Objectif Soins n° 230 du 01/11/2014

 

Management des soins

Élodie Bonnetain*   Jean-Claude Cordeau**   Laurent Thuez***  

Dans le cadre d’une action collaborative entre l’Ifsi d’Annecy et le Service départemental d’incendie et de secours de la Haute-Savoie (SDIS 74), une action pédagogique d’une durée de trois ans a été mise en place. Avec comme point d’orgue un exercice de simulation catastrophe de longue durée (36 heures), accordant une véritable place au psychologue.

Sous forme d’une conduite de projet, les étudiants en soins infirmiers de troisième année de la promotion Bahia (2010-2013) ont contextualisé une action innovante en qualité « d’acteurs-organisateurs »(1). Pour ce faire, une entité organisationnelle appelée direction de l’exercice (Direx) a été créée. Outre des missions de coordination et d’organisation d’exercice, la Direx veillait à la sécurité physique et psychologique des étudiants. Cette dernière, composée du directeur de l’Ifsi, de cadres de santé chargés de formation, d’officiers, d’infirmiers sapeurs-pompiers et de deux étudiantes en soins infirmiers, s’est vue adjoindre une experte psychologue (clinicienne et docteur en psychologie cognitive) lors des trente-six heures de simulation.

LA SIMULATION DE MASSE

La simulation pleine échelle se définit comme une « situation qui reproduit la situation professionnelle dans sa globalité, avec toutes ses dimensions, habiletés dans les gestes, répertoires de procédures, activités de diagnostic, activité de communication et de coopération »(2). La simulation de masse, quant à elle, est une simulation pleine échelle à grande échelle. Elle comprend un ensemble de sous-situations professionnelles issues des retours d’expériences, notamment en médecine d’urgence et de catastrophe.

PSYCHOLOGIE COGNITIVE, FORMATION ET SIMULATION DE MASSE

L’apport de la psychologie cognitive dans le cadre de la formation professionnelle en situation de simulation est de favoriser la conception des formations. Ce travail est réalisé en fonction des connaissances du fonctionnement cognitif humain et en lien avec les objectifs de formations professionnelles analysés en termes de compétence.

En effet, les professionnels doivent acquérir non seulement des connaissances, mais encore de véritables compétences. La compétence qui se caractérise par un « savoir agir reconnu »(3) permet d’être efficace dans un ensemble de situations au sein d’un domaine de référence. Or nous savons que, pour devenir efficace en situation, l’apprenant doit assimiler par l’action(4,5). Cependant, cette mise en action des apprenants peut s’avérer coûteuse (d’un point de vue matériel) ou risquée (d’un point de vue humain). C’est le cas lorsqu’il s’agit d’acquérir les notions d’action et de réaction face à des accidents, des événements peu prévisibles, des dysfonctionnements.

Ce type d’apprentissage est particulièrement difficile à aborder par une formation classique (étude de cas, proposition de règles générales, instructions relatives à des situations probables). En revanche, la simulation, en permettant d’immerger les apprenants dans ces environnements où ils peuvent essayer, choisir, prendre des initiatives, échouer et recommencer, le favorise. Cependant, même avec ces approches, certains risques restent présents. En effet, les risques de stress, ou, à l’extrême, de trouble de stress post-traumatique, sont toujours présents lors de ce type d’exercice, surtout lorsque l’on aborde des situations de simulation de grande ampleur. La profession de psychologue est régie par un Code de déontologie stipulant, entre autres, que « la mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur les composantes psychologiques des individus, considérés isolément ou collectivement et situés dans leur contexte » (article 2 du Code de déontologie des psychologues(6)). Il est donc fondamental de conserver une vigilance élevée et de préserver l’apprenant lors de toutes les situations de formation.

MISSIONS

Lors de l’exercice baptisé “cata 2013”, les étudiants en soins infirmiers ont pris part à cette simulation de masse en qualité « d’acteurs-organisateurs »(7). Le groupe de pilotage chargé de l’organisation et de l’ingénierie de formation a souhaité la présence d’un expert psychologue afin de garantir une qualité dans « l’offre de formation » et la sécurité sanitaire. Officialisées par une procédure, les missions de la psychologue étaient clairement identifiées en amont de l’exercice. Deux axes furent retenus :

→ le rôle de conseiller technique, auprès des formateurs, dans l’apprentissage par la simulation ;

→ et le soutien psychologique des étudiants.

À la demande de la Direx, cette professionnelle de santé pouvait conseiller la Direx sur des problématiques de fonctionnement ; mettre en place des mesures de soutien psychologique en cas de difficultés des étudiants et proposer une orientation hors exercice (retour à domicile, prise en charge psychologique par l’équipe de soutien sanitaire du SDIS 74, etc.).

LES RISQUES

Plusieurs risques ont été relevés pour les acteurs. Le principal étant le risque d’incident critique pouvant provoquer un état de stress aigu, avec, à l’extrême, le risque traumatique. L’incident critique concerne toute intervention, ou fragment d’intervention, perturbant la bonne marche de l’activité car comportant, pour le professionnel, un caractère imprévu ou imprévisible, et augmentant ainsi le facteur de stress. Il peut relever d’une expérience courante pour le professionnel de soin et donne, au quotidien, rarement lieu à une blessure psychique. Cependant, il peut aussi être vécu comme une situation traumatique et provoquer, chez l’intervenant touché, une réaction émotive exceptionnellement forte pendant (ou après) l’événement. Le risque important en simulation de situation de crise est la réactivation d’événement psychologique antérieur traumatisant (décès d’un collègue, identification à une victime ou à sa situation, etc.). Il est donc primordial de ne pas en négliger la réalité, et ce, surtout dans le cadre de la formation, car sa survenue ou sa répétition, sans prise en charge adaptée, est un vecteur important de développement des risques psycho-sociaux (stress chronique pouvant conduire au burn-out). Les symptômes du stress causés par un incident critique comprennent différents éléments que nous devons connaître pour mieux les dépister :

→ l’irritabilité, la tristesse ou la dépression,

→ la culpabilité ou le déni,

→ les troubles de la mémoire et de la concentration,

→ la difficulté à travailler près du lieu où est survenu l’incident,

→ la difficulté face à l’isolement ou, au contraire, à la présence du groupe,

→ la peur de la répétition.

En situation de formation par simulation de masse, le risque de survenue de ce type d’incident est permanente. Une vigilance de l’ensemble de l’équipe à sa détection et sa prise en charge est nécessaire. De même que la formation à la gestion “matérielle” d’une situation de crise, la simulation doit former l’apprenant à la gestion de son propre ressenti et de ses propres émotions en situation à risque.

PRISE EN CHARGE

Afin de prendre en charge ces risques, il est important, en amont de la formation, de planifier des séances de sensibilisation au stress en situation de travail et en milieu à risque. En effet, la première étape afin de lutter contre ce type de problème est de reconnaître que les incidents critiques représentent un danger grave pour la santé et la sécurité. Il faut, durant la formation, avoir en permanence la possibilité de proposer un soutien psychologique, neutre et immédiat, individuel ou en petit groupe, à l’intention des apprenants sujets aux incidents. Ce soutien permet un désamorçage afin de relâcher le stress aigu. Tout professionnel expérimentant des difficultés à faire face sur le plan émotionnel, à une intervention à laquelle il a participé, doit pouvoir ainsi interpeller le psychologue dans les trois à huit heures suivant l’incident. L’équipe de formateurs doit aussi apporter un soutien de groupe afin de permettre l’expression des pensées et réactions, dans le cadre d’une discussion en toute confidentialité et entre professionnels. Il est important, au besoin, de s’assurer de pouvoir proposer une orientation et un suivi des apprenants par un psychologue à la sortie de la formation. Enfin, il faut assurer les apprenants de la possibilité de quitter le dispositif de simulation dès qu’ils le jugent nécessaire.

RETOUR D’EXPÉRIENCE

En complément des conseils techniques dans le domaine de la pédagogie de la simulation, la psychologue a pu offrir un lieu d’écoute afin de faire émerger les difficultés et le vécu des situations. Ces entretiens ont été conduits à trois reprises, dont un collectif en collaboration avec un cadre de santé formateur. À la suite de probables stress psychologiques décelés par la Direx et au vu des circonstances particulières de l’exercice (effondrements de bâtiments, déblaiement et relevages difficiles des “victimes”, etc.), les soutiens psychologiques ont permis de “dédramatiser” la situation, d’éviter des transferts psychologiques éventuels et de réintégrer le statut d’apprenant pour les étudiants. Enfin, le retour d’expérience lors du débriefing général a permis d’analyser l’exercice sous tous ses angles : des apprentissages réalisés aux axes d’amélioration en passant par les ressentis des étudiants. Ce temps était l’occasion de repérer de probables difficultés d’ordre psychologique.

CONCLUSION

Le partage d’informations entre psychologue et cadres de santé est impératif pour le soutien psychologique des apprenants. Cependant, le partage d’informations doit être relatif et mesuré. En effet, le secret de la consultation pour le psychologue est impératif et le devoir de discrétion, en ce qui concerne le suivi pédagogique pour le formateur, est moral.

La plus-value repose sans aucun doute dans le domaine de compétence qui est le sien. « La frontière de la pédagogie n’est-elle pas la psychologie ? »

Enfin, la présence d’un expert en sciences cognitives permet la révision des séquences de simulation sans laisser place aux “tâtonnements pédagogiques”, voire à l’improvisation, ainsi qu’une attention particulière portée aux aspects cognitifs de la situation de simulation de masse.

La complémentarité “pédagogue/ psychologue” prend alors tout son sens.

NOTES

(1) Bielokopytoff T., Thuez L., Cordeau JC.et al. “Un exercice, un projet pédagogique, deux services publics”. 08/07/2013[site Internet]. Consulté le 24/09/2013.

(2) Pastré, P. (2005). “Apprendre par la résolution de problèmes : le rôle de la simulation”. In: P. Pastré (Ed.), Apprendre par la simulation. De l’analyse du travail aux apprentissages professionnels (pp. 17-40). Toulouse: Octares Éditions.

(3) Wittorski R. (1997). Analyse du travail et production de compétences collectives. Paris : l’Harmattan.

(4) Nguyen-Xuan A. (1995). Les mécanismes cognitifs d’apprentissage. Revue française de pédagogie, 57-67.

(5) Pastré P. (1997). “Didactique professionnelle et développement”. Psychologie française, 42(1), 89-100.

(6) Code de déontologie des psychologues de mars 1996, révisé en février 2012. www.sfpsy.org/Code-de-deontolgie-des.html 18/03/2012 [site Internet]. Consulté le 13/10/2013.

(7) Thuez L, Bielokoytoff T., Cordeau JC. “L’art du grimage dans le cadre d’une simulation de masse”, 19/09/2013 [site Internet], lien raccourci : petitlien.fr/7jy5 consulté le 30/09/2013.

DÉFINITION DE LA PROFESSION DE PSYCHOLOGUE

La profession de psychologue est réglementée. Elle nécessite une formation universitaire spécialisée en psychologie et l’obtention d’un diplôme professionnel (bac +5) reconnu par l’État. Cette formation est centrée sur la compréhension du raisonnement et du comportement humain et sur l’apprentissage des techniques visant à l’évaluation, au diagnostic et à aider l’individu à surmonter ses difficultés.

La fonction du psychologue est d’analyser les situations et d’intervenir auprès d’individus, de groupes ou d’institutions. Il doit comprendre, conceptualiser et théoriser les problèmes propres à une situation. Et également utiliser ses bagages théoriques et pratiques pour apporter les réponses les plus adaptées à la gestion de la situation. Il s’agit d’effectuer un travail visant à redonner du sens à une situation difficile, conflictuelle ou confuse. Que cela concerne le vécu d’une personne ou d’une équipe. Le travail de psychologue est alors d’aider à une modification des comportements individuels ou groupaux en s’adaptant aux spécificités de chaque situation.

Parmi les différentes spécialités de la psychologie, la psychologie cognitive étudie les grandes fonctions psychologiques de l’être humain (langage, mémoire, intelligence, perception, raisonnement, attention ou résolution des problèmes, etc.). Branche récente de la psychologie scientifique, elle s’attache à élaborer des modèles descriptifs et explicatifs des processus par lesquels nous recevons et traitons les informations, formons et organisons nos représentations, décodons le langage, raisonnons, prenons des décisions ou résolvons nos problèmes.