Les plaies cancéreuses du sein peuvent être le résultat d’une tumeur primitive ulcérée, d’une tumeur récidivante avec métastase cutanée, la conséquence des traitements anticancéreux ou encore d’une lésion cancéreuse survenant sur une plaie chronique. Elles peuvent exposer les patientes à des risques infectieux et hémorragiques parfois sévères. Ces lésions réclament une prise en charge pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle ainsi que des soins locaux adaptés au cas par cas.
« Je savais que c’était grave. Mais j’étais dans une sorte de déni de la maladie. Je me suis peu à peu isolée à mesure que la plaie, elle, s’étendait. Quelque chose en moi – je sais maintenant que c’était une peur viscérale, une terreur même – m’empêchait d’agir. Tant que les mots “tumeur” ou “cancer du sein” n’étaient pas prononcés, je m’étais persuadée que je conservais une chance d’échapper à “ça” », témoigne Catherine J., graphiste indépendante. Et d’ajouter : « Cette stratégie était une fuite en avant. Au plus profond de mon être, j’en avais d’ailleurs conscience, mais c’était vraiment plus fort que moi. Se faire toute petite, disparaître presque, pour passer entre les mailles que la tumeur, je le savais, tissait. » Il y a quelques mois, ne supportant plus « le sentiment qu’un processus de détérioration est en marche », ni les douleurs que lui provoque sa plaie, qui ne cesse de s’étendre, Catherine décide, sur les conseils pressants d’une amie à qui elle finit par se confier, d’affronter “l’indicible”. Rapidement, elle est prise en charge par un service d’oncologie et une équipe pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle dont une psychologue, d’un établissement de la banlieue parisienne. Si, comme elle le livre aujourd’hui, elle « va mieux depuis que [sa] tête s’est rabibochée avec [son] corps », elle sait parfaitement que le combat n’est pas terminé.
Bien que rare, ce qui explique sans doute son absence dans la littérature scientifique française, la tumeur du sein dite “négligée” est une urgence thérapeutique. Quand cela est possible, et bien entendu avec l’accord de la patiente, une chirurgie et une chimiothérapie peuvent être proposées, mais cette option est rarement possible en première intention du fait de la présence fréquente de métastases et de l’état général de la patiente très souvent affaiblie, voire épuisée. Dans cette attente, une radiothérapie, à visée hémostatique, peut aussi être envisagée. Comme la chirurgie, en effet, la radiothérapie participe au contrôle locorégional qui intervient dans l’évolution de la maladie et de la qualité de vie. Dans un premier temps, le plus souvent, c’est d’abord une prise en charge globale de la patiente avec la mise en place de soins de support qui sont préconisées. Ce type de prise en charge est bien entendu recommandé pour toute plaie cancéreuse, et les infirmières ont un rôle prépondérant à jouer dans la réalisation de ces soins. Rappelons que le décret relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier dispose « que les soins de plaies chroniques relèvent des actes effectués sur rôle propre ». Par ailleurs, le débridement étant routinier pour la prise en charge des plaies chroniques, tout professionnel infirmier doit connaître et maîtriser les gestes de la base de détersion mécanique. Dans le cadre de la formation continue, plusieurs diplômes universitaires “plaies et cicatrisations” sont aujourd’hui proposés à Paris et en région, et des associations et sociétés savantes, comme la Société française et francophone des plaies et cicatrisations
Les premières descriptions de plaies tumorales du cancer du sein datent de l’Égypte ancienne. Au cours des siècles, au regard de l’évolution des connaissances médicales, scientifiques et thérapeutiques, ces plaies ont, bien entendu, suscité moult écrits et questionnements et fait l’objet d’essais, tout aussi nombreux que variés, de traitements locaux. La prise en charge de ces plaies est un art aussi vieux que l’art médical et du soin. Pour autant, ces lésions demeurent toujours relativement mal connues. Infirmière, experte en plaies et cicatrisation, responsable de l’unité Plaies & Cicatrisation (P&C) à l’Institut Curie
Les plaies tumorales, dites aussi cancéreuses ou oncologiques, peuvent exposer les malades à des risques infectieux et hémorragiques parfois sévères. Dans ces cas, les patients peuvent nécessiter une hospitalisation ou une prise en charge par des équipes spécialisées telles les unités de soins palliatifs. Bien que peu documentée, comme le note l’infirmière, la prévalence des plaies tumorales chez des patients traités pour un cancer oscille entre 5 % et 10 % – toutes localisations confondues –, celle de l’atteinte cutanée du sein serait de l’ordre de 2 % à 5 %. Chroniques ou aiguës, « les plaies tumorales sont le reflet extérieur de la progression de la maladie cancéreuse et leur évolution est dépendante de la réponse du patient aux traitements anticancéreux. De ce fait, elles deviennent rapidement insupportables pour ceux qui les portent, bien que ce ressenti soit relativisé par la mise en place de soins locaux et une prise en charge appropriée », relève Isabelle Fromentin. L’unité P&C a d’ailleurs créé un arbre décisionnel qui peut servir d’outil de référence aux soignants prenant en charge des patientes atteintes de ce type de plaies (voir l’arbre page suivante). À ce jour, en complément des thérapeutiques médicales, la prise en charge des plaies tumorales est essentiellement symptomatique, avec des soins locaux adaptés au cas par cas. Pour ce faire, l’ensemble des pansements disponibles est utilisé (par exemple alginate, hydrocellulaire, charbon actif), associé à des techniques de soins appropriées, sans pour autant pouvoir garantir un contrôle des symptômes. « Aucun pansement n’a été spécifiquement conçu pour ces plaies. Une seule solution locale à base de Miltéfosine est proposée dans le traitement des métastases cutanées des cancers du sein. Son application est généralement limitée à des nodules sous-cutanés et/ou des plaies de petite taille (ulcérations) », décrit l’infirmière. Peu d’études scientifiques ont été réalisées sur ces lésions, contrairement à d’autres types de plaies chroniques, tels les escarres ou les ulcères, ou aux phases de cicatrisation (par exemple, épithélialisation). « Les quelques travaux réalisés sur ce thème se concentrent presque exclusivement sur les problèmes de qualité de vie et/ou de descriptions de cas cliniques, sans apporter de solutions nouvelles. Beaucoup de questions restent donc sans réponse », constate la soignante. Quoiqu’il en soit, tout traitement d’une tumeur cancéreuse doit s’accompagner d’une information au patient, mais également aux proches, sur les risques et les conséquences. Une éducation et des conseils ciblés et appropriés peuvent limiter substantiellement la survenue de nouvelles plaies cancéreuses tout en limitant leurs complications. L’intervention d’une diététicienne permet aussi de conseiller le patient pour équilibrer son alimentation.
Une des principales caractéristiques des plaies cancéreuses est de ne pas répondre aux phases normales de cicatrisation, mais d’évoluer au gré des traitements et de leur efficacité. Dans ce contexte, la recherche d’une cicatrisation ne doit pas être une fin en soi. Ce, d’autant que le processus de cicatrisation et d’évolution de ce type de plaie est fréquemment perturbé par des facteurs de retard de cicatrisation généré par les traitements, comme les neutropénies, et une période de vie souvent difficile pour le patient (perte d’autonomie, fatigue générale, stress, angoisse…). Rappelons que, chroniques ou aiguës, les plaies cancéreuses du sein peuvent être le résultat d’une tumeur primitive ulcérée, d’une tumeur récidivante avec métastase cutanée, ou la conséquence des traitements anticancéreux (lire l’encadré ci-dessus) ou encore une lésion cancéreuse survenant sur une plaie chronique. Que la visée de la prise en charge soit curative ou palliative, il est impératif de poser l’objectif du soin. Pour ce faire, l’observation de la plaie est un préalable absolu. Elle s’effectue à partir de plusieurs critères qui permettent de classifier l’atteinte cutanée oncologique et d’adapter le traitement : aspect de la lésion ; induration, inflammation péri-lésionnelle et douleur. Les soins doivent être engagés après l’administration d’une antalgie adaptée et dans des conditions les moins traumatisantes et douloureuses possibles pour le patient et, le cas échéant, comme déjà indiqué, sous Meopa. L’intervention d’une équipe spécialisée dans la prise en charge de la douleur peut être requise.
Les pansements doivent, bien sûr, tenir compte du contexte de la plaie et des objectifs du soin définis par l’équipe avec la patiente. Ils doivent aussi prendre en compte le risque infectieux, la gestion de exsudats et des odeurs, des saignements et du risque hémorragique. Ceux choisis devront diminuer et, si possible, éviter les douleurs, limiter le risque hémorragique, dû à l’adhésivité du dispositif, ainsi que le risque infectieux. Ils devront aussi assurer la gestion des exsudats et des odeurs. Les pansements doivent faire l’objet d’une surveillance : veiller notamment au confort et à la mobilité de la patiente, étanchéité du dispositif… Selon la plaie, et au regard de son évolution et de celle des exsudats, la réfection des pansements doit être envisagée tous les deux ou trois jours afin notamment de limiter les douleurs induites par les soins, l’inconfort, l’anxiété et l’appréhension liés à la réfection. Ce laps de temps doit permettre de planifier l’antalgie et d’évaluer si elle est bien adaptée. Des traitements palliatifs comme la radiothérapie, la chimiothérapie, la chirurgie de confort peuvent également être proposés afin de limiter la masse tumorale et ses conséquences locales cutanées. Plaies complexes par excellence, les lésions tumorales du cancer du sein appellent une évaluation permanente et une remise en cause toute aussi permanente des soins et pratique de soins.
(1) www.sffpc.org
(2) Département inter-disciplinaire de soins de support pour le patient en oncologie (Disspo).
• ISABELLE FROMANTIN
Infirmière, experte en plaies et cicatrisation, responsable de l’Unité plaies & cicatrisation à l’Institut Curie. Docteuren science et ingénierie, elle est également vice-présidente de la Société française et francophone des plaies de cicatrisation (SFFPC) et membre du bureau de la Conférence nationale des plaies et cicatrisations.
1 Quel rôle joue le biofilmdans les plaies tumorales ?
Le biofilm est un élément qu’on ne maîtrise pas bien encore dans l’évolution des plaies tumorales.
La première étape a été de s’assurer qu’il était effectivement présent et dans quelles mesures il pouvait majorer ou non le risque infectieux et les odeurs, et quel était son rôle dans ce processus. Les résultatsde l’étude que j’ai conduite dansle cadre de ma thèse montrent que ce biofilm est largement présent sur les plaies de ce type et qu’avec lui, le risque d’infection est plus élevé et plus virulent.
2 Quel est l’objectif à terme de ce type de recherche ?
Les plaies tumorales représentent de 5 à 10 % des cancers métastasiques – cette proportion devrait augmenter puisque les pathologies cancéreuses se développent et qu’elles deviennent de plus en plus chroniques. Ma démarche est qui peut le plus peut le moins : si je réussis à faire en sorte qu’une plaie tumorale, qui est une lésion extrêmement complexe, et notamment une plaie tumorale gynécologique, ne sente plus mauvais, les odeurs d’un ulcère veineux ou les escarres qui sont des plaies plus “simples” devraient poser moins de difficultés.
3 De quelle manière travaillez-vous pour élargir votre palette de soins infirmiers dans la prise en charge de plaies cancéreuses ?
Je cherche touts azimuts et, en cherchant, on trouve plein de choses… Je lis notamment énormément de revues scientifiques. Il y a peu, par exemple, j’ai lu un article de deux dermatologues qui mettaient en garde contre l’utilisation prolongée de la xylocaïne naphazoline pour des plaies douloureuses car ils avaient constaté que ce traitement entraînait une nécrose dans ce cas. Or la nécrose est exactement le but que je recherche dans le traitement des plaies tumorales. L’idée va donc être de s’appuyer sur les effets secondaires de ce produit pour tenter de provoquer une l’hémostase.
Le traitement par radiothérapie peut provoquer des radiodermites quelques jours après le traitement et parfois plusieurs années après. Les radiodermites sont dépendantes des doses de rayonnements ionisants, des réactions propres à chaque type cellulaire impliqué dans le processus lésionnel (kératinocytes, fibroblastes, cellules endothéliales) ou/et du patient lui-même (âge, immunité, autre maladie associée). Le premier symptôme est une réaction inflammatoire de la peau : de type brûlure, avec érythème, puis les complications de type dermite/épidermite sèche ou exsudative, atrophie cutanée, fibrose ou sclérose post-cicatrisation. Dans ce contexte, les patients traités par radiothérapie doivent être informés des conséquences potentielles à court et long terme pour leur peau et doivent bénéficier de conseils préventifs : hydratation de la peau avec des produits neutres type hydro ou crème, éviter l’usage, durant la radiothérapie, de crèmes contenant des métaux et de crèmes grasses, les irritations mécaniques et privilégier le port de vêtements souples et de préférence sans couture.