Objectif Soins n° 230 du 01/11/2014

 

Claire Maillard-Acker

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Le travail de cadre de santé peut revêtir bien des aspects. Celui de Claire Maillard-Acker ne déroge pas à la règle, avec sa double casquette : elle oscille entre les urgences classiques et l’unité médico-judiciaire (UMJ). Les victimes y sont accueillies et y trouvent les soins adéquats en suivant les prérequis indispensables au bon déroulement de la procédure.

Objectif Soins & Management : Comment vous êtes-vous retrouvée à ce poste de cadreau sein de l’Unité médico-judiciaire (UMJ) à l’Hôtel-Dieu à Paris ?

Claire Maillard-Acker : Cadre depuis 1992, je suis arrivée en août 2005. Précédemment, je travaillais déjà dans un service d’urgences. Je voulais changer pour vivre de nouvelles expériences. Dans la mesure où j’avais développé des compétences sur le poste d’infirmière d’accueil aux urgences, je recherchais un autre poste du même type mais différent tout de même. À l’Hôtel-Dieu, ce qui m’a plu est ma double casquette, entre la partie médico-judiciaire et les urgences classiques.

OS&M : De quoi ce service très particulier est-il constitué ?

C. M.-A. : Notre service est constitué de quatre unités : l’accueil des gardés à vue, la salle d’hospitalisation médico-carcérale, l’accueil des victimes et les unités médicales des centres de rétention administrative. Y travaillent une vingtaine d’infirmières, une dizaine d’aides-soignantes et deux adjoints administratifs. La plupart des infirmières naviguent entre les urgences classiques et les urgences médico-judiciaires. Seules quelques-unes, chargées des mineurs et arrivées chez nous après la fermeture de l’UMJ mineurs de Trousseau, ne travaillent que sur les UMJ. Celles-ci ont développé des compétences vraiment spécifiques et précieuses.

OS&M : Comment définiriez-vous le rôle spécifique infirmier dans votre service ?

C. M.-A. : C’est avant tout un rôle d’accueil, quelles que soient les personnes que nous rencontrons. Elles effectuent des soins, qu’ils soient techniques ou relationnels, et s’assurent que la procédure administrative est bien respectée. Ce dernier point est essentiel, dans la mesure où si ce qui nous faisons n’est pas parfaitement en accord avec l’aspect légal, c’est toute la procédure qui peut être remise en question. Dans le domaine des agressions sexuelles et des violences aux mineurs, l’infirmière intervient presqu’à chaque fois. Pour les agressions en général, la prise en charge infirmière est spécifique puisque nous avons a priori peu de soins à pratiquer. La personne est logiquement passée d’abord par un service de soins avant d’aller porter plainte à la police qui l’envoie vers nous. Nous travaillons ensuite sur réquisition pour lui permettre d’obtenir un certificat médical et, éventuellement une ITT (interruption temporaire de travail). Notre but est de les accompagner au mieux dans ces moments dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas faciles à vivre. C’est encore plus important dans les cas d’agressions sexuelles après lesquelles une trithérapie est mise en place. Dans ces cas-là, deux infirmières prennent en charge la personne.

OS&M : Vous parliez de l’importance de votre rôle administratif…

C. M.-A. : Il est essentiel au bon déroulement de la procédure. Nous travaillons sur réquisition. La police nous demande des certificats d’ITT mais pas seulement. Il y a aussi des prélèvements à effectuer, dont certains sont envoyés au laboratoire et d’autres conservés dans notre congélateur comme pièces à conviction. Ces prélèvements nous seront demandés sur réquisitions.

OS&M  : Le personnel de l’UMJ est-il spécifiquement formé ?

C. M.-A. : Ce n’est pas obligatoire mais nous avons mis en place des formations en interne ou externe comme à la brigade des mineurs. Et pour simplifier les prises en charge des infirmières, dont la plupart n’exercent pas à plein temps à l’UMJ et ne peuvent pas garder toutes les procédures en tête, nous avons mis en place des protocoles spécifiques contenant des photos. On leur facilite la tâche au maximum.

OS&M  : Dans les cas d’agressions sexuelles ou de violences subies par des enfants, on imagine que des situations peuvent aussi être difficiles à vivre pour le personnel…

C. M.-A. : Si on parvient à garder une posture professionnelle, tout se passe bien. Il faut être dans la neutralité bienveillante, à l’écoute sans se laisser entraîner émotionnellement. On évite le compassionnel pour se concentrer sur la bienveillance. La présence d’une puéricultrice dans l’équipe est un atout pour l’accueil des mineurs. Si des infirmières sont trop bouleversées par des histoires, nous ne les obligeons jamais à prendre en charge ces cas. On n’échappe pas à la souffrance mais on adapte sa posture. Notre rôle est aussi de comprendre quand il est nécessaire de faire intervenir la psychologue du service.

OS&M  : Lorsque les enfants arrivent dans le service, comment faites-vous pour les mettre en confiance ?

C. M.-A. : Il y a un an, une association d’aide aux victimes mineurs, avec qui nous travaillons étroitement, a créé quatre petits films d’animation que nous avons distribués à la Brigade des mineurs. Destinés aux enfants, aux adolescents, aux parents d’enfants et aux parents d’adolescents, ils leur sont montrés avant leur arrivée dans le service. Le fait de visionner un document spécialement créé pour eux et détaillant nos procédures leur permet désormais d’arriver beaucoup moins stressés. C’est un vrai succès. Mais nous avons aussi du personnel doté d’une capacité d’écoute très particulière. Et l’accueil des mineurs est presque exclusivement dévolu à la puéricultrice ainsi qu’aux infirmières très expérimentées.

OS&M  : Votre équipe et vous êtes aussi chargés de l’accueil des gardés à vue. De quoi s’agit-il ?

C. M.-A. : Lorsqu’une personne demande à rencontrer un médecin dans le courant de sa garde à vue, elle nous est envoyée. Nous les accueillons et leur prodiguons des soins et leur distribuons des médicaments si nécessaire. Cela peut être très rapide comme beaucoup plus long. Il arrive aussi que nous ayons à faire des prélèvements sanguins. Tout cela est consigné dans notre dossier médical, qui ne sort pas du service. Il nous appartient aussi de bien vérifier que la procédure est respectée, comme dans la totalité de nos autres interventions.

OS&M  : Justement, la présence de la police ne risque-t-elle jamais de mettre en péril le respect du secret médical ?

C. M.-A. : C’est, en effet, un des plus grands défis auquel nous sommes confrontés tous les jours. Même si nos entretiens et soins se passent toujours en l’absence des policiers, des portes s’ouvrent, des gens passent dans les couloirs. Cela demande une vraie discipline. Nous travaillons à la croisée de trois mondes : la police, la justice et la santé. L’omniprésence de la police et de la justice dans nos locaux est à prendre en compte systématiquement. Mais quand nous nous trouvons face à la personne, dans une salle d’examen ou un box de soins, on ferme la porte, et tout ce qui est police ne nous regarde plus. Nous entrons dans une relation soignant-soigné classique.

OS&M  : Vous arrive-t-il d’avoir peur face à des criminels éventuels ?

C. M.-A. : Généralement, ils sont démenottés. Il faudrait qu’ils aient fait montre d’une dangerosité exceptionnelle pour que ce ne soit pas le cas. Je n’ai jamais vécu cela en presque dix ans d’exercice ici. Évidemment, il y a des excités, des toxicos ou des gens alcoolisés qui peuvent se montrer agressifs. Mais pas plus que dans un service d’urgences classique. Et ce n’est pas parce qu’ils sont agressifs avec la police qu’ils le restent avec nous. L’effet blouse blanche fonctionne bien si on est dans une posture professionnelle.

OS&M  : Les deux autres secteurs de votre service sont la salle d’hospitalisation médico-carcérale et les unités médicales des centres de rétention administrative…

C. M.-A. : La salle d’hospitalisation médico-carcérale est dédiée par exemple à l’accueil des détenus en cours de peine à la suite d’une intervention chirurgicale au sein de l’hôpital. Nous assurons le suivi post-opératoire jusqu’à ce que le détenu puisse repartir en prison. Nous y recevons aussi des gardés à vue nécessitant des soins, comme les diabétiques à qui nous permettons de respecter leur régime alimentaire et les prises d’insuline. Cela serait incompatible avec une garde à vue dans les locaux de la police. Quant aux Centres de rétention administrative, ce sont les lieux où sont enfermés les “sans-papiers”. Il en existe quatre à proximité : un dans le Palais de justice et trois au bois de Vincennes. Notre rôle y est sensiblement identique à celui que nous exerçons à l’Hôtel-Dieu pour le suivi des personnes malades.

OS&M  : Existe-t-il un vrai travail d’équipe interdisciplinaire au sein de vos secteurs ?

C. M.-A. : C’est le cas la plupart du temps. Nous participons chaque semaine à des staffs communs, afin de revenir sur certains dossiers dont nous sommes très satisfaits mais aussi sur des points à améliorer. Ce peut être le cas, par exemple, dans le domaine clinique ou organisationnel. De nouvelles procédures y sont discutées et mises en place. Depuis quelques années, notre chef de service a aussi encouragé la présence d’associations d’aide aux victimes. C’est un grand bénéfice pour les personnes que nous accueillons.

OS&M  : Vous trouver face à des personnes en situation de privation de liberté change-t-il votre regard sur eux ?

C. M.-A. : Absolument pas ! On est soignant avant tout et ce qui regarde la police ne nous regarde pas.