Objectif Soins n° 232 du 01/01/2015

 

Droit

Gilles Devers  

Pour comprendre le jeu des droits d’alerte et de retrait, il faut partir de la base qui est la protection de la santé des employés. Sur ce point, la loi fait passer un message simple : s’il est dans l’ordre des choses de rentrer fatigué d’une journée de travail, en revanche, on ne doit pas laisser sa santé au travail.

L’employeur supporte à cet égard une obligation, et doit être très vigilant sur la prévention. Dans le même temps, le salarié doit respecter les consignes relatives à la bonne organisation du travail. Ce régime de base encadre l’exercice des droits d’alerte et de retrait, qui sont donc prévus comme des mécanismes exceptionnels de garantie. On observe hélas que les règles sur la sécurité au travail sont trop souvent vécues comme de la réglementation de seconde zone, créatrices de contraintes inutiles. Aussi, l’invocation du droit se trouve souvent décalée de son régime légal… pour devenir l’occasion d’une prise de conscience sur l’importance de la réglementation de la sécurité.

Alors que, dans toutes les relations sociales, on distingue le régime des salariés – de droit privé, régi par le Code du travail – celui des agents publics – de droit public et dépendant du statut de la fonction publique – les dispositions relatives à la sécurité au travail sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’aux travailleurs. Ainsi, le Code du travail s’applique à tous les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux (loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, article 2). De même, la loi a aussi un effet général s’agissant des personnes : elle s’applique à tous ceux qui sont au travail, incluant les travailleurs temporaires et les stagiaires.

PROTECTION DE LA SANTÉ, OBLIGATION DE L’EMPLOYEUR… ET DES EMPLOYÉS

Ce devoir général est soumis à une évaluation permanente.

Un devoir général

En matière de protection de la santé, le texte de référence est l’article L. 4121-1 du Code du travail qui détermine précisément les mesures que l’employeur doit prendre « pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Le panel de ces mesures s’organise en trois volets :

• la prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

• l’information et formation ;

• la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Créatrice d’emplois, l’entreprise doit penser chaque poste de travail à partir de ces trois volets, en tenant compte de toutes les évolutions et en cherchant à améliorer l’existant. Pour ce faire, la loi lui demande d’agir en fonction de « principes généraux de prévention », listés par l’article L. 4121-2 du Code du travail, à savoir :

• éviter les risques ;

• évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

• combattre les risques à la source ;

• adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vu notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

• tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

• remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

• planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel (article L. 1152-1 et L. 1153-1) ;

• prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

• donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Une évaluation permanente

Ce cadre est général, et le Code du travail demande à l’employeur, au vu des activités de l’établissement, d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des agents : procédés de fabrication, équipements de travail, substances ou préparations chimiques, aménagement des lieux de travail ou des installations et définition des postes de travail (article L. 4121-3). Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe.

À la suite de cette évaluation, l’employeur doit mettre en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des agents, et ce, à tous les niveaux. Le Code du travail (article L. 4121-3-1) a prévu des dispositions spécifiques pour les postes à « contraintes physiques marquées » ou exposés à un « environnement physique agressif » ou à certains rythmes de travail « susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé ». L’employeur doit procéder à un examen individuel de pénibilité, exposant les risques spécifiques et les mesures de prévention destinées à faire disparaître ou réduire ces facteurs.

Enfin, et d’une manière générale, l’employeur doit prendre en considération les capacités de l’intéressé pour mettre en œuvre les mesures de précaution, nécessaires pour la santé et la sécurité.

Les obligations sont réciproques, et concernent aussi les employés, comme l’énonce l’article L. 4122-1. Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, chaque travailleur doit « prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

À cet égard, l’employeur doit préciser, lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d’utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses.

Le chef d’entreprise a la charge de la sécurité de son personnel. En cas de manquement à ses obligations, le chef d’entreprise encourt des sanctions pénales en cas d’infraction à la réglementation.

À l’intérieur des entreprises, les services de sécurité, les services médicaux du travail, les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) participent à la protection de la santé des salariés sur les lieux de travail. Cependant, lorsqu’une situation dangereuse pour la vie ou la santé des salariés apparaît soudainement, ce sont des décisions rapides qui s’imposent. L’initiative revient à la direction de l’entreprise, mais si sa réponse n’est pas au niveau, vont alors jouer les mécanismes du droit d’alerte et de retrait.

DROIT D’ALERTE ET DE RETRAIT

La loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 a reconnu à tous les salariés les droits d’alerte et de retrait pour la sécurité au travail et ce dispositif a été complété par la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 créant un droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement.

Droit d’alerte et de retrait pour la sécurité au travail

Le principe

Le texte de référence est l’article L. 4131-1 du Code du travail.

« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

« Il peut se retirer d’une telle situation.

« L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection. »

Cet article mérite une attention toute particulière.

Le droit d’alerte et de retrait sont liés, reposant sur le même fondement juridique. L’initiative revient au salarié lorsqu’il y a « un motif raisonnable » de penser qu’une situation de travail présente un « danger grave et imminent ». L’initiative est individuelle, mais elle peut avoir pour effet qu’un groupe de salarié suive le mouvement de retrait. Le représentant du personnel au CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) peut également intervenir, s’il constate le fait de lui-même, ou s’il est avisé par l’intermédiaire d’un travailleur (article L. 4331-2).

Le salarié, qui va exercer ce droit d’alerte et de retrait, peut se tromper, mais aucune sanction, ni aucune retenue de salaire ne peut être prise à son encontre s’il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux (article L. 4131-3). L’employeur doit prendre les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave et imminent, d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail.

La loi précise enfin que le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur (Code de la sécurité sociale, article L. 452-1) est de droit pour le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors que lui ou un représentant du CHSCT avait signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé ( article L. 4131-4).

Les conditions d’exercice

La loi pose une règle de bon sens : se retirer d’un poste de travail devenu dangereux, oui, mais il ne faut pas qu’il en résulte pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent (article L. 4132-1).

Lorsque le représentant du personnel du CHSCT alerte l’employeur, il consigne son avis par écrit sur un registre, et l’employeur doit procéder immédiatement à une enquête avec celui qui lui a signalé le danger, pour prendre les dispositions nécessaires (article L. 4132-2).

En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, notamment par arrêt du travail, de la machine ou de l’installation, le CHSCT est réuni d’urgence, dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures. L’employeur doit informer immédiatement l’inspecteur du travail et l’agent du service de prévention de la caisse régionale d’Assurance maladie, qui peuvent assister à la réunion.

À défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du CHSCT sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur (article L. 4132-4). L’inspecteur du travail avise, et met en œuvre soit une procédure de mise en demeure, soit une procédure de référé (article L. 4732-1 et L. 4732-2).

Droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement

Ce droit, introduit récemment – par la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 – résulte du même principe, mais les modalités différent. Le texte de référence est l’article L. 4133-1 du Code du travail :

« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur s’il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement.

« L’alerte est consignée par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire.

« L’employeur informe le travailleur qui lui a transmis l’alerte de la suite qu’il réserve à celle-ci. »

Pour le droit d’alerte général de l’article L. 4131-1 du Code du travail, la référence est le « danger grave et imminent » appréciée comme un motif raisonnable alors que, pour le lanceur d’alerte de l’article L. 4133-1, il suffit d’un « risque grave sur la santé publique ou l’environnement » apprécié de bonne foi. La loi est récente, et on dispose de trop peu de pratique pour dire ce que sera l’interprétation par la jurisprudence. En cas de divergence avec l’employeur sur le bien-fondé d’une alerte ou en l’absence de suite dans un délai d’un mois, le travailleur ou le représentant du personnel au CHSCT peut saisir le préfet.

Jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation

• Un salarié refusant d’exécuter des tâches qu’il estime dangereuses, sans sécurité et sans protection, justifie d’un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé, et nécessite une mesure de protection collective ou individuelle (Cass. soc., 9 mai 2000, n° 97-44.234). Le paiement des salaires pendant la période de retrait est dû (Cass. soc., 1er mars 1995, n° 91-43.406).

• Même si les conditions de travail ne constituent pas un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé, elles peuvent être inacceptables et légitimer le refus de travailler du salarié (Cass. soc., 10 mai 2001, n° 00-43.437).

• Un agent, muté sur un poste le mettant en contact avec des produits chimiques alors même qu’il subit de graves problèmes d’allergie, peut valablement exercer son droit de retrait (Cass. soc., 20 mars 1996, n° 93-40.111).

La médecine du travail

Article L. 4622-2

Les services de santé au travail ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. À cette fin, ils :

1° conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;

2° conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir le harcèlement sexuel ou moral, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs ;

3° assurent la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge ;

4° participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.

Article L. 4622-3

Le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé.

Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail

Article L. 4612-1

Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission :

1° de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l’établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure ;

2° de contribuer à l’amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l’accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité ;

3° de veiller à l’observation des prescriptions légales prises en ces matières.

Article L. 4612-2

Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail procède à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs de l’établissement ainsi qu’à l’analyse des conditions de travail. Il procède également à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposées les femmes enceintes. Il procède à l’analyse de l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité.