Le plan d’économies de l’Objectif national des dépenses d’Assurance maladie pour les années 2015-2017 repose pour partie sur le développement de l’ambulatoire. Les différents rapports publiés sur ce thème, et plus particulièrement sur la chirurgie ambulatoire, convergent tous vers le même consensus : ambulatoire signifie économies de dépenses pour l’Assurance maladie.
Que ce soit les différents exposés des motifs des lois successives de financement de la Sécurité sociale, la Cour des comptes, la Fédération hospitalière de France, la Haute Autorité de santé, chacun s’accorde à dire que, pour réduire les dépenses de santé en France, il faut développer l’ambulatoire. Force est de constater, il est vrai, que le système de soins français accuse un certain retard en la matière : alors que, globalement, on atteint péniblement le taux de 50 % en chirurgie (et encore, selon les méthodes de calcul, selon les pathologies, selon les secteurs public et privé, le taux varie très fortement), il est encore au plus bas en médecine.
Mais alors quels sont les freins ? Quels sont les leviers ? Et, surtout, est-on certain de réaliser des économies pour la Sécurité sociale ?
De manière schématique, on peut dire qu’un malade pris en charge en ambulatoire à l’hôpital n’y reste pas plus de 24 heures ; l’idéal est qu’il rentre à l’hôpital le matin et en ressort le soir. Il est toutefois concédé que le patient puisse “dormir” une nuit maximum dans l’établissement de santé.
C’est en chirurgie que l’accent sur l’ambulatoire a été mis ces dernières années. De nombreuses opérations, notamment en orthopédie, s’effectuent désormais en ambulatoire. Si le secteur privé s’est lancé en premier sur ce développement, le secteur public commence à le rattraper. Même si des progrès sont encore possibles quand on observe les taux : nous sommes bien loin de ceux constatés aux États-Unis par exemple qui sont supérieurs à 70 % et avoisinent les 80 %, voire 90 % pour certains types d’actes. Néanmoins, en France, on se rapproche de ces taux pour la cataracte par exemple. Mais l’ambulatoire n’est pas, et ne doit pas être réservé à la chirurgie.
C’est aussi, et même surtout, la nécessité de développer l’ambulatoire en médecine. Dans ce cas-là, on parle alors d’hospitalisation de jour. Toujours selon le même principe, le patient est pris en charge sur une journée. De nombreuses activités se prêtent à cette hospitalisation de jour, et notamment tout ce qui est bilan, examens, etc. Or il n’est pas rare qu’on hospitalise encore aujourd’hui pendant plusieurs jours de nombreux patients pour un simple examen.
Enfin, à côté de la chirurgie ambulatoire et de l’hospitalisation de jour en médecine, il ne faut pas oublier l’hospitalisation à domicile (HAD), qui relève bien aussi à notre sens de l’ambulatoire : certes, le patient reste hospitalisé plusieurs jours en HAD, mais il sera bien hors les murs de l’hôpital (lire les encadrés ci-dessous et page suivante).
Parmi les freins au développement de l’ambulatoire, le premier concerne la technique médicale, le deuxième évoqué porte sur l’âge de la population et leur situation socio-économique et le troisième est relatif à l’aspect culturel.
Nombreux sont les professionnels de santé qui disent qu’il n’est pas possible de prendre en charge telle ou telle pathologie en ambulatoire.
Les raisons invoquées sont soit d’ordre médicale ou relèvent de pratiques qui ne le permettent pas. Certes, tout ne peut pas être fait en ambulatoire ; néanmoins, certains actes qui sont considérés aujourd’hui comme devant être réalisé en hospitalisation complète le seront demain en ambulatoire.
En fait, le véritable motif réside dans le risque de rechute et donc de suivi du malade au plus près de son lieu d’hospitalisation. Mais, dès lors, qu’est-ce qui empêche d’envisager cette proximité de l’hôpital sans être à l’hôpital ? On retrouve là le concept d’hôtel hospitalier qui permet au malade de n’être plus à l’hôpital mais de se trouver néanmoins à proximité en cas de problèmes après une intervention. Dans bien des cas, le motif n’est donc pas médical à proprement parler, mais organisationnel dans la suite des traitements.
On ne saurait prendre en charge des personnes en ambulatoire du fait de leur grand âge, de leur isolement, de leur niveau de revenu. Et donc on préfère hospitaliser à temps complet les personnes âgées, alors même que leurs soins pourraient être pris en charge en ambulatoire.
Les personnes âgées n’auraient donc pas droit à l’ambulatoire ? Or, là encore, ce n’est pas l’âge en tant que tel qui est un frein, mais l’approche organisationnelle de la suite des soins. Car chacun s’accorde à dire que non seulement il faut éviter l’hospitalisation des personnes âgées qui est un facteur très déstabilisant et source accrue de risque de dépendance, mais en plus l’hôpital n’est pas un lieu adapté pour les personnes âgées, et notamment celles en risque de perte d’autonomie. Il faut au contraire tout faire pour leur éviter l’hospitalisation.
L’âge n’est donc pas un frein, mais au contraire un motif supplémentaire au développement de l’ambulatoire.
Ce qui suppose en revanche une organisation des suites de soins coordonnée, sans faille, avec des services à domicile (aide à la vie, soins à domicile, HAD) prévus dès l’intervention et mis en place pour la personne, et non par la personne et/ou sa famille.
C’est peut-être le seul et véritable frein. Que ce soit au niveau du corps des professionnels soignants, mais également au niveau de la population, la prise en charge en ambulatoire ne fait pas partie des habitudes de recours aux soins. Le fait d’être hospitalisé dans un lit et d’y rester quelques jours peut avoir un effet rassurant alors même que c’est l’inverse, avec le risque accru d’avoir une infection nosocomiale par exemple. Idem pour le corps soignant où, avec un lit égal un malade, la notion de lit reste encore un paradigme très fort au sein de l’hôpital. Alors que justement il ne s’agit plus de raisonner en termes de lits mais bien de malades uniquement. Une communication est donc nécessaire aussi bien auprès du grand public que du personnel soignant. Il convient de démystifier l’ambulatoire et de démontrer qu’une prise en charge ambulatoire est bien plus favorable au malade qu’une hospitalisation complète.
Quatre grands facteurs incitatifs se dégagent : les modes de financements, la réduction des surfaces (et donc des lits), l’organisation de la prise en charge et l’organisation coordonnée entre l’hôpital et le domicile.
Un des premiers facteurs incitatifs réside dans les modes de financement de l’ambulatoire. Il convient à la fois de fixer des tarifs incitatifs pour les séjours en ambulatoire mais également des tarifs désincitatifs pour les séjours en hospitalisation complète. C’est ce qui a été fait en chirurgie par exemple : désormais, les tarifs sont les mêmes, que la prise en charge soit en ambulatoire ou en hospitalisation complète, ce qui s’est traduit dans les faits par une hausse des tarifs en ambulatoire et une baisse des tarifs en hospitalisation complète. Cela n’a pas encore été fait en médecine ; or, si on veut que le plan d’économies de l’Objectif national des dépenses d’Assurance maladie porte ses fruits, il faut faire de même en médecine qu’en chirurgie.
Le deuxième est très certainement la réduction des surfaces, et donc la suppression de lits d’hospitalisation. Un des grands écueils des plans hôpital 2007 puis 2012 a été de reconstruire des hôpitaux selon des modèles capacitaires, c’est-à-dire en référence à des lits. Or il est évident que moins le nombre de lits est important, plus les professionnels seront incités, en fait contraints, à développer l’ambulatoire. Ce qui signifie une réduction drastique des surfaces (certainement d’un tiers, voire de la moitié par rapport à l’hôpital d’hier et d’aujourd’hui) pour constituer de véritables établissements de santé ambulatoires. Et qui dit réduction des surfaces, dit baisse des charges de fonctionnement et d’investissement.
Une prise en charge en ambulatoire suppose de tout programmer à l’avance : l’entrée, la prise en charge, la sortie. Ce qui suppose une remise en cause profonde des pratiques soignantes, qui doit être fondée sur l’anticipation. Et très certainement une évolution des dispositifs de formation des professionnels, qui aujourd’hui laisse encore peu de place à l’ambulatoire. Les métiers doivent évoluer.
Enfin, quatrième levier, l’organisation autour de l’établissement de santé d’un environnement permet de garantir la suite des soins en toute sécurité : développement de l’hospitalisation à domicile, construction d’hôtels hospitaliers, coordination des services à domiciles.
Autrement dit, le développement de l’ambulatoire est égal à une tarification adaptée + une baisse drastique des surfaces + une modification des pratiques soignantes et organisation à domicile coordonnée.
L’approche en termes d’économies doit être différenciée selon le secteur privé et le secteur public.
Le secteur privé, qui a déjà bien compris l’intérêt de développer l’ambulatoire pour des raisons économiques de réduction du coût de la prise en charge, commence à construire de véritables hôpitaux ambulatoires privés, sorte de plateforme de soins hyperspécialisées. Dès lors, dans la mesure où les tarifs seront identiques pour les prises en charge en ambulatoire et en hospitalisation complète, l’économie sur les dépenses d’Assurance maladie sera automatique, l’établissement de santé privé n’ayant d’autre choix que de s’adapter au nouveau modèle économique de prise en charge, sauf à se mettre en péril financièrement.
En revanche, il n’en est pas de même du côté de l’hôpital public. En effet, de nombreux contrats de performance sont ou seront signés avec les établissements publics en difficulté financière qui sont axés sur le développement de l’ambulatoire. Mais ces mesures ne visent pas dans un premier temps à réduire les dépenses de santé en tant que telles, mais à réduire les déficits de ces mêmes établissements, et donc d’adapter leurs dépenses à leurs recettes. Le développement de l’ambulatoire dans le secteur public se traduit donc par une meilleure performance des hôpitaux publics, mais qui n’aura pas d’impact direct, du moins dans un premier temps, sur les dépenses de santé. En revanche, il est indéniable que le développement de l’ambulatoire doit permettre de réduire les infections nosocomiales, et donc d’une certaine manière les dépenses de santé, de réduire les coûts de fonctionnement des hôpitaux par une réduction des surfaces.
Ambulatoire signifie effectivement réduction des dépenses de santé, mais certainement dans une moindre mesure que les plans ne le laissent augurer, et sur une durée longue dans le secteur public.
Rendre accessible l’HAD à l’ensemble de la population, c’est faire en sorte que le service existe en tout point du territoire, mais également que les professionnels de santé prescrivent l’HAD et que celle-ci puisse répondre aux besoins de la population en termes de technicité et de diversité des soins. Au sein de l’hôpital, et notamment dans les services de médecine, il est certain que de nombreux malades pourraient être pris en charge à domicile. Par ailleurs, nombreux sont les hôpitaux qui se plaignent de malades en surnombre, de services d’urgences embolisés faute de pouvoir hospitaliser les malades. L’HAD constitue une réponse réactive, souple, adaptable en termes de taille et pouvant répondre en urgence aux problèmes d’hospitalisation. Pour ce faire, il convient d’accompagner le changement des pratiques au sein des établissements de santé, car la résistance reste encore forte et l’hospitalisation complète dans un lit une référence. L’analyse des données issues du PMSI doit permettre de mettre en évidence les séjours pouvant être pris en charge à domicile. Au moment où de nombreux hôpitaux publics négocient un contrat de performance avec leur ARS, où la Cour des comptes plaide pour le développement de l’ambulatoire en chirurgie mais également en médecine, le développement de l’HAD constitue une opportunité intéressante pour développer l’activité des établissements de santé tout en maîtrisant l’augmentation des dépenses d’Assurance maladie. Nous devons tendre vers des hôpitaux hors les murs. Bien sûr, le libre choix du malade doit être respecté, les conditions de son environnement social et familial doivent être remplies, et la sécurité assurée à tout instant par le recours par exemple à la télémédecine.
• ACCÉLERER LE DÉVELOPPEMENT
Pour accélérer le développement de l’HAD, les CPOM avec les établissements de santé devraient inclure des objectifs en termes d’activité en HAD, mais également avec les Unions régionales des médecins libéraux, ainsi que rendre obligatoirele stage en HAD pour les internes de médecine. Par ailleurs, l’HAD doit être en capacité de prendre en charge les populations âgées présentant plusieurs pathologies, les personnes atteintes de maladies chroniques, les patients en fin de vie. Il convient de maintenir la vocation généraliste de l’HAD et d’éviter la spécialisation des services que l’on connaît au sein des hôpitaux. L’HAD doit être offerte aux résidents des établissements et service médico-sociaux, qu’ils soient pour personnes âgées ou personnes handicapées. Dans le premier cas, l’HAD permet de médicaliser les Ehpad, dans le second, elle permet aux personnes en situation de handicap d’accéder aux soins, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il s’agit donc de faire venir l’hôpital dans leurs lieux de vie.
• PRISE EN CHARGE ET FINANCEMENT
La crédibilité de l’HAD suppose que les prises en charge en HAD soient pertinentes. En particulier, les référentiels publiés par la Haute Autorité de santé doivent être appliqués et respectés. Les patients pris en charge en HAD doivent relever d’un motif et d’un diagnostic qui justifient bien d’une hospitalisation en médecine. Les structures doivent être vigilantes à ne pas faire des prises en charge relevant d’un Ssiad. Par ailleurs, une réflexion doit être menée sur les suites de soins opératoires. De plus en plus d’actes chirurgicaux se font et vont se faire en ambulatoire, c’est-à-dire en moins de 24 heures. Il n’en reste pas moins, notamment pour les patients âgés, que des suites de soins peuvent s’avérer nécessaires sans toutefois nécessiter une hospitalisation dans un lit. Dès lors, il convient d’imaginer un système de financement qui conjugue à la fois chirurgie ambulatoire et suite de soins en HAD, système qui sera moins coûteux à l’Assurance maladie car ne nécessitant pas de capacités immobilières, et donc pas de charge d’investissement exorbitantes. Il est dommageable cependant que le parc hospitalier ait été reconstruit ces dernières années sans prendre en compte ce changement de mode de prise en charge. Mais si la prescription en HAD est pertinente, encore faut-il que les équipes soient en capacité de répondre aux besoins en termes de professionnels. En particulier, les compétences des équipes d’HAD doivent être les mêmes que celles des équipes hospitalières. Les mêmes conditions techniques de fonctionnement doivent être remplies, que ce soient en termes de gestion des risques, de circuit du médicament, etc., mais également de présence médicale. Bien trop souvent encore la présence de médecins dans les services d’HAD n’est pas garantie suffisamment. Et les structures d’HAD doivent fonctionner 24 heures sur 24, comme tout service hospitalier. Ce qui suppose une continuité des soins assurée par un médecin et la possibilité pour les équipes d’intervenir à tout moment du jour et de la nuit. Tout ceci plaide bien sûr pour des structures d’HAD ayant une capacité en taille suffisante pour organiser une telle continuité.