Objectif Soins n° 235 du 01/04/2015

 

Management des soins

Laure de Montalembert  

De façon empirique, nous savons tous que l’apprentissage du vocabulaire médical, professionnel et scientifique est un exercice parfois laborieux pour les étudiants. Alors, comment rendre cet apprentissage plus attrayant ? À l’Ifsi du centre hospitalier Annecy-Genevois (Change), une “gamification” de l’apprentissage du vocabulaire professionnel a été mise en place.

La gamification est « le fait de pouvoir transposer le mécanisme du jeu dans des concepts, des mécanismes et des techniques en rendant une matière sérieuse, jouable, ludique »(1). L’emploi de la Technologie de l’information et de la communication dans l’enseignement (TICE), sous forme de jeux sérieux, nous a semblé une réponse adaptée à ce challenge. À l’Ifsi du centre hospitalier Annecy-Genevois (Change), nous avons réalisé une expérience en plusieurs étapes :

• en commençant tout d’abord par la réalisation et l’utilisation de podcasting sous forme d’autotests interactifs,

• en poursuivant ensuite par la co-création par les étudiants en soins infirmiers de modules d’apprentissages ludiques mis à disposition en ligne via le site Internet Learningapps.org.

SERIOUS GAMING, SERIOUS GAMES ET PODCASTING

Il convient avant tout de différencier et de clarifier les notions de serious gaming et de serious games.

Serious games et serious gaming

« Les serious games sont des jeux vidéo créés pour répondre à la définition qu’on leur donne, tandis que les serious gaming sont des jeux vidéo classiques et purement ludiques, détournés de leur usage premier à des fins sérieuses. »(2)

Ces deux types de jeux sérieux sont utilisés dans divers domaines selon leurs applications : santé, formation, défense, etc. Citons comme exemple un jeu vidéo informatique à l’usage des soignants, afin de modéliser des schèmes comportementaux et de communication auprès de patients atteints de la maladie d’Alzheimer (Ehpad’Panic). Dans ce domaine, le jeu sérieux se définit comme une « application informatique utilisant les techniques et les ressorts ludiques du jeu vidéo à des fins d’enseignement, de formation ou de perfectionnement professionnel, de communication ou d’information. Il devient un véritable outil pédagogique »(3). « Ils sont en effet susceptibles de solliciter la motivation des étudiants et de leur permettre de développer des connaissances dans le cadre de situations d’apprentissage complexes, et, dans un certain sens, plus authentiques. »(4)

Podcasting

Le podcasting, quant à lui, est un moyen simple de diffuser des informations grâce aux Technologies de l’information et de la communication (TIC) via Internet. Appelé aussi “baladodiffusion”, il peut se définir comme un « mode de diffusion sur Internet qui permet de télécharger des fichiers audio ou vidéo sur un baladeur numérique »(5) à l’aide de la technologie RSS (Really Simple Syndication). Plus simplement, il s’agit d’un visionnage de supports audio et/ou vidéo à des fins d’informations ou de formations. L’usage le plus emblématique est sans aucun doute l’écoute ou le visionnage d’émissions télévisées ou radiophoniques. La télévision de rattrapage en est un exemple.

LE PROGRAMME

Learningapps.org est à l’origine un projet de recherche et de développement du Centre de ressources informatiques (Zentrum für Bildungsinformatik) de la Haute École pédagogique de Berne en partenariat avec les universités allemandes de Mayence et de Zittau/Görlitz. Application Web 2.0, LearningApps « à soutenir les processus d’enseignement et d’apprentissage au moyen de petits modules interactifs. Les modules existants peuvent être directement reliés au contenu des leçons, mais les utilisateurs peuvent également les modifier ou en créer de nouveaux ».

Le site met à disposition des modules interactifs qui peuvent être modifiés ou changés. Ils ne constituent pas un apprentissage en soi mais doivent être intégrés à un déroulé pédagogique global. Les jeux proposés sont variés, parfois multijoueurs, et basés sur des ressorts ludiques classiques (mots croisées, jeux télévisés, le “pendu”, etc.). On se trouve clairement, ici, dans le serious gaming.

APPLICATION PÉDAGOGIQUE

Comme nous l’avons évoqué précédemment, notre objectif principal était de rendre cet apprentissage plus plaisant dans le cadre l’Unité d’enseignement (UE) 6.1 du semestre 1 (méthodes de travail).

Exercices pratiques

Dans un premier temps, nous avons créé et enregistré des questionnaires à choix multiples et à réponses ouvertes, courtes, sous forme de podcasting sur différentes thématiques disciplinaires comme la cardiologie ou la chirurgie, mais également sur certains préfixes, affixes et suffixes les plus couramment utilisés dans le vocabulaire professionnel et médical.

Ces exercices furent proposés en compléments des cours et travaux dirigés sans obligation de visionnage. Pour ce faire, l’Ifsi bénéficie d’une salle dédiée à l’enregistrement disposant de tout le matériel nécessaire. L’enregistrement est ensuite proposé en consultation libre ou en téléchargement (MP3, MP4, PDF, Ogg, Zip) par un accès codifié sur une plateforme dédiée. Concrètement, cela prend la forme de diaporamas commentés et illustrés(6).

Travaux dirigés

Dans un second temps, nous avons proposé aux étudiants de première année de concevoir le contenu d’une application ludique (Learningapps.org) afin de constituer une base de données de révisions sur différents sujets en lien avec notre “langage”. Sous forme de travail dirigé, des groupes de cinq étudiants avaient pour mission de concevoir, à l’issue d’une recherche documentaire crédible, des énoncés sur une thématique particulière. La forme de l’exercice était imposée : mots croisés, questions ouvertes, QCM multijoueurs et QCM à difficultés croissantes inspirés d’un jeu télévisé. En revanche, le fond était laissé au libre choix des étudiants sous certaines conditions :

• l’ensemble des questionnaires devait être relatif à un seul et même thème (un seul suffixe, une seule discipline, etc.) ;

• l’objet des questions devait porter sur la terminologie et la sémantique et non sur des connaissances anatomiques, physiologiques ou techniques.

Des cadres impliqués

Après la réalisation de cette étape relativement courte (deux heures), la phase de mise en ligne est un exercice chronophage. En effet, les cadres de santé chargés de formation référents de l’UE doivent vérifier le respect des normes, la pertinence des questions et la justesse des énoncés. Une fois validé, il convient de saisir le contenu des jeux. L’interface est simple d’utilisation, même si certaines applications sont en anglais, voire en allemand. En moyenne, la saisie est estimée à une vingtaine de minutes par module. Enfin, la mise en ligne peut être effective. Il ne reste plus qu’à générer, pour les apprenants, les identifiants et les mots de passe de connexion.

INTÉRÊTS ET LIMITES

Postulat de départ et points positifs

Nous sommes partis du postulat suivant : la “génération Y” utilise de façon quotidienne et massive les TIC. Et cette génération fait partie du “gros des troupes” de chaque promotion (moyenne d’âge stable à 21 ans). Nous nous attendions donc à trouver de nombreux intérêts à cette expérimentation. La flexibilité de cet outil permet, entre autres, une disponibilité non restrictive des connaissances(7). Il favorise l’autonomie et l’autoévaluation en proposant une ressource complémentaire de révision sous forme de résolution de problèmes.

C’est également un atout pour l’ensemble de l’équipe pédagogique puisque les exercices créés constituent une base de données grandissante et réutilisable pour les promotions ultérieures comme pour d’autres formations (formations continues, formation d’adaptation à l’emploi, etc.).

Limites et pistes d’améliorations

Nous avons identifié un certain nombre de limites. Tout d’abord, et contrairement au postulat initial, les étudiants ne se sont pas saisis en masse de l’outil.

Nous constatons une consultation faible et, dans les quinze jours après la mise en ligne, moins de 10 % des étudiants ont complété avec succès l’un des modules. Cependant, ce chiffre double dans les deux mois. Nous mettons cette augmentation en lien avec le début du premier stage et la nécessité probable pour les apprenants de s’immerger dans ce “chinois soignant” qui devient alors leur quotidien. En outre, l’acquisition et l’utilisation du vocabulaire professionnel ne sont pas évaluées quantitivement mais plutôt de façon transverse et qualitative en institut ou en stage.

Au regard des questions d’équité et des plannings des étudiants, il n’était guère envisageable de prime abord de proposer des enseignements différents à deux groupes d’étudiants.

Cette notion demande donc une investigation complémentaire pour mesurer l’impact d’une telle initiative en faisant par exemple une comparaison rétrospective de la qualité du vocabulaire des copies des étudiants selon les promotions, entre les promotions qui ont pu bénéficier de cette méthode et les promotions antérieures.

CONCLUSION

L’évolution des technologies autorise une plus grande variété des méthodes pédagogiques. Les Ifsi peuvent donc répondre, avec des moyens simples et peu coûteux, aux attentes des étudiants qui demandent lors des bilans de formation de sortir de la dyade classique “cours magistraux-travaux dirigés” en présentiel. Notre expérience tend à montrer qu’il ne faut pas s’attendre à un plébiscite de la part de tous. Cela doit constituer une ressource complémentaire à l’offre habituelle pour favoriser les apprentissages dans le dispositif de formation.

BIBLIOGRAPHIE

• Alvarez J., Djaouti D. (2007). “Serious games et gameplay”. Troisième serious games session Europe, Lyon, décembre 2007.

• Bouchot M. (2012). Serious Game et Serious Gaming. Dans Y. Kasbi, Les Serious Games (pp. 29-33). Liège, Belgique : Edi.pro.

• Commission générale de terminologie et de néologie (2010). Le grand dictionnaire terminologique. Consulté le 12 décembre 2014, sur Office québecois de la langue française, via ce lien raccourci : petitlien.fr/7x5f

• Dictionnaire Larousse (2010). Le petit Larousse Illustré. Paris: Larousse.

• Fulton K. (2012, juin) Upside Down and Inside Out: Flip Your Classroom to Improve Student ; Learning. Learning & Leading with Technology. Vol. 39 Issue 8, p 12-17.

Kasbi Y. (2012). Les serious games. Une révolution. Liège, Belgique : Edi.pro.

• Sanchez E., Ney M. & Labat J.-M. (2011). Jeux sérieux et pédagogie universitaire : de la conception à l’évaluation des apprentissages. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 8 (1-2), 48-57. Consulté le 23 novembre 2014, via le lien raccourci petitlien.fr/7x5h

• Thuez L. & Labejof A. (17 février 2014). Compétences technologiques pour une transformation réelle du rapport enseignement/apprentissages par les podcasts. Récupéré sur Compétences technologique : technopedagogies.wordpress.com

• Zentrum für Bildungsinformatik de la Haute École pédagogique de Berne (s.d.). Qu’est-ce que Learningapps.org ? Consulté le 23 novembre2014, sur Learningapps.org : learningapps.org/about.php •

NOTES

(1) Kasbi, 2012.

(2) Bouchot, 2012, p. 29.

(3) Commission généralede terminologie et de néologie, 2010.

(4) Sanchez, Ney, & Labat, 2011, p. 48.

(5) Dictionnaire Larousse, 2010.

(6) Thuez & Labejof, 2014.

(7) Fulton, 2012.

L’INTÉRÊT POUR LES CADRES FORMATEURS

→ Cette variété de modes de transmission est évidemment également attrayante pour le formateur. Il va de soi que, comme l’apprenant, il apprécie de sortir d’un schéma classique d’alternance entre cours magistraux et travaux dirigés de réfléxion autour de diverses questions en petit groupe. Nous avons remarqué que, chaque fois qu’une nouvelle modalité pédagogique était proposée dans l’institut (simulation, jeu de société, simulation de masse…), les TD novateurs étaient très facilement pourvus auprès de nos collègues. Par ailleurs, dans un contexte de semaine d’emploi du temps très chargés, cette organisation était finalement assez peu “chronophage” pour l’étudiant en termes de nombre d’heures de cours. Elle aura permis de pouvoir rajouter cet apport qui, bien que non prévu au programme, nous apparaissait essentiel.

En outre, les possibilités offertes par le programme permettent :

• de suivre la consommation de jeux par les étudiants et de pointer les moments où ils en ont le plus besoin comme nous l’évoquons par ailleurs ;

• d’archiver les applis créées d’une année sur l’autre et ainsi de se créer un “stock” grandissant réutilisable pour les promotions suivantes, voire pour d’autres formations (élèves AS, préparations aux concours…).

Enfin, il s’agissait également du premier travail demandé aux étudiants ; l’occasion de leur faire un retour sur leur maîtrise plus ou moins bonne de l’outil informatique (compétence de toute façon travaillée ultérieurement lors d’ateliers dédiés) et surtout sur leur respect des consignes.

En effet, ce non-respect occasionne régulièrement des difficultés lors des évaluations d’unité d’enseignement (on leur demande de citer, ils expliquent ; on leur demande d’illustrer, ils définissent…) ; et ici nous devons régulièrement les reprendre lorsque, par exemple, ils choisissent de créer des questions d’anatomie-physiologie alors que la commande porte purement sur le vocabulaire.