans l’organisation d’un exercice de masse verra sans doute le jour.

BIBLIOGRAPHIE/WEBOGRAPHIE

• Bielokopytoff T., Thuez L., Cordeau J.C., et al. “La communication : élément incontournable de la simulation de masse”, 30/10/2013 [site Internet], URL : www.infirmiers.com/etudiants-en-ifsi/etudiants-en-ifsi/ apprendre-communiquer-en-toutes-situations.html • Granry J.C., Moll M.C. Rapport de mission. État de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé. Dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) et de la prévention des risques associés aux soins. Saint-Denis-La-Plaine : HAS ; 2012 • Thuez L., Bielokopytoff T., Cordeau J.C. “L’art du grimage dans le cadre d’une simulation de masse”, 19/09/2013 [site Internet], URL : www.cadredesante.com/spip/profession/pedagogie/article/l-art-du-grimage-dans-le-cadre-d-une-simulation-de-masse.html, consulté le 30/09/2013 • Thuez L., Bielokopytoff T., Cordeau J.C. et al. “Gérer la collaboration de chacun pour la réussite de tous”, 26/11/2013 [site Internet], URL : www.infirmiers.com/etudiants-en-ifsi/ etudiants-en-ifsi/gerer-collaboration-chacun-pour-reussite-de-tous.html