Générations Y et Z, une source de profit pour les unités de soins - Objectif Soins & Management n° 231 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 231 du 01/12/2014

 

Management des soins

Marie Lungisland  

Le renouvellement des générations se fait parfois dans la douleur. L’intégration des générations des 18-35 ans – dénommées Y et Z – constituent souvent un véritable défi pour les unités de soins, tant les attentes et les modes de fonctionnement de ces jeunes diffèrent de ceux de leurs aînés. Pourtant, les cadres qui prennent la peine de décoder ces nouveaux comportements acquièrent des précieuses clés de management. Et de nouveaux moteurs pour leur service.

Indépendants, touche-à-tout, hyperconnectés… La toute nouvelle génération arrive dans les hôpitaux. Et à chaque “renouvellement”, la coexistance, au moins au début, entre les générations est parfois compliquée. Les générations Y et Z ont souvent des difficultés à s’adapter au monde du travail, particulièrement à l’hôpital où les règles en matière d’hygiène et de déontologie sont drastiques. Un constat qui traverse tous les services, et toutes les fonctions, de l’agent au jeune médecin en passant par les infirmières.

DÉCRYPTER POUR MIEUX ORGANISER

Les cadres et les équipes peinent à décrypter ces comportements souvent incompatibles avec le milieu hospitalier. À tel point que l’organisation des soins s’en trouve perturbée. « L’un de mes agents refuse systématiquement la hiérarchie. Il m’accuse à chaque fois de le considérer comme son bouc émissaire », déplore une cadre de santé.

DES CADRES DÉCONTENANCÉS

Simple fossé générationnel ou marque de fabrique de jeunes habitués à se voir tout expliquer et surtout à négocier ? Une chose est sûre, l’attitude de ces générations hyperconnectées et qui vivent dans l’immédiat déroutent l’encadrement. « Le management de la génération Y et de la suivante est une préoccupation pour les services mais nous n’avons pour l’instant, pas de réponses RH en la matière », convient une psychologue du travail.

Les conflits dépassent le non-respect des règles d’hygiène, comme l’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les unités de soins. Ou encore l’utilisation des réseaux sociaux qui peuvent transgresser les règles de confidentialité. Les leviers manquent aux cadres pour motiver cette génération très exigeante en termes d’équilibre et de qualité de vie, et qui privilégie la vie privée à la vie professionnelle.

Les moyens se font rares pour inculquer à ces jeunes épris de flexibilité des notions telles que la permanence des soins et la continuité des services.

D’autant que, comme le note Annick Haegel, manager du pôle des ressources humaines de l’institut de formation Cegos, « ils ont une fâcheuse tendance à se mettre facilement en arrêt maladie dès qu’ils sont un peu malades, d’où un micro-absentéisme. »

DE NOUVELLES EXIGENCES

Cette génération habituée à comparer n’hésitent pas à détourner des outils informatiques pour trouver des réponses professionnelles si elle ne les obtient pas en interne. « Ils construisent eux-mêmes leurs réseaux pour accéder à l’information, au mépris parfois des règles de confidentialité ! », déclare Patrick Pauget, docteur en sciences de gestion et doyen de la faculté à l’European Business School. Auteur de deux enquêtes entre 2011 et 2013 sur ces jeunes générations en milieu hospitalier, il constate que « les établissements hospitaliers souvent en pleine réorganisation, basés sur une hiérarchie et une autorité fortes ainsi qu’un management souvent directif, ne sont pas adaptés pour répondre aux attentes de cette génération, en demande de flexibilité, de compagnonnage, de mentoring… et qui souhaiterait fonctionner par gestion de projets ».

Pour lui, « ces générations agissent comme un révélateur des tensions qui traversent les établissements ». Il envisage même qu’« elles soient à même de transformer le management et les organisations dans le secteur de la santé. Sans en être la cause première, elles pourraient en être le déclencheur ».

UN NÉCESSAIRE DÉCODAGEs

À défaut de pouvoir se restructurer dans l’immédiat, il ne reste plus aux établissements qu’à soutenir leurs cadres, en les initiant aux caractéristiques de ces nouvelles générations. Les conférences sur « cette nouvelle donne générationnelle » et les formations au management “intergénérationnel” se multiplient au sein des établissements. Leur but est d’aider les cadres à mieux cerner les caractéristiques de ces jeunes pour mieux les manager (lire le témoignage p. 20).

Ainsi, comme l’énonce Annick Haegel, « pour se faire respecter de cette génération, l’encadrement doit donner du sens à ce qu’il demande. Habitués à négocier depuis l’enfance, ces jeunes remettront les règles en question. Aussi est-il primordial d’énoncer les règles négociables et celles qui ne le sont pas, principalement en milieu hospitalier ».

Qu’elles soient internes ou dispensées par les réseaux ou encore par le biais de l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), les formations s’accélèrent. « Nous assistons à une véritable explosion de la demande depuis l’année dernière. Nos apprenants, essentiellement des cadres hospitaliers, peuvent également suivre ces formations à distance en e-learning, mais ils optent le plus généralement pour une formation présentielle enrichie avec l’accompagnement d’un formateur, tant leur besoin d’échanger est grand », note Thierry Henock, responsable du pôle e-learning au département ingénierie et développement du GIP-FCIP de Lille (Nord). Cette entité rattachée au rectorat établit les modules pédagogiques de formation au management intergénérationnel pour le compte de l’ANFH. Depuis le début de l’année, près de soixante-dix cadres de centres hospitaliers du Nord-Pas-de-Calais ont profité de cette offre.

CULTIVER LA PROXIMITÉ

Les cadres ressentent la nécessité d’acquérir les “réflexes” de management d’une population qui a ses propres valeurs. « Car s’ils ne reconnaissent pas la hiérarchie pour la hiérarchie, ils estiment en revanche leur manager pour ses compétences, et surtout pour sa capacité à les faire bénéficier d’un réseau et à leur donner la possibilité d’évoluer », relève Annick Haegel. Cette génération en attente de reconnaissance et de considération réclame un management de proximité. Elle est demandeuse de reconnaissance, de feedback. Et Annick Haegel d’insister : « Les capacités d’écoute du manager, son respect et son soutien en cas de difficulté sont essentielles pour cette génération. En un mot, il faut prévoir de leur consacrer du temps. »

Cette exigence se vérifie au sein des établissements qui ont relevé le défi d’accueillir des jeunes de ces générations Y et Z en contrats emplois d’avenir. Inclus dans ce dispositif très encadré, ils s’intègrent mieux aux équipes et s’impliquent davantage dans l’établissement que le reste de leurs générations. « Il est plus facile de manager les jeunes en contrats emplois avenir que ceux en CDD qui au bout d’un mois, montrent déjà des signes de relâchement », confirme Gary Arnotin, cadre de santé au centre hospitalier d’Argenteuil (Val-d’Oise) qui accueille trois jeunes. « Je me suis beaucoup occupé d’eux et j’ai maintenu un dialogue constant. J’ai l’impression qu’ils ont à cœur de ne pas me décevoir. »

PILOTER EN PARTENARIAT

L’expérience – probante – de ce centre hospitalier avec ses contrats emplois d’avenir montre qu’il est possible de manager les jeunes des générations Y et Z, y compris ceux se trouvant dans les situations les plus difficiles. « Sur les dix-huit jeunes que j’ai recrutés, nous n’avons eu que deux échecs », se félicite Florence Le Ray, directrice des ressources humaines. Elle attribue ce succès à un recrutement effectué dans la perspective d’un emploi définitif. « Je parie sur le jeune. Il ne doit pas se sentir comme un salarié de deuxième classe et doit être intégré au même titre que tout autre agent. Notre journée complète d’information et d’intégration est en cela essentielle », précise-t-elle. Selon elle, ces jeunes en contrats emploi avenir présentent moins de difficultés que les infirmières de moins de trente ans, qui travaillant en douze heures, sont « moins impliquées et qui ont tendance à séparer leur vie en deux ».

Deuxième condition de cette réussite : la relation partenariale qui s’instaure au sein des équipes par l’affectation de tuteurs (niveau N pour le tuteur technique et N+1 pour le tuteur hiérarchique). « J’ai désigné dès l’arrivée du jeune en contrat emploi d’avenir, un pair tuteur, comme par exemple un ASH occupant le même poste. Grâce à ce dispositif renforcé par une formation du tuteur, une bonne intégration dans le service a été possible », expose Isabelle Nardou-Dorcet, cadre de santé au centre hospitalier Esquirol de Limoges (Haute-Vienne).

Ces jeunes sont d’autant mieux encadrés qu’une relation partenariale lie les établissements aux missions locales (rencontres, appels téléphoniques). « Quand un jeune présente des problèmes de comportement, nous n’hésitons pas à convoquer les différents partenaires, tuteurs, cadres de santé et parfois même cadres supérieurs », indique Audrey Dikor, de la mission locale de Limoges.

MISER SUR LA TRANSMISSION

Les difficultés d’accès au marché du travail étant le revers du décor de ces générations, leur formation constitue un vecteur d’intégration essentiel. Les cadres saisissent la balle au bond pour motiver ces jeunes. « Dès le départ, je m’estimais garante de la formation d’une jeune fille en emploi qui souhaite devenir aide-soignante », affirme Isabelle Nardou-Dorcet. Florence Le Ray cite l’exemple d’une jeune embauchée comme agent de nettoyage qui envisage, au bout de quelques mois, « de passer sur des fonctions d’auxiliaire de puériculture grâce à une formation ». « La transmission est importante pour moi, j’ai pu apprendre aux jeunes affectés au transport interne, sept métiers différents. Quant au jeune intégré au brancardage, je l’ai “prêté” à l’imagerie afin qu’il puisse découvrir de nouvelles choses », déclare Gary Arnotin. Enthousiaste, il ajoute que « ces jeunes ont tout à prouver pourvu qu’on les accompagne et qu’on les forme, ils apportent un vent de fraîcheur dans les services ».

On est loin des stéréotypes d’une génération rétive, individualiste et dilettante.

À condition que les cadres se mobilisent et contiennent les dérives, ces jeunes introduisent souplesse, flexibilité, innovation dans les services. Ouverts aux nouvelles technologies et aux changements, ils peuvent se révéler être d’excellents moteurs de l’équipe en cas de décloisonnement d’un service par exemple. Annick Haegel suggère même que cette génération peut donner une nouvelle impulsion à l’encadrement : « Les règles que nous imposons sont-elles encore adaptées, ont-elles encore du sens ? » Autre point positif, Y ou Z aiment travailler dans la bonne humeur. Aussi le manager est-il invité à mettre de la bonne ambiance, et à être “fun”. « Attention, toutefois, à ne pas leur donner tout tout de suite », recommande Annick Haegel. Il faut réserver à ces jeunes un parcours progressif au risque sinon de les voir se lasser et quitter l’entreprise !

BIBLIOGRAPHIE/WEBOGRAPHIE

• Pauget B./Dammak A. La génération Y dans le secteur sanitaire et social en 2012. In: Soins Cadre, 88, 24-27, 2013 • Pauget B./Dammak, A. Génération Y : Quelle socialisation au sein des organisations de santé ? Usages des outils informatiques et réseaux sociaux. In: Revue Hospitalière de France, (553), 19-21, 2013 • Pauget B./Dammak A. L’arrivée de la génération Y : quelles conséquences managériales et organisationnelles pour les organisations sanitaires et sociales françaises ? Lien raccourci petitlien.fr/7o1d • Enquête Cegos en 2009 et 2012 sur la génération Y et le travail. Lien raccourci petitlien.fr/7o1e

Décoder les Y et Z

→ Il ne s’agit pas de chromosomes mais des lettres utilisées pour désigner les personnes nées, pour les Y, entre 1977 et 1995, et, pour les Z, depuis 1995.

→ Connectés depuis leur naissance – ou presque –, innovants, en quête de sens, mais aussi réputés réfractaires à l’autorité et passifs dans leurs engagements, les Y ont d’autres codes et valeurs que les générations précédentes (X ou baby boomers). Des caractéristiques qu’il importede maîtriser pour quiconque doit les manager : selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, d’ici 2020, la moitié des actifs sera issue de la génération Y !

→ Quant aux plus jeunes de la génération Z (nés au milieu des années 1990 et après), ils sont plus connectés encore que leurs aînés, plus sensibles aussi. Lucides et idéalistes, ils ont une conscience aiguë du monde qui les entoure. Avec, en toile de fonds, le chômage, la crise et les conflits géopolitiques.

2 QUESTIONS À… CATHERINE CHAZOTTE

CATHERINE CHAZOTTES DIRECTRICE DES SOINS, COORDINATRICE DES INSTITUTS DES FORMATIONS SANITAIRES, CENTRE HOSPITALIER D’AGEN (LOT-ET-GARONNE)

1 Comment le management peut-il inciter la motivation et l’engagement de ces nouvelles générations ?

Je crois beaucoup au modèle, à l’identification ou, a contrario, au contre-modèle. Pour ces jeunes dont on sait qu’ils ne se construisent pas par le travail, le rôle du cadre va être essentiel dans son positionnement et son évolution. Mais certains prérequis sont nécessaires, notamment le cadre a-t-il lui-même la maturité de la fonction, quelles ont été ses propres motivations à devenir manager de proximité, comment voit-il lui-même sa fonction ? Au-delà du modèle, le cadre doit donner du sens à ce qu’il demande au jeune s’il veut le projeter, c’est-à-dire l’emmener vers un objectif. Et ce, dans un contexte où la temporalité et l’intensité engendrent des tensions dans le travail.

2 Par quels outils le cadre peut-il être accompagné dans ses fonctions de management ?

Tous les cadres détiennent une boîte à outils ou peuvent y accéder. Là n’est pas la question. Ce qui est en revanche primordial, c’est l’étayage du cadre dans ses fonctions. C’est-à-dire un retour sur les pratiques type analyse de pratiques lui permettant d’échanger mais aussi d’être projeté vers sa posture. Il faut prendre le temps de s’interroger sur ses propres pratiques, se remettre en question et apprendre à se connaître. Cela constitue un outil de progression incontournable.

TÉMOIGNAGE

ODILE BOULOIS, Cadre de santé, médecine polyvalente,centre hospitalier de Valenciennes (Nord)

« Alors que je dirige depuis un an un service de vingt-cinq aides-soignantes et infirmières ayant entre vingt et trente ans, la formation sur le management intergénérationnel* a changé mon regard. Elle m’a permis de mieux décoder leur comportement et à abandonner certains préjugés. Autrefois interpellée par leurs réactions ou leurs attitudes, je sais aujourd’hui mieux les appréhender. Cela m’amène à relativiser certaines choses tout en restant très intransigeante en ce qui concerne la pratique professionnelle. Ainsi, si j’accepte mieux qu’ils me parlent “cash”, je pose des limites très strictes en matière d’hygiène et de respect du patient. À la recherche permanente d’équité, ces jeunes supportent en revanche mal qu’on leur interdise le portable quand les médecins peuvent en faire usage… Aussi, j’ai trouvé un compromis. Désormais, je leur autorise le portable mais uniquement pendant la pause, en salle de soins.

De même, j’ai compris que certaines choses, autrefois évidentes, devaient être verbalisées pour cette génération. J’ai ainsi appris à leur dire merci, à les féliciter pour leur travail… Cette nouvelle attitude me permet de m’ouvrir à leurs atouts qui sont énormes. En matière de connaissance informatique par exemple, ou en créativité. Dernièrement, j’ai dû réaménager ma salle de soins. Sans ma formation, je serais aller chercher l’avis des anciens. Cette fois, je me suis tournée vers les jeunes. Et vraiment, ils ont de bonnes idées ! »

* La formation dispensée en trois jours par FMO pour le compte de l’ANFH est orientée sur quatre axes (mieux connaître et comprendre ces générations, adapter son management au changement, adapter son style en exploitant l’intergénérationnel, et intergrer les nouvelles générations en développant la cohésion d’équipe).