Jurisprudence en responsabilité médicale et hospitalière - Objectif Soins & Management n° 236 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 236 du 01/05/2015

 

Droit

Gilles Devers  

Soumis à un régime de responsabilité particulier dans le double objectif d’assurer une protection des droits des usagers et de tenir compte des contraintes qui pèsent sur les hôpitaux publics et leurs équipes, les établissements hospitaliers ont vu évoluer la jurisprudence dans le domaine.

Diagnostic

Conseil d’État, 13 février 2015, n° 367270

La persistance de signes restant inexpliqués doit conduire les praticiens chargés de la surveillance à rechercher sans délai l’existence des complications connues.

Les faits

Un homme victime d’un infarctus du myocarde a été hospitalisé le 7 août 2001 au Centre hospitalier régional universitaire de Besançon (Doubs). Au cours de son hospitalisation, il a été victime d’un hématome compressif du psoas dont il a conservé des séquelles motrices et sensitives.

Il a demandé à être indemnisé de ce préjudice en invoquant un retard fautif de diagnostic et de traitement.

L’analyse

Le patient avait successivement reçu les 7 et 9 août 2001 deux traitements thrombolytiques. Il s’était plaint d’une vive douleur de la cuisse droite à 2 h 30 du matin dans la nuit du 10 au 11 août et cette douleur avait été traitée par décontracturant musculaire, sans que la cause en soit recherchée et sans qu’elle disparaisse.

La persistance de cette douleur aurait dû conduire les médecins chargés de la surveillance du patient à rechercher sans délai l’existence d’un hématome du psoas, complication connue des traitements thrombolytiques reçus par le patient.

Il ressort du dossier qu’un scanner abdominal avait été pratiqué dans la journée du 12 août, mais le recours à un tel examen à cette date était constitutif d’un retard fautif. Cette faute avait privé le patient d’une chance de se soustraire au risque de complications qui s’est réalisé. L’allégation selon laquelle l’appareil nécessaire à la réalisation de cet examen n’aurait pas été disponible plus tôt n’est pas susceptible d’atténuer la responsabilité du service public hospitalier. Le pourvoi du centre hospitalier régional et universitaire de Besançon a donc été rejeté.

Information

Défaut d’information en cas d’alternative aux actes pratiqués

Conseil d’État, 6 mars 2015, n° 368010

Un défaut d’information, dont la preuve est apportée par tout moyen, est une faute qui engage la responsabilité si un dommage s’est réalisé, et s’il existait une alternative dans les soins.

Les faits

Une dame, alors âgée de 56 ans, qui souffrait depuis plusieurs mois de céphalées matinales violentes et de troubles de l’équilibre, a subi le 18 mars 2004 au Centre hospitalier universitaire de Grenoble (Isère) une intervention chirurgicale en vue de l’exérèse complète d’un volumineux méningiome. À l’issue de cette intervention, la patiente a présenté une tétraplégie complète. Elle est décédée le 29 novembre 2008.

En droit

Aux termes de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

« Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.

« Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel.

« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. »

L’analyse

L’établissement n’apportait pas la preuve que la patiente avait été informée, d’une part, des risques de tétraplégie que comportait l’intervention projetée et, d’autre part, de l’existence d’alternatives thérapeutiques moins efficaces mais moins risquées que l’exérèse complète du méningiome. Le risque de tétraplégie était au nombre des risques graves normalement prévisibles de l’intervention pratiquée. La patiente avait été informée de l’existence de « risques fonctionnels », mais cette information était insuffisante et une information spécifique sur le risque de tétraplégie était nécessaire en l’espèce.

Le préjudice

Lorsqu’une intervention est impérieusement requise, en sorte que le patient ne dispose d’aucune possibilité raisonnable de refus, le défaut d’information ne peut normalement entraîner une perte de chance de se soustraire au risque que cette intervention comporte.

En l’espèce, il existait des alternatives thérapeutiques moins risquées à l’exérèse complète du méningiome, d’où il se déduit que cette intervention n’était pas impérieusement requise et que le défaut d’information a fait perdre à la patiente une chance d’échapper à l’accident qui était survenu.

Défaut d’information en l’absence d’alternative aux actes pratiqués

Cour administrative de Nantes, 17 février 2015

Un défaut d’information, dont la preuve est apportée par tout moyen, est une faute qui n’engage pas la responsabilité s’il n’existait pas d’alternative aux soins pratiqués.

Les faits

Une patiente a subi une intervention chirurgicale le 9 novembre 2007 au Centre hospitalier de la Risle (Eure) en vue de procéder à une ablation d’une hernie située sur la paroi rectale. Par suite, elle a présenté des troubles d’incontinence.

La faute

Selon l’expertise, l’intervention chirurgicale du 9 novembre 2007 a été réalisée dans les règles de l’art. Si l’expert relevait des cas d’incontinence anale post-opératoire pour ce type d’actes chirurgicaux, ceux-ci apparaissent dans les suites immédiates des interventions et ont un caractère temporaire. Les deux consultations post-opératoires du 19 décembre 2007 et du 18 février 2008 ne font état d’aucune séquelle liée à des troubles d’incontinence qui l’amèneront à consulter le service de physiologie digestive du Centre hospitalier universitaire de Rouen (Seine-Maritime) à compter du 18 février 2009. En outre, lors d’une consultation exploratoire, réalisée le 14 mars 2006 au Centre hospitalier universitaire de Caen (Calvados), la mauvaise qualité de la “contraction volontaire de la marge anale” était déjà relevée. De telle sorte, en l’absence de tout lien de causalité entre les préjudices dont la réparation était demandée et l’intervention pratiquée, la responsabilité n’est pas engagée.

En droit

Lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée.

L’analyse

Le Centre hospitalier de la Risle n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, qu’il a rempli son obligation d’information à l’égard de la requérante, et ce défaut d’information constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de cet établissement. Cependant, en l’absence de lien de causalité entre la faute commise par le Centre hospitalier de la Risle et les dommages invoqués par la patiente, cette dernière ne peut, en tout état de cause, prétendre à une quelconque indemnisation à ce titre.

Perforation sigmoïdienne non fautive

Conseil d’État, 15 décembre 2014, n° 35828

La responsabilité n’est engagée qu’en cas de faute prouvée et la lésion d’un organe ne permet pas de présumer l’existence d’une faute. Il s’agit d’un aléa, et la responsabilité ne peut réapparaître que si la réaction de l’équipe n’a pas été à la hauteur.

Les faits

Lors d’une hystérectomie pratiquée le 2 mars 2005 dans un établissement public, une patiente a subi une perforation sigmoïdienne qui a rendu nécessaires deux nouvelles interventions chirurgicales réalisées le 9 mars et le 11 octobre 2005.

L’analyse

La lésion survenue au cours de l’hystérectomie n’était pas imputable à une maladresse du chirurgien mais à l’une des complications rares et connues de cette intervention. La perforation sigmoïdienne subie par la patiente au cours de l’intervention du 2 mars 2005 a résulté d’un aléa thérapeutique.

Par ailleurs, la prise en charge post-opératoire de cette lésion a été diligente et conforme aux règles de l’art. Aussi, les médecins n’avaient pas commis de faute de nature à engager la responsabilité.

Prise en charge de la douleur

Cour administrative de Nantes, 5 février 2015, n° 13NT02664

Toute personne a droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.

Les faits

Un patient, né en 1942, a été admis en consultation au service des urgences ophtalmologiques d’un Centre hospitalier universitaire le 15 janvier 2008 pour une baisse brutale de l’acuité visuelle de l’œil droit constatée le 11 janvier précédent.

Un traitement médicamenteux lui a été prescrit, puis un examen par angiographie. Cependant, le 24?janvier 2008, l’intéressé s’est de nouveau présenté dans le service en raison d’une violente douleur à l’œil droit et le diagnostic d’un glaucome néo-vasculaire sur occlusion de la veine centrale de la rétine a alors été posé.

Cette évolution soudaine a justifié l’hospitalisation du patient pour le traitement de sa pathologie. Il est sorti le 4 février 2008 avec la prescription d’un traitement médicamenteux puis a été réexaminé en consultation le 8 février 2008 et a ensuite choisi de poursuivre les soins dans d’autres établissements hospitaliers.

La patient a perdu définitivement la vue de l’œil droit et porte désormais une prothèse.

La procédure

Le patient a recherché la responsabilité du Centre hospitalier universitaire de Caen du fait d’une prise en charge insuffisante de sa douleur.

En droit

Aux termes de l’article L. 1110-5 du Code de la santé publique : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.

« Toute personne a droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »

L’analyse

Les praticiens ont dans un premier temps limité l’administration du Diamox au patient, médicament adapté au traitement de la douleur en cas de glaucome, mais cette administration à dose réduite était justifiée par la contre-indication à ce médicament que présentait l’intéressé et dont il importait de se prémunir.

Cependant, le personnel soignant a pris en compte de manière continue l’expression par le patient de la douleur ressentie en lui administrant à chaque demande des antalgiques, et en particulier en lui administrant dès le 27 janvier 2008 le traitement par Diamox à la dose maximale qui est habituellement donnée en service d’ophtalmologie.

Enfin, après l’intervention chirurgicale de cryoapplication réalisée le 30 janvier 2008, un traitement antalgique majeur a été mis en place.

Aussi, aucune faute, négligence ou manque d’attention ne pouvait être relevé dans le traitement de la douleur, et le fait que le service d’ophtalmologie ne disposait pas de protocole de lutte contre la douleur est resté une circonstance indifférente.

Santé au travail

Cour de cassation, chambre sociale,7 janvier 2015, n° 13-17602

Les refus réitérés d’adapter un poste de travail et le fait de confier de manière habituelle une tâche dépassant les capacités du salarié, mettant en jeu sa santé caractérisent un harcèlement moral.

Les faits

Une salariée, engagée le 30 janvier 1989, a été affectée en avril 2009 à un poste consistant à approvisionner une cabine de peinture, à effectuer un contrôle qualité puis à réaliser l’emballage et l’étiquetage des produits. À la suite d’un premier arrêt de travail, elle a été déclarée, le 11 mai 2009, apte à la reprise par le médecin du travail, avec la recommandation d’éviter le port et les manutentions de charges lourdes puis, à l’issue d’un second arrêt de travail et aux termes d’un avis du 30 juin 2009, elle a été déclarée apte à la reprise avec la mention « éviter le port de charges lourdes de plus de dix-sept kilos ».

La salariée a saisi la juridiction prud’homale le 24 janvier 2011 pour demander le paiement de diverses sommes relatives tant à l’exécution qu’à la rupture de son contrat de travail.

Par lettre du 31 janvier 2011, elle a notifié à son employeur l’impossibilité de continuer son activité dans l’entreprise pour dégradation de ses conditions de travail et harcèlement moral puis a demandé à la juridiction prud’homale de décider que cette rupture du contrat de travail était intervenue aux torts de l’employeur.

L’analyse

Le poste de travail de cette salariée comportait, de manière habituelle, un port de charges d’un poids excessif, contraire, au moins pendant un certain temps, aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l’employeur avait gravement nui à la santé de l’intéressée.

Aussi, la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par la salariée le 31 janvier 2011 produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, conduisant à condamner l’employeur à payer des dommages et intérêts ainsi qu’une indemnité de licenciement.

L’attitude réitérée de l’employeur ayant entraîné la dégradation des conditions de travail de la salariée par le refus d’adapter son poste de travail et le fait de lui confier de manière habituelle une tâche dépassant ses capacités mettaient en jeu sa santé, la cour d’appel a caractérisé un harcèlement moral.