Allergies, un risque trop souvent sous-estimé - Objectif Soins & Management n° 231 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 231 du 01/12/2014

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Les allergies en milieu professionnel sont nombreuses et variées selon les corps de métier et l’hôpital n’y échappe pas puisqu’il est le troisième domaine le plus touché après la coiffure et l’agro-alimentaire. Aucune allergie n’est cependant un frein à l’exercice professionnel puisque des procédures simples peuvent être mises en place. Le point sur la question.

Martine est infirmière dans un centre hospitalier dans le Nord (59) : dans la routine de son quotidien professionnel, ses gestes sont assurés pour entourer les patients de toute l’attention qu’ils requièrent. Mais elle redouble de prudence lors des soins avec des produits iodés : « J’ai déjà fait un choc thyréotoxique et l’on m’a identifié une allergie à l’iode qui pourrait m’être fatale si je ne fais pas attention. Dans mon quotidien, je dois être très attentive à certains de mes gestes lorsque j’utilise des produits contenant de l’iode. Mais ce n’est pas une fatalité. J’utilise des gants pour utiliser ces produits et tout se passe sereinement. »

Martine n’est évidemment pas un cas isolé puisque les allergies en milieu professionnel ne sont pas rares, même si, selon une étude de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), il n’existe pas de système de suivi national de données épidémiologiques pour ces allergies. Tout au plus, ce sont les déclarations de maladies professionnelles qui peuvent donner des pistes sur ces pathologies spécifiques. En 2004, un peu plus de 4 % des maladies professionnelles déclarées, constatées et reconnues en France, étaient des allergies, tous secteurs confondus, soit 1 798 cas.

Aucun chiffre précis sur la proportion en milieu hospitalier ou plus largement chez les professionnels de santé.

DES ALLERGIES BANALISÉES À L’HÔPITAL

Plusieurs raisons à cela : l’hôpital a longtemps été sensibilisé au risque biologique, peut-être au détriment du risque provoqué par des substances susceptibles de provoquer des allergies. Il est aussi largement tourné vers la sécurité des patients, même si, ces dernières années, de plus en plus de mesures concernent aussi la sécurité des soignants (par exemple dans la prise en charge des accidents d’exposition au sang). Et les professionnels de santé, plus sensibilisés que la moyenne sur ces questions, prennent parfois les devants et ne passent pas forcément par la médecine du travail pour trouver des solutions.

« Je n’ai pas eu à suivre de protocole particulier, explique Fanny, aide-soignante dans une maison d’accueil spécialisée en Normandie et allergique au latex. Quand j’ai intégré le service où je travaille, on m’a juste montré le matériel, les gants, avec et sans latex, et la médecine du travail m’a dit de consulter mon médecin traitant. » Au quotidien, se sachant allergique, elle se prémunit de potentielles réactions dermatologiques en utilisant des gants en vinyle.

Ce sont d’ailleurs les dermatoses – représentant des réactions allergiques de la peau – qui sont les plus fréquentes en milieu professionnel, et particulièrement dans le milieu de la santé (voir l’encadré “Lire aussi” p.34) : sur une population de 100 000 travailleurs (tous secteurs confondus), 70 à 150 cas sont ainsi recensés (dont 20 à 60 cas d’eczémas de contact et quelques cas d’urticaire).

Il faut dire que les produits susceptibles de déclencher une allergie sont nombreux à l’hôpital : gants, antiseptiques et désinfectants à usage hospitalier, médicaments et plus sporadiquement parfums (lire l’encadré page suivante). Ils peuvent aussi provoquer des réactions allergiques respiratoires (asthme) dont il est difficile d’évaluer la fréquence. L’INRS estime entre 9 et 10 % la fréquence de l’asthme professionnel (toutes catégories confondues). Et ce n’est pas l’emploi de produits désinfectants et la déferlante d’une hygiène accrue dans le milieu hospitalier qui a amélioré les choses.

COMMENT ÉVALUER UNE ALLERGIE d’ORIGINE PROFESSIONNELLE ?

Si certains travailleurs se connaissent allergiques à certaines substances avant d’exercer leur métier, il peut arriver qu’ils découvrent leur allergie au décours de leur activité.

Mais il ne faut toutefois pas assimiler toute réaction à une allergie : selon l’INRS, les allergies d’origine professionnelles se caractérisent par des symptômes qui se manifestent seulement chez une poignée de travailleurs soumis à une même exposition. À ne pas confondre avec une intoxication qui touche tous les salariés soumis à la même exposition. Qui plus est, les signes ne se manifestent pas immédiatement : c’est ce que l’on appelle la période de sensibilisation, pendant laquelle le système immunitaire apprend à reconnaître l’allergène (lire l’encadré page précédente). Dernier point : l’allergie peut apparaître même à de très faibles niveaux d’exposition.

Les symptômes rencontrés peuvent persister, même lors de l’arrêt de l’exposition à l’allergène, et ont tendance à s’aggraver avec le temps, d’autant plus si l’exposition se prolonge ou se répète de manière régulière, ce qui représente un facteur de risque supplémentaire.

STRATÉGIE D’ÉVITEMENT OU PROTECTION

En cas de suspicion d’une allergie d’origine professionnelle, c’est la médecine du travail qui prend le relais, même si, dans le cas des professionnels de santé, les mesures d’évitement total sont difficiles à tenir : l’exercice professionnel s’assortit alors de mesures de remplacement ou de précautions spécifiques du risque. Une allergie au latex, l’une des plus répandue dans le milieu hospitalier, lorsqu’elle est connue, peut facilement être contournée par l’usage de gants en vinyle pour les personnels impactés. Car il est du devoir de l’employeur d’éviter le risque ou, lorsque c’est impossible, de le contourner en agissant sur les conditions et l’organisation du travail : c’est l’une des missions du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ce dernier agit aussi sur la prévention et les mesures qui peuvent être employées pour se prémunir de certains risques : formation et information du personnel, suivi par la médecine du travail, protection vis-à-vis de l’allergène ou stratégie d’évitement. Et lorsque l’allergie est bien présente, un diagnostic précis est établi pour un classement en maladie professionnelle.

Rappel sur le mécanisme de l’allergie

Pour qu’une réaction soit identifiée comme allergique, il faut que l’organisme ait été exposé au moins deux fois à un allergène. La première fois, le système immunitaire entre en contact avec la substance allergène, la “décrypte” et se sensibilise : il ne se passe rien de visible. Dès lors, l’organisme se met à produire des anticorps IgE qui vont se fixer sur les mastocytes en attendant la prochaine rencontre avec l’allergène. Lors de la seconde exposition avec l’allergène, les mastocytes entrent en dégranulation et libèrent des histamines responsables de la réaction allergique. Celle-ci peut prendre différentes formes, des manifestations cutanées, en passant par celles de la sphère ORL et ophtalmologiques, voire pulmonaires, sans oublier les cas graves de choc anaphylactique.

Des allergènes bien connus

D’après différentes études, plus de 350 agents allergènes ont été recensés dans différents secteurs professionnels, mais seulement une douzaine d’entre eux seraient à l’origine de la majorité des allergies professionnelles. Dans le secteur de la santé et du soin, trois grandes classes d’allergènes sont recensées :

• le latex des gants, les additifs de vulcanisation (tels que les thiurames, les carbamates et les benzothiazoles) et la poudre des gants (amidon de maïs). L’incidence des allergies dues à ces agents parmi les professionnels du soin est évaluée, selon une étudedu Cclin Sud-Est entre 2,9 et 17 %, avec une majorité chez les chirurgiens, les Ibode et les Iade ;

• les antiseptiques et désinfectants à usage hospitalier (pour la désinfection des surfaces ou l’hygiène des patients et des mains) tels que le glutaraldéhyde (auparavant également utilisé pour lutter contre le prion, mais progressivement remplacé par l’acide peracétique), le formaldéhyde, les ammoniums quaternaires, le dibromodicyanobutane, les isothiazolinones, la chlorhexidine ou encore la polyvidone iodée ;

• nombreux sont aussi les médicaments qui peuvent provoquer des allergies : une infirmière allergique à un antibiotique doit donc être prudente lorsqu’elle le prépare pour les patients, tout comme le risque est présent avec certaines molécules utilisées en anesthésie ou contre la douleur.

D’après un document INRS.

Lire aussi

→ “Dermatoses professionnelles en milieu hospitalier”, du Service de prévention et de médecine du travail des communautés françaises et germanophone de Belgique : une étude très complète sur la plus répandue des allergies en milieu hospitalier.

Via le lien raccourci : petitlien.fr/7od1

→ “Allergies professionnelles en établissement de santé”, Cclin Sud-Est : quelques données épidémiologiques et études menées aux HCL (Lyon).

Via le lien raccourci : petitlien.fr/7od4