Objectif Soins n° 232 du 01/01/2015

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Le Parlement vient d’adopter le nouveau découpage du territoire français métropolitain en treize nouvelles régions au lieu de vingt-deux. Dans le domaine de la santé, depuis 1996, avec la création des agences régionales de l’hospitalisation, mais surtout avec la loi Hôpital, patients, santé et territoires qui a consacré le niveau territorial de la région comme le pivot de l’organisation de la santé, cette réforme des régions n’est pas sans impact. À noter cependant qu’en 2006 ont été définies des interrégions au nombre de sept pour l’organisation des disciplines hautement spécialisées de niveau interrégional relevant des schémas interrégionaux d’organisation sanitaire.

Le découpage du territoire français deviendra définitif avec l’adoption de la loi portant réforme des collectivités territoriales, et se mettra en place au 1er janvier 2016. Ainsi, sept nouvelles grandes régions sont créées par fusion de deux ou trois régions actuelles :

• Alsace – Lorraine – Champagne-Ardenne ;

• Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes ;

• Midi-Pyrénées – Languedoc-Roussillon ;

• Rhône-Alpes – Auvergne ;

• Bourgogne – Franche-Comté ;

• Nord-Pas-de-Calais et Picardie ;

• Basse et Haute-Normandie.

Les autres régions (Île-de-France, Centre, Bretagne, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse et Pays de la Loire) restent inchangées.

Un nouveau découpage territorial vient donc s’insérer entre les régions actuelles et les sept interrégions des Schémas interrégionaux d’organisation sanitaire (SIOS) : mais quel impact sur l’organisation de la santé ?

LE PASSAGE DE 22 À 13 ARS

La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a créé une Agence régionale de santé (ARS) par région. Dès lors que le nombre de régions diminue, le nombre d’ARS également. Les ARS vont donc devoir adapter leur organisation au nouveau découpage régional. Vont ainsi devoir être redéfinies leur implantation géographique, les relations entre les sièges et les délégations territoriales, sachant qu’il n’existe pas un modèle unifié d’organisation des ARS mais vingt-deux, les ARS, établissements publics, ayant été libres de choisir les modes de fonctionnement interne. Or le nouveau découpage en treize grandes nouvelles régions ne sera pas neutre en termes de fonctionnement.

Ainsi certaines grandes régions compteront plus de dix départements : Rhône-Alpes/Auvergne, Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon, Aquitaine/ Limousin/Poitou-Charentes, Alsace/Lorraine/ Champagne-Ardenne, d’autres entre cinq et huit, comme Nord-Pas-de-Calais/Picardie, Basse et Haute-Normandie ou Bourgogne/ Franche-Comté. Ce qui nécessitera des organisations innovantes afin de garantir proximité de l’action et expertises des métiers.

Le niveau régional devra être celui de la définition de la stratégie, du pilotage/contrôle des activités, de l’observation et de l’expertise ; les délégations territoriales devront constituer le niveau de proximité pour la mise en œuvre de la politique régionale, de manière concertée et coordonnée et dans un dialogue permanent avec les opérateurs et autres acteurs politiques et institutionnels, notamment les conseils généraux dont l’existence n’est pas remise en cause. Les ARS vont donc devoir s’appliquer à elles-mêmes les recommandations, voire les injonctions qu’elles adressent aux établissements de santé et médico-sociaux : regroupement au sein de communautés hospitalières de territoire pour mutualiser les fonctions support et faire ainsi des économies d’échelle, sur la base d’un projet médical commun.

La création des nouvelles ARS s’accompagnera-t-elle d’économies de gestion ? Que sera le projet de santé commun aux nouvelles ARS ? Les fusions qui marchent sont celles qui se font dans la durée, en laissant les femmes et les hommes apprendre à se connaître ; ils doivent partager un projet commun pour donner du sens à la réunion et faire taire les craintes légitimes des personnels. Or, en ce qui concerne les ARS, force est de constater qu’il n’existe pas de projet de santé commun : ce point n’a pas été évoqué dans les motifs de la réforme, et il n’est pas du tout certain aujourd’hui qu’il y ait des projets communs en matière de santé au sein de nouvelles grandes régions. De la même manière, conduire en moins d’un an la fusion de toutes ces ARS sans projet fédérateur ne relève-t-il pas de la gageure ?

Il est certain que cette réforme permettra de consolider les équipes des ARS en expertise métier ; mais les économies d’échelle recherchées ne risquent-elles pas d’être des “déséconomies” d’échelle étant donné la taille géographique des nouvelles grandes régions ?

L’IMPACT SUR LA DÉMOCRATIE SANITAIRE ET L’ORGANISATION DE LA SANTÉ

Le ressort régional étant la base de l’ensemble de l’organisation de la santé en France depuis 2009, le nouveau découpage en treize régions induit de fait de profonds changements :

• treize nouveaux conseils de surveillance des ARS, avec une nouvelle composition qui devra prendre en compte les nouveaux ressorts géographiques ;

• treize nouvelles conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA), dont la composition devra veiller à la représentation de chacune des anciennes régions ;

• des nouvelles unions régionales de professionnels de santé libéraux ;

• treize projets régionaux de santé au lieu de vingt-deux, élaborés sur la base d’un diagnostic régional qui aujourd’hui n’existe pas ;

• des relations avec les partenaires modifiées, voire à créer, dans le cadre de ce nouveau ressort territorial.

Ainsi, au-delà de l’organisation interne des ARS, c’est toute l’organisation externe qui va s’en trouver bouleversée, alors même que les ARS n’avaient que quatre ans et venaient à peine de trouver leurs marques. Toutes les relations vont donc être à réinventer, avec un souci, et non des moindres, de conserver une proximité des relations dans un cadre géographique très vaste.

CONCLUSION

Les débats sur le nouveau découpage territorial ont été nombreux, mais l’impact sur la santé a été très peu documenté. Or celui-ci est loin d’être neutre, puisque c’est toute l’organisation de la santé qui s’en trouve modifiée, à commencer par les ARS et leur organisation interne, mais également la démocratie sanitaire et la politique régionale de santé. Quel sera dès lors l’apport bénéfique ou négatif sur l’état de santé de la population ? Aucune étude prospective n’ayant été réalisée sur le sujet, seul l’avenir sera en capacité de nous le révéler. Souhaitons seulement que les nouveaux projets régionaux de santé répondent mieux aux besoins tout en prenant en considération les disparités géographiques au sein des nouvelles grandes régions.

On peut toutefois s’interroger sur le nouveau découpage territorial : pourquoi ne pas avoir repris celui des interrégions existant qui avait du sens, sur le plan de la santé, mais également au niveau économique ?