Pas de droit sans jurisprudences. Elles désignent l’ensemble des décisions de justice. Ce mois-ci, nous vous proposons l’analyse des actualités de jurisprudences hospitalières.
CAA Nancy, 7 mai 2014, n° 13NC01322
• Les faits. Une étudiante en deuxième année à l’Ifsi du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims (Marne), a été exclue de cette formation, pour inaptitude, par une décision de la directrice de l’institut en date du 18 septembre 2006. Cette décision a été annulée par un arrêt de la Cour administrative d’appel (CAA) de Nancy du 25 mai 2011, pour un motif de forme. L’étudiante a recherché la responsabilité du CHU de Reims.
• En droit. Si l’intervention d’une décision illégale pour vice de forme peut constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’État, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d’une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise.
• L’analyse. Aux termes de l’article 3 de l’arrêté susvisé du 19 janvier 1988 modifié, alors applicable : « Le directeur de l’institut peut, après avis du conseil technique, décider du redoublement d’un étudiant ou prononcer son exclusion pour inaptitude théorique ou pratique au cours de la scolarité. »
Il résulte des rapports des cadres pédagogiques de deuxième année de l’institut de formation que l’étudiante ne maîtrisait pas les règles d’asepsie dans la prise en charge des patients, manquait d’organisation, d’anticipation et de logique dans la mise en œuvre des soins, et présentait un comportement inadapté vis-à-vis des patients. Elle ne prenait pas en compte les remarques, conseils et directives des formateurs et restait imperméable à toute critique.
Selon le rapport établi par les responsables du stage accompli par l’étudiante au mois de janvier 2006, au centre d’accueil et de soins pour les toxicomanes de Reims, l’intéressée ne disposait pas des capacités personnelles et des compétences professionnelles requises pour l’exercice des fonctions d’infirmière.
Le compte rendu, établi à la suite de la mise en situation professionnelle de l’étudiante lors de son stage au mois de juillet 2006, indique un manque de structuration et de priorisation dans le traitement du patient pris en charge et l’absence de diagnostic correctement posé au regard des contraintes propres à ce même patient. En se bornant à faire état d’un bilan encourageant, dressé au terme de la première moitié du stage suivi au centre d’accueil et de soins pour les toxicomanes, la requérante n’apporte pas d’éléments suffisants de nature à infirmer les appréciations particulièrement circonstanciées qui ont été portées sur sa manière de servir.
Alors que l’intéressée redoublait sa deuxième année de formation, ces appréciations révèlent un comportement inadapté à la profession d’infirmière et justifient, au fond, la décision d’exclusion du 18 septembre 2006. De telle sorte, aucune indemnisation n’est due.
Conseil d’État, 7 mai 2014, n° 359076
• Les faits. Un psychiatre a reçu une première fois, le 10 novembre 2008, une jeune fille de seize ans souffrant, selon son diagnostic, d’une « dépression modérée à sévère », accompagnée de son père, divorcé de la mère de la jeune fille et exerçant conjointement l’autorité parentale avec celle-ci.
À la suite d’une aggravation de l’état de la jeune fille, le médecin l’a reçue une deuxième fois, le 12 novembre 2008, accompagnée de sa mère, et lui a prescrit le médicament Prozac, sans avoir cherché à recueillir le consentement du père avant de faire cette prescription.
• En droit.
→ Aux termes de l’article R. 127-42 du Code de la Santé publique (CSP) : « Sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement.
« En cas d’urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le médecin doit donner les soins nécessaires.
« Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible. »
→ Aux termes de l’article 372 du Code civil : « Les père et mère exercent en commun l’autorité parentale. »
→ Aux termes de l’article 372-2 du Code civil : « À l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant. »
→ Aux termes de l’article 373-2 du Code civil : « La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale. »
Un acte médical ne constituant pas un acte usuel ne peut être décidé à l’égard d’un mineur qu’après que le médecin s’est efforcé de prévenir les deux parents et de recueillir leur consentement. Il n’en va autrement qu’en cas d’urgence, lorsque l’état de santé du patient exige l’administration de soins immédiats.
• L’analyse. Pour juger que le psychiatre n’avait commis aucun manquement à la déontologie en s’abstenant de prévenir le père du mineur, la chambre disciplinaire nationale ne s’est pas fondée sur le caractère usuel de l’acte litigieux mais a estimé que la jeune fille se trouvait dans une situation d’urgence justifiant la prescription d’un antidépresseur en application des dispositions précitées.
Pour statuer ainsi, la chambre disciplinaire nationale s’est bornée à relever que l’état de la patiente s’était aggravé entre le 10 et le 12 novembre 2008 sans relever les éléments précis qui justifiaient en quoi cette aggravation était de nature à caractériser, à elle seule, une situation d’urgence au sens de l’article R. 4127-42 du CSP, autorisant l’absence d’information du père de la jeune fille mineure.
Dès lors, la chambre disciplinaire a entaché sa décision d’erreur de droit.
CE, 12 juin 2014, n° 348483
• Les faits. Un homme a été victime, le 3 août 2004, alors qu’il circulait seul à bicyclette, d’une chute qui lui a occasionné une plaie sur la face antéro-interne de la cuisse droite. Les sapeurs-pompiers du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de la Gironde ont été appelés en urgence sur les lieux de l’accident. Le médecin, capitaine des sapeurs-pompiers, a procédé sur place, dans le véhicule du SDIS, à la suture de la plaie hémorragique que présentait le cycliste. Ce dernier a par la suite présenté un hématome sur l’arrière de la cuisse blessée et s’est plaint de douleurs qui se sont accentuées, un abcès s’étant formé autour des fibres textiles, provenant des vêtements qu’il portait lors de l’accident, qui n’avaient pas été extraites de la plaie, jusqu’à l’intervention chirurgicale à laquelle il a été procédé le 9 août 2004 pour évacuer l’abcès.
• La procédure. La CAA de Bordeaux a jugé que le médecin du SDIS n’avait pas commis de faute en procédant à la suture de la plaie sans s’apercevoir de la présence de corps étrangers.
La CAA avait relevé que :
→ ce médecin avait, avant de procéder sur les lieux de l’accident à la suture de la plaie, effectué une exploration visuelle et manuelle de la plaie et l’avait désinfectée sans que cette intervention ne permette de déceler la présence d’un corps étranger ;
→ l’échographie réalisée le 9 août 2004 à la clinique Pasteur de Royan (Charente-Maritime) n’avait pas davantage permis de déceler la présence du petit morceau de tissu qui s’était glissé dans la plaie derrière un muscle, comme l’a ensuite révélé l’échographie réalisée juste avant l’opération de l’abcès infectieux ;
→ elle en a ensuite déduit que l’absence de détection, sur les lieux de l’accident, des fragments textiles, dont la présence dans la plaie n’avait été soupçonnée qu’avec l’apparition de la tuméfaction inflammatoire nécessitant une intervention chirurgicale, ne pouvait être regardée comme constituant une faute de nature à engager la responsabilité du SDIS de la Gironde.
Ce faisant, la Cour n’a pas pris en compte l’argument présenté par le patient, à savoir que le fait de suturer sa plaie sur le lieu de l’accident privait ainsi de la possibilité de pratiquer, dans un établissement hospitalier, un examen plus approfondi de la plaie, qui aurait permis de déceler le fragment de tissu à l’origine de l’aggravation de son état.
CAA Nancy, 7 mai 2014, n° 13NC01186
• Les faits. Une patiente a été hospitalisée le 28 octobre 2004 dans les services des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (Bas-Rhin), en vue d’y subir, le lendemain, une intervention chirurgicale tendant à l’exérèse d’un adénome hypophysaire. Au cours de cette intervention, l’intéressée a été victime d’une lésion à l’artère carotidienne, laquelle a provoqué une forte hémorragie nécessitant l’interruption immédiate de l’opération.
Le dossier ne laisse pas apparaître qu’une faute médicale aurait été commise au cours de l’intervention chirurgicale.
• En droit. En application de l’article L. 1111-2 du CSP, la faute commise par les praticiens d’un établissement, qui omettent d’informer le patient des risques encourus à raison d’un acte médical n’entraîne, pour le patient, que la perte de chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé. La réparation du dommage résultant de cette perte doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice qui tient compte du rapprochement entre, d’une part, les risques inhérents à l’acte médical et, d’autre part, les risques encourus en cas de renonciation à cet acte.
Toutefois, si l’état de santé de l’intéressé nécessitait, de manière vitale, une intervention et s’il n’y avait pas d’alternative thérapeutique moins risquée que l’opération réalisée, la faute commise par le centre hospitalier n’entraîne pas de perte de chance, pour le patient, de se soustraire au risque qui s’est réalisé.
• La faute. La patiente soutient qu’elle n’a jamais été informée, préalablement à l’opération chirurgicale du 29 octobre 2004, du risque d’hémorragie inhérent à cette intervention, lequel s’est réalisé. Le CHU n’apporte aucun élément de nature à contredire les allégations du patient. Par suite, en ne satisfaisant pas à son obligation d’information, il a commis une faute de nature à engager leur responsabilité.
• Le préjudice. Une intervention chirurgicale a été proposée à la patiente après que celle-ci ait montré une intolérance aux effets secondaires de son traitement médicamenteux. Pour autant, si l’adénome hypophysaire était susceptible de l’exposer, à terme, à une ostéoporose et à des troubles visuels consécutifs à une compression de son nerf optique, cette affection n’engageait pas son pronostic vital en cas d’abstention thérapeutique. Par ailleurs, la lésion de l’artère carotidienne constitue une complication exceptionnelle, lors d’une exérèse de l’adénome hypophysaire, survenant, pour ce type d’intervention, dans une proportion inférieure à 1 %.
Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, la patiente conservait la possibilité de refuser l’intervention litigieuse qui, sans être injustifiée, n’était pas impérieusement requise. Compte tenu du rapprochement entre, d’une part, les risques inhérents à l’intervention et, d’autre part, les risques encourus en cas de renoncement à ce traitement, les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de l’ampleur de la chance perdue en fixant cette fraction à 30 % de ses préjudices.
Conseil d’État, 30 avril 2014, n° 357046
• Les faits. Un homme, qui était atteint d’une plaie crâno-faciale à la suite d’une agression par arme à feu et avait été admis le 5 mai 2001 dans le service de neurochirurgie du groupe hospitalier de La Pitié-Salpêtrière à Paris, a été retrouvé, le 20 juin suivant, vers 8 h 30, gisant, à la suite d’une chute, sous les fenêtres de sa chambre située au deuxième étage.
Grièvement blessé, il a engagé un recours contre l’AP-HP.
• L’analyse. La victime avait présenté, dans les jours précédant l’accident, un état d’agitation et de désorientation qui, associé à sa cécité, à sa surdité et aux autres séquelles de sa blessure, l’exposait particulièrement à un risque de chute.
La victime était tombée par une fenêtre de sa chambre. Un tel accident impliquait nécessairement soit que le dispositif de sécurité destiné à empêcher l’ouverture de la fenêtre n’avait pas été enclenché, soit qu’il n’avait pas correctement fonctionné. L’une ou l’autre de ces circonstances révèle, eu égard aux précautions qu’imposaient l’état et le comportement de l’intéressé dans les jours ayant précédé l’accident, une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service.
CAA Paris, 22 mai 2014, n° 13PA00426
• Les faits. Une femme a été conduite une première fois au service des urgences de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne) le 19 août 2005 au matin, en raison de son état psychologique et au motif qu’elle avait absorbé des barbituriques le 18 août 2005. Après examen, elle a été autorisée à sortir immédiatement. Le même jour, de retour à son domicile, elle a, de nouveau, absorbé une dose importante de médicaments et de l’alcool. Sur avis de son médecin traitant, demandant son hospitalisation en urgence, elle a été conduite, le 19 août dans l’après-midi, au service des urgences de l’hôpital Henri-Mondor, où elle a été hospitalisée pour la nuit.
À la suite d’un examen médical le 20 août, le psychiatre des urgences a estimé que son état ne nécessitait pas d’hospitalisation et l’a autorisée à rentrer à son domicile sous la surveillance de sa sœur. La patiente est décédée, le 20 août 2005 après-midi, des suites de sa défénestration à son domicile.
• La faute. L’expert a estimé que le médecin psychiatre des urgences avait pris une décision conforme aux normes et règles de l’art, mais il a assorti son analyse d’une réserve importante en relevant que ledit médecin n’avait pas « suffisamment pris en compte le diagnostic de risque suicidaire du docteur médecin traitant ». En effet, le médecin traitant a rédigé, le 19 août 2005, une lettre dans laquelle elle revenait sur les antécédents suicidaires et les grandes difficultés personnelles de sa patiente pour en conclure qu’il était impératif de l’hospitaliser pour prévenir tout autre passage à l’acte.
Le compte rendu d’hospitalisation fait état d’une « intoxication médicamenteuse volontaire à répétition dans un contexte de dépression sévère avec idées suicidaires », pour décrire le contexte dans lequel la patiente a été admise à l’hôpital le 19 août 2005 dans l’après-midi. Dans ces circonstances, en décidant de la laisser sortir de l’hôpital dès le lendemain et en estimant qu’elle pouvait être confiée à la seule surveillance de sa jeune sœur qui ne disposait d’aucune formation particulière pour gérer ce type de crise, le praticien a commis une faute de nature à engager la responsabilité.
• Le préjudice.
→ En droit. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d’un patient dans un établissement public a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.
→ En fait. Le centre hospitalier a commis une faute à l’origine d’une perte de chance pour la patiente de se soustraire au risque qui s’est réalisé de mettre fin à ses jours. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, et notamment du fait qu’il ne peut être tenu pour certain que, même en présence d’une prise en charge exempte de faute, la patiente aurait échappé au risque de suicide inhérent à son état, cette fraction doit être fixée à 90 %.