Ressources humaines
La France est en retard en matière de développement du télétravail, puisqu’elle compterait deux à trois fois moins de télétravailleurs que dans les pays scandinaves et outre-Manche, que ce soit dans le secteur privé ou l’administration
Si cette formule est évidemment inadaptée pour l’activité de soins directs au malade, pourrait-elle en revanche correspondre partiellement à l’activité des cadres de santé ? L’hypothèse n’est pas vraiment surréaliste, dès lors que l’on écarte les idées reçues pour une approche résolument pragmatique.
La possibilité de télétravail dans la fonction publique est récente. Le principe est acté par le législateur, mais les modalités règlementaires du ressort du gouvernement attendues pour le premier trimestre 2014
Depuis la loi du 12 mars 2012
À propos de la fonction publique, le législateur se réfère à l’article L. 1222-9 du Code du travail, qui définit le télétravail comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». L’article L. 1222-10 du même Code établit précisément les obligations de l’employeur à l’égard du salarié en télétravail. Il s’agit de la prise en charge de « tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ». Le texte prévoit enfin la fixation « en concertation [avec l’employé], des plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter ». Ainsi, si l’article?133 de la loi de 2012 spécifique des fonctionnaires mentionne un décret d’application à venir, ce n’est pas le cas de l’article L. 1222-9 du Code du travail auquel il fait référence. Il faut alors évaluer si la loi peut être appliquée avant la parution de ce décret. Le juge administratif a déjà statué sur l’application de la loi, en l’absence de ses décrets d’application. Selon le Conseil d’État
Le rapport
En premier lieu, il paraît nécessaire de préciser que les métiers du soin direct au lit du patient ne sont pas conciliables a priori avec cette forme d’organisation en télétravail. Comme l’a défini le législateur, il ne peut s’agir que de postes ou de missions pouvant être assurés à distance. Hors situation exceptionnelle, le recours au télétravail repose sur le volontariat. L’agent peut demander à y recourir pour concilier vie professionnelle et vie privée, sans se déplacer sur son lieu de travail. Se pose dès lors la question du respect de l’intimité de sa vie privée, ce qui amène le législateur à exiger la définition des « plages horaires durant lesquelles [l’employeur] peut habituellement le contacter ». En corolaire, il est nécessaire de définir les modalités de décompte du temps de travail qui sera effectué par le télétravailleur. Il conviendra en sus de favoriser un télétravail partiel et non total, afin de protéger les agents de l’isolement par rapport à l’institution. Concrètement, cette organisation pourrait être envisagée de deux manières. D’abord et par principe, cette modalité intervient de façon choisie, sous réserve de l’accord hiérarchique. Sinon, le recours serait possible de façon exceptionnellement contrainte, à l’initiative de l’employeur et dans des circonstances particulières. Par exemple une situation d’épidémie justifierait le recours au télétravail pour certains agents. Il s’agirait d’un aménagement ponctuel, seul à même de garantir la continuité du service de soins. Des contraintes particulières devront aussi être résolues, comme l’assurance d’habitation du télétravailleur. Un aménagement de contrat, voire un contrat spécifique à la charge de l’employeur, sera peut-être nécessaire, notamment pour le matériel utilisé par l’agent à son domicile. Le télétravailleur locataire doit obtenir l’accord de son bailleur. À l’extrême, on pourra également envisager un télétravail ambulatoire, pour les postes nécessitant des déplacements géographiques importants des personnels concernés.
Le télétravail va bouleverser l’appréhension traditionnelle des risques professionnels. Il faut évidemment envisager le cas d’accidents de travail subis pendant la période de télétravail. Si l’accident est présumé d’origine professionnelle, lorsqu’il surgit au temps et au lieu du travail, qu’en serait-il pour un télétravailleur à son domicile ? Traditionnellement, la présomption d’imputabilité ne joue pas dans le cas d’un accident survenu au domicile ou à l’extérieur de l’entreprise. Une réponse est apportée par l’accord cadre européen du 16 juillet 2002, intervenu entre les organisations syndicales et patronales. Cet accord prévoit, en son article 8, que l’employeur est responsable de la protection de la santé et de la sécurité professionnelles du télétravailleur. Selon les termes de l’accord, « afin de vérifier la bonne application des dispositions applicables en matière de santé et de sécurité au travail, l’employeur, les représentants du personnel compétents en matière d’hygiène et de sécurité et les autorités administratives compétentes ont accès au lieu du télétravail ». L’organisation du télétravail devra donc prévoir explicitement ces modalités de contrôle préventif au domicile du télétravailleur. Dans ce contexte, une autre difficulté consiste à distinguer les accidents professionnels des accidents domestiques qui surviendraient. L’idéal serait de déterminer un espace de travail spécifique au domicile du télétravailleur. De même, la preuve du caractère professionnel de l’accident devrait être facilitée par la détermination précise des horaires de travail. Ceci réduit cependant les attraits du télétravail, dont celui d’organiser librement son emploi du temps à son domicile. La preuve du caractère professionnel peut également s’appuyer sur la connexion informatique permanente du télétravailleur. La nature du travail va s’avérer déterminante et l’on peut supposer que les moyens informatiques et de télécommunication présentent un moindre risque accidentel. Le télétravail nécessite la confiance de l’employeur envers ses télétravailleurs, en admettant le caractère professionnel de l’accident sur la base des allégations des agents. Il s’agit cependant de rien d’inédit pour la fonction publique hospitalière, puisque l’hôpital public développe déjà les soins au domicile des patients par ses personnels. Dans ces situations déjà connues, le travail ne répond plus à une unité de lieu, et l’agent bénéficie d’une large autonomie. Ce dernier se trouve de plus tributaire d’un environnement non choisi et non maîtrisé. Dans ce cas de figure, l’institution hospitalière a admis de ne plus maîtriser le milieu de travail de certains de ses personnels ; elle pourrait donc étendre cette possibilité au télétravail.
Les expériences menées dans la fonction publique territoriale
Le rapport de la mission cadres hospitaliers, élaboré par Chantal de Singly en 2009
Créé par la loi “Aubry II” du 19 janvier 2000, le forfait en jours destiné aux « cadres qui n’étaient pas occupés selon l’horaire collectif applicable à l’équipe à laquelle ils sont intégrés ou pour lesquels la durée de leur travail ne pouvait être prédéterminée ». L’indication du forfait jours par le législateur figure à l’article L. 3121-43 du Code du travail qui concerne « les salariés […] qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées ». Pour la fonction publique hospitalière, le temps de travail des cadres répond aux dispositions de l’article 12 du décret du 4 janvier 2002
Le cadre juridique permettant le télétravail dans la fonction publique hospitalière existe de par la loi, même s’il est incomplet faute de mesures règlementaires parues. La justification pratique d’un recours au télétravail partiel pour les cadres de santé peut également être démontrée. Le retour d’expérience du CHU de Besançon décrit par la FHF est d’ailleurs favorable à cette hypothèse. L’avènement des nouvelles technologies induit immanquablement de nouvelles modalités d’organisation, notamment des activités d’encadrement.
Les obstacles au recours au télétravail existent cependant et apparaissent de deux ordres. Tout d’abord, les cadres doivent connaître et s’approprier ce dispositif et l’adapter à leur pratique. En effet, l’idée que l’effectivité du travail est obligatoirement corrélée à la présence reste encore très forte pour bon nombre de cadres. Pour autant, il n’y a pas de réelle nécessité de présence permanente en face-à-face avec les personnels et les usagers. Comme le souligne l’experte Nicole Turbé-Suetens
Pour les cadres des établissements de santé, il serait judicieux que cette possibilité de télétravail soit envisagée explicitement dans le processus de certification des établissements. Le recours au télétravail pourrait utilement trouver place dans les critères de la HAS relatifs à la fois au management des emplois et des compétences, à la sécurité et à la qualité de vie au travail
(1) Santé-RH, “De la consécration du télétravail dans la fonction publique hospitalière” (à consulter via lien raccouri petitlien.fr/7t5z).
(2) Question n° 39800, JO du 08/10/2013 page 10522 ; réponse au JO du 03/12/2013 page 12724.
(3) Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, JORF n° 0062 du 13 mars 2012, page 4498, texte n° 4.
(4) CE, 24 avril 1985, n° 62080. Publié au recueil Lebon.
(5) Perspectives de développement du télétravail dans la fonction publique, rapport remis au ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, 15 juillet 2011.
(6) “Le télétravail, une solution qui progresse”, Revue Interactions de la FHF, juillet 2013.
(7) Les pratiques des collectivités territoriales en matière de développement du télétravail pour leurs agents, Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), Direction de l’observation prospective de l’emploi et des compétences de la fonction publique territoriale, décembre 2013.
(8) Le développement du télétravail dans la société numérique de demain, Centre d’analyse stratégique, novembre 2009 (www.stratégie.gouv.fr).
(9) À consulter via le lien raccourci petitlien.fr/7t62.
(10) Décret n° 2012-1466 du 26 décembre 2012 portant statut particulier du corps des cadres de santé paramédicaux de la fonction publique hospitalière, JORF n° 0302 du 28 décembre 2012, texte n° 17.
(11) Décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l’organisation du travail dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. JORF du 5 janvier 2002, page 316, texte n° 12.
(12) Des cadres à la recherche d’un usage raisonné des outils de communication, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), 14/06/2012 (anact.fr).
(13) “Télétravail, codes et enjeux d’une organisation hors des murs,” Travail et changement, n° 353 janvier-février 2014, p. 6.
(14) Manuel de certification HAS de janvier 2014, critères 3a et 3d.
(15) Instruction n° DGOS/RH3/2010/248 du 6 juillet 2010 relative à la mise en œuvre des Contrats locaux d’amélioration des conditions de travail (Clact) dans les établissements publics de santé et les établissements participant au service public hospitalier, § 1.2.2.
Les cadres de santé sont légalement absents de l’hôpital environ 160 jours par an. De plus, ils ne sont pas exclus de la possibilité d’exercer à temps partiel. Contrairement aux personnels soignants d’exécution (IDE, aides-soignants…), leur présence n’est pas requise au lit du patient. Ce premier constat permet d’atténuer l’exigence culturelle de présentéisme à leur égard.
Il paraît évident que le temps de télétravail des cadres de santé devra être partiel si cette modalité est retenue. Il est exclu qu’ils puissent exercer totalement leurs missions en télétravail. Toutefois, ce temps de télétravail peut varier selon la mission qui est assignée au cadre concerné. En premier lieu, un cadre effectuant exclusivement une mission d’expertise transversale pourra consacrer un à deux jours par semaine en télétravail, à une activité de veille, recherche, assimilation, rédaction et synthèse. En second lieu, les cadres de santé responsables d’unités de soins sont généralement organisés en binômes. Ceci permet déjà d’assurer la suppléance du cadre d’une autre unité pendant son absence (maladie, formation, repos partiels, congés, etc.). Cette organisation des cadres d’unités de soins en binôme permettrait également de suppléer le cadre de santé qui se trouverait en télétravail une demi-journée ou un jour par semaine.
En définitive, les obstacles à la mise en en place de ces organisations sont d’ordres culturels et conceptuels à propos du présentéisme à l’hôpital où prédomine le contrôle formel de l’activité. Mais ces freins ne devraient pas résister à une approche pragmatique basée sur des objectifs de travail assignés aux cadres, qui seraient véritablement soumis à résultats et évaluations.