Objectif Soins n° 233 du 01/02/2015

 

Sur le terrain

Cécile Almendros  

Grâce à un protocole de collecte en temps réel, inédit en France, la deuxième enquête nationale sur les urgences hospitalières n’a pas fini de livrer ses secrets. La Drees a présenté des premiers résultats lors d’un colloque organisé à Paris en novembre dernier. Dans un contexte de recours aux urgences toujours croissant, ses deux volets (structures et patients) constituent une véritable mine d’or pour chercheurs en mal de données.

C’est ce qui s’appelle une collecte réussie : 734 points d’accueil des urgences répondants (99,7 %) et 48 711 questionnaires patients reçus et exploitables (93,6 %). De quoi tirer un grand coup de chapeau aux équipes urgentistes de tout le pays qui se sont mobilisées un jour de printemps 2013 pour remplir les questionnaires patients en parallèle de la prise en charge médicale puis saisir les données par informatique(1). Objectif ? Décrire la genèse des recours aux urgences, les modalités de prise en charge des patients, les difficultés rencontrées, pour mieux tenter d’y remédier, dans un second temps.

CONTEXTE

Après une première enquête, de 2002, celle-ci a porté sur les 52 018 patients passés par les 736 points d’accueil des urgences de France à partir de 8 heures le mardi 11 juin 2013, pendant 24 heures non stop.

Qui ?

Se sont donc présentés aux urgences le jour de l’enquête 52 % d’hommes et 48 % de femmes ; 26 % de moins de 15 ans (4 % de moins de 18 mois) et 19 % de 65 ans et plus (5 % de 85 ans et plus), ce qui traduit les taux de recours les plus élevés pour les nourrissons et les personnes âgées.

Couverture sociale

Neuf patients sur dix étaient couverts par un régime d’assurance maladie, 1 % bénéficiaient de l’AME, 9 % de la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) ; 1 % n’avaient pas de couverture maladie en France et 7 % pas de complémentaire.

Transport utilisé

Les deux tiers étaient arrivés aux urgences par leurs propres moyens (50,9 %) ou dans le véhicule d’un tiers (16,7 %) ; 11,2 % en taxi ou ambulance privée ; 0,9 % amenés par les forces de l’ordre ; 11,2 % par les sapeurs-pompiers ; 1,3 % par le Smur. Les deux tiers des patients arrivaient de leur domicile ; 18,7 % de la voie publique, d’un lieu de travail ou de l’école ; 1,5 % d’un établissement de santé ; 2,1 % d’une structure médico-sociale et 0,5 % d’une maison médicale de garde.

DÉMARCHES PRÉALABLES

Situations ayant conduit aux urgences

La situation ayant conduit aux urgences datait du jour même pour 53 % des patients, de la veille pour 15 % et remontait à plusieurs jours pour 29 %. Un patient sur trois avait entrepris au moins une démarche (appel téléphonique ou consultation) avant de s’y rendre, dont les trois quarts auprès d’un médecin, 10,5 % du Samu, 7,9 % des pompiers ou d’un autre numéro d’appel et 10,8 % d’un proche. Pour plus d’un patient sur trois (36 %), le motif de recours était de nature traumatologique, suivie de la gastro-entérologie (11 %), du système cardiovasculaire (9 %), de la sphère ORL-respiratoire (8 %) et de la dermatologie (5 %), ex-aequo avec la rhumatologie et la neurologie.

Six patients sur dix ont bénéficié d’au moins un acte à visée diagnostique (imagerie, biologie, etc.), et quatre sur dix d’au moins un acte de soin ; 21 % d’un avis spécialisé. In fine, les lésions traumatiques, empoisonnements et certaines autres conséquences de causes externes constituaient le diagnostic de quatre patients sur dix. À l’issue de leur passage aux urgences, les trois quarts des patients sont rentrés chez eux.

Points d’accueil

En ce qui concerne les structures(2), 78 % des points d’accueil des urgences se situent dans des établissements publics (62 % CH et 13% CHRU), 16 % dans des établissements privés lucratifs et 6 % dans des établissements privés non lucratifs. Le jour de l’enquête, 26 % des points d’accueil ont reçu 40?patients ou moins, 32 % plus de 80 patients et 42 % entre 40 et 80. Dix départements n’ont que deux points d’accueil maximum, tandis que les dix départements les mieux équipés en ont au moins 14(3).

Les trois quarts des points d’accueil des urgences avaient un poste d’accueil et d’orientation en 2013 contre seulement 55 % en 2002 ; 34 % avaient un accueil administratif ; 25 % disposaient d’un psychiatre ; 12 % d’un pédiatre(4). On recense un accueil administratif dédié 24 heures sur 24 dans 63 % des CHRU, 42 % des établissements privés non lucratif, 30 % des CH et 29 % des privés lucratifs. Neuf services d’urgences sur dix ont au moins un équivalent temps plein (ETP) de cadre de santé et un de secrétaire. La moitié des points d’accueil avec 120 passages et plus ont au moins un ETP de brancardier, taux qui tombe à 20 % s’il y a 40 passages ou moins.

L’ATTENTE DE PLACE AUGMENTE AVEC L’ÂGE

L’enquête nationale a permis le recueil spécifique de nombreux temps de la prise en charge aux urgences, avec d’importants taux de réponse : 94 % pour l’entrée, 100 % pour l’enregistrement, 99 % pour la première évaluation, 94 % pour le début de la prise en charge, 97 % pour la décision d’hospitalisation, 96 % pour l’obtention d’une place, 100 % pour la sortie des urgences, etc.

Il en ressort que le délai d’évaluation médian est de 4 minutes, celui des premiers soins de 30 minutes. S’il n’y a pas d’hospitalisation dans la foulée (80 % des cas), le délai total médian aux urgences est de 1 h 56. Dans les 20 % de cas où le patient des urgences est hospitalisé, ce délai est de 4 h 40, dont 15 minutes d’attente de place. Le temps médian passé sur un brancard est de 2 h 06. Celui passé en unité d’hospitalisation de courte durée de 11 h 06.

Seul un passage aux urgences sur dix est hors des recommandations de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) pour qui le délai avant l’arrivée au triage ne devrait pas dépasser 30 minutes. Pour les urgences vitales, le taux de cas hors recommandations chute à 6 %. En toute logique, l’attente se fait plus longue aux heures de pointe (après-midi et soirée) ; la nuit, en revanche, moins de 5 % des passages sont hors recommandations. À noter : les patients amenés par le Samu attendent moins souvent plus de 30 minutes.

En ce qui concerne l’attente d’une place d’hospitalisation, l’enquête montre qu’on attend plus longtemps entre 8 heures et midi (délai médian de 24 minutes) qu’entre 20 et 4 heures (10 minutes). La durée d’attente de place augmente avec l’âge du patient : le délai d’attente médian est de plus de 20 minutes à partir de 85 ans contre 5 minutes jusqu’à 15 ans. Au final, les données de l’enquête permettent de conclure à une certaine rapidité des premiers soins, notamment pour les hémorragies, les ischémies, les défaillances d’organe, les plaies importantes et les fractures.

DE L’INTÉRÊT DU TRIAGE

Selon le décret du 22 mai 2006 relatif aux conditions techniques de fonctionnement applicables aux structures de médecine d’urgence, qui a introduit la fonction d’infirmier organisateur de l’accueil (IOA), la présence d’un IOA dépend de l’activité de la structure. L’intérêt d’un (e) IDE au triage est pourtant reconnu par la SFMU depuis 2001(5) et les dernières publications concordent toutes sur l’importance du tri, dont l’impact organisationnel prouvé conclut à la reconnaissance et à la prise en charge plus rapide des malades les plus graves. Dans les services d’urgences dotés d’une IOA, 17,17 % des patients ont été priorisés entre l’enregistrement et la prise en charge médico-soignante le jour de l’enquête, contre seulement 1,75 % en l’absence d’IOA. Le délai entre l’IOA et le premier contact médical a été de 41,2 minutes en moyenne en l’absence de signes de gravité et de 19 minutes dans les cas où l’ordre de prise en charge médico-soignante a été avancé d’au moins trois rangs par rapport à l’ordre d’enregistrement (moins de 10?minutes dans 50 % des cas). La plus forte proportion de patients priorisés a été constatée entre 16 heures et minuit – près de 20 %. Si la valeur CCMU (Classification clinique des malades aux urgences) était manquante dans 5 373 questionnaires, l’évaluation du score CCMU révèle que 21 % des CCMU5 (situation pathologique engageant le pronostic vital, réanimation immédiate) ont été priorisés. Carlos El Khoury, Gilles Viudes et Christophe Vincent-Cassy, de la commission évaluation et sécurité de la SFMU, ont identifié plusieurs incohérences du CCMU. Parmi elles, le fait que 16 % des CCMU1 (état lésionnel et/ou pronostic fonctionnel jugés stables) et 13 % des CCMU5 ont passé plus de 30 minutes dans le couloir… ou que 50 % des CCMU5 et 14 % des décédés sont rentrés à domicile. De même, 20 % des CCMU3 (état lésionnel et/ou pronostic fonctionnel jugés susceptibles de s’aggraver aux urgences), 26 % des CCMU4 et 23 % des CCMU5 ont été priorisés par l’IOA. Au final, les chercheurs concluent que « le bénéfice de l’IOA sur la priorisation des urgences » est « indiscutable », mais qu’il « peut être potentialisé dans les structures qui disposent de médecins dédiés à l’accueil (12 % des points d’accueil) » ou au contraire « réduit dans celles où les médecins sont impliqués dans l’activité du Samu ou du Smur ». Par ailleurs, le CCMU « n’est pas définitivement un critère de tri », constatent-ils.

TOUS CHERCHEURS !

De nombreuses perspectives d’études s’ouvrent désormais à partir des données de l’enquête. L’une d’elle consiste à tenter de situer les urgences hospitalières dans l’offre de soins de premier recours. Pour être en capacité de le faire, la Drees a entrepris de recueillir des données de contexte auprès des ARS(6) et de la Cnamts(7). Récoltées au second trimestre 2013, elles doivent être analysées et introduites dans la base de données de l’enquête sur les urgences courant 2015. Plusieurs autres thématiques d’études sont au programme de la Drees pour 2015-2016, de la poursuite des études sur les personnes âgées prises en charge aux urgences et les délais à la prise en charge des enfants en passant par le lien entre habitudes de consommation de soins de ville et recours aux urgences. Mais si le comité d’exploitation de l’enquête a été centré dans un premier temps autour de la Drees et de la SFMU, il est désormais ouvert à toute personne souhaitant travailler sur les données. Les données brutes relatives au volet structures sont intégralement accessibles en accès libre sur le site de la Drees. Celles relatives au volet patients, relevant du secret statistique, sont disponibles selon diverses modalités.

NOTES

(1) Une hotline de la Drees assurée par trois personnes à plein temps de fin mai à mi-juillet 2013 a permis de procéder à des relances ciblées par téléphone et mail (2 000 mails).

(2) L’accueil non programmé en gynécologie et obstétrique n’appartenait pas au champ de l’enquête.

(3) L’Orne et l’Yonne sont pourvus de 2,4 points d’accueil pour 100 000 habitants contre 0,5 pour Mayotte, la médiane étant à 1,2 pour 100 000.

(4) Dans les urgences générales.

(5) Les dernières recommandations en la matière, formalisées en 2013, prévoient une fonction d’IOA 24 h/24 ; exclusivement dédiée entre cinq et huit malades par heure et avec renfort au-delà.

(6) L’instruction n° 175 de juin 2013 auprès des Agences régionales de santé (ARS) listait quatre volets de données relatifs à l’organisation de la permanence des soins ambulatoires (liste des communes des secteurs PDSA pour deux tranches horaires – début de nuit et nuit profonde –, effectifs de médecins de gardepar tranche et secteur, contact et régulation de la PDSA par le 15 ou par un autre numéro), aux maisons médicales de garde (horaires, nombre de professionnels y intervenant, nombre de consultations, proximité d’un service d’urgences hospitalières), aux associations de médecins libéraux type SOS médecins (zone géographique couverte, nombre de médecins, nombre de visites en 2012) et aux centres de consultations non programmées (lieu d’implantation – établissement de santé ou pas –, horaires, nombre de professionnels, nombre de consultations en 2012, proximité imagerie/ biologie).

(7) Données par commune concernant les omnipraticiens et pédiatres : effectifs actifsle 11 juin 2013, ayant réalisé des actes de PDSA en 2012 et le 11 juin 2013, activité globale en 2012 et le 11 juin 2013 (consultations et visites), activité de PDSA en 2012 et le 11 juin 2013 (nombre de forfaits perçus, nombre de consultations et visites, régulées/non régulées, nuit/samedi/dimanche et jours fériés).

L’OPPORTUNITÉ DE PRÉVOIR DES URGENCES PSYCHIATRIQUES…

→ Le jour de l’enquête, 12 % des patients passés par les urgences avaient 75 ans et plus. Il ressort d’une comparaison entre les 75 ans et plus et les 15-74 ans, que les personnes âgées ont un rapport aux urgences différent de leurs cadets et parfois plus vertueux. Tout d’abord, les anciens viennent plus souvent accompagnés : en taxi ou ambulance privée (44,4 % contre 9,6 % pour les 15-74 ans), avec les pompiers (19,2 % versus 13,2 %) ou le Smur (3,5 % versus 1,4 %). Près de 60 % d’entre eux ont entrepris au moins une démarche avant de se rendre aux urgences, 46 % ayant demandé conseil à un médecin ou un pharmacien qui les a orientés vers les urgences dans 40 % des cas. Elles sont souvent plus attendues par les services d’urgences : près de 30 % sont adressées par un médecin libéral ou attendues en non programmées contre 12 % des 15-74 ans. Les motifs de prise en charge et les diagnostics sont plus variés pour les patients âgés et leur prise en charge s’avère plus lourde : 33 % bénéficient d’un avis spécialisé (contre 21 % des 15-74 ans) ; 12 % passent par la salle des urgences vitales (versus 5 %) et 35 % séjournent sur un brancard (versus 23 %). Plus de la moitié (56 %) des personnes âgées qui arrivent aux urgences sont hospitalisées dans la foulée (versus 17 %), dont 68 % en médecine générale et 8 % en soins intensifsou réanimation. Dans 1 % des cas, le service n’est pas adapté à leur pathologie. Enfin, les délais de passage aux urgences sont plus élevés pour les personnes âgées : seulement 17 % d’entre elles y passent moins de deux heures (versus 42 % des 15-74 ans) et 57 % y restent plus de quatre heures (contre 28 %). Bref, « sur presque tous les items, existent des différences sensibles entre les personnes âgées et les autres », constate l’inspecteur général des affaires sociales Hubert Garrigue. Et de s’interroger sur l’opportunité de concevoir « une organisation adaptée » à cette population aujourd’hui « la moins bien prise en charge », voire de créer des « urgences gériatriques » comme il en existe des pédiatriques, d’autant que seuls 3 % des services d’urgences sont dotés d’un gériatre…

Zoom sur la prise en charge de l’AVC

Avec 130 000 nouveaux cas par an, l’AVC est la première cause de handicap acquis de l’adulte, la deuxième de démence, la troisième de mortalité (60 000 décès par an). Il admet en outre un fort taux de récidive (30 à 40 % à cinq ans).Les AVC occasionnent 140 000 séjours hospitaliers par an – dont plus de 80 % en établissements publics(1) – pour un coût estimé à 6 Mds€. Le délai de prise en charge est déterminant puisque deux millions de neurones sont détruits pour chaque minute perdue, rappelle la SFMU. Le 11 juin 2013, 372 AVC ont été recensés, soit 0,8 % des passages aux urgences : 36 % des patients concernés sont arrivés en ambulance ou taxi, 27 % amenés par les sapeurs-pompiers, 20 % venus par leurs propres moyens, 15 % amenés par un tiers et 2 % par le Smur. Le motif de recours était très majoritairement neurologique (69 % des cas), parfois cardiovasculaire (6 %)(2). 28 % des patients ont été pris en charge en salle d’accueil des urgences vitales, 62 % aux urgences avec acte d’imagerie. Seuls 10 % ont bénéficié d’un circuit organisé dédié aux AVC. Le délai d’admission (entre l’enregistrement et le premier contact médico-soignant) varie en fonction de l’effecteur : 44 minutes si le patient vient par ses propres moyens, 26 minutes s’il arrive en ambulance/taxi, 23 s’il est amené par un tiers, 17 par les sapeurs-pompiers et 1,5 par le Smur. La moitié des patients victimes d’AVC arrivent aux urgences dans des délais compatibles avec une thrombolyse, mais moins de 10 % sont thrombolysés.

En présence d’une infirmière d’orientation et d’accueil, le délai entre l’enregistrement et le premier contact médico-soignant est réduit de 23 à 6?minutes. Le délai médian de passage aux urgences des AVC hospitalisés dans la foulée est de 4,3 heures, dont 61?minutes de recherche de lit (hors UHCD). En aval des urgences, 77 % des patients sont hospitalisés, 13 % transférés(3), 10 % retournent à domicile, en Ehpad ou HAD.

(1) 82 % en établissements publics, 7 % en établissements privés participant au service public hospitalier et 7 % dans le privé lucratif.

(2) Motif non renseigné dans 22 % des questionnaires ; autres motifs (3 %).

(3) Pour cause de plateau technique insuffisant (76 %), faute de place (18 %), ou par choix (2 %).