Objectif Soins n° 233 du 01/02/2015

 

Management des soins

Valérie Hedef  

Le temps où les établissements de santé étaient repliés sur eux-mêmes est révolu. Leur présence accrue sur les réseaux sociaux témoigne de leur ouverture sur l’extérieur. Cependant, l’usage de ces nouveaux canaux de communication n’est pas sans soulever un certain nombre de questions. Tour d’horizon dans la galaxie du Web 2.0.

Apparus sur Internet il y a une dizaine d’années, les réseaux sociaux – social networks en anglais – désignent un ensemble d’individus ou d’organisations reliés entre eux par des liens permettant des interactions sociales entre individus ou groupes d’individus. Leur émergence est liée aux révolutions technologiques et techniques qui ont permis de passer du Web au Web 2.0 grâce à des interactions plus rapides avec les pages Internet, associées au fait que les utilisateurs ont pris conscience de leur pouvoir d’interagir sur la Toile. Facebook (le premier, né en 2004 et accessible à tous en 2006), YouTube (vidéo partage), Twitter (principe du microblogging, publication fréquente de messages brefs), Google+, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Tumblr, Badoo, Myspace, Viadeo… sont parmi les plus connus, certains étant davantage ancrés dans le champ amical/personnel, d’autres plus à usage professionnel ou concentrés sur un domaine d’expertise particulier (lire l’encadré p.20). En général, ces sites impliquent la création d’un profil, ainsi que l’établissement de relations plus ou moins privilégiées entre les membres (devenir “amis”, fans).

SE POSITIONNER SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

Pour les établissements de santé, se positionner sur les réseaux sociaux – en distinguant bien ce positionnement de la télémédecine – sert plusieurs objectifs distincts : améliorer la relation soignants/soignés, informer et conseiller patients/familles, communiquer sur leur histoire et sur leur actualité, entretenir un lien physique/numérique de proximité avec leur communauté, ou encore recruter du personnel (stratégie RH). Un intérêt manifeste, mais dont le passage à l’acte n’est pas encore pleinement rentré dans les mœurs hospitaliers, loin s’en faut. Des établissements pionniers(1) ont toutefois déjà investi ces nouveaux champs de communication et d’autres sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à s’en emparer. C’est d’ailleurs pour permettre à ces derniers d’avoir quelques éléments de réponses à leurs nombreuses interrogations sur ces nouveaux outils du Web 2.0 que le centre hospitalier universitaire d’Angers (Maine-et-Loire), présent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années déjà et de fait régulièrement sollicité par d’autres hôpitaux sur le sujet, a organisé le 11 décembre dernier les premières HospiLike Conférences qui ont réuni près de 150 participants.

DERRIÈRE UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE COMMUNICATION

La présence sur les réseaux sociaux ne s’improvise pas. Il doit y avoir derrière non seulement une stratégie de communication, mais également des ressources humaines.

Fédérer

Invitée à l’occasion de ces premières rencontres des réseaux sociaux hospitaliers, Cindy Rogez, responsable de la communication au centre hospitalier intercommunal Compiègne-Noyon (Oise), a témoigné de son expérience en la matière : « Le lancement de notre page Facebook en septembre 2013 a été concomitant de celui du nouveau site Internet créé à la suite de la fusion des deux centres hospitaliers. Notre choix du réseau Facebook s’est fait par rapport à sa popularité, notre objectif étant à la fois de communiquer vers l’extérieur, d’avoir un outil de communication interne en plus du journal interne et de notre Intranet, et de fédérer autour de cette nouvelle entité. […] C’est aussi un vecteur de communication au niveau des offres d’emploi. » Si cette page Facebook (545 fans) « crée du lien » et s’avère « un facteur d’adhésion à l’identité de l’établissement », la communicante a pointé aussi « l’étonnement de certains personnels quant à cette présence sur le réseau social » et « la nécessité de l’alimenter, d’où une certaine “chasse à l’info” permanente » qui a donc conduit le centre hospitalier à se limiter pour l’instant à ce seul réseau.

S’ouvrir

Le secteur privé n’est pas en reste. « Depuis janvier 2014, notre stratégie est très structurée et s’intègre dans le plan de communication global », souligne de son côté Céline Gordon, chargée de communication à la clinique Pasteur de Toulouse (Haute-Garonne), dont l’objectif était avant tout de « de s’ouvrir vers l’extérieur ». La clinique est ainsi présente aujourd’hui sur plusieurs réseaux : d’abord Facebook depuis fin 2013 « pour une communication en direction des patients », laquelle devrait dès cette année être davantage axée « sur les missions de santé publique de l’établissement », sur Twitter « avec une communication descendante beaucoup plus professionnelle, pour faire du réseau… », sur Youtube également, qui s’avère « un très bon vecteur de communication et facilitant pour regrouper toutes nos vidéos », puis sur Scoop.it, « un outil de curation payant qui met en avant nos expertises pas forcément médicales. Une sorte de revue de presse » qui offre « un gain en visibilité et en notoriété en relais de notre site Internet », détaille-t-elle. Enfin, la clinique Pasteur devrait aussi en 2015 être présente sur LinkedIn avec « une page vitrine, attractive pour la communauté, et avec également les postes à pourvoir ». Une large présence sur les réseaux sociaux, qui par ailleurs « participe à la reconnaissance externe des salariés », souligne la communicante qui conclut : « Que l’on soit présent ou non, on parlera de nous quand même. Donc autant y être pour rebondir (axe de gestion de la e-reputation)(2). »

LES CADRES S’APPROPRIENT PEU À PEU LE SUJET… À L’INSTAR DES IFCS

Problème de génération

Si bon nombre de communicants des établissements de soins se sont saisis du sujet, il n’en est pas encore de même pour les cadres. « Ils ne connaissent pas bien les réseaux sociaux et sont en attente d’information. Quand on discute avec eux, on sent qu’il y a un réel besoin. […] Les cadres ne sont pas en veille sur les réseaux sociaux. Des fois, ce sont les soignants eux-mêmes qui les alertent », souligne Philippe Frugier, responsable de la communication du centrehospitalier universitaire de Limoges(3) (Haute-Vienne). Toutefois, reconnaît ce dernier, « les règles de sécurité informatique sont tellement restrictives que cela ne les aide pas non plus à se les approprier ». Est-ce une question de génération ? Pour Germain Decroix, juriste à la MACSF, « quoi qu’on en dise, les réseaux sociaux sont un peu une question générationnelle. La cadre de 55 ans est moins encline à les utiliser que celle de 30 ans ». Le responsable de la communication du centre hospitalier universitaire limougeaud nuance quelque peu. Certes, « les cadres seniors ou très seniors n’ont pas le “réflexe réseaux sociaux” ». Mais si « les jeunes soignants les maîtrisent, ils ne connaissent pas bien les règles de restriction à leur utilisation et ne sont pas du tout vigilants car nés avec », constate-t-il.

Formation nécessaire

Au-delà de cet aspect générationnel, Nicole Pastol-Le Borgne, directrice de l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS) du centre hospitalier universitaire de Brest (Finistère), remarque quant à elle dans sa pratique en IFCS que « certains étudiants sont très férus de réseaux sociaux et sont ressources pour le groupe, tandis que d’autres ne le sont pas spécialement et arrivent avec des questionnements ». Une barrière de l’âge certainement, mais pas nécessairement (lire l’encadré page ci-contre).

En IFCS, justement, un rappel à la règle (obligation de secret professionnel, de cordialité vis-à-vis des collègues…) ainsi qu’une formation plus poussée sur ce sujet sont abordés depuis un ou deux ans. Mais cela n’est pas encore uniforme au sein de l’ensemble des instituts. « On est dans un axe de progression. C’est un sujet montant que nous sommes en train de renforcer. […] Et cela fera certainement partie des réflexions posées dans le cadre de la réingénierie de la formation cadre. On ne pourra pas en faire l’impasse, poursuit-elle. Dans les IFCS, les étudiants cadres reçoivent une information sur l’intérêt des réseaux sociaux mais aussi sur leurs faiblesses et dérives, ainsi que sur leurs enjeux en termes de santé (implications des malades…). Il s’agit de les resituer : comment les définir ? Quels sont-ils ? […] Il serait aussi intéressant de travailler sur la manière dont les futurs cadres peuvent percevoir/utiliser les réseaux sociaux en tant que managers d’un groupe. »

RISQUES MULTIPLES DE DÉRIVES ET DE MALADRESSES

Des cadres de santé qui doivent donc sans tarder s’approprier le sujet car les risques de dérives et/ou de maladresses ne manquent pas. « Certains agents du service peuvent communiquer ainsi. Mais est-ce aux cadres de prendre l’initiative de créer sur Facebook une page de leur service sous prétexte que l’information circule mieux que par mail ? », interroge Germain Decroix qui, parallèlement, les incite à « ne pas mettre le planning sur une page Facebook ouverte ». Les risques viennent aussi des étudiants en stage dans le service qui, en parfaits natifs numériques, n’hésitent pas à faire preuve de spontanéité et de transparence avec « des commentaires du type “Je sais que je ne me ferai jamais opéré là”, ou des photos sur leurs lieux de stages avec quelquefois des patients ou des collègues en arrière-plan », poursuit le juriste. Mais également des patients qui s’expriment : ce dernier donne ainsi l’exemple « d’un transfert amoureux appris par une infirmière sur Facebook », d’où l’importance de mettre une alerte. « Les réseaux sociaux vont devenir incontournables et l’hôpital ne pourra plus se passer de ce canal de communication. Avec le passage à la tarification à l’activité, il a besoin de se vendre et il s’agit d’une manière de recruter et de faire parler de soi en bien. Il suffit de quelques comptes ouverts pour diffuser gratuitement l’information. Mais cet usage des réseaux sociaux nécessite d’évoquer périodiquement quelques règles, notamment celles relatives au secret professionnel, au respect de la vie privée ainsi qu’au droit à l’image », rappelle le juriste.

DES GARDE-FOUS INDISPENSABLES

Ainsi, si la censure n’est certainement pas la bonne méthode, l’instauration de quelques garde-fous s’impose. La sensibilisation des personnels et des étudiants en est un, avec des piqûres de rappel régulières par les cadres, par exemple sur les règles professionnelles relatives au secret médical, au devoir de réserve et de discrétion, au droit à l’image… La diffusion de bonnes pratiques sur l’usage des réseaux sociaux en établissements de soins(4), des formations en interne, l’élaboration d’une charte interne spécifique intégrée au règlement intérieur et/ou au livret d’accueil en sont d’autres. Plus globalement, « l’incitation à la qualité » peut aussi « éviter de prêter le flan aux critiques », ajoute Germain Decroix.

Quelques leviers de prévention et de sensibilisation à coup sûr utiles afin que patients, familles, soignants tendent tous vers le meilleur usage qui soit des réseaux sociaux.

NOTES

(1) Voir le classement statistiques des acteurs de la santé (hôpitaux, cliniques, laboratoires et organismes de santé) sur quatre réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Google+, YouTube) : http://sante.socialranker.fr

(2) “Guide de bonnes pratiques face à la rumeur/bad buzz”, Fondation MACSF, mai 2014. Les personnels d’encadrement peuvent se le procurer en faisant une demande écrite à yves.cottret@macsf.fr

(3) Le CHU de Limoges est lui aussi bien présent sur les réseaux sociaux : depuis 2012 sur Twitter (2 119 abonnés), puis sur Facebook (1 700 Like/meilleur score de “vu” pour une actualité : 60 448 vues, soit près du double de la diffusion du titre de presse quotidienne régionale !) et YouTube (30 511 vues) en 2013, sur LinkedIn en juillet dernier et bientôt sur Instagram en 2015. À visionner par exemple sur la page YouTube du CHU limougeaud la vidéo R comme Reconnaissance, ajoutée mi-novembre,où une cadre supérieur de santé évoque dansle cadre d’un abécédaire vidéo dédié aux quarante ans de l’établissement la reconnaissance des personnels paramédicaux et des cadres en particulier. Ou bien dans la série “Le CHU de Limoges recrute”, la vidéo intitulée Pascale, cadre de santé infirmière ou encore dans la série “Professionnels de santé” la vidéo intitulée Découvrez le témoignage des 4 IDE du CHU de Limoges.

(4) Voir le “Guide de bonnes pratiques des réseaux sociaux”, Fondation MACSF en collaboration avec le CHU de Bordeaux et le CH de Pontoise, juin 2013. À commander sur le site www.macsf.fr

Ce qu’en disent les cadres

Le partage dans la confidentialité

• « Je ne m’en sers pas du tout d’un point de vue gestion RH. Le seul moment où j’y suis confronté, c’est plutôt pour gérer des problèmes interéquipes générés par des informations divergentes entre la situation d’un professionnel et ce qu’il partage sur Facebook, par exemple, en arrêt maladie, il poste une photo de lui depuis une plage du littoral ! », témoigne Stéphane Cibert, cadre de santé aux urgences du CHU de Limoges, établissement de santé qui a par ailleurs largement diffusé aux cadres de santé une brochure sur les bonnes pratiques des réseaux sociaux en milieu hospitalier.S’il « ne va pas chercher l’info sur Facebook », il « essaie d’être vigilant car cela peut détériorer les situations de travail au sein des équipes » et n’hésite pas à « briefer les ESI sur la question de la confidentialité même si, aux urgences, ils en ont bien conscience », note-t-il. Ce dernier estime que les réseaux sociaux peuvent être « intéressants pour partager sur des forums dédiés des retours d’expérience divers, comme sur la violence par exemple ».

Peu de cadres utilisent Twitter

• Depuis près de deux ans, Thomas Bielokopytoff, cadre de santé formateur à l’Ifsi du CH Annecy Genevois, fait un usage assidu de Twitter, qu’il juge « beaucoup plus interactif, plus spontané et moins confidentiel que LinkedIn. Les barrières tombent très vite et le format court du tweet doit jouer », dit-il. « Veille documentaire (aide pour trouver des cours pour les unités d’enseignement d’anglais par exemple), veille d’actualité, contacts simplifiés » sont parmi les raisons qui expliquent le choix de ce réseau social sur lequel toutefois peu de cadres sont présents. Si l’Ifsi possède deux comptes Twitter et Facebook initiés par les formateurs et les documentalistes après l’aval de la direction, ce dernier admet cependant qu’il « n’y a pas forcément intérêt de multiplier les canaux de communication pour les ESI. On y met autre chose et aujourd’hui pas grand-chose, quelques communications de l’association des étudiants, du service de formation continue ou en relais de résultats. Mais j’appelle de mes vœux à une plus grande utilisation de ces comptes », indique-t-il.