Qualité Gestion des risques
Per-Yann Balanant* Florence Guillemot** Françoise Mevel*** Dr Céline Lepère**** Ludovic Tripault*****
L’amélioration de la sortie du patient est l’un des seize objectifs prioritaires de l’AP-HP dans le parcours de soins. L’Hôpital européen Georges-Pompidou a été choisi comme site pilote pour la phase II du projet. Les objectifs sont d’améliorer la satisfaction du patient sur l’organisation de son départ de l’hôpital et sur l’information remise à sa sortie. Ils sont aussi d’anticiper le retour au domicile ou le transfert en service de soins de suite et de réadaptation.
La méthode Lean a été choisie pour mener à bien ce projet. Ce travail a permis d’obtenir, bien au-delà des résultats attendus, une dynamique du changement au sein du service.
Trois thèmes composaient cet objectif.
→ Le premier thème concernait l’amélioration du délai d’envoi du compte rendu d’hospitalisation (CRH) avec, comme impact attendu, une expédition du document inférieur à huit jours dans plus de 80 % des cas. Cet objectif avait aussi pour but d’améliorer le lien avec la ville.
→ De plus, le dispositif de sortie au sein du service d’oncologie digestive devait être amélioré pour obtenir un taux de satisfaction des patients de plus de 60 % et renforcé, grâce à la limitation de la reprise de contact avec les professionnels de ville (médecin traitant, infirmière libérale, kinésithérapeute…).
→ Enfin, l’anticipation du retour au domicile était un thème fort car, en plus d’améliorer la satisfaction du patient dans l’organisation de sa sortie, celui-ci devait optimiser le bed-management en augmentant le taux de sortie avant 12 heures. L’objectif fixé était de plus de 50 %. Cette nouvelle gestion des lits avait pour effet de faciliter les transferts depuis l’unité d’hospitalisation de courte durée vers les services.
L’originalité de ce projet venait en partie de la méthode utilisée : la méthode Lean. Cette méthode, issue de l’industrie automobile, a été adaptée pour permettre aux acteurs d’un service hospitalier d’analyser chaque étape d’un processus. Dans le cas présent, le processus de sortie du patient et la production du CRH. Tous les acteurs du processus de sortie participaient au projet :
→ médecins,
→ cadres de santé,
→ cadre administratif,
→ infirmiers,
→ aides-soignants,
→ secrétaires médicales,
→ assistante sociale,
→ service informatique.
Enfin, le coordonnateur général des soins animait toutes les réunions du projet. Les ateliers se voulaient participatifs et tous les niveaux hiérarchiques du service y ont assisté.
Deux premières réunions ont été nécessaires pour présenter le projet, la méthodologie et effectuer un état des lieux des organisations du service. Un outil créé pour l’occasion permettait de repérer facilement les points à améliorer.
Dans un deuxième temps, chaque processus était analysé, étape par étape. La méthode Lean a permis de séquencer toutes les actions d’un processus en précisant les acteurs et la durée. Pour une visualisation de chaque processus, les séquences étaient affichées sur un mur de façon chronologique avec un code couleur :
→ le vert pour les points fort de l’organisation ;
→ le violet pour les points à améliorer ;
→ le jaune pour les pistes d’amélioration de l’étape.
Ce travail a été effectué par l’ensemble de l’équipe et le résultat était joint au compte rendu de la réunion.
Suite au travail effectué lors des ateliers, des actions ont été immédiatement mises en place. Un récapitulatif sous forme de tableau permettait de suivre l’avancée du travail entrepris pour améliorer l’organisation. Ce plan d’action n° 9.5 fait partie du Paqss 2012-2014 (Plan d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins) élaboré dans le cadre de la démarche qualité de l’hôpital (voir tableau p. 40).
Afin d’optimiser l’admission du patient du service des urgences, chaque membre de l’équipe a été sensibilisé par les cadres du service à l’importance de la libération de la chambre par le patient avant 12 heures. Ensuite, la présentation du livret d’accueil a été formalisée (heure de libération de la chambre indiqué sur le livret d’accueil) afin de préparer la sortie dès l’arrivée du patient. De plus, la mise en place d’une pochette sortie contenant une check-list des documents à remettre au patient a permis d’anticiper la production et la préparation des documents de sortie. Enfin, l’automatisation de la production du CRH sur notre dossier médical informatisé et la création de la synthèse infirmière permettaient de remettre en temps réel ces documents.
Trois indicateurs ont été mis en place pour évaluer la qualité de l’organisation :
→ taux de CRH envoyé sous huit jours ;
→ taux de patients sortis avant 12 heures ;
→ taux de satisfaction du patient.
Un an après le début du projet, les indicateurs nous montrent que l’organisation de la sortie a évolué. Au mois d’août, les objectifs étaient atteints. Nous rappelons que l’objectif national demandé par la Haute Autorité de santé est de 80 %. Les mauvais chiffres au premier semestre 2013 sont liés à l’utilisation incomplète de notre logiciel. En grande majorité, les comptes rendus d’hospitalisation étaient envoyés sous huit jours, ce que nous savons, car chaque secrétaire tient à jour son tableau de bord reprenant la date d’envoi du CRH. La remontée automatique des données ne prend en compte que les CRH « envoyés ». Il faut donc, pour valider cet envoi sur notre logiciel, que chaque secrétaire médicale change le statut du courrier de “à envoyer” à “envoyé”. C’est cette dernière action qui n’était pas effectuée.
En revanche, il a été mis en évidence que les courriers faisaient de nombreux allers-retours entre le médecin et la secrétaire pour corriger les fautes et les valider définitivement. Cette organisation nécessitait de nombreuses impressions. Comme personne dans le service utilisait le suivi informatique du courrier, l’indicateur restait très en dessous des objectifs.
L’analyse du processus a permis de découvrir ce dysfonctionnement et d’y remédier rapidement car nous avions l’outil à disposition.
À partir de juin, les résultats s’améliorent rapidement après la mise en place d’une nouvelle organisation qui utilise de façon optimale notre logiciel.
Concernant le taux de libération de la chambre avant 12 heures, l’objectif de 50 % était atteint dès 2012. Nous observons une légère amélioration de ce taux qui atteint 55 % pour l’année 2013. Ce taux évolue peu du fait des bons résultats antérieurs, mais le projet “Amélioration du processus sortie du patient” a permis à tous les membres de l’équipe de comprendre la problématique de la sortie.
Au quotidien, les cadres de santé du service ont rappelé la nécessité de libérer la chambre avant 12 heures. Cette communication seule ne suffisait pas. Il était important de mettre en place des actions qui préparaient au mieux la sortie du patient. Le message a été : « La sortie du patient se prépare le jour de son admission. » La mise en place du livret d’accueil, qui précise l’heure de libération de la chambre lors de son départ, a permis d’éviter les situations où le patient se sent “mis dehors”. Dans la mesure du possible, les médecins informent le patient de sa date de sortie. Au moment de l’arrivée du patient, l’infirmier et/ou l’aide-soignant expliquent au patient comment va se dérouler le séjour et quelles sont les modalités de sortie. Ces explications permettent d’atténuer les inquiétudes du patient, et la sortie tout comme le séjour se passent plus sereinement. Au-delà du chiffre qui évolue peu, le plus notable est la prise de conscience de chaque professionnel de l’importance de libérer les lits rapidement afin d’accueillir dans les meilleures conditions possibles le patient suivant.
Nous avons pu mesurer la satisfaction du patient dans l’organisation de la sortie. Dans le cadre d’une Évaluation de pratiques professionnelles (EPP), nous avons élaboré une grille d’audit qui évaluait le degré de satisfaction des sortants à domicile. Nous avons obtenu un résultat de plus de 90 % de satisfaits ou très satisfaits.
Ce projet a permis de montrer plusieurs points importants.
Le projet a fédéré toute l’équipe. Lors des ateliers, les interventions de chacun ont été écoutées et prises en compte. Chaque professionnel s’est exprimé et a donné son avis sur les améliorations à apporter. Le résultat est que nous avons eu un regard neuf sur nos organisations. La méthode Lean a permis, en déroulant toutes les étapes du processus, de pointer du doigt les points à améliorer. La présence du coordonnateur général des soins a permis de répondre à des problématiques. Face à des situations bloquantes au niveau d’un service, la présence du coordonnateur général du groupe hospitalier permettait la prise de décision immédiate. Nous avons donc pu mettre rapidement en place des actions d’amélioration. Le projet a été marqué par ces actions immédiates grâce la présence du coordonnateur général, comme nous le disions précédemment, mais aussi par l’implication de toute l’équipe.
Le projet a fonctionné car les professionnels ont accepté d’entendre que leurs organisations n’étaient pas optimales et qu’elles étaient perfectibles. Dans la réussite du projet, la mise en place sans attendre d’actions visant à obtenir de meilleurs résultats a été un point important. Ainsi tous les membres du service ont pu observer des améliorations immédiates. Pour exemple, lors de l’analyse de la sortie du patient, nous indiquions les temps de chaque étape. Estimant le temps à deux heures entre la sortie effective et l’entrée d’un nouveau patient, nous avons effectué une étude et nous nous sommes aperçus que ce laps de temps n’était que d’une heure. Nous avons donc pu réajuster nos pratiques de bed-management et nous avons accueilli davantage de patients venant des urgences avant midi.
Grâce à la méthode du Lean Management, la dynamique qui se ressentait dans les ateliers se retrouvait au quotidien dans le service. Le projet qui ne concernait qu’au départ l’amélioration de la sortie a permis de fédérer les équipes et d’autres projet sont nés : une EPP a été réalisée sur la qualité de la sortie dans les services d’oncologie digestive, d’hépato-gastroentérologie et de chirurgie digestive. L’équipe paramédicale étant commune aux services d’oncologie digestive et d’hépato-gastroentérologie, nous avons décidé de travailler en 2014 sur l’amélioration de l’accueil dans ces deux services. Lors des entretiens d’évaluation de fin d’année, chaque membre de l’équipe a eu comme objectif d’améliorer la qualité de l’accueil. Des ateliers seront organisés tout au long de l’année afin de former les soignants à l’accueil.
Dernier point important qui ressort de cette expérience est le renforcement du binôme cadre-médecin. Dans cette association, les deux acteurs nous démontrent qu’il est primordial de travailler ensemble sur les organisations afin d’améliorer la qualité des soins.
Nous rappelons que ce projet n’a rien coûté en investissement de matériels. Dans un contexte de politique de rigueur financière, il est important de préciser que ce type de projet améliore la qualité de la prise en charge avec comme simple “investissement”, l’implication des professionnels dans les actions mises en place.
Au-delà des résultats obtenus, la méthode utilisée a créé une dynamique favorable au changement. Il est important de souligner qu’avec la rapide mise en place d’actions, l’équipe s’est immédiatement investie, permettant d’obtenir des résultats visibles. Ces résultats positifs ont motivé tous les professionnels à continuer dans ce type de projet. Le binôme médecin-cadre de santé s’est renforcé et le cadre a été conforté dans son rôle de manager de l’amélioration de la qualité.
• Plan stratégique 2010-2014 de l’AP-HP, www.aphp. fr/aphp/files/ 2012/03/plan-strategique2010-2014.pdf • Bilan 2012 et perspectives 2013 des projets prioritaires de l’AP-HP, février 2013, par le lien raccourci : petitlien.fr/7jyt • Bertrand Jacquier, Du lean au management maigre, Collectif Travail réel, 2013.