Sage-femme et cadre supérieure - Objectif Soins & Management n° 231 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 231 du 01/12/2014

 

Hélène Pavaux

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Elle intervient dans tous les secteurs liés à la maternité et depuis peu à la gynécologie. La cadre supérieure sage-femme manage, organise, gère et fait également partie d’un réseau sur la périnatalité. Portrait.

Objectif Soins & Management : Comment devient-on cadre sage-femme ?

Hélène Pavaux : Il n’y a qu’une école de cadres pour notre profession. Elle se trouve à Dijon mais il n’est pas obligatoire d’en obtenir le diplôme pour devenir cadre lorsqu’on est sage-femme. Quant à moi, j’ai suivi des formations dans le domaine de l’encadrement, du juridique, de gestion des budgets, de management. Je suis cadre depuis quinze ans et cadre supérieure depuis huit ans. La cadre sage-femme intervient dans tous les secteurs liés à la maternité et, depuis peu, à la gynécologie. En maternité, les cadres infirmiers et les cadres sages-femmes cohabitent. La différence majeure entre les rôles des deux professions est que le cadre sage-femme intervient dans des activités plus médicales comme le codage d’actes. Depuis que je suis cadre supérieure, je ne fais plus d’actes mais je participe à tous les staffs et aux revues de morbi-mortalité, ce qui me permet de rester très proche du terrain.

OSM : Il y a trois EPP en cours dans vos services. Quels thèmes avez-vous choisis ?

Hélène Pavaux : Il s’agit de l’allaitement, de l’audit du partogramme et de l’utilisation de codes couleurs pour les césariennes. Lorsque nous avons changé de chef de service, nous avons commencé par faire un état des lieux en consultations, aux urgences et en suites de couches il y a à peu près trois ans. Nous avons interrogé les professionnels sur le terrain, organisé des réunions de manière à créer une grille d’évaluation. Chacun a pu parler de ses difficultés dans l’un ou l’autre domaine. Puis nous avons défini les priorités en commun. D’où le choix de ces trois thèmes. L’idée, c’est avant tout d’uniformiser le discours et les recommandations.

OSM : La question de l’allaitement donne lieu à des discours divers et parfois excessifs…

Hélène Pavaux : La recommandation de l’OMS est d’allaiter mais il n’est pas question pour autant de faire pression sur les femmes qui ne le souhaitent pas. Dans ce domaine, la cohérence et l’uniformisation des pratiques sont essentielles pour les femmes qui choisissent d’allaiter, ou pas. Parfois, les femmes étaient un peu bousculées et déstabilisées par des discours contradictoires. L’allaitement, c’est tout un processus, avec le peau à peau, la tétée précoce… Nous travaillons avec une association qui nous a d’ailleurs formées. Les recommandations restent ce qu’elles sont. Il ne faut pas être intégriste, ça peut devenir infernal pour les mères et les déstabiliser.

OSM : La naissance, ce n’est pas toujours la joie attendue…

Hélène Pavaux : Dans les cas de mort fœtale, d’interruption médicale de grossesse ou de fausse couche tardive, nous, les cadres, rencontrons systématiquement les patientes. Pour l’interruption médicale de grossesse, après le diagnostic, posé par les experts de notre centre de référence, Robert-Debré, c’est le médecin qui explique la situation aux parents. La sage-femme est là pour renforcer les explications et aider les parents à démarrer les démarches administratives. À ce stade, ils doivent réflechir s’ils vont déclarer l’enfant ou pas, lui donner un prénom… Tout est possible mais rien n’est obligatoire. Ce sont des décisions difficiles. Nous sommes toutes formées à l’accompagnement psychologique mais nous intervenons en parallèle de la psychologue du service. Avec l’expérience, on apprend à repérer les mères qui sont dans un processus de deuil classique et les autres.

OSM : C’est-à-dire ?

Hélène Pavaux : Après une interruption médicale de grossesse ou la naissance d’un bébé mort in utero, nous passons au minimum une heure avec la mère ou les parents. Si, par exemple, la patiente veut sortir très vite ou refuse de voir le fœtus, il peut y avoir un vrai déni qui dure plus longtemps que le déni du deuil ordinaire. C’est un signe d’alerte. Du coup, on organisera avec la psychologue un suivi un peu plus long. Quand les gens n’arrivent pas à faire le deuil, c’est très difficile pour les frères et sœurs qui arriveront après. Il y a un fort risque d’amalgame, comme chez les gens qui donnent à l’enfant suivant le prénom de celui qui n’a pas vécu, par exemple. Dans le couple, l’événement est traumatisant pour les deux, mais il arrive que les réactions de l’un et de l’autre soient à l’opposé. Je pense, par exemple, à une mère qui voudrait faire procéder à la déclaration et organiser un enterrement pour le bébé et à un père qui s’y opposerait. On repère pour mieux les accompagner.

OSM : Que faites-vous d’autre pour aider ces parents endeuillés ?

Hélène Pavaux : Depuis vingt-cinq ans, on a fait énormément de progrès dans ce domaine. Nous prenons systématiquement des photos du bébé à la naissance. Nous les mettons dans le dossier et prévenons les parents qu’elles sont à leur disposition s’ils veulent les voir. Pour ces photos, nous prenons soins de bien installer l’enfant et de cacher d’éventuelles malformations particulièrement graves. Il a une couverture et souvent une peluche auprès de lui. Il arrive que des parents aient besoin d’attendre jusqu’à un an pour demander à regarder ces photos. Avant, c’était le Moyen Âge : tout était organisé et vécu comme si l’événement était honteux, caché. C’est l’un des premiers sujets sur lequel je me suis sérieusement penchée quand je suis devenue cadre, il y a quinze ans. À l’époque, les sages-femmes refusaient souvent de prendre en charge ce type de situations qu’elles considéraient juste comme de la pathologie.

OSM : Vous réalisez aussi des empreintes des pieds et des mains des bébés décédés…

Hélène Pavaux : Oui. Nous avons mis cela en place suite à un congrès. C’est très facile de prendre un peu d’encre et d’appliquer une petite main et un petit pied sur un morceau de papier mais ça fait une grosse différence pour la suite. On éloigne ainsi les parents du fantasme de l’enfant-monstre. Pour les frères et sœurs aussi ça compte. Ils donnent corps à l’enfant dont on ne peut souvent pas leur montrer de photos. À cet égard, les réactions sont très différentes d’un parent à l’autre. Face à un enfant lourdement malformé, nous avons la crainte de leurs réactions mais il arrive qu’ils trouvent leur bébé magnifique. C’est très émouvant. J’ai aussi connu une femme qui avait perdu deux de ses bébés. Elle avait fait un album de photos pour chacun. Maintenant, nous sommes bien formées et préparées à accompagner ces moments difficiles mais qui sont essentiels. On aide la femme à se sentir mère, même si l’enfant est mort. Selon la manière dont ça se passe, des vies entières peuvent basculer. Les accouchements se déroulent d’ailleurs comme pour des enfants viables, elle est entourée. La sage-femme s’est désormais réinvestie dans ce rôle d’accompagnement. Nous travaillons également avec des associations dont une qui a rédigé des livrets pour les frères et sœurs.

OSM : Autres situations complexes, les IVG.

Hélène Pavaux : Là aussi, de nombreux progrès ont été faits. Nous avons désormais mis en place une ligne de téléphone spécifiquement dédiée à ces demandes. L’accueil, également, est spécifique. C’est un travail élaboré depuis deux ans chez nous pour suivre au plus près les recommandations du ministère mais aussi de la Haute Autorité de santé qui sont très précises pour les prises en charge. En tant que cadre supérieure, j’ai travaillé avec le chef de service sur l’augmentation des consultations d’orthogénie. Nous proposons désormais trois demi-journées par semaine contre une précédemment. Nous avons obtenu un surcroît de plages opératoires pour les IVG chirurgicales et amélioré le circuit des patientes. Elles sont prises en charge en ambulatoire et ne se retrouvent donc pas en contact avec des jeunes accouchées, comme autrefois. En France, il y a un gros déficit de places d’IVG. Nous en avons fait un vrai cheval de bataille. Cette année, nous en avons pratiquées 50 % de plus que l’an dernier alors que nous avions déjà progressé de 30 % à cette époque. Cela ne s’est pas fait sans mal, dans la mesure où ça a demandé une vraie réorganisation. Le service ambulatoire ne pouvait plus assurer, nous avons donc transféré les IVG médicamenteuses dans le service de gynécologie. Nous développons également des conventions avec les médecins libéraux et les PMI pour organiser des IVG médicamenteuses à domicile mais cela ne peut se faire qu’en tout début de grossesse, à moins de sept semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire neuf semaines de grossesse.

OSM : Avez-vous l’occasion d’être confrontée à des demandes d’IVG chez des mineures ?

Hélène Pavaux : Oui. La loi est claire. Depuis 2002, les mineures peuvent recourir à l’IVG sans consentement parental. En général, elles nous sont envoyées par le Planning familial, mais pas toujours. Nous nous sommes également formées à l’accompagnement de ces patientes particulières. Le médecin prend officiellement acte que la jeune fille a persisté dans son désir de ne pas prévenir ses parents et certifie qu’elle est en mesure de prendre des décisions réfléchies, mais celle-ci doit être accompagnée d’une personne majeure de son choix. Ce qui est essentiel, c’est de pouvoir repérer s’il y a un problème lié à la protection à l’enfance. N’oublions pas que, d’un strict point de vue légal, la grossesse d’un mineur de moins de 15 ans est considérée comme le fruit d’un rapport non consenti. La patiente mineure verra donc obligatoirement un conseiller conjugal ou un psychologue.

OSM : De nombreux articles mettent en cause l’accompagnement déficient des femmes recourant à l’IVG…

Hélène Pavaux : Certains soignants ont bien compris que l’IVG fait partie de leurs missions de service public. D’autres sont moins clairs sur le sujet. Ils ne disent pas forcément qu’ils sont contre mais peuvent avoir une attitude déplaisante avec les patientes. Je ne le constate pas ici, mais il arrive, par exemple, qu’il y ait une certaine lenteur pour l’obtention du matériel nécessaire, une forme d’inertie. Exercer dans le secteur des IVG, c’est parfois difficile. On y rencontre des femmes en détresse, des adolescentes un peu agressives qui viennent pour la deuxième ou la troisième fois… Les soignants ont droit à leur clause de conscience. Les problèmes sont liés à ceux qui restent dans le flou. Cela dit, nous avons fait un travail avec les IDE sur le protocole de soins des IVG médicamenteuses. L’une d’entre elles a même créé sur son temps libre une fiche “pense-bête” plastifiée pour chacun de ses collègues. Quand on trouve ces ressources en interne, c’est vraiment encourageant.

OSM : Vous travaillez également à temps partiel pour le réseau périnatal.

Hélène Pavaux : Oui. Il s’agit de réseaux qui réunissent tous les professionnels intervenant dans le domaine de la périnatalité comme les établissements de santé, les conseils généraux, les associations d’usagers, et qui sont financés par les ARS. Nous avons mis en place le dépistage systématique de la surdité chez les nouveau-nés, par exemple. En ce moment, nous travaillons sur le suivi des nouveau-nés vulnérables, dont les prématurés, ceux ayant subi une anoxie à la naissance ou encore les hypotrophiques sévères. Leur dossier est ouvert sur une plateforme informatique et ils bénéficient désormais de visites plus fréquentes par des médecins référents, formés pour déceler d’éventuelles séquelles ou handicaps. Cette plateforme sera étendue à tout le département en 2015. Nous organisons également des soirées d’information sur divers thèmes comme la responsabilité juridique des soignants, l’accouchement sous X, le peau à peau entre autres. Elles sont ouvertes à tous les professionnels intéressés et c’est gratuit. Lorsqu’il y a une IVG à pratiquer en urgence, le terme étant avancé, il arrive aussi que des professionnels interpellent le réseau pour que nous organisions tout au plus vite.

OSM : Comment les relations entre les sages-femmes et les médecins se passent-elles ?

Hélène Pavaux : Lorsque nous organisons des formations sur le pôle, les médecins sont présents. Nous essayons de regrouper le plus de monde possible pour que tous aient le même discours dans chaque domaine. Les formations pluridisciplinaires sont essentielles. Toutes les catégories de personnel se connaissent, entendent les mêmes choses, de l’auxiliaire de puériculture à l’obstétricien. C’est fructueux pour le travail en équipe. Cela nous permet de repérer les tendances extrêmes et de tendre à harmoniser nos pratiques.

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