Les blocs opératoires ont récemment été le théâtre d’accidents pouvant entraîner le décès à la suite de complications chirurgicales ou anesthésiques. La qualité et la sécurité des soins se sont vues mises en cause au sein des hôpitaux de proximité. Une réflexion sur la place des établissements de proximité dans l’organisation sanitaire s’imposait donc.
Souvent, les familles sont malgré elles placées au centre de polémiques. Des polémiques qui bien évidemment ne doivent pas faire oublier que la perte d’un enfant est toujours tragique. Ni l’argent, ni la désignation de responsables par la justice, ni même la fermeture d’un établissement ne pourront remplacer un enfant, et aucun professionnel de santé ne peut rester indifférent à un tel drame. Au-delà de cette tragédie, ce genre d’événements mérite un autre éclairage que celui qui a été présenté dans les médias, celui d’une réalité hospitalière dégradée et d’un profond malaise exprimé par les professionnels de santé posant le débat de l’utilité des structures de santé de proximité.
L’Agence régionale de santé (ARS), succédant aux agences régionales d’hospitalisation à la suite de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST)
Ainsi, l’ARS est juge et partie, en exigeant à la fois des établissements de santé une maîtrise des dépenses de santé, qui aboutit le plus souvent à une contraction de la masse salariale, et aussi en suspendant les activités d’une unité en raison de l’insuffisance de ces mêmes ressources pour garantir des soins de qualité.
Cette réelle injonction paradoxale faite aux établissements de santé est l’expression d’une inadéquation entre les besoins exprimés en santé et les ressources à disposition pour les satisfaire. En la matière, c’est la question du nombre et de la répartition des établissements ainsi que de l’accessibilité aux soins qui est posée : face à une vision concentrationnaire et rationaliste dans laquelle un seul établissement de santé par département pourrait s’avérer nécessaire en regard des volumes d’activité, dans un contexte de démographie médicale défavorable, s’oppose une approche plus humaine, d’une offre de proximité dans laquelle un maillage du territoire est plus adapté au besoin de santé d’une population.
Dans une approche moins dogmatique, si les ressources à disposition ne permettent plus une prolifération de petits établissements dans tous les cantons, le mythe du centre hospitalier universitaire départemental d’excellence ne semble pas non plus adapté.
D’abord, la taille de l’établissement n’est pas forcément synonyme de qualité, et inversement.
Ensuite, les questions d’accessibilité impliquent la prise en considération de la géographie de la santé et du temps d’accès à un recours hospitalier, et en la matière, les centres hospitaliers locaux ont leur raison d’être.
Enfin, envisager la démarche de planification des moyens en sortant des études purement quantitatives fondées sur les ressources et se placer du point de vue des patients et des besoins semble une approche complémentaire d’avenir dans une démarche pluridisciplinaire.
L’Objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam) est une enveloppe fermée dont le montant est voté annuellement par le parlement et qui couvre les dépenses liées à la santé. La tarification à l’activité (T2A), mise en place en 2005, prévoit le principe de division de l’Ondam, par la diminution du tarif appliqué à chaque acte médical à mesure que leur nombre croît.
Ainsi, pour une même activité, la rémunération baisse au fur et à mesure des années, obligeant les établissements de santé à une activité croissante pour conserver une même rémunération.
Dans ce contexte financier concurrentiel, la loi HPST uniformisant les modes de rémunération des secteurs publics et privés implique une course à l’activité et aux gains de parts de marché, entraînant la multiplication des actes par les établissements.
Ce contexte financier favorise de facto une politique de sélection des actes les plus rentables. Cette sélection, qui est contraire à l’éthique médicale, implique une concurrence entre établissements.
Ainsi, le principe de division de l’Ondam par diminution des tarifs associé à une prétendue concurrence cache un mode de distribution des ressources basé sur la loi du plus fort, défavorable aux établissements de proximité.
Un mode d’allocation et de distribution des ressources fondé sur le volume d’activité et les tarifs répond-il à un intérêt de santé publique ou à une maîtrise exclusivement comptable des dépenses ?
Loin d’ignorer que les besoins de santé sont infinis par opposition aux ressources matérielles et humaines, qui sont limitées par nature, imposant aux pouvoirs publics le choix d’une clé de répartition, la T2A montre déjà ses limites.
Plutôt que d’opposer les établissements dans une logique concurrentielle, basée sur le volume et le coût des activités, une approche synergique est favorable à une offre de soins diversifiée au service d’un territoire de santé. La prise en compte de l’analyse des besoins de santé des territoires comme clé de répartition est plus conforme à l’intérêt de la population afin de ne plus considérer la santé comme un produit répondant à la loi de l’offre et la demande.
Force est de constater que, de l’avis général, les services publics sont considérés comme peu efficaces et très coûteux face à une pression fiscale grandissante. Des approches réductrices désignent régulièrement le secteur de la santé comme le responsable de ces déficits chroniques.
Loin de nier que les efforts de rationalisation et de maîtrise des coûts sont nécessaires au sein du secteur hospitalier, il n’en demeure pas moins que chacun d’entre nous porte une part de responsabilité lorsqu’il tient de tels propos et qu’il induit la mise en place d’une politique de santé restrictive telle que la T2A par pression électorale.
Le système démocratique français ne prévoit-il pas que les élus qui nous représentent mettent en œuvre les mesures voulues par la majorité d’entre nous et les politiques de maîtrise comptable des dépenses de santé ne sont-elles pas le résultat d’une volonté populaire de diminuer la pression fiscale ? Si les conséquences immédiates de telles politiques satisfont l’électorat en limitant la hausse des cotisations sociales qui financent la santé, ce n’est que lorsque chacun d’entre nous devient l’usager du système de santé qu’il s’aperçoit de l’appauvrissement de l’offre de soins locale, voire de sa disparition, et qu’il la juge alors inadmissible.
L’utilité d’un service de proximité ne peut donc pas être jugée uniquement en regard de son coût, mais également en regard du service rendu à la population.
Devrions-nous souhaiter que des habitations brûlent pour justifier le maintien d’une caserne de pompiers ?
Par nature, de tels services ont un coût élevé pour une activité faible mais ô combien utile lorsque l’urgence de la situation l’exige.
Ainsi, chacun doit s’interroger sur l’utilité des hôpitaux locaux et sur l’offre de soins de proximité. Dans quelle société souhaitons-nous vivre ? Celle dans laquelle la question de l’argent constitue une clé de lecture des événements, dans laquelle une logique concurrentielle pousse les petits établissements vers des difficultés financières majeures ? Souhaitons-nous que ces difficultés imposent à l’ARS une politique de concentration de l’offre de soins pour une meilleure utilisation des ressources et la fermeture de centres hospitaliers de proximité ? Ou préférons-nous une société plus solidaire dans laquelle la clé de répartition des ressources est liée à l’évaluation des besoins et à l’utilité des services de proximité malgré leur moindre rentabilité ?
Les questions demeurent un axe de réflexion, une réflexion à laquelle chaque soignant devrait participer personnellement mais également collégialement.
* Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
Il est étonnant de constater avec quelle rapidité l’institution hospitalière a su s’adapter aux évolutions de la société.
À l’image des sanatoriums qui ont dû convertir leur activité ou disparaître avec l’arrivée des traitements anti-tuberculeux, l’institution hospitalière est face aux progrès rapides des technologies au service de la santé et des moyens de communications, qui imposent un réaménagement territorial de l’offre de soins.
Les cadres hospitaliers, conscients des enjeux organisationnels, financiers et sociétaux doivent relever ce défi et accompagner la mutation du système de santé. En faisant la preuve de la qualité des prestations, ils constituent les meilleurs ambassadeurs des établissements de proximité auprès du public. Garants de l’intérêt des patients et des valeurs soignantes qui transcendent les évolutions de notre système de santé, les cadres hospitaliers sont acteurs du débat sur l’accessibilité aux soins.