Si les professionnels de santé sont parfois amenés à maîtriser par la force des patients agités, ils n’ont pourtant pas été formés pour cela. Malgré tout, leur responsabilité est engagée. Et la problématique demeure.
La Cour de cassation a rendu le 18 novembre 2014 un arrêt (Crim., n° 13-86284) qui rend bien compte des difficultés soulevées par ce type d’affaires. Les faits jugés étaient graves et dramatiques : une infirmière avait été rouée de coups, et le patient était décédé. La réponse judicaire n’a pas été rectiligne : le tribunal correctionnel a relaxé l’infirmière et l’aide-soignante ; la cour d’appel les a toutes deux condamnées sur le plan pénal et sur le plan civil ; la Cour de cassation a confirmé le volet pénal, mais dit que les dommages et intérêts devaient être mis à la charge de l’hôpital. Il faut dire qu’en l’absence de références juridiques ou professionnelles, la marge d’interprétation des juges est d’autant plus grande.
Les faits ont eu lieu au centre hospitalier spécialisé de Colson, en Martinique. Un patient, placé en chambre d’isolement, était entré en phase d’agitation, ce qui obligeait l’équipe de soins à intervenir : il fallait traiter cette crise et protéger la sécurité du patient. L’équipe comprenait deux infirmières et une aide-soignante. L’une des infirmières estimait qu’il fallait attendre, le temps d’appeler du renfort. Mais l’autre était d’avis qu’il fallait agir sans attendre, en allant parler au paitent et en le convaincant de prendre un traitement.
La cour d’appel résume : « L’infirmière et l’aide-soignante ont répondu à leurs obligations professionnelles d’intervention auprès d’un patient en situation de souffrance et très agité, il n’en demeure pas moins qu’elles ont décidé de lui apporter un médicament dans la chambre d’isolement malgré le désaccord manifesté par la troisième infirmière qui souhaitait plutôt faire appel au renfort. »
Mais là, le pire scénario s’était enchaîné. Le patient ne voulait rien entendre, et il a porté des coups nombreux et violents à l’infirmière. Celle-ci et sa collègue aide-soignante ont alors cherché à l’immobiliser : « Confrontées à un déclenchement de violences subit très important de la part du patient (violents coups portés à l’infirmière sur tout le corps), l’infirmière et l’aide-soignante ont dû procéder à une mesure de contention pour mettre un terme aux gestes dangereux tant pour la victime que pour le personnel soignant. »
C’est dans ce contexte qu’est survenu le drame : le drap, enroulé autour du poignet, est passé autour du cou du patient, face contre terre, ce qui a provoqué une incapacité ventilatoire par suffocation entraînant son décès. Ici, nous comprenons l’essentiel, mais il reste tout de même bien des questions. Notamment, il y a obligatoirement deux temps, entre la phase nécessaire de maîtrise, qui a été violente, mais qui pouvait sans doute s’expliquer vu la situation de péril et les coups reçus par cette équipe soignante exclusivement féminine, et la poursuite de cette contention serrée, alors que la résistance du patient avait dû, de fait, céder. Dans le même temps, on sait que aussi que l’infirmière avait été violemment frappée, et qu’elle nécessitait également des premiers soins.
Après un décès survenu dans de telles circonstances, il y a nécessairement une enquête pénale, le directeur d’établissement ayant l’obligation de signaler les faits au procureur de la République, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale. Le directeur d’établissement n’a pas prononcé de sanctions disciplinaires.
Après instruction judiciaire, l’infirmière et l’aide-soignante ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel, sous la prévention d’homicide involontaire, défini par l’article 221-6 du Code pénal comme le fait de causer « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui ». Le cadre légal est incontestable : le geste était volontaire, car il s’agissait de maîtriser le patient par la force, mais il n’avait pas pour but de tuer, ni même de blesser. Aussi, pour le juge pénal, la question était : « Dans ce contexte très difficile, l’attitude des soignantes a-t-elle été correcte, ou y avait-il eu maladresse ou imprudence ? »
Pour leur défense, l’infirmière et l’aide-soignante, rappelant les termes de l’article 121-3 du Code pénal, faisaient valoir qu’elles ne pouvaient engager leur responsabilité pénale qu’autant qu’il était démontré qu’« elles n’avaient pas accompli les diligences normales compte tenu de la nature de leurs missions ou de leurs fonctions, de leurs compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont elles disposaient ». Elles estimaient qu’« en l’état de la violence d’un patient agité que le personnel soignant a dû maîtriser dans l’urgence sans le secours du moindre service de sécurité, la contention exercée sur le patient ne pouvait relever d’une imprudence fautive sans examen préalable des moyens mis à disposition du personnel soignant, ni de la formation spécifique de ce dernier dans les situations d’urgence ».
Le tribunal correctionnel a retenu cette lecture des événements, jugeant qu’on ne pouvait reprocher de fautes ni à l’infirmière, ni à l’aide-soignante, qui avaient dû gérer une situation si difficile. Le ministère public et la famille ont alors formé appel, et la cour d’appel de Fort-de-France, par un arrêt du 4 juillet 2013, a adopté une solution inverse.
Pour la cour, le fait d’avoir enroulé le drap autour du poignet et de l’avoir passé autour du cou de la victime, face contre terre, a provoqué une incapacité ventilatoire par suffocation entraînant son décès. Ainsi, cet « acte de contention a été réalisé avec maladresse et imprudence ». La cour n’incrimine pas le principe de l’intervention musclée, ni le recours – vu l’urgence – à un procédé de contention de fortune, mais les modalités de cette contention. Le drap s’est trouvé enroulé autour du cou et tiré par le poignet. On peut donc comprendre que le tout est resté en tension, procédant à l’incapacité ventilatoire, puis à la suffocation, qui a été la cause du décès.
Un pourvoi a été formé, mais la Cour de cassation a confirmé cette analyse du volet pénal. Elle relève que l’infirmière et l’aide-soignante a ont été confrontées à « un déclenchement de violences subit et très important de la part du patient », ce qui obligerait de « procéder à une mesure de contention pour mettre un terme aux gestes dangereux tant pour le patient que pour l’infirmière et l’aide-soignante ». Il n’en reste pas moins que l’acte de contention a été réalisé avec maladresse et imprudence dès lors que le drap utilisé, passé autour du cou de la victime, a provoqué la mort. La Cour de cassation conclut : « Les prévenues n’ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de la nature de leurs fonctions ainsi que du pouvoir et des moyens dont elles disposaient, et d’où il résulte que la faute commise par elles a directement causé le dommage. »
Pour un homicide involontaire, la peine encourue est de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La cour d’appel s’est montrée fort clémente : « En raison des circonstances particulières de la cause, notamment de l’extrême violence subite du patient à laquelle elles ont été confrontées, de leur personnalité, notamment de leur dévouement constant pour une activité exigeante pour laquelle elle n’ont reçu aucune formation particulière, il convient de faire une application adaptée de la loi pénale en limitant l’emprisonnement un mois assorti du sursis simple. »
De plus, la cour d’appel a décidé de prononcer la non-inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire des condamnations : « Afin de préserver la situation professionnelle des deux infirmières qui n’ont fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire à la suite des présents faits, il sera fait application des dispositions de l’article 775-1 du Code de procédure pénale conduisant à la non-inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire des présentes condamnations. »
Sur le plan civil, et dans le cas d’un décès, les proches obtiennent l’indemnisation du dommage moral, pour la perte d’un être cher. Si le décès prive la famille de revenus, s’ajoute une indemnisation du dommage économique. Toute la question est de savoir qui paiera : le personnel, parce qu’il a été condamné au pénal, ou l’employeur, parce qu’il s’agit de fautes commises sans intention de nuire, dans le cadre des missions confiées.
La cour d’appel avait déclaré l’infirmière et l’aide-soignante « seules et entièrement responsables » du préjudice civil, elles allaient être obligées de payer sur leurs deniers personnels l’indemnisation due à la famille. C’était une erreur de droit.
Le fait qu’un agent soit condamné au pénal ne suffit pas à ce qu’il soit jugé, ipso facto, civilement responsable. La responsabilité civile personnelle n’intervient qu’en cas de faute détachable, c’est-à-dire si l’acte est étranger aux fonctions confiées. Il ne fait pas de doute qu’une équipe soignante confrontée à l’état d’agitation d’un patient doit intervenir et user de la force nécessaire pour rétablir la situation. L’existence d’une infraction involontaire, par imprudence ou maladresse, donc sans intention de nuire, et dans le cadre des fonctions confiées, est étrangère à la notion de faute détachable.
Le tribunal correctionnel devait donc recevoir la constitution de partie civile de la famille, ce qui revient à reconnaître le statut de victime, mais pour aussitôt renvoyer l’affaire à la connaissance du tribunal administratif, seule juridiction compétente pour prononcer des condamnations à l’encontre des établissements publics.
Au final, on retrouve une solution qui paraît sage et équilibrée : alors qu’un homme est mort à l’hôpital à la suite d’actes pratiqués par des professionnels de santé, il est difficile d’envisager que cette mort ne résulte pas, au moins pour partie, d’une imprudence ou d’une maladresse. L’infirmière et l’aide-soignante sont condamnées à des peines très modérées, à savoir un mois de prison avec sursis, et la condamnation n’est pas mentionnée au B2, pour ne pas nuire à la carrière. Enfin, les dommages et intérêts seront pris en charge par l’assureur de l’établissement.
Pour autant, une telle affaire laisse une insatisfaction profonde, et qui est double : un patient-psy, qui était manifestement en phase de désarroi, est décédé alors qu’il était hospitalisé, et deux professionnelles de santé sont condamnées pour des actes qu’elles devaient pratiquer, alors que ces actes n’entrent même pas dans leur compétence, et qu’elles n’ont en la matière aucune formation digne de ce nom, ni sur la gestion de crise, ni sur la maîtrise de ces actes. Disons-le clairement : cet homme, patient en état de grande souffrance, n’aurait jamais dû mourir, et l’infirmière et l’aide-soignante, professionnelles, investies, n’auraient jamais dû être condamnées.
Cet arrêt de la Cour de cassation montre qu’on ne peut plus faire comme si cela n’existait pas. Il faut que les bonnes volontés se mettent autour de la table, recensent et analysent les difficultés, dégagent des solutions pratiques raisonnables, définissent des programmes de formation et établissent un plan d’ensemble pour que les établissements forment les personnels, se dotent de matériels adaptés et mettent en place des plans systématiques d’évaluation. Le décret devra être modifié pour autoriser le recours à la force physique contre un patient, mais c’est d’abord à la profession de définir le contenu.
« Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
« La faute, quelle que soit sa gravité, commise par un agent du service public, dans l’exercice de ses fonctions et avec les moyens du service, n’est pas détachable de ses fonctions. »