Objectif Soins n° 232 du 01/01/2015

 

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Marie-Pierre Sully  

La loi du 24 avril 1996 sur la formation professionnelle tout au long de la vie(1), remise à jour par la loi du 13 août 2004 avec le décret du 14 avril 2004, article 4133-0-1 sur l’évaluation des pratiques professionnelles, puis accentué par l’article 59 de la loi HPST, rend le développement professionnel continu(2) obligatoire. La loi du 21 décembre 2011 réglemente la formation des paramédicaux. Comment maintenir les compétences et les faire évoluer dans un monde où la performance s’allie à la productivité pour laisser place à l’efficience, qualifiée parfois à tort de qualité des soins ?

Les normes, les procédures envahissent les structures et parasitent les soins. Elles tétanisent peu à peu le monde du travail avec pour couverture la gestion des risques. La gestion des risques est indispensable pour progresser, mais, à quel niveau mettons-nous le seuil ? Ou de quels moyens disposons-nous pour normer correctement tous nos actes ? La sécurité, oui, mais pas à n’importe quel prix ! Nous exerçons auprès d’êtres humains qui éprouvent des ressentis. Les professionnels de santé, tiraillés par un souci d’efficacité et une demande en soins de plus en plus croissante, s’adaptent tant bien que mal à cette cadence infernale guidée par l’offre et la demande(3). Être toujours compétent s’avère indispensable. La formation répond à ce besoin avec la mise en place du développement professionnel continu (DPC). La réforme des études, orchestrée par l’harmonisation européenne des diplômes “LMD”(4), demande aux formateurs d’innover. L’ingénierie de la formation s’enrichit avec l’arrivée des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC ou TIC).

LA SIMULATION COMME OUTIL D’APPRENTISSAGE

Les décrets, du 30 décembre 2011 et du 9 janvier 2012 sur le DPC, préconisent des outils de formation. Ils recommandent la simulation en santé pour l’acquisition ou l’approfondissement de compétences(5). Cette méthode pédagogique, en évolution, est fortement recommandée dans les formations de santé.

Les débuts de la simulation

En janvier 2012, le rapport de la Haute Autorité de santé(6) faisait l’état des lieux de la simulation en France. Il montre entre autres les différentes techniques possibles à utiliser en formation infirmière.

Les centres de formation en simulation et les Ifsi en France(7) se mobilisent pour développer les nouveaux procédés(8), car la simulation, les formateurs la pratiquaient déjà, avec les formations en Afgsu (attestation de formation aux gestes et soins d’urgence). Là, les scénarios s’adaptent à la formation des gestes d’urgence. Les jeux de rôle existaient et persistent. Ils ciblent plus facilement les connaissances liées au relationnel et à la communication. Les mannequins “basse fidélité” servent toujours pendant les travaux pratiques pour s’exercer aux soins de nursing avant le départ en stage. Par contre, le débriefing n’était pas formalisé systématiquement.

Les locaux et le matériel pédagogique ne facilitaient pas l’exploitation de cette étape. Figer la séance au travers d’un enregistrement vidéo, pour l’exploiter directement ou à distance, n’était pas encore très courant.

La révolution technologique et l’arrivée des NTIC

Ce virage a été possible grâce à l’évolution des nouvelles technologies. Aujourd’hui, la gamme de mannequin de la basse fidélité à la haute fidélité s’implantent dans les centres et les instituts de formation. L’interaction est devenue possible avec ces nouveaux outils intuitifs. En 1997, Jacques Leplat(9) parle en psychologie ergonomique, « d’affordance(10) » pour rappeler l’importance de l’interaction homme-machine et l’intelligence dans les programmes de simulation. Il est important de déterminer en amont ce que la séance vise à mobiliser comme connaissances et à développer comme compétences chez l’apprenant. Ce retour sur image que permet l’enregistrement de la séance facilite le débriefing et l’apprentissage par l’erreur quand elle se produit. Elle freine parfois aussi les peurs d’effectuer certains gestes de soins directement sur un malade.

Une (r) évolution

S’autoriser à analyser ses erreurs pour réajuster sans faire prendre de risques au patient, c’est une révolution dans les mentalités !

Les formateurs sont amenés à développer de nouvelles compétences en informatique, en audiovisuel, en conduite de débriefing mais surtout dans la construction de scénario se rapprochant au plus près de la réalité de terrain.

ET SI LA SIMULATION RIMAIT AVEC PRÉVALENCE ?

Les situations prévalentes ont été largement plébiscitées lors de la mise en place du référentiel infirmier 2009. Elles permettent de “rebooster” l’alternance intégrative.

Tutorat

Le tutorat a été enfin reconnu à part entière sur des parcours de stage favorisant le développement de compétences et la posture réflexive des professionnels encadrants et des étudiants.

L’autre point important de cet accompagnement à la professionnalisation des apprenants est de motiver la prise d’autonomie par une argumentation pertinente de leur « savoir agir en situation », selon Guy Le Boterf(11), afin de mobiliser les connaissances et les compétences.

Le terrain ou l’alternance intégrative

Partir de la réalité, du terrain, donc des lieux de stage pour former, pour apprendre les gestes, pour développer les connaissances et les compétences métiers, c’est ce que l’on nomme l’alternance intégrative. Les formations de la santé sont basées sur l’alternance. Les tuteurs et les formateurs s’appuient sur des situations prévalentes pour faire de l’analyse clinique. Ce changement dans l’approche des stagiaires a quelque peu déstabilisé les professionnels de proximité qui ont perdu leurs repères, leurs mots. Des questionnements subsistent quant à la productivité des novices, car ils ne sont plus systématiquement dans le “faire”, dans le copier-coller, dans le rendement. L’analyse demande du temps et une nouvelle posture du professionnel qui doit s’interroger plus facilement sur sa pratique.

QU’EN EST-IL DU TUTORAT ?

Encore des inégalités : les parcours de stage ne peuvent répondre à la demande croissante des instituts de formation. L’hôpital de demain se dessine.

Une évolution nécessaire

Les besoins en soins évoluent et nécessitent une adaptation à l’évolution sociétale. Les futurs professionnels devront montrer leurs compétences “métier” et poursuivre la collaboration grâce au DPC et aux outils de communication. Les méthodes pédagogiques s’adaptent aux besoins des apprenants. Les formateurs se doivent, comme les professionnels de terrain et les tuteurs, de maintenir une veille professionnelle.

Analyser la pratique

L’enjeu de la simulation est de développer des connaissances et des compétences en situation réelle simulée. Elle offre aux apprenants la possibilité de faire des erreurs. Pouvoir les analyser et proposer des actions correctives, ceci donne une autre vision de l’apprentissage. Argumenter sa pratique lors d’un débriefing conduit à développer une posture réflexive à la fois pour le formateur et l’étudiant. L’analyse de pratique prend tout son sens. Pour reprendre les mots de la ministre de la Cohésion sociale et de la Santé, « plus jamais la première fois sur le patient »(12), la simulation en santé est une méthode qui tente de répondre à cet objectif. Le partenariat entre le terrain et l’institut de formation est renforcé avec la simulation en santé qui nécessite la construction de scénarios les plus pertinents possibles.

L’importance du référencement

Les situations prévalentes ne sont pas référencées et actualisées systématiquement par les professionnels de terrain. Ensemble, faisons vivre ce travail pour harmoniser nos discours et nos connaissances afin d’offrir aux étudiants des bases de données fiables. Pour leur montrer aussi que les compétences s’améliorent avec la veille professionnelle et la pratique. Partageons nos savoirs. La curiosité intellectuelle n’est pas un défaut mais plutôt une arme infaillible pour rester connecté à la réalité du terrain.

CONCLUSION

Aujourd’hui, la formation nous aide à rester vigilants pour rester compétents. La gestion des risques rime avec l’analyse des pratiques professionnelles (APP), le retour d’expériences (REX), la revue de morbi-mortalité (RMM), autant d’outils qui permettent aux professionnels de s’interroger, de tracer, de rebondir pour améliorer la qualité du service rendu. Mais il reste encore un pas à franchir pour mettre en place tous ces outils de travail. L’équation P = C x O x M x M x E, judicieusement déduite par Francis Minet(13), professeur associé au Cnam(14), pourrait se traduire ainsi : pour être performant en simulation, il faut être compétent, avoir défini des objectifs clairs et précis, avoir des moyens, être motivé, avoir envie et bénéficier d’un environnement suffisamment facilitateur pour l’utilisation de cette méthode pédagogique encore et toujours en évolution. Le produit obtenu s’évalue par la formation et le déploiement du DPC.

NOTES

(1) Rapport HAS, janvier 2012.

(2) Ceci en lien avec la HAS, le rapport de l’Igas en 2008 : obligation pour les médecins de se former, aujourd’hui cela s’applique à tous les professionnels de santé. Développement professionnel continu, loi du 21 juillet 2009, HPST (Hôpital, patients, santé et territoires), article 59 : le DPC a pour objectif l’évaluation des pratiques professionnelles et le perfectionnement des connaissances et amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Le DPC est une obligation pour tous les professionnels de santé. Les décrets DPC du 30 décembre 2011 et du 9 janvier 2012 encouragent l’EPP pour une amélioration continue de la qualité des soins. Le décret DPC 2012 recommande de favoriser le travail en équipe et l’interactivité (accréditation, simulation, gestions des risques, sécurité des soins, exercice pluridisciplinaire).

(3) En France en 2010, 11 millions de personnes ont été hospitalisées en cours séjour (médecine, chirurgie ou obstétrique), soit 17 % de la population. Source Insee-Drees, PMSI MCO 2010, SAE 2010.

(4) Licence, master, doctorat.

(5) Le volet formation continue précise que la formation est une obligation individuelle et qu’elle s’inscrit dans une démarche permanente.

(6) www.has-sante.fr, rapport de mission du Pr Jean-Claude Granry, et du Dr Marie-Christine Moll en janvier 2012 fait l’état des lieux de la simulation en santé en France et en Europe.

(7) Centre hospitalier de Chambéry, Nancy, CHU Dijon, Angers, Amiens pratiquent et proposent des sessions de formation en simulation en santé aux étudiants et aux différents professionnels de santé.

(8) Rapport HAS, janvier 2012, pp. 58 et 59, Différentes techniques : patient standardisé ou simulé, simulation procédurale, simulation hybride, les simulateurs haute fidélité, les simulateurs tactiles, la réalité virtuelle, l’environnement 3D et autres types de simulation exemple : simulation grand âge et handicap.

(9) Leplat J. Repères pour l’analyse de l’activité en ergonomie. 2008, éditions PUF, le travail humain, 244 pages, p. 123.

(10) L’affordance est la capacité d’un système ou d’un produit à suggérer sa propre utilisation.

(11) Le Boterf G. L’ingénierie des compétences. Éditions d’organisation, Paris, 1998.

(12) Rapport HAS, janvier 2012.

(13) Minet F. Management de l’entreprise, principes et outils. Cnam, octobre 2013.

(14) Centre national des arts et métiers.

UN PEU D’HISTOIRE

RETOUR SUR LES SOINS AU XVIIIE SIÈCLE

Pour diminuer les décès des nouveau-nés liés à l’accouchement, une sage-femme, Mme Du Coudray, avait eu l’idée de fabriquer un bassin féminin pour expliquer l’accouchement aux matrones. Faire et voir pour comprendre ! D’autres secteurs d’activités n’ont pas attendu pour continuer l’expérience : l’aviation, les centrales nucléaires ont fait diminuer les risques en formant les professionnels sur simulateur à partir de situations vécues, appelées “situations prévalentes dans le monde de la santé”.