Objectif Soins n° 237 du 01/06/2015

 

Ressources humaines

Marie Luginsland  

Dispositifs médicaux, incontinence, hôtellerie-restauration, achats de mobiliers… Engagés dans l’optimisation de leurs achats, les établissements ne peuvent faire l’économie de l’expertise des cadres. À tel point qu’aujourd’hui, les cadres dépassent leur statut de consultant pour être associés à la normalisation, voire la rationalisation des achats. Perçus comme stratégiques par les directions achats, ils sont devenus les référents dans de nombreux domaines d’approvisionnement des établissements.

Dans les achats hospitaliers qui représentent chaque année 18 milliards d’euros, les cadres ont su se rendre indispensables. Sur ce budget aussi lourd que les achats de l’État (hors armement), 60 % concernent les achats liés à la délivrance des soins.

« UN RÔLE D’ALERTE »

Mais le champ d’intervention des cadres dépasse cette catégorie d’achats. Leur position s’est renforcée depuis la création du programme de Performance hospitalière pour des achats responsables (Phare), lancé dans la suite de la loi HPST et destiné à obtenir des gains sur achats. Le programme Phare n’a fait cependant qu’entériné et formalisé le rôle des cadres alors que « le mouvement était en marche depuis un certain temps », comme le remarque Alain Mourier, enseignant à l’École des hautes études en santé publique (EHESP).

Car les cadres n’avaient pas attendu le programme Phare pour s’interroger sur la pertinence des achats et la qualité des produits. Ni pour influer sur les achats au sein des établissements. « Nous avions recours à leur compétence avant même le programme Phare. Elle est requise à différents moments du processus d’achats, tant dans le choix de l’équipement que lors de l’exécution d’un marché, quand un problème se révèle avec un produit. Le cadre joue le rôle d’alerte », expose Jean Urvois, directeur adjoint du CHU de Brest (Finistère).

« Le programme a le mérite d’assurer la promotion du rôle des cadres en l’institutionnalisant et en reconnaissant leur expertise d’interface entre les équipes soignantes et les acheteurs », souligne Maria Varela, chef de projet plan actions achats auprès du Réseau des acheteurs hospitaliers d’Île-de-France (Resah-IdF). Le programme Phare a par ailleurs ancré une phase importante de dialogue. L’implication du cadre conditionne désormais la structuration des plans actions achats (PAA) mis en place par plus d’une centaine d’établissements. Il s’agit, au même titre que les cliniciens ou que le pharmacien, de recueillir leur vision des achats et leurs suggestions pour des pistes d’amélioration. De manière générale, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) à l’origine de ces processus, a saisi l’importance d’associer les cadres à ces définitions stratégiques visant à obtenir des gains sur les achats de 3 à 5 %.

(R)ÉVOLUTION

Cette évolution des mentalités s’est opérée conjointement à la redéfinition du métier d’acheteur dans la fonction publique. Alors que celui-ci se limitait à approvisionner les services prescripteurs au meilleur prix, le changement de paradigme suppose aujourd’hui un renforcement de ses liens avec les cadres. Certains établissements ayant établi une cartographie des prescripteurs, comme le centre hospitalier d’Avignon (Vaucluse), ciblent le dialogue avec les services cliniques et les services de soins. La démarche collaborative va plus loin encore. En contraignant à des ratios d’achats réalisés par le biais de groupements, le programme Phare et les PAA ont prolongé l’implication des cadres au cœur même de ces groupements de commandes, qu’ils soient régionaux ou nationaux (UniHA, Resah-IdF, Unicancer Achats, Ugap). Ceux-ci sont certainement les structures où l’influence du cadre est la plus aboutie. Là où désormais les cadres ne font plus seulement remonter leurs besoins mais où ils sont également associés aux études de marché. Ainsi, Maria Varela constate qu’au sein de son groupement, un quart des entretiens concernant les PAA impliquent la présence de cadres. « Les cadres ont des besoins importants et pointus, particulièrement en dispositifs médicaux, mais nous les faisons intervenir sur la plupart des marchés », note Luc Delporte, directeur d’Unicancer Achats. Il précise ainsi que de nombreux cadres participent aux réunions de filières et aux journées thématiques. Les besoins identifiés par les cadres sont ensuite validés par les directions des centres et donnent lieu à des appels d’offre.

LE CADRE ENGAGÉ

Les cadres prennent ainsi pleinement conscience du contexte économique dans lequel ils évoluent et du rôle de levier qu’ils jouent. Si les structures veulent s’engager dans une optimisation efficace de leurs achats, elles savent qu’elles ne peuvent renoncer à la consultation des cadres. « On s’imagine mal aujourd’hui un acheteur ne pas prendre en considération les cadres pour passer ses achats », affirme Alain Mourier. Ceci d’autant que les actions sur le juste besoin arrivent en deuxième position parmi les actions prioritaires menées par les établissements dans le cadre de leur PAA, juste après celles sur le prix et le marché*. Le cadre n’est plus simplement considéré comme un expert du “bon usage” et de “l’antigaspillage”. Son retour d’expérience au contact des soignants et des patients est certes recherché, mais il ne suffit plus. L’évolution induite par l’optimisation des achats l’a promu “acheteur”.

« Il ne s’agit plus seulement de transmettre des données sur la qualité des produits et la tolérance des patients, mais de fournir des réponses techniques, de pondérer les grilles d’évaluation et de sélection des produits, d’analyser les produits en termes d’ergonomie, de packaging, ou encore de sécurisation », énumère Luc Delporte. Car le volet financier des achats ne se limite plus aux simples gains sur achats. L’élément prix ne constitue que 30 à 40 % des critères de choix. Dans la sélection d’aiguilles sécurisées, de gants ou de casaques, ou encore de lits ou de mobiliers, le cadre est le mieux placé pour faire le “bon choix” en fonction du rapport qualité/prix mais aussi d’une notion de “productivité” et de sécurité du patient et du soignant. « Ils sont une véritable ressource. En raison de leur proximité et de leur fonction de manager, ils ont une conscience aiguë des attentes des services et une profonde connaissance des flux, aussi ils sont très impliqués dans les process de commandes. C’est pourquoi nous les associons à de nombreux marchés : la nutrition, les dispositifs médicaux ou encore les équipements en médecine nucléaire », décrit Luc Delporte. « Ils sont à même de déterminer les nouveaux besoins, particulièrement dans les segments liés à la prise en charge et au confort du patient, mais ils sont également en position de faire barrage au moins-disant », renchérit Maria Varela.

CRAINTES, FREINS

Cette évolution du rôle du cadre l’amène à s’impliquer dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, des bonnes pratiques au choix du fournisseur. Selon les établissements, il n’est pas rare qu’il travaille à la rédaction du cahier des charges et à la définition du juste besoin. C’est ainsi que la plupart des outils tels que les programmes d’achats et les tableaux de bord sont mis à la disposition des cadres. S’ils apprécient d’être reconnus pour leur compétence et d’être ainsi sollicités sur des fonctions clés de l’administration, les cadres n’en font pas moins valoir l’aspect chronophage de ces tâches. Ces nouvelles donnes n’auraient-elles cependant pour seul défaut d’être visibles dans des emplois du temps déjà bien chargés ? « Effectivement, nous assurons déjà la gestion des stocks et, dans une certaine mesure, nous détenons une délégation de gestion pour les consommables par exemple, ou dans le cadre de contrats de pôle. Mais cela n’est pas réellement formalisé dans notre temps de travail », conviennent certains cadres. Cependant, ils redoutent par dessus tout que cette plus grande implication ne les entraîne dans certaines tensions avec les équipes soignantes, particulièrement lorsque leur arbitrage en matière d’achats induit de nouvelles pratiques.

Ces craintes émergent particulièrement lors des procédures d’achats groupés qui signifient mutualisation et donc standardisation. Certains produits ou prestations vont modifier des habitudes, des process qui seront autant de sources d’inquiétudes au sein des équipes. « En effet, un changement de fournisseur peut apporter des modifications aux protocoles, mais cela peut également faire évoluer les pratiques et susciter des échanges de pratiques entre les cadres », remarque Alain Mourier.

CONCLUSION

Plus que jamais, le cadre est attendu dans ses fonctions managériales pour agir en amont sur les équipes qu’il préparera aux changements. Engagé dans cette nouvelle dynamique, le cadre doit recomposer son rôle à l’aune de ces compétences redimensionnées. Sans intégrer la fonction achat comme dans certains établissements (lire le témoignage page de gauche), il pourrait être appelé à détenir davantage de délégations de gestion, comme cela est le cas dans le cadre de contrats de pôles. Toutefois, son statut n’est pas appelé à évoluer. Car, comme le rappelle Jean Urvois, « le cadre de santé s’intègre dans un processus d’achats bien défini, très encadré par la réglementation et régi par le Code des marchés ».

NOTE

* Sources DGOS.

TÉMOIGNAGE

Catherine de Michieli Cadre intégrée à la fonction achats du Centre hospitalier René-Dubos de Pontoise (Val-d’Oise)

→ « Dépasser mes tâches classiques »

« Dès 2006, alors que j’étais cadre dans le service cardiologie, j’ai eu l’opportunité de m’associer à la planification et à l’organisation de la construction d’un nouveau bâtiment de notre établissement.J’ai travaillé avec le consortium d’architectes, et plus particulièrement au choix des matériels, leurs coûts, etc. J’y ai acquis l’expérience des relations avec les fournisseurs, et que j’ai beaucoup appréciée. Nous avons élaboré les plans et abordé notamment les questions logistiques. Cette coopération m’a déjà permis à l’époque de dépasser mes tâches classiques comme la gestion du personnel, l’organisation des soins, la conduite de projets inhérents à ma fonction de cadre.

Je souhaitais par ailleurs donner une nouvelle impulsion à ma carrière car je n’envisageais pas de rester cadre de proximité pour les vingt prochaines années. Pour autant, ayant eu la gestion d’une cinquantaine de salariés, je voulais garder des responsabilités et pouvoir à nouveau, manager, encadrer une équipe. »

→ « Décoder les besoins des services »

« Ayant effectué toute ma carrière au sein de l’établissement,j’en connais tous les rouages. Cette expérience était également un pré-requis à la fonction que j’occupe actuellement et vers laquelle je me suis dirigée en 2013. J’ai argumenté de cette plus-value que je pouvais apporter en tant que cadre de soins, pour postuler au poste d’acheteur en remplacement d’un agent administratif. Il a suffi alors que je complète mes connaissances par une formation d’une semaine “Initiation à l’achat public hospitalier” ainsi que par “Les 100 heures de l’achat hospitalier” (EHESP et Grenoble École de management).

Aujourd’hui, tout en occupant mon nouveau poste, j’effectue un master 2 en management des achats. Affectée aux achats non médicaux, responsable d’un budget annuel de 1,7 million d’euros, j’ai mis en place une procédure de recensement et de validation des besoins pour l’ensemble des services du centre hospitalier. Une phase de négociation avec les prescripteurs permet d’avoir une meilleure gestion de mon budget et de répondre également aux projets institutionnels. Ma connaissance du fonctionnement des services, des pratiques qui, par exemple, consistent à “demander plus pour obtenir le moins” me permet d’être un “interface” efficace entre les cadres de santé et le service des achats de l’hôpital. Je considère que je suis “décodeur” des besoins des services, ce qui me conduit à réaliser des gains d’achats ou en tout cas à les optimiser. Mais mes fonctions ne se limitent pas là. Je suis présente tout au long de la supply chain, de la justification des besoins à la réception de la commande sur le quai de livraison en passant par le bon de commande.

L’autre valeur ajoutée de mon passé professionnel est que, face aux fournisseurs, mes connaissances du terrain me permettent d’avoir du répondant et de poser les bonnes questions et leur permettre d’apporter des améliorations “innovation” à leurs produits. Toutefois, je ne me présente jamais au premier abord comme cadre de santé. »