Objectif Soins n° 235 du 01/04/2015

 

Promotion de la santé

Leslie Da Costa Mendes*   M. Perrodet**   E. Akar***  

Maladie multifactorielle, la pré-éclampsie nécessite une surveillance particulière, impliquant l’équipe infirmière dans son ensemble et conférant à l’infirmier comme au cadre un rôle déterminant.

La pré-éclampsie (PE), ou toxémie gravidique, a pour origine un déroulement incorrect de la placentation impliquant notamment les cellules trophoblastiques(1, 2). Elle se définit par l’apparition, à partir de la 20e semaine d’aménorrhée, d’une hypertension artérielle, chez une patiente jusque-là normotendue, associée à une protéinurie, en dehors de toute infection urinaire(1, 2).

ÉPIDÉMIOLOGIE

Fréquence et taux de mortalité

La PE survient chez 3 à 7 % des femmes enceintes, plus fréquemment chez les nullipares que chez les multipares où l’incidence ne dépasse pas 3 %(3).

Elle demeure néanmoins l’une des principales causes de mortalité materno-fœtale avec une mortalité maternelle de 15 à 25 % dans les pays développés(3,4). En France, il s’agit de la deuxième cause de décès maternel (12,7 %)(3).

Facteurs de risque

De nombreux facteurs de risque de survenue d’une PE ont été identifiés(3, 4, 5). Leur recherche doit être systématique dès le début de la grossesse afin de permettre un suivi optimal.

Facteurs personnel et génétique

• Antécédents personnels ou familiaux de pré-éclampsie.

• Primiparité.

• Grossesses pluri-fœtales.

• Consanguinité.

• Âge maternel inférieur à 20 ans ou supérieur à 40 ans.

• Surcharge pondérale.

Pathologies maternelles

• Hypertension artérielle chronique.

• Diabète sucré.

• Néphropathie chronique.

• Pathologies thrombogènes (syndrome des antiphospholipides…).

• Pathologie auto-immune (lupus, maladie de Crohn, etc.).

Cependant, tous ces facteurs sont loin d’expliquer l’ensemble des PE et ne permettent pas de prédire cette pathologie(3).

PHYSIOPATHOLOGIE

La physiopathologie de la pré-éclampsie est complexe, impliquant plusieurs facteurs environnementaux, maternels et placentaires, dont l’interaction demeure encore imprécise ou insuffisamment connue(1, 2). L’élément essentiel au bon déroulement de la grossesse est l’implantation du placenta dont les villosités trophoblastiques vont s’engager dans la paroi utérine mais aussi envahir les artérioles maternelles, créant l’unité utéroplacentaire indispensable au bon développement fœtal(2). La PE pourrait résulter d’une placentation défaillante conduisant à un tissu hypoxique qui sera à l’origine d’un syndrome toxémique grave (libération de substances pro-inflammatoires et oxydantes en quantités importantes dans la circulation systémique) avec une dysfonction hémodynamique maternelle(1, 2, 6). Cette réponse inflammatoire anormale provoque une activation cellulaire (leucocytes notamment qui vont se fixer sur l’endothélium vasculaire) qui, conjuguée au stress oxydant en rapport avec l’hypoxie, va engendrer une atteinte de l’endothélium vasculaire maternel. Il en découle un dysfonctionnement vasculaire entraînant une protéinurie, une hypertension artérielle et des anomalies de la coagulation pouvant expliquer l’ensemble des complications de la PE.

Le fœtus souffre également de cet état, et notamment de la vasoconstriction vasculaire qui amplifie l’insuffisance d’apports en oxygène et en nutriments essentiels pour sa survie(2, 6).

Enfin, la PE peut aussi survenir lors d’une interaction entre un placenta normal et des anomalies microcirculatoires maternelles préexistantes, en rapport avec des pathologies chroniques comme le diabète ou une prédisposition génétique(2).

ÉLÉMENTS DE DIAGNOSTIC

L’ hypertension artérielle est le signe clinique majeur de la PE(1, 2, 3, 4, 5).

Les seuils tensionnels communément admis sont une pression systolique et/ou diastolique supérieure ou égale respectivement à 140 mmHg ou à 90 mmHg.

Des œdèmes des membres inférieurs peuvent s’y associer. Au niveau fœtal, un retard de croissance in utero du fœtus est souvent observé.

Une hypertension artérielle supérieure ou égale à 160 mmHg de systolique ou à 110 mmHg de diastolique, douleur épigastrique, nausées, vomissements, céphalées persistantes, troubles visuels, bourdonnements d’oreille et oligurie inférieure à 20 ml par heure sont autant de signes cliniques indiquant la sévérité de la PE que le soignant devra rechercher(1, 4, 6).

Sur le plan biologique, la protéinurie est généralement supérieure à 300 mg par jour. D’autres anomalies peuvent être décelés par le biais d’un bilan biologique (uricémie supérieure à 350 µmol/L, élévation des transaminases, thrombopénie) mais elles restent souvent modestes. Toutefois, une protéinurie supérieure à 3,5 g par jour, une créatininémie supérieure à 100 µmol/L, des ASAT (aspartate aminotransférase) au-delà de trois fois la normale, une hémolyse et/ou une thrombopénie inférieure à 100 000 mm3 constituent des critères de gravité.

COMPLICATIONS

Gravité

La gravité de la PE se confond parfois avec les potentielles complications qui peuvent d’emblée être présentes et réaliser des formes cliniques particulières. L’hypertension artérielle peut être maligne et s’associer à un œdème aigu du poumon. Ce dernier, tout comme les vomissements compliqués d’inhalation bronchique, peuvent mener à un arrêt cardiorespiratoire hypoxique.

L’insuffisance rénale aiguë peut être anurique et donc nécessiter une hémodialyse. La somnolence et les clonies des extrémités sont les signes annonciateurs de l’éclampsie dont les convulsions généralisées sont le signe caractéristique(1).

L’éclampsie survient généralement en pré- ou péri-partum. Toutefois, des apparitions à 48 heures post-partum, voire au-delà, ont été décrites.

Syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible

C’est une pathologie non spécifique et réversible si elle est rapidement traitée.

Le syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible (PRES) induit un œdème vasogénique de la substance blanche conduisant à une symptomatologie comportant céphalées, nausées, vomissements, et pouvant aboutir à des crises convulsives et troubles de la conscience, voire un coma(1).

La PE est présente dans 7 à 20 % des cas de PRES, dont le diagnostic final est posé sur l’imagerie médicale (IRM)(1, 7).

Au niveau hémorragique

Au niveau hémorragique, la PE peut mener à la formation d’hématomes sous capsulaires hépatiques ou rétro-placentaires.

Des manifestations thromboemboliques sont également susceptibles d’apparaître, le plus souvent sous forme d’accident vasculaire cérébral ou de coagulation intravasculaire disséminée.

Sur le plan biologique

Le HELLP syndrome (Hemolysis, Elevated Liver enzymes, Low Platelet count) est caractérisé par une hémolyse, une cytolyse hépatique et une thrombopénie. Cette pathologie touche 0,5 à 1 % des grossesses, et survient dans 4 à 12 % des PE. Elle est plus fréquents (30 à 50 %) en cas d’éclampsie(8). Elle survient en post-partum dans 30 % des cas.

Enfin, relevons les complications fœtales majeures que sont le retard de croissance in utero, la prématurité et le décès.

TRAITEMENT

Surveillance

La découverte d’une PE impose une hospitalisation dans un milieu spécialisé et adapté, avec disponibilité à la fois de soins intensifs, d’un bloc opératoire, d’une salle de naissance et d’un service de chirurgie viscérale(6, 9). Un plateau d’imagerie médicale et un laboratoire de biologie ouvert 24 heures sur 24 sont des éléments nécessaires à une prise en charge réactive et efficace de la parturiente pré-éclamptique. Il est essentiel que le personnel médical et infirmier connaisse avec précision cette pathologie afin de réagir au plus vite face aux diverses complications.

Traitement étiologique

Le traitement étiologique impose l’arrêt de la grossesse par extraction du fœtus. Néanmoins, celle-ci n’est pas toujours immédiate, faisant l’objet d’une réflexion médicale poussée(6, 9).

En effet, l’extraction immédiate induit une prématurité qui, avant 34 semaines, peut être à l’origine de complications fœtales particulièrement graves et souvent fatales. Ces complications doivent être mises en balance avec les complications maternelles et périnatales réelles ou potentielles.

Le traitement symptomatique

Il englobe tous les symptômes et complications décrits précédemment. Il ne peut être détaillé ici. L’hypertension artérielle étant le symptôme majeur de la PE, un traitement antihypertenseur est débuté au plus tôt avec l’objectif d’amener la systolique entre 140 et 150 mmHg et la diastolique à 85-105 mmHg. La nicardipine est fréquemment utilisée, bien que le labétalol ou la clonidine aient aussi l’autorisation de mise sur le marché pour cette indication(9).

RÔLE INFIRMIER

L’infirmier (ière) joue un rôle majeur dans la surveillance clinique de la parturiente pré-éclamptique, tant dans l’optique de l’apparition des complications que de l’évaluation des effets des différentes thérapeutiques.

Surveillance clinique générale

De nombreux éléments cliniques doivent faire l’objet d’une surveillance accrue. La SpO2 (saturation pulsée en oxygène), la fréquence respiratoire, la tension artérielle et la fréquence cardiaque constitue un socle minimal. L’infirmier (ière) doit être vigilent (e) quant à la présence ou non de sueurs, de cyanose, de mise en jeu des muscles respiratoires accessoires ou de l’existence d’une respiration paradoxale qui constituent des éléments d’une gravité majeure sur le plan respiratoire.

Une augmentation de l’hypertension artérielle et l’apparition d’une tachycardie peuvent indiquer une aggravation d’ordre hémodynamique.

L’apparition ou l’évolution des œdèmes des membres inférieurs est également à surveiller.

Une attention particulière doit être accordée à la localisation, l’intensité et la spécificité de la douleur éventuellement ressentie par la parturiente.

La surveillance de la diurèse doit rechercher une oligurie témoin d’une altération de la fonction rénale. La présence d’ecchymoses, de pétéchies cutanées, d’hémorragie ainsi que tout élément pouvant indiquer la présence d’une thrombose veineuse profonde (douleur, volume des membres…) seront les signes d’une atteinte hématologique.

Enfin, la surveillance de l’état neurologique de la parturiente s’efforcera de déceler les indices en faveur d’une souffrance neurologique.

Surveillance clinique en lien avec les thérapeutiques utilisées

Une diminution de la pression artérielle provoque une réduction de la perfusion placentaire pouvant induire un retard de croissance fœtal, voire une mort du fœtus.

La vigilance doit donc être importante lors de l’induction du traitement antihypertenseur afin d’éviter une chute trop brutale de la tension artérielle maternelle ou des à-coups tensionnels(9).

En cas de remplissage vasculaire, il existe un risque d’effet rebond en post-partum avec majoration du risque d’œdème aigu pulmonaire. En conséquence, il est nécessaire de surveiller l’état respiratoire et de guetter l’apparition de signes tels qu’une orthopnée, une toux avec expectorations saumonées, des râles sibilants ou crépitants, une polypnée, une tachycardie ou une SpO2 inférieure à 90 %.

L’administration de sulfate de magnésium, pour prévenir l’éclampsie, nécessite une surveillance de l’état de conscience de la parturiente, de sa fréquence respiratoire ainsi que de sa diurèse.

Enfin, une surveillance clinique stricte doit être effectuée durant les 48 premières heures du post-partum. Cette surveillance porte principalement sur l’évaluation des apports hydriques, la diurèse, la tension artérielle et l’état neurologique de la patiente.

CONCLUSION

La PE est une pathologie complexe dont la gravité se comprend en grande partie au vu de ses multiples complications maternelles et fœtales.

L’infirmier (ière) joue un rôle clé dans la surveillance clinique de la parturiente pré-éclamptique. Ses connaissances et ses compétences soignantes en lien avec cette pathologie se doivent d’être constamment aiguisées afin d’en assurer une prise en soins optimale.

NOTES

(1) Al-Jameil N., Khan F.A., Khan M.F., Tabassum H. “A brief overview of preeclampsia”. J Clin Med Res 2014; 6: 1-7.

(2) Meziani F., Tesse A., Asfar P., et al. “De la toxémie gravidique à l’éclampsie: physiopathologie”. Réanimation 2007; 16: 380-5;

(3) Goffinet F. “Recommandations formalisées d’experts. Epidemiologie”. Ann Fr Anesth Réanim 2010; 29: e7-e12.

(4) Sibai B., Dekker G., Kupferminc M. Pre-eclampsia. Lancet 2005; 365: 785-99.

(5) Duckitt K., Harrington D. “Risk factors for pre-eclampsia at antenatal booking: systematic review of controlled studies”. BMJ 2005; 330: 565.

(6) Diemunsch P., Langer B., Noll E. “Principes de prise en charge hospitalière de la prééclampsie”. Ann Fr Anesth Réanim 2010; 29: e51-e58.

(7) Legriel S., Pico F., Bruneel F., Troché G., Bedos J.-P. “Des pathologies encéphaliques à connaître - Syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible”. Réanimation 2011; 20: S368-78.

(8) Collinet P., Jourdain M. “Le HELLP syndrome”. Réanimation 2007; 16: 386-92.

(9) Haddad B., Masson C., Deis S., et al. “Critères d’arrêt de la grossesse en cas de preééclampsie”. Ann Fr Anesth Réanim 2010; 29: e59-e68.

LE RÔLE DU CADRE DE SANTÉ

Essentiel au fonctionnement d’un service de soins, le cadre de santé est au centre du carrefour de la communication et de l’information, occupant une place à la fois privilégiée et complexe au sein même de l’équipe soignante. En effet, de par sa position hiérarchique, le cadre de santé jongle constamment entre gestion des ressources humaines et organisation du travail, tout en travaillant à garantir une qualité des soins optimale. Loin d’être simplement un encadrant au sens strict du terme, il est avant tout cadre de santé, donc un soignant. Or il s’agit là d’un élément fondamental pour le reste de l’équipe soignante. En effet, ce langage commun qu’est le soin est un lien qui unit fermement le cadre de santé au reste de l’équipe soignante, et qui confère à son rôle une dimension essentielle à l’équilibre même du service de soin.

De part son regard soignant aiguisé, le cadre de santé favorise une constante amélioration des connaissances et des pratiques du reste de l’équipe soignante face à des pathologies spécifiques telles que la PE.

Le cadre de santé joue un rôle prépondérant dans la vie d’un service de soin, l’indispensable maillon équilibrant nécessaire à une prise en charge globale du soin.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier le Docteur Mofredj, pour ses précieux conseils lors de la réalisation de ce travail.