Le 19 septembre, le Conseil d’État a rendu un arrêt (arrêt n° 361534) qui sanctionne comme faute disciplinaire un manquement au respect de la pudeur du patient. Pour cela, il s’est basé sur le consentement et le principe de dignité de la personne.
Alors que la pudeur est potentiellement mise à mal à l’occasion des soins, cet arrêt confirme l’attention due sur ce plan par les soignants et cette attention s’inscrit dans une jurisprudence européenne, (arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 9 octobre 2014, Konovalova c. Russie, n° 378773/04, que l’on verra plus loin).
L’affaire concerne une patiente devant subir une colposcopie. Lors de la consultation préalable, le praticien gynécologue-obstétricien l’avait informée de ce que l’établissement était engagé dans un protocole de recherche requérant l’utilisation d’un nouvel appareil de colposcopie, qui nécessitait l’assistance d’un technicien. Devant ces informations, la patiente avait indiqué qu’elle refusait de participer à ce protocole, car elle n’entendait pas que le technicien assiste à l’examen, et le praticien en avait pris acte, indiquant qu’il serait procédé à une colposcopie classique.
Au moment de l’examen, la patiente a eu la surprise de rencontrer sur place le technicien, à qui elle a demandé de sortir de la salle d’examen. Arrivant à son tour, le praticien gynécologue-obstétricien a trouvé le technicien à l’extérieur de la salle, et il l’a fait entrer. La patiente s’est alors mise en position d’examen, et l’examen a eu lieu, la patiente subissant la présence du technicien sans oser protester de nouveau.
Estimant qu’une faute avait été commise, faute lui causant un dommage moral, la patiente aurait pu engager un recours en responsabilité classique, contre le praticien s’il exerce en libéral, ou en cas de salariat, contre la clinique. Mais, dans de telles affaires, la jurisprudence retient des indemnisations marginales, et la patiente a déposé une plainte devant le Conseil départemental dont dépend ce praticien, procédure plus adaptée.
L’instance ordinale a bien accueilli la plainte. La chambre disciplinaire de première instance a infligé un blâme au praticien gynécologue-obstétricien, sanction confirmée par la chambre disciplinaire nationale, et le médecin a alors saisi le Conseil d’État.
La protection de la pudeur est assurée sur la base du consentement et de la dignité.
L’obligation générale d’information, posée par l’article L 1111-2 du Code de la santé publique (CSP), doit porter sur « les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés » et, selon l’article R 4127-35 du CSP, l’information doit être « loyale, claire et appropriée », le professionnel de santé devant tenir compte « de la personnalité du patient dans ses explications ». La disposition la plus explicite est l’article R 4127-36 du CSP (lire l’encadré page suivante) : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. »
Ces textes doivent être appliqués avec bon sens. Le Conseil d’État souligne qu’aucune de ces dispositions n’impose au médecin d’informer systématiquement le patient de l’identité ou de la nature des fonctions des personnes qui vont l’assister. Nombre de situations justifient un travail en équipe, et sans que soient en jeu des atteintes au droit à l’intimité du patient.
C’est au cas par cas qu’il faut analyser. Pour le Conseil d’État, eu égard, d’une part, au caractère intime de l’examen que devait subir la patiente et, d’autre part, au premier refus qu’elle avait opposé à la présence du technicien, l’information tardive délivrée par le praticien à la patiente, qui s’est faite en présence du technicien dont la présence faisait litige et alors que la patiente était déjà déshabillée, ne pouvait être regardée comme loyale et appropriée au sens des textes. Le fait que le technicien ne soit pas un professionnel de santé, en ce sens que sa profession n’est pas régie par le CSP, a joué, mais n’a pas été décisif.
Aussi, et alors même que la patiente s’est finalement mise en position d’examen, le praticien ne peut être regardé comme ayant recueilli de sa part un consentement éclairé.
Rappelant l’article L 1110-2 du CSP aux termes duquel « la personne malade a droit au respect de sa dignité », le Conseil d’État en conclut bien logiquement que le praticien a, par son comportement, méconnu les « exigences déontologiques relatives au respect des malades »
Coïncidence du calendrier, le 9 octobre 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est prononcée pour une problématique proche – la présence d’étudiants lors d’un accouchement – qu’elle a jugée fautive
La Cour raisonne à partir du concept de « vie privée », visé à article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Au sens du droit européen, ce concept est une notion large, qui couvre, entre autres, des informations relatives à l’identité personnelle, telles que le nom, la photo d’une personne, ou à l’intégrité physique et morale (CEDH, Von Hannover c. Allemagne, 7 février 2012), et généralement s’étend aux renseignements personnels que les individus peuvent légitimement s’attendre à ne pas être exposés au public sans leur consentement (CEDH, Flinkkilä c. Finlande, 6 avril 2010).
La protection assurée par l’article 8 de la Cour européenne des droits de l’Homme englobe l’intégrité physique d’une personne, car le corps d’une personne est l’aspect le plus intime de la vie privée, et l’intervention médicale, même si elle est d’une importance mineure, constitue une atteinte à ce droit (CEDH, Solomakhin v Ukraine, 15 mars 2012 ; IG c Slovaquie, 13 novembre 2012).
Pour la Cour, la présence d’étudiants en médecine lors de l’accouchement était autorisée par un article de la loi sur les soins de santé, prévoyant que les élèves des établissements d’enseignement médicaux spécialisés étaient autorisés à participer à un traitement médical en lien avec les exigences de leur programme et sous la supervision du personnel médical responsable de leurs études professionnelles.
Mais ce texte donnait un cadre général, et il revenait aux professionnels de prendre les mesures de protection capables d’assurer la protection de la vie privée des patients dans de telles situations. Pour les juges de Strasbourg, une information adaptée doit être donnée à la personne concernée, en tenant compte de toutes les circonstances, comme l’effet des traitements sur la vigilance, la fatigue ou le stress. Il faut faire en sorte que le patient soit réellement en mesure d’effectuer un choix en ce qui concerne la participation de tiers, notamment des étudiants, par une décision éclairée intelligible. Le consentement peut être implicite, mais il doit être certain.
Le point le plus net qui se dégage de la jurisprudence de ces deux juridictions est que la protection de la pudeur fait partie des fondamentaux du soin, au regard du principe de dignité et des règles du consentement. Dès lors, il est certain que les professionnels de santé doivent toujours et en toutes circonstances avoir cette préoccupation en tête. Ce n’est jamais une donnée négligeable.
Le devoir de protection joue d’abord comme une donnée objective, liée à la dignité de la personne. Le consentement, notion si importante, n’entre en fait en jeu que dans un second temps. D’abord, si le patient n’est pas en mesure de s’exprimer, ou même de se rendre compte des événements, la pudeur doit être protégée avec la même rigueur. Il en serait de même, d’ailleurs, si le patient n’évoquait pas de gêne particulière ou se montrait même impudique, situation que l’on rencontre aussi ! La même règle et les mêmes pratiques doivent valoir pour tous. Lorsque le patient est conscient, la recherche de son consentement est toujours nécessaire, et elle inclut la question de la pudeur, par des explications adaptées à sa personnalité et aux circonstances.
S’agissant du refus clairement exprimé, il faut alors distinguer les situations.
Le patient est libre d’accepter les soins, et il est donc libre de les refuser. Aussi, s’il oppose un refus de soin, compte tenu de la nature de l’acte ou de la présence nécessaire de tiers, sa décision lui appartient, et il en assume les conséquences. Bien sûr, l’équipe doit savoir se montrer convaincante, mais, au final, le patient prend la décision, et la responsabilité qui va avec.
Si le patient formule des demandes particulières relatives à la pudeur, elles doivent être prises en compte au mieux mais sans absolu, compte tenu des données médicales et organisationnelles. À cet égard, l’équipe de soin doit faire preuve d’adaptation, et même si cela rend la pratique du soin plus longue ou plus complexe. La volonté d’être soigné par un homme ou par une femme pour des actes qui concernent les zones les plus intimes du corps doit être prise en compte, dans toute la mesure du possible. Il faut chercher les « accommodements raisonnables », mais sans désorganiser les services. De même, on ne peut pas mettre sur le même plan le rôle du médecin ou de l’infirmière, et celui d’étudiants ou de techniciens. C’est donc, au final, une règle délicate à mettre en œuvre, car elle doit toujours être prise en compte… et être très souvent aménagée devant l’évidente nécessité des soins et les contraintes organisationnelles du service.
Article L 1111-2
« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. »
Article R 4127-35
« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. »
Article R 4127-36
« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. »