Les premiers diplômés de masters en pratiques avancées n’ont pas toujours la vie facile mais ils décrivent tous un parcours passionnant. Ne manquent plus que les postes pour les accueillir. Ils sont une petite centaine en France à intégrer des masters 1 et 2 de pratiques avancées.
Il en existe une petite centaine de diplômés en France. Lorsqu’on leur demande pourquoi ils ont choisi de passer les masters 1 et 2 en pratiques avancées presque tous répondent : « Je me suis toujours posé des questions sur le sens de ma pratique. » La notion de prise en charge globale de la personne est au centre de leurs préoccupations. Parmi les pionniers du master, les parcours sont très variables mais toujours passionnants. Il existe actuellement deux masters, le master créé en 2009 de l’Université d’Aix-Marseille et celui créé en 2011 (master Sainte-Anne) de l’Université de Versailles-Saint-Quentin.
« Il faut parvenir à aligner l’hôpital-entreprise, les humains qu’on soigne et ceux qui soignent. Permettre aux patients comme aux soignants d’exprimer leur ressenti », clame haut et fort Florence Flores, qui anime une consultation infirmière de prévention et d’éducation à la santé, notamment sur la vie sexuelle et affective axée sur le VIH. « Que l’hôpital cherche à devenir lucratif, je peux l’entendre, mais on ne peut pas retirer le facteur humain qui est le cœur du métier des IDE », ajoute l’infirmière qui a démarré sa carrière comme aide-soignante.
Son master 2, spécialité maladies chroniques et dépendances, validé en septembre 2014, elle se désole de la transformation de nos hôpitaux en lieux de soins aigus. « Après cinq jours d’hospitalisation, le malade ne rapporte plus rien à l’établissement. Or la maladie chronique entraîne une dépendance globale qui nécessite un accompagnement des personnes afin de les aider à améliorer leur qualité de vie », insiste la clinicienne, avant d’ajouter : « Les patients sont très au courant de leurs pathologies, mais pour les ressources en interne à mobiliser, il faut des gens formés à apporter la clinique infirmière au chevet du patient. » Des éléments qui ne peuvent pas être enseignés lors de la formation initiale, « les étudiants ayant peur de se faire happer par la technique. Du coup, les infirmiers des services ont besoin de personnes relais pour leur apporter ces éléments ». Un discours plein de bon sens mais qui n’est pas encore vraiment entendu au sein des lieux de soins. Florence Flores emploie même l’expression “bashing post master” comme s’ils étaient des “gêneurs”.
Mais elle se réjouit tout de même de constater que ces mêmes gêneurs commencent à être sollicités par la HAS (Haute Autorité de santé) en tant qu’experts. « Nous avons la chance d’avoir des collègues suisses ou nord-américaines qui nous ont ouvert la voie. Il faut arrêter la fatalité et créer un cerveau commun pour la profession. La reconnaissance passera par la capacité de quantifier l’activité infirmière, notamment au chevet du malade. Ça passe par un diagnostic infirmier qui permet d’évaluer avec le patient son problème de santé et d’aller vers un objectif de résultat quantitatif. Ainsi, les actions infirmières se baseront sur des données probantes et exploitables. C’est à nous, les premiers masters, de bâtir l’avenir. »
Ces bâtisseurs ne passent pas inaperçus à la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers), où on s’intéresse grandement au sujet.
C’est ce que confirme Irving Montorier, premier vice-président, non sans une certaine inquiétude. « C’est un métier qui n’existe pas et qui ne donne donc pas lieu à la création de postes. Au niveau européen, avant de créer une formation, on définit les compétences dont on a besoin. En gros, on crée le métier puis la formation adéquate. Pour nous, certains éléments du texte de la loi de santé sont aberrants. On se retrouve à faire face à un corporatisme médical qui favorise l’idée de délégation, ce qui n’a rien à voir avec les pratiques avancées », se désole-t-il. Inquiétude aussi au sujet de la formation au sein de laquelle il y aurait un « vrai manque de cohésion » entre les universités formatrices qui auraient « une vision très différente de ce que peuvent être les pratiques avancées ».
La Fnesi ne voit pas tout en noir pour autant, ainsi que le souligne Irving Montorier : « C’est une vision, un métier qui est amené à se développer au sein de maisons de santé pluridisciplinaires comme cela se fait déjà dans certains pays étrangers. Les infirmières peuvent y proposer des consultations de premiers recours et créer le lien entre les professions, par exemple. La recherche infirmière est reconnue à peu près partout dans le monde. Il est grand temps qu’elle le soit ici aussi. » Mais, en attendant cet heureux jour, la Fédération se bat également contre cette obligation de cinq ans d’exercice demandée pour accéder au master 2.
Certains n’attendent pas vingt-cinq ans d’exercice pour se lancer dans l’aventure du master. C’est le cas de Sébastien Chapdaniel, 23 ans, qui a sauté le pas à peine son DE empoché en juillet 2014. « Lors de la formation initiale, je trouve qu’on ne nous donne pas assez de connaissances pour prendre en charge un patient dans sa globalité », relève-t-il avant d’affirmer avoir « redécouvert la profession ». Ce qui le passionne le plus : les théories du soin qui lui sont enseignées. « Il y en a des centaines, avec des paradigmes différents pour une vision et une approche différente du soin », s’enthousiasme-t-il avant de se lancer dans la description du paradigme de transformation « qui permet de voir la personne en tant qu’un être unique et singulier, porteur de ressources et capable de choix qui vont influencer sa santé. Lui seul est maître de sa santé. Nous sommes là pour lui apporter des soins mais aussi pour l’aiguiller vers les bons choix ». Il y a aussi les modules dédiés à la recherche qui, selon lui, « permettent de sauter un énorme pas et de découvrir de nombreuses recherches en science infirmière menées à l’étranger et pas du tout utilisées en France ». Et de citer ainsi la mise en place de « chemins cliniques qui évitent l’accumulation des examens ou des consultations ». Cela dit, aussi enthousiaste soit-il, Sébastien Chapdaniel n’est guère optimiste sur son retour dans le monde du soin, une fois son master 1 obtenu : « Avec ce que j’ai appris, je pourrais être bien plus utile à la société si des postes transversaux existaient dans des champs qui ne sont couverts ni par les infirmiers ni par les médecins », lance-t-il. Quant à la perspective d’enchaîner sur le master 2, elle lui est interdite pour l’instant, dans la mesure où cinq ans d’expérience sont exigés pour y accéder. Une situation qui révolte le jeune IDE.
Avec la Fnesi, il n’est d’ailleurs pas le seul à poser ce type de questions. « Le LMD, on est pour mais sans obligation d’attendre cinq ans avant de pouvoir exercer en pratiques avancées », confie Olivier Drigny, vice-président de l’Ordre national des infirmiers (ONI), qui déplore également un « flou et une ambiguïté » française face à la question : « Le groupe de réflexion mis en place par le ministère de la Santé, sous la direction de Michèle Lenoir Salfati (sous-directrice par intérim des ressources humaines du système de santé à la DGOS), n’a toujours pas commencé à travailler alors qu’on nous annonçait un démarrage en janvier 2015 », s’étonne Olivier Drigny, qui déplore par ailleurs l’absence de la moindre infirmière parmi dans le groupe de pilotage. Autre constat : « Un recentrage du projet autour de l’infirmière clinicienne en oncologie afin de satisfaire à une promesse de François Hollande dans le Plan cancer. »
Mais ce n’est pas tout. La question de l’intégration de ces nouveaux métiers au sein des structures de soin n’a pas échappé non plus à l’ONI. « Tout reste à construire. À l’heure actuelle, on serait sur une seule définition mixte : cliniciennes ou praticiennes à la suite d’une formation uniquement universitaire. À l’arrivée, pas de statut cadre. Le rôle de l’infirmière clinicienne serait axé sur le leadership au sein des équipes alors que celui des praticiennes serait lié à un champ de compétences médical dans un domaine spécifique », précise-t-il. Mais attention à ne pas confondre avec la délégation médicale. Là, ces infirmières bénéficieraient d’une autonomie réelle pour des renouvellement de prescriptions, des sutures, des demandes d’examens, allant même jusqu’à un diagnostic. Cependant, le souhait du ministère est de ne pas cloisonner les deux types d’exercice, d’où la nécessité d’un tronc de compétence commun.
Volonté qui est vue d’un bon œil par l’ONI, qui insiste sur le fait qu’une compétence exclusive dans un domaine exclurait la perspective d’évolution dans d’autres secteurs. Malgré les quelques informations qu’il a pu glaner, le retard d’ores et déjà pris dans la réflexion plonge l’Ordre dans la perplexité : « Comment réfléchir quand on est dans le flou ? C’est presque de la science fiction », relève Olivier Drigny. Autre question : l’élaboration d’un programme harmonisé pour le tronc commun que constitue le master 1 tout en anticipant l’arrivée des autres professions non médicales dans le cycle. « Cela va demander une grande vigilance dans la rédaction des protocoles de formation », insiste-t-il.
Et ce n’est pas Florence Ambrosino qui le contredira. Diplômée en 1984, elle s’est directement lancée dans le libéral pour être à ce jour formatrice. Elle a choisi d’étudier en master en 2011 après avoir « eu l’impression de tourner en rond. Pour faire autrement et faire mieux ». Pour prendre du recul par rapport à son activité professionnelle, « être moins dans le faire à tout prix ». « On se questionne d’abord pourquoi et comment le faire. On est dans le soin différemment. La consultation infirmière apprend à prendre en compte d’abord le ressenti. Ce devrait être systématique mais on est absorbé par une tunélisation de routine. C’est là qu’arrivent les accidents », explique-t-elle.
« Passée de l’ombre à la lumière », selon ses propres termes, Florence Ambrosino affirme avoir découvert qu’il existait vraiment une science infirmière au long d’un parcours « passionnant, riche et épuisant ». Un parcours qu’elle a partagé avec d’autres étudiants, toujours solidaires les uns des autres : « Lorsqu’un d’entre nous faiblissait, les autres étaient toujours là pour le soutenir. C’était galvanisant ! » Sur le fond, elle précise : « On sent qu’on change. On vous déconstruit et on vous reconstruit derrière. Il faut que ce soit fait par des gens extrêmement compétents. Nos pédagogues étaient formidables. De vrais pionniers. »
Face à des situations de plus en plus complexes, Florence Ambrosino ressent le besoin de se resentrer sur les besoins du patient sans jamais être dirigiste. « Cela ne sert à rien de faire entrer quelqu’un dans un moule qu’il ne veut pas intégrer », souligne cette IDE qui veut être « à l’interface, le lien qui réunit ». Car elle ne se fait pas d’illusion : « Il y a encore un fossé entre le médecin et l’infirmière ». Un médecin qui doit être remis au centre du dispositif, comme pivot de la coordination.
Autre problème, l’absence de postes dédiés : « On crée un master mais pas les postes qui vont derrière. On change mais on se retrouve dans un milieu qui n’a pas changé. Comme pour un cerveau qui aurait pris de l’expansion dans une boîte crânienne qui ne peut pas grandir », poursuit Florence Ambrosino avec un brin d’amertume. Il y a aussi ceux qui ne comprennent pas ce que peut leur apporter une infirmière clinicienne. « Les milieux de soins n’ont pas été préparés à l’implantation de ces nouveaux métiers, ce qui génère des problématiques de retour d’infirmières avec une expertise dont personne ne sait que faire et surtout une employabilité réduite du fait d’une absence de pédagogie en amont. Un projet d’étude et de recherche est d’ailleurs en cours pour explorer comment préparer les milieux de soins à ces nouvelles formations », conclut l’IDE.
LAURENT SALSAC
Idel dans la région de Tour (Indre-et-Loire), cet ancien infirmier militaire qui a travaillé longtemps en consultation d’annonce en hématologie a choisi de se former à l’hypnose afin « d’apporter une qualité et un confort de soins grâce à une méthode maîtrisée par peu de gens ». Une technique qu’il utilise maintenant dans deux types de situations. Soit en soin de support à la thérapie médicale dans des cas comme des sciatiques pour lesquels il offre des séances d’hypno-analgésie en plus du traitement classique, soit lors de réfections de pansements complexes pour diminuer ou remplacer les analgésiques. Un service qui n’est évidemment pas facturé au patient mais qui lui prend du temps en plus des soins classiques.
CAROLINE HOFMAN
Installée en libéral, c’est sur l’aromathérapie qu’elle s’est penchée. C’est après avoir travaillé auprès de personnes atteintes de démence qu’elle a cherché des solutions de bien-être dans la prise en charge. Un an plus tard et une formation certifiante en “aromathérapie scientifique et gestion des émotions” en poche, elle utilise sa méthode pour des patients déments, atteints de troubles de l’agitation, de perte d’appétit, de troubles du sommeil et de perte d’estime de soi. Avec grand succès, affirme-t-elle : « J’observe un vrai changement instantané dès la mise en place du diffuseur. Souvent, ça nous permet d’éviter les contentions. »
CÉCILE BARRIÈRE
Infirmière libérale en région Paca, c’est parce qu’elle se sentait « très frustrée de ne pas pouvoir continuer plus loin l’approfondissement de [ses] pratiques » qu’elle a suivi les deux cursus de master, avec une spécialité en gérontologie. Son leitmotiv : « Travailler en équipe, dans un contexte qui tend plutôt à saucissonner le patient passant d’un professionnel à l’autre, sans que ceux-ci ne se rencontrent, la plupart du temps. » Depuis sa formation, elle se sent un peu seule mais ne se décourage pas. « Des choses se mettent en place. Demain, j’ai rendez-vous à l’hôpital local pour faire connaissance. L’idéal serait de travailler au sein d’une maison d’exercice pluridisciplinaire, mais ce n’est pas possible pour l’instant », déplore l’Idel qui exerce pourtant dans un cabinet groupé. « Il faut faire preuve d’énormément d’humilité et de patience, se contenter de ce qu’on peut apporter et y aller en douceur. » Côté pratique, Cécile Barrière a commencé à faire des évaluations gérontologiques systémiques au domicile de ses patients en situations complexes et en présence de la famille.