La gestion des risques se diffuse dans les établissements de santé, et le cadre de santé en est l’un des principaux promoteurs. Des outils se développent pour analyser les risques a priori, dans une démarche de prévention, et a posteriori, en déclarant et en analysant les événements indésirables survenus, afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent. Outils, prévention, analyse… Si le risque zéro n’existe pas, les cadres hospitaliers restent le maillon indispensable en matière de gestion des risques. Plusieurs outils sont mis en place afin de prévenir et d’inculquer une culture positive de l’erreur.
Outils, prévention, analyse… Si le risque zéro n’existe pas, les cadres hospitaliers restent le maillon indispensable en matière de gestion des risques. Plusieurs outils sont mis en place afin de prévenir et d’inculquer une culture positive de l’erreur.
En 2010, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier (Hérault) a été traumatisé deux fois par un tragique événement indésirable grave (EIG) : un anesthésiste a administré à un nouveau-né une surdose de médicaments qui a conduit à une paralysie de ses membres inférieurs. Sous le poids de la culpabilité, le jeune médecin s’est suicidé. Une véritable crise s’est ouverte au sein de l’hôpital : une partie du personnel médical a reproché à la direction son manque de soutien.
L’institution a réagi : « La direction générale et la présidence de la commission médicale d’établissement (CME) ont décidé de se poser, d’engager un travail de fond, de mobiliser les ressources à l’intérieur de l’hôpital », raconte Maria Horvath, la directrice des soins. Le constat est alors sans appel : « Il faut changer nos représentations, nos conceptions de l’erreur, de l’incident, de l’accident lié aux soins. Les soignants sont formés à soigner, pas à faire face à un échec », poursuit-elle. Depuis, une ligne téléphonique est dédiée aux soignants en détresse, et en parallèle, la politique de gestion des risques du CHU a été sérieusement renforcée. « Quand un événement indésirable grave survient, il faut pouvoir prendre toutes les mesures vis-à-vis du patient et du professionnel, souligne Marie-Hélène Réquéna-Laparra, directrice des soins du CHU, rattachée à la direction des risques. Il doit être déclaré et analysé. L’analyse permet au professionnel de prendre de la distance par rapport à l’événement. »
Avant de parvenir à l’étape de l’analyse, il faut convaincre les soignants et les médecins de déclarer les événements indésirables, graves ou pas, liés aux soins. Et ce n’est pas toujours évident. « Mon établissement n’a pas du tout une culture positive de l’erreur », regrette ainsi un cadre de santé anonyme, particulièrement investi dans la gestion des risques. « Déclarer un événement indésirable grave, c’est de l’ordre du blasphématoire. Je pense que la moitié des EIG sont passés sous silence. Pour éviter les ennuis, les soignants ne veulent pas laisser d’écrits, de traces. Mais s’il se passe quelque chose un jour, il faut pouvoir dire à la famille qu’on a tenu compte de ce qui s’est passé, qu’on a réagi. Je suis persuadé qu’en étant dans la communication et la transparence, on évite 90 % des plaintes. » Cécile Kanitzer, directrice des soins et conseillère paramédicale de la Fédération hospitalière de France (FHF), souligne de son côté « qu’il n’y a aucune obligation dans les textes réglementaires, qui encouragent la déclaration des événements, sans tension ».
Pour convaincre sans contraindre, les directeurs des soins sont les mieux armés, selon Cécile Kanitzer : « La démarche qualité et de gestion des risques est éminemment rattachée à la fonction de directeur des soins. Ils en assument souvent la responsabilité dans les petits établissements, aux côtés du président de la CME. »
C’est le cas au centre hospitalier de Rouffach (Haut-Rhin), où Maurice Zilliox est directeur des soins, mais aussi coordonnateur général de la qualité et de la gestion des risques. Au CHU de Montpellier, la directrice des soins Marie-Hélène Réquéna-Laparra est rattachée à la direction de la qualité et de la gestion des risques. Et elle travaille main dans la main avec le coordonnateur opérationnel de la gestion des risques, qui est un médecin. « C’est très important que cette politique de gestion des risques soit portée par des professionnels du soin, dans une approche systémique et pluriprofessionnelle. Cela crée de la confiance. »
L’un des enjeux pour les soignants est de bien distinguer l’erreur, qui est humaine, de la faute, qui fait l’objet de sanctions. Pour y parvenir, de nombreux établissements écrivent des chartes de déclaration.
Au CHU de Montpellier, « une charte de responsabilisation a été signée par le directeur général, le président de CME et le directeur coordonnateur général des soins, détaille Marie-Hélène Réquéna-Laparra. Ils s’engagent à ce que les EIG ne soient pas sanctionnés, sauf en cas d’un manquement délibéré et répété aux règles de sécurité ». Au centre hospitalier de Rouffach, c’est une « charte d’engagement réciproque, signée par les directeurs de l’établissement, les médecins chefs de pôle, le département d’information médicale, les cadres de pôles et cadres supérieurs de santé. Ils s’engagent à cultiver une politique de gestion des risques préventive et non répressive », explique Maurice Zilliox. Au CHU de Montpellier, 5 800 événements indésirables ont été déclarés l’an dernier. « Ce n’est pas rien. Il y a de plus en plus d’événements déclarés, de plus en plus graves, et de plus en plus souvent liés à la prise en charge des patients », relève Marie-Hélène Réquéna.
Est-ce le signe d’une dégradation de la qualité des soins ou du développement d’une culture de la gestion des risques ? La directrice des soins penche pour la deuxième hypothèse. Le centre hospitalier de Rouffach « déclare en moyenne 2,5 événements indésirables par jour, explique Maurice Zilliox. Pour un établissement de notre taille – 350 lits – à partir de deux événement déclarés par jour, on considère que le processus de déclaration est intégré ».
L’événement indésirable déclaré est ensuite analysé, dans une véritable démarche institutionnelle.
Au CHU de Montpellier, « un maillage institutionnel a été tissé, relève Marie-Hélène Réquéna-Laparra. Tous les deux mois se réunit un Comité pluriprofessionnel d’analyse des risques (Copar), où sont discutés tous les événements indésirables survenus dans l’établissement, les analyses réalisées dans les services, et les actions correctrices mises en place ». Elle souligne qu’un « représentant des usagers fait partie de ce comité ». Un second Comité d’analyse des événements indésirables (Cade) se concentre, tous les quinze jours, sur les événements les plus graves « qui nécessitent un regard pluriprofessionnel. On analyse les événements remontés par notre système d’information, ainsi que ceux qui n’ont pas été déclarés officiellement, mais signalés oralement au supérieur hiérarchique ».
La démarche est semblable à Rouffach. Les événements indésirables sont tout d’abord analysés « au niveau des unités de soins où l’encadrement de proximité apporte une réponse de premier niveau, généralement proposition d’action corrective ou de réorganisation, validée par le gestionnaire des risques », explique Maurice Zilliox. Puis tous sont revus une fois par mois par « un comité d’analyse des fiches d’événements indésirables », en particulier les « événements sentinelles, les plus graves », explique le directeur de soins : les tentatives de suicide, les passages à l’acte agressifs, les erreurs médicamenteuses, les problèmes d’identité, etc. Ces événements sentinelles sont ensuite analysés plus longuement par un « Comité de retour d’expérience (Crex) qui en cherche les causes-racines au niveau de l’environnement de travail, et peut décider d’une réorganisation des soins ». Cette méthode d’analyse des risques permet de faire évoluer l’organisation des soins et les pratiques, par exemple la distribution des médicaments aux patients, dans cet établissement psychiatrique. « Auparavant, dans certaines unités, ils étaient distribués au moment du repas du soir, pris en commun, explique le directeur des soins. Mais au cours de la distribution, l’infirmier est sans cesse interrompu. Dans ce contexte, une erreur est survenue. Un Crex a été réuni et a décidé de confier la distribution des médicaments à une infirmière, en salles de soins, sans être dérangée, même par le téléphone. »
Cette réorganisation a été médiatisée dans l’établissement par la Gazette Crex, un feuillet recto/verso publié quatre fois par an, qui relate, sur une thématique précise, les événements indésirables survenus sur l’établissement et les solutions apportées. « Notre service de communication est impliqué dans la fabrication de cette gazette, pour la rendre attrayante. Nous voulons transmettre une culture positive de l’erreur », précise Maurice Zilliox.
Pour prévenir ces risques, il faut aussi les analyser a priori, c’est-à-dire réaliser une cartographie des risques.
« C’est un tableau où les risques sont détaillés et classés en trois couleurs : vert, orange et rouge, selon leur criticité et leur fréquence, explique Cécile Kanitzer, de la FHF. Les risques rouges sont particulièrement suivis et des programmes de formation sont dispensés. » Jérôme Rumeau, directeur des soins au centre hospitalier de Narbonne (Aude), a fait appel à un organisme extérieur pour réaliser cette cartographie, par spécialité : « Tous les cadres et les praticiens ont été mobilisés. Ils ont réfléchi très concrètement aux modalités de prise en charge, en cernant leurs points faibles : un médicament qui change d’emballage, l’introduction d’un générique dont la posologie est différente du princeps, la prise en main de nouveaux dispositifs médicaux, l’accueil des nouveaux professionnels de santé, qui doivent s’approprier les pratiques d’un service, etc. »
La cartographie des risques peut également être un outil de dialogue entre un cadre de santé et la direction, pour appuyer une demande de moyens supplémentaires : « À l’heure actuelle, il est très difficile d’obtenir des effectifs. Mais dans la cartographie des risques de mon unité est apparu un risque en orange en raison d’un sous-effectif d’infirmiers par rapport à la réglementation. Cela a convaincu la direction de renforcer mon équipe d’infirmiers, car la cartographie a force de loi, elle est scrutée à la loupe par les experts-visiteurs lors des visites de certification », témoigne un cadre de santé d’un service de réanimation qui a souhaité rester anonyme. De même, parce qu’il a identifié un risque de rupture d’approvisionnement médicamenteux et de maintenance du parc biomédical, ce cadre a obtenu la création d’un poste “d’infirmière technique”. Mais il reste des points rouges : « La réglementation dit que les transports doivent être réalisés par un médecin réanimateur, un interne en réanimation ou un Iade. Avec nos effectifs, c’est impossible. J’ai clairement identifié le problème, je l’ai signalé, j’ai donc fait ma partie du travail. » Au final, pour ce cadre, la cartographie des risques est un « puissant outil de pilotage, affiché en permanence dans mon bureau, sous la forme d’un tableau. J’y suis l’avancée des différents indicateurs. »