Lutte contre le virus Ebola
Sur le terrain
En Afrique de l’Ouest, plus de 6 500 personnes ont déjà été contaminées par le virus Ebola depuis les tout derniers jours de 2013. Trois humanitaires témoignent de leur quotidien auprès des patients et dans l’organisation de ces centres de prise en charge.
« Les chiffres officiels de cette épidémie sont ceux des ministères de la Santé, résume Axelle Vandoornick, coordinatrice de mission à Kailahun, l’un des Case management center (CMC) mis en place par Médecins sans frontières (MSF) en Sierra Leone. Mais quid de tous les malades qui n’arrivent pas dans les centres de santé ? Ici, le ministère n’a même pas les moyens d’assurer le traçage et le dépistage des contacts de toutes les personnes décédées… » Car si ce pays d’Afrique de l’Ouest rapporte actuellement quelque 200 nouvelles infections au virus Ebola par semaine, réparties sur presque tous ses districts, avec le virus comme avec la statistique officielle, il convient de prendre des gants. « La Sierra Leone manque de tout pour faire face à cette épidémie : le personnel, qui est en outre fortement touché par l’épidémie, la formation, le matériel, les agents de santé communautaires, des organisations pour prendre en charge les orphelins, poursuit la coordinatrice de mission. Le système de santé n’est pas suffisamment développé pour prendre en charge une telle épidémie. C’est une situation catastrophique. » L’organisation non gouvernementale MSF est longtemps restée la seule à s’impliquer dans des centres de prise en charge des patients dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest touchés par l’épidémie actuelle d’Ebola. 6 574 habitants de Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone ont déjà été contaminés et 3 093 d’entre eux sont morts, précisait l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un bilan arrêté au 23 septembre dernier.
Arrivée sur le terrain depuis début septembre, Axelle, originaire de Belgique, travaillera entre quatre et six semaines maximum dans le centre, comme tous les expatriés. « Ce sont des missions d’urgence, très exigeantes et au cours desquelles la fatigue peut vite rendre moins vigilant », remarque Catherine Juvyns, infirmière et également originaire de Belgique, qui a déjà assuré deux missions dans des CMC de Conakry, en Guinée, le premier pays touché par la flambée d’Ebola qui culmine à une centaine de cas hebdomadaires déclarés.
« Nous sommes tous responsables les uns des autres, nous devons être vigilants à tout moment, observer les pratiques de nos collègues et le respect des protocoles », précise Axelle Vandoornick. Être attentif à l’état de santé et d’alerte de son collaborateur, observer que les précautions d’hygiène de base sont appliquées, ne plus s’embrasser ni se serrer la main… Tout ceci réclame déjà une attention de tous les instants. Une clinique spécifique est d’ailleurs organisée pour l’ensemble des personnels de l’ONG (environ 330 professionnels – soignants, administratifs, personnel d’entretien ou logisticiens – dont trente expatriés). « Nous incitons tous nos employés à consulter au moindre symptôme : fièvre, diarrhée, vomissements, douleur abdominale, insiste Axelle Vandoornick. C’est parfois difficile, car les gens ont peur. Ils veulent conserver leur travail, mais aussi rentrer chez eux le soir pour s’occuper de leur famille. Et, puis, il y a les soignants qui n’ont pas l’habitude de prendre soin d’eux… » La coordinatrice s’indigne d’ailleurs, au passage, que les procédures d’évacuation des professionnels contaminés ne soient toujours pas « clarifiées et explicites ». « Dans toutes les missions qu’assure MSF, nous avons toujours des protocoles d’évacuation pour les volontaires qui seraient blessés ou malades, quelle qu’en soit la cause, assure-t-elle. Ici, c’est encore “en discussion”…? » En effet, le rapatriement sanitaire de l’infirmière française dont l’infection avait été confirmée le 16 septembre dernier au Liberia a pris plus de 48 heures pour être organisé.
Pour ceux qui interviennent directement auprès des patients, personnel de soin ou d’entretien, les précautions sont décuplées. Il y a tout d’abord une protection physique : deux paires de gants, deux masques, une coiffe, des bottes et un tablier de caoutchouc passé par-dessus une combinaison… « Passer cet équipement prend déjà cinq minutes, rapportait Anja Wolz, infirmière allemande et coordinatrice d’urgence pour MSF, dans les colonnes du New England Journal of Medicine
Les patients arrivent de toutes parts, parfois par leurs propres moyens, parfois référés par des autorités de santé qui auront pris soin de prévenir le centre… ou non. Les ambulances arrivent à toute heure, après avoir parfois traversé tout le pays, mixant encore trop souvent les cas probables et les cas suspects
Le centre de Kailahun peut accueillir jusqu’à 70 patients formellement diagnostiqués. « Il n’est pas possible d’ajouter des lits ou des personnels dans un centre de traitement, remarque la coordinatrice de mission. Pour traiter davantage de patients, il faut créer d’autres centres. » Tous les maillons (triage, pharmacie, assainissement, espaces de stockage, d’accueil ou de soins…) doivent en effet avoir été dimensionnés d’emblée en fonction d’une capacité globale. Les centres sont organisés à la manière des centres de traitement du choléra, avec une zone à bas risque et une zone à haut risque (elle-même divisée en deux pour séparer les cas suspects des cas confirmés), entre lesquelles les patients (et les soignants) circulent en sens unique. Les professionnels doivent être désinfectés au chlore aussitôt qu’ils sortent de la zone d’isolement, celle qui abrite les patients dont le diagnostic a été confirmé, avant que la partie non réutilisable de leur équipement soit incinérée.
« Compte tenu des températures et de la lourdeur de l’équipement, nous ne pouvons rester plus de 45 minutes dans cette tenue, précise Catherine Juvyns. Alors, sous la tente, tout doit être bien organisé et les tâches à réaliser clairement définies avant d’entrer. Nous devons connaître l’emplacement de chacun des objets que nous utiliserons afin de ne pas perdre de temps à les chercher. »
Là encore, et malgré la chaleur étouffante sous l’équipement, comme l’écrit Anja Wolz : « Il est aisé de perdre la notion du temps, alors nous devons nous surveiller les uns les autres… » Un soignant ne travaille donc jamais seul.
Pour les patients dont le diagnostic est confirmé biologiquement, deux zones de traitement sont organisées dans deux tentes différentes, en fonction de la gravité de leur état de santé. Les soins prodigués relèvent de la réhydratation, de l’alimentation, du traitement des pathologies associées. « Nous avons beaucoup de cas de paludisme qu’il faut prendre en charge, note Catherine Juvyns. Et nous administrons des antibiotiques à large spectre pour traiter les complications infectieuses, des multivitamines, des traitements antidouleurs, antipyrétique et antinauséeux. » Si, sur l’ensemble des cas annoncés au jour le jour à la presse par l’OMS, la moitié sont à l’heure actuelle décédés, une étude
L’infirmière rapporte néanmoins des moments de partage intense : « Même si la tenue ne facilite pas la création du lien, on essaie quand même d’instaurer la confiance, poursuit-elle. On se présente par nos prénoms, on intervient avec prévenance. Sous la tente, il y a la radio, la télé, s’il y a un peu de musique, on peut esquisser un pas de danse pour les faire sourire. Les gens s’attachent quand même, ils n’ont que nous pour les accompagner… » Dans son témoignage, Anja Wolz évoque une frustration particulière pour les soignants : « Trop souvent, nous voyons arriver les patients trop tard et nous savons que nombre de personnes malades se cachent, par peur d’être diagnostiquées d’une maladie qui reste stigmatisante. » Et Catherine Juvyns d’évoquer des médecins, guéris de l’infection, mais que l’on n’autorise pas à reprendre de l’activité. « Alors même que les agents de santé communautaires ont bénéficié de formation, certains n’admettent toujours pas l’existence d’Ebola », écrit également Anja Wolz. Mais, comme le soulignent les infirmières, il y a aussi des moments de bonheur. Ceux notamment qui permettent de préparer la sortie des patients guéris. Il faut trois jours sans symptômes et un bilan sanguin négatif pour quitter définitivement la zone à haut risque. « Il y a des patients qui guérissent et qui sortent, explique Catherine Juvyns. Bien sûr, ils laissent souvent des membres de la famille derrière eux, encore hospitalisés, ou ils apprennent que d’autres sont déjà décédés, alors la joie est de courte durée. » Mais certains de ces patients guéris, et désormais immunisés, ont pu être employés par l’ONG dans le CMC. « Leur présence est importante car ils peuvent apporter un véritable soutien aux patients entrants, aux proches qui restent à l’extérieur et aider à convaincre les malades qu’ils doivent être hospitalisés. » Dans certains centres, un psychologue peut être présent.
En France, douze hôpitaux ont été désignés par le ministère de la Santé “établissements de santé de référence habilités” à recevoir d’éventuels patients porteurs du virus Ebola, comme ce fut le cas pour l’infirmière rapatriée du Libéria le 19 septembre dernier à l’hôpital d’instruction des armées Bégin (Saint-Mandé dans le Val-de-Marne). Ces établissements doivent disposer d’un service de maladies infectieuses, d’un service de réanimation doté de chambres d’isolement, d’un service de médecine nucléaire, d’un laboratoire garantissant le confinement total des agents infectieux manipulés mais aussi d’une aire permettant l’atterrissage d’un hélicoptère. La France s’est par ailleurs engagée à soutenir l’effort en Guinée par divers moyens. Début septembre, une équipe de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) a été dépêchée pour une mission d’appui et d’expertise auprès des autorités sanitaires locales et une vingtaine de réservistes devraient se relayer dans le pays au moins jusqu’en novembre. L’Inserm – qui avait déjà installé un laboratoire mobile – engagera également un essai thérapeutique pour tester un antiviral expérimental japonais (le favipiravir). Enfin, un hôpital de campagne de 25 lits devrait être envoyé et installé dans la zone forestière.
Depuis la dénonciation du manque de mobilisation internationale lancée par MSF le 2 septembre dernier, plusieurs pays ont annoncé des renforts… Cuba dépêchera notamment quelque 300 infirmiers et médecins qui s’ajouteront aux 165 déjà présents en Guinée, Sierra Leone et au Liberia. Quant aux États-Unis, ils ont promis 3 000 militaires spécialistes en logistique pour installer des hôpitaux de campagne et des lieux de quarantaine. Une ONG américaine devrait également déployer de nouveaux moyens. Une mission spécifique – l’UNMEER, United Nations Mission for Ebola Emergency Response – a même été créée par les Nations Unies, afin de coordonner la réponse à l’épidémie. Reste à savoir si ces moyens seront enfin suffisants pour enrayer la propagation du virus…
(1) Face to Face With Ebola – An Emergency Care center in Sierra Leone, Anja Wolz. September 18, 2014, NEJM.
(2) Les cas suspects sont définis par une fièvre et au moins trois des symptômes de l’infection : fièvre, saignements des gencives, sang dans les scelles, éruption cutanée, diarrhée, douleur abdominale, etc. Les cas probables ont aussi des symptômes mais, en plus, ils ont été en contact avéré avec une personne (ou un corps) ayant été contaminée.
(3) Ebola Virus Disease in West Africa – The First 9 Months of the Epidemic and Forward Projections, WHO Ebola Response Team, September 23, 2014, NEJM.
L’épidémie d’Ebola, qui touche actuellement l’Afrique de l’Ouest, s’est déclarée en Guinée, en décembre 2013, dans une région forestière très pauvre, au confins de la Sierra Leone et du Liberia, où les structures de santé ont été ravagées durant les années de guerre civile. Le patient zéro a été rétrospectivement identifié en la personne d’un garçonnet de 2 ans, décédé le 28 décembre dans le village de Méliandou. Il faudra pourtant attendre mi-mars pour que le virus Ebola soit évoqué par un expert consulté par Médecins sans frontières – l’ONG était présente dans le pays pour la prise en charge d’une flambée de paludisme – puis officiellement identifié par l’analyse d’échantillons envoyés au laboratoire P4 de l’Inserm à Lyon (Rhône). L’épidémie est officiellement notifiée par l’OMS le 23 mars 2014. Le virus Ebola n’avait jusqu’alors jamais été observé en dehors des pays d’Afrique centrale et du Gabon.
Au 14 septembre 2014, 318 professionnels de santé avaient été contaminés dans les trois pays principalement concernés par la flambée d’Ebola ainsi qu’au Nigeria (2 médecins) et 151 étaient décédés. Dès janvier 2014, deux sages-femmes ayant été en contact avec la famille du tout premier patient, sont mortes à Guéckédou en Guinée. Au tout début de l’épidémie en Sierra Leone, l’hôpital de Kénéma a quant à lui perdu 39 infirmières. Le manque de matériel de protection et de formation est notamment en cause selon l’OMS, qui estime que 10 % des victimes du virus sont des professionnels de santé. Une catastrophe pour des pays où les soignants font déjà cruellement défaut.